LA QUESTION AGRAIRE

 

 

 

 

 

Robin Goodfellow

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date

Mai 1978 à Avril 1986

Auteur

Communisme ou Civilisation

Référence

N° 2, 4, 6, 8, 10, 13, 15,19

Prix

30 €

Version

0.2


Sommaire

Sommaire. 2

1.     Présentation des éditions. 5

2.     Introduction. 9

3.     Les trois classes du Mode de Production Capitaliste. 11

3.1    Les deux phases historiques du développement économique de la production capitaliste. 11

3.2    La place de la question agraire dans la théorie communiste. 18

3.3    Les trois classes du mode de production capitaliste. 19

4.     Valeur d'usage et valeur d'échange. 25

4.1    Valeur d'usage. 25

4.2    Valeur d'échange. 26

5.     La valeur et ses formes (valeur d'échange). 27

6.     Communisme, bon horaire et bon de travail. 31

7.     Valeur de marché et prix de production. 39

7.1    Le passage de la valeur au prix de production. 39

7.2    Valeur de marché. 41

7.3    Valeur individuelle et valeur sociale. 42

7.4    Le prix de production. 46

8.     Taux de profit et prix de production. 49

8.1    Taux général de profit, branche et taux de profit moyen. 49

8.2    La péréquation des taux de profit. 51

8.3    Plus-value absolue et prix de production. 53

8.4    Facteurs de l'égalisation du taux de profit. 55

8.5    Egalisation du taux de profit et exploitation de la force de travail. 56

9.     «L'erreur» de Marx. 58

10.    Reproduction de la nature et reproduction de l'espèce humaine  61

10.1  Dialectique de l'homme et de la nature. 61

10.2  La reproduction de la nature. 64

10.3  Capital et destruction de la nature. 66

10.4  Terre-matière et terre-capital. 68

11.    Théorie de la valeur et surprofit. 71

11.1  Moyens de production reproductibles . 71

11.2  Valeur de marché et aristocratie ouvrière. 81

11.3  Moyens de reproduction non reproductibles. 86

12.    Mode de Production capitaliste = Alimentation végétalienne. 89

13.    Terre vierge, capital satyre : rente différentielle I. 104

13.1  Introduction. 104

13.2  La rente différentielle I. 110

14.    Terre marâtre, capital souteneur : Rente différentielle II. 124

14.1  Introduction. 124

14.2  La rente différentielle II 128

15.    Pétrole et rente différentielle. 141

16.    Rente différentielle sur le plus mauvais terrain. 145

17.    Rente foncière et MPC en URSS. 149

18.    Le programme communiste contre Ricardo et ses épigones. 156

19.    Rente absolue et loi de la valeur. 160

20.    Le programme communiste contre Rodbertus. 163

21.    La rente absolue. 168

22.    L'offensive révisionniste et bourgeoise contre le programme communiste. 174

22.1  Unicité de la rente absolue. 174

22.2  Réalité de la rente absolue. 180

23.    Monsieur Le Floch bouleverse la science. 195

24.    La rente de monopole. 198

24.1  Bases pour l'apparition d'une rente de monopole. 198

24.2  Surprofit et rente de monopole. 199

25.    La question du logement. 207

25.1  Ville et campagne. 207

25.2  La crise du logement. 211

25.3  La solution communiste de la question du logement. 218

26.    Le prix de la terre. 222

26.1  Petty et le prix de la terre. 222

26.2  Le programme communiste et le prix de la terre. 223

26.3  Variations du prix de la terre. 231

26.4  Les propriétaires fonciers à la recherche du fermage idéal 233

27.    Le programme communiste et la théorie du capitalisme de monopole  235

28.    Le cours catastrophique du M.P.C. 238

28.1  Prix agricoles et prix industriels. 238

28.2  La détermination des prix agricoles dans les autres sphères. 241

29.    Question agraire et dialectique de la nature. 251

30.    MPC et pillage de la nature. 258

31.    La révolution communiste et l’agriculture. 263

32.    Annexes. 265

32.1  Annexe I : Tableau de la hausse de la production par personne en France depuis 1810. 265

32.2  Annexe II : La question agraire dans le plan de l’ « Economie » de Marx. 266

32.3  Annexe III : Le capital et l’agriculture. (Extrait de Invariance N°6 -1969) 270

 

1.         Présentation des éditions

Le texte qui suit reprend, en un seul tenant, le contenu des numéros 2,4,6,8,10,14,19 de la revue « Communisme ou Civilisation ».

Par rapport à cette publication, nous avons uniquement procédé à une ou deux injures près à des remaniements formels :

·           Elimination des références inter numéros

·           Corrections de fautes d’orthographe ou de ponctuation

·           Prise en compte des errata

·           Corrections d’erreurs résiduelles

·           Vérification des citations et des références,

·           Introduction de références Internet

·           Et, pour faciliter la lecture, nous avons, le cas échéant, changé le niveau de certains chapitres dans le plan.

 

Il subsiste encore des erreurs de frappe, et des citations insuffisamment référencées. Nous avons malgré tout choisi de sortir cette version « V.0.2 » de ce texte, que nous continuerons à améliorer au fil du temps.

 

Communisme ou Civilisation était à la fois animée par un projet général qui était celui du « retour à Marx » et par la volonté de fonder en théorie ce qui formait alors un ensemble de positions politiques démarquant le mouvement révolutionnaire des tendances social-démocraties ou gauchistes pouvant se réclamer du socialisme : rejet des syndicats, rejet de la démocratie, critique des mouvements de libération nationale… Cependant, nous pensions que les bases théoriques sur lesquelles la plupart de ces thèses étaient énoncées (et le sont toujours, bien qu’il faille distinguer ici entre ce qui était défendu par l’aile plutôt conseilliste, notamment sur les syndicats et les luttes de libération nationale, et ce qui l’était par les composantes léninistes ou bordiguistes, notamment le Pci) étaient erronées. En effet, les « découpages » historiques basés sur les notions de phase ascendante/phase décadente de l’histoire du capitalisme, ou du découpage entre phase de libre échange et capitalisme de monopole, par exemple, n’étaient que des déviations, tantôt luxemburgistes (CCI, Fecci/PI), tantôt léninistes (Pci), tantôt hybrides (Cwo, BIPR…), des positions fondamentales de Marx et Engels. Disant cela, il convient d’ajouter que pour nous, Rosa Luxembourg et Lénine, dépassent évidemment de dix mille coudées leurs pâles épigones, et ceci pas seulement en raison de leur engagement concret, physique, dans la direction du plus grand mouvement révolutionnaire de l’histoire de l’humanité.

Dans cette perspective, les concepts de phase de soumission réelle et de phase de soumission formelle du travail au capital, initiés par Invariance[i], sous la forme de « phase de domination formelle » et « phase de domination réelle », paraissaient particulièrement pertinents. A partir de Marx, on tentait donc, à la suite d’Invariance de périodiser le cours du mode de production capitaliste de façon à faire apparaître une coupure, un changement d’époque aux alentours de la première guerre mondiale. Tout en s’appuyant sur Marx, on pouvait envisager un changement dans les conceptions propres au marxisme sur les questions nationales, syndicales, parlementaires et démocratiques... Bref, justifier ces changements en s’appuyant sur les fondements de la théorie. On trouve trace de cette analyse dans le début du texte qui correspond au numéro 2 de la revue. Ainsi, comme l’ensemble de ces courants, nous nous retrouvions à partir de ces concepts différents pour désigner la coupure de 1914, avec l’éclatement de la Première guerre mondiale et l’effondrement de la deuxième internationale, comme le point de rupture entre les deux périodes historiques, que la formulation en soit l’opposition ascendance / décadence, concurrence / monopole ou, en l’occurrence phase formelle/phase réelle. Au-delà toutes ces formes de périodisation sont héritières des analyses de la troisième internationale dans toutes ses composantes.

 

Cette analyse, dans la lignée d‘Invariance, sera, plus tard, remise en cause à partir d’une analyse plus approfondie de la question, notamment à partir des résultats de l’étude qui est menée sur les deux phases de la production capitaliste. Au cours du travail que nous avons patiemment accompli pendant une vingtaine d’années s’est finalement imposée à nous l’inanité de toutes les tentatives de substituer à l’analyse de Marx et Engels un quelconque rythme de l’histoire qui tendrait à montrer que leurs positions défendues à l’époque devaient être abandonnées. A la fois notre travail sur la crise, sur l’historique du mouvement ouvrier ; le travail spécifique sur la périodisation, nous ont fait comprendre que la forme moderne du mode de production capitaliste, celle où il manifeste réellement son être, ne date pas de 1914, mais de 1825 avec les premières grandes crises de surproduction. Il en découle donc un élément fondamental : toutes les positions exprimées par Marx et Engels à partir de 1848, et maintenues intégralement jusqu’à leur mort, respectivement en 1883 et 1895 étaient soit erronées dès le départ (ce qui est somme toute la position des anarchistes), soit doivent être reconduites aujourd’hui, nonobstant les analyses tactiques liées à la conjoncture historique. Mais prendre appui sur un prétendu changement dans la nature profonde du mode de production capitaliste après 1914 pour déclarer, par exemple, que la forme syndicale est caduque, en se basant sur l’argument erroné selon lequel « le capitalisme ne peut plus rien accorder à cause de la décadence », est une position purement idéologique et non scientifique.

Un autre élément fondamental de la remise en cause de notre postulat de départ réside dans la nature même des événements historiques qui ont marqué le monde au cours de ces 30 dernières années. L’essor de la productivité du travail, l’accroissement du PIB mondial, balaient empiriquement, en appui à la démonstration scientifique toutes les fadaises sur la décadence, à moins de n’en garder qu’une vision moralisante et pleurnicharde comme le fait Perspective internationaliste qui, après avoir favorablement évolué un temps sur cette question ne sait plus à quel saint se vouer. D’autre part, la recomposition des Etats, la réunification allemande, l’essor de la démocratie bourgeoisie à l’Est, en Amérique Latine (en attendant le colossal tremblement de terre à la fois social et politique attendu et ardemment désiré en ce qui concerne la Chine) ont montré que la question démocratique était beaucoup plus intelligemment et dialectiquement posée par Marx et Engels au 19° siècle que dans la vulgate ultra-gauche des années 1970.

 

Ces éléments nous conduisent à ne plus hypostasier le concept de phase de soumission réelle mais à le replacer dans le cadre de l’analyse traditionnelle du socialisme scientifique avec sa traduction effective : subordination (et non phase de soumission ou pire domination réelle[ii]) du travail au capital[iii].

De fait, il existe bien, chez Marx, une forme de périodisation du capital, entre l’époque manufacturière et celle de la grande industrie. Ces périodes correspondent aussi au fait que dans l’une le travail est soumis formellement au capital -c’est-à-dire que le procès de travail est hérité des anciens modes de production -, tandis que dans l’autre le travail est soumis réellement au capital -ce qui signifie l’apparition d’une technologie spécifiquement capitaliste en l’occurrence le machinisme-. La subordination réelle du travail au capital émerge donc avec la révolution industrielle. En conséquence, à partir la fin du XVIIIè siècle, la révolution industrielle (initiée en 1735) pèse suffisamment sur la société pour écarter la thèse d’une «phase de domination réelle » contemporaine du début du XXè siècle. Même sur le plan sémantique on doit noter les différences qui sont introduites avec ces concepts qui en définitive n’étaient que des chevaux de Troie du révisionnisme. Marx ne fait pas que parler de ces sujets dans le chapitre inédit du capital. Dans le livre I, publié de son vivant et qui a fait l’objet d’une traduction qu’il a relu – ce qui n’empêche pas que des contresens aient pu subsister – il y évoque ce concept qui est traduit en français par « subordination ». En conséquence, si l’on voulait être cohérent, il faut parler de subordination formelle ou de subordination réelle du travail au capital. La notion de domination réelle du capital, outre ces intentions révisionnistes, traduit aussi l’abandon du point de vue du prolétariat au profit de positions inter-classistes dont Invariance nouvelle série ou les « communisateurs » aujourd’hui se font les hérauts, ouvrant la voie à un abandon complet des positions révolutionnaires.

Arrêtons-nous également sur un autre aspect de cet épisode. Des camarades en Allemagne, nous ont fait remarquer que Marx n’employait pas dans la texte allemand le terme « phase ». Dans le texte du chapitre inédit de Marx, paru en français, il s’agit d’un titre de chapitre ajouté par feu Roger Dangeville et non d’un titre écrit par Marx. En conséquence, il n’y a pas lieu de fonder sur ces concepts, une coupure nouvelle qui pourrait justifier les changements d’orientation politique qui caractérisent, pour faire bref, l’« ultra-gauche ».

Cette idéologie a irrémédiablement fait faillite tandis que la théorie de Marx et Engels triomphait sur toute la ligne. En effet, à la critique théorique est venue s’ajouter la critique pratique du mouvement : la chute du mur de Berlin, et la réunification démocratique de l’Allemagne, la livraison finale du secret de la bureaucratie (bien anticipé par Trotsky et Bordiga à propos de la Russie), en charge de porter le développement capitaliste à un niveau suffisant pour laisser la place à la bourgeoisie, la réouverture de la question nationale avec la nouvelle guerre des Balkans, la réorganisation du marché mondial sans une troisième guerre mondiale ouverte – il y eut une guerre froide continue – et donc la preuve de marges de manœuvres offertes par la démocratie, ont achevé ces idéologies.

Doit-on conclure que c’est l’autre branche de l’alternative ouverte par Bordiga, à savoir que si la révolution ne s’impose pas à la fin du XXème siècle, le dernier marxiste aura disparu au début du XXIème, qui triomphe ?

Evidemment, jamais le rapport des forces n’a été aussi défavorable. Lénine disait que la quantité n’était pas un argument suffisant pour juger du potentiel révolutionnaire, que les révolutionnaires pouvaient ne représenter que le 1/10000 voire le 1/100000 de la classe. Quid quand, ils représentent encore moins ? La quantité ne se transforme t-elle pas en qualité et l’influence du parti révolutionnaire ne pourrait espérer une quelconque influence qu’en faisant appel à l’homéopathie.

Ce serait accepter, plus de 70 ans après, la thèse de Karl Korsch et la reconnaissance de la « crise du marxisme[iv] ».

Mais tout cela ne nous éloigne pas de Marx, bien au contraire. Car c’est cette analyse qui triomphe. Il n’est plus nécessaire de fonder de nouvelles politiques, de nouvelles analyses qui s’appuieraient sur de nouveaux fondements de la périodisation du capital. Il est « juste » nécessaire de poursuivre, développer, approfondir les fondements théoriques et pratiques du socialisme scientifique. Il ne s’agit pas uniquement de répéter le passé mais d’intégrer plus d’un siècle d’histoire et de mettre à jour le socialisme scientifique de notre temps.

 

De ce point de vue, la question agraire conserve toute son actualité. A une époque ou la rente foncière urbaine est devenue supérieure à la rente foncière agraire, témoignage que l’antagonisme entre la ville et la campagne est poussé à son comble[v]. Bien plus, à l’heure où les questions propres à l’équilibre de la planète, aux sources d’énergie, à la pollution, aux effets de la biologie que ce soit à travers les OGM où la reproduction des espèces – y compris l’espèce humaine- se posent avec une intensité accrue, il est difficile de nier la victoire théorique de la théorie marxiste.

 

Sur le fond, ce texte cherche à synthétiser et restaurer les conceptions propres aux fondateurs du socialisme scientifique. Il cherche aussi à poursuivre cette analyse d’une part en s’appuyant sur les indications présentes dans les manuscrits d’autre part en tirant les conséquences des propositions théoriques déjà établies. D’un autre côté, il affronte sans concession les théories révisionnistes comme les critiques du socialisme et montre leur faiblesse insigne. Enfin, il cherche à illustrer sur la base des faits les plus récents la validité des théories de Marx. Plus de 20 après, non seulement, les faits n’ont pas apporté de démenti mais ils confirment les tendances qui ont été décrites dans ce texte.

2.         Introduction

Ce texte se situe dans la perspective de travail définie au numéro 1 : contribuer à la restauration du programme communiste en opérant un retour à Marx. Or, la question agraire est un thème central de l'oeuvre de Marx, et la Gauche Communiste d'Italie en a toujours montré l’importance. Cette publication est consacrée surtout à prouver la validité de l'oeuvre de Marx, dont les résultats généraux ont tous été vérifiés dans le cours du mode de production capitaliste, y compris dans l’agriculture, contrairement aux assertions révisionnistes bourgeoises habituelles qui prétendent que Marx s'est trompé dans ses prévisions.

Marx avait prévu que, dans l'agriculture, il y aurait concentration et centralisation du capital (toutefois, pour des raisons spécifiques que nous examinerons, le capital connaît des difficultés - lesquelles loin d'être ignorées par Marx sont au contraire fort bien décrites par lui - qui freinent ce processus). Bien que le capital naisse dans l’agriculture, ce n'est qu'une fois parvenu à la soumission réelle du travail dans l’industrie, qu'il peut étendre cette domination à l'agriculture, malgré la persistance d'obstacles inhérents au mode de production capitaliste.

L'évolution de l'agriculture depuis 1945 dans les pays où la forme capitaliste est la plus avancée, confirme pleinement la perspective du mouvement communiste défendue par Marx, Engels, Kautsky, Lénine, la Gauche, réduisant ainsi à néant les prétendues « critiques » des économistes bourgeois ou « marxistes »

Parmi ces derniers, même ceux qui paraissent défendre des positions de classe ne sont pas les moins révisionnistes (ainsi des diverses gauches luxemburgistes qui estiment que Marx et Engels ont commis des erreurs dans l'évaluation de la question paysanne.)

A l'achèvement de ce cycle, il serait logique de se consacrer à l'étude historique de l'attitude du mouvement communiste par rapport à la question paysanne:

- Examen des stratégies et tactiques du parti communiste depuis Marx.

- Stratégie, tactique et mesures révolutionnaires élaborées et défendues par le parti mondial au cours de la prochaine révolution, liées à la prévision en ce qui concerne l'agriculture.

Pour ce qui est de ce premier travail, il se situe dans la continuité des thèses publiées dans le numéro 6 d'Invariance au chapitre 4.3 (pp.102-112). Elles fixent dans leur cadre général les éléments qui seront développés ici.

Invariance n'a fait elle-même dans ces thèses que perpétuer la tradition de la Gauche italienne qui, comme nous l'avons indiqué, a toujours défendu l’importance de la question agraire dans l'oeuvre de Marx.

 

« Notre école a toujours présenté l'histoire de la question agraire comme la véritable clé de voûte de tout l'édifice de la géniale doctrine de Marx. En cela nous sommes fidèles à la lettre aux formulations de celui-ci, et nous avons beaucoup fait pour le démontrer. C'est de même la question agraire qui se trouve à la base de la conception défendue par Lénine sur les phases successives du développement historique et social en Russie, conception absolument orthodoxe et qui n'innove en rien par rapport à Marx.

Le magnifique effort scientifique de Marx dans le domaine de la question agraire a pour couronnement une thèse historique de première importance: la forme capitaliste de production représente une immense conquête en ce qu'elle facilite à l'homme la consommation des produits manufacturés les plus variés; par contre elle lui rend relativement plus difficile celle des produits alimentaires et de l'agriculture en général.

Dans la civilisation mercantile et bourgeoise d'aujourd'hui, les hommes ont beaucoup de fer, mais peu de pain: de là le cri du grand agitateur Blanqui invitant les prolétaires à se libérer de cette condamnation: qui a du fer a du pain!, à condition d'apprendre à s'en servir dans la guerre de classe au lieu de le travailler à l'usine. Si chez Marx et Lénine, cette révolte généreuse et désespérée s'élève au niveau d'une science de la révolution et de la dictature du prolétariat, ils n'ont pas renié Blanqui sur ce point.

Pour développer sa lumineuse théorie, Marx constitue le modèle ternaire de la société bourgeoise (laquelle n'est pas composée de deux classes seulement) que Lénine adopte et revendique à chaque pas. Notons ici que seuls. des imbéciles peuvent se trouver embarrassés par le fait que Marx fit sa découverte en étudiant la société anglaise du XIXème siècle dont l'agriculture semblait libérée à tout jamais de la prolifération de formes rurales impures, caractéristiques de la féodalité, tandis que la plus brillante application en a été faite par Lénine pour la Russie du XXème siècle où, justement, on butait à chaque pas contre les obstacles accumulés par un Moyen-Âge attardé.

Modèle ternaire, disions-nous; il se compose chez Marx du propriétaire foncier, qui a le monopole légal de l'accès à la terre et qui touche la rente; de l'entrepreneur capitaliste, qui a celui des moyens de production (capital courant) aussi bien dans l'agriculture considérée comme industrie que dans l'industrie proprement dite et qui touche le profit; du travailleur salarié (aussi bien agricole qu'industriel) qui, privé de terre et de capital, n'a que sa force de travail et touche le salaire.

Tous les pays bourgeois sont pleins de formes hétérogènes gui échappent a ces trois types du modèle. Par exemple, le fermier et le métayer sont des types hybrides du deuxième et du troisième types: ils fournissent le capital d'exploitation et le travail personnel, et ils touchent, en nature ou en monnaie, un revenu cumulant profit et salaire. Le paysan propriétaire est un hybride des 3 types: il a la propriété de la terre, le capital d'exploitation et la force de travail: il devrait recevoir à la fois rente, profit et salaire. Le bilan de ces formes mixtes montre pourtant que leurs représentants sont non au-dessus, mais au-dessous du niveau historique, économique et social des salariés.

Dans une société pleinement bourgeoise, ceux-ci les dépassent de mille coudées parce que seuls ils possèdent le pouvoir magique découvert par Marx de faire sauter l'enveloppe dans laquelle cette société est enfermée. Les types hydrides, au contraire, sont rivés sans espoir à la conservation, aujourd'hui, et demain à la contre-révolution.

Ces couches paysannes ont joué, il est vrai, un grand rôle révolutionnaire dans les sociétés pré-bourgeoises et dans les périodes de transition au capitalisme: mais ce rôle est achevé. Marx et Lénine le savaient parfaitement, sans pour cela se croire obligés de modifier le moins du monde la doctrine et le programme communistes. »

(Dialogue avec les morts, la brûlante question agraire. http://www.sinistra.net/lib/bas/ progra/vale/valeecocef.html)

 

3.         Les trois classes du Mode de Production Capitaliste.

3.1          Les deux phases historiques du développement économique de la production capitaliste.

La périodisation en deux phases du cours au mode de production capitaliste est un élément fondamental pour comprendre le capital comme un être en devenir. Ainsi tout le cours du mode de production a pu être compris et décrit par Marx, et aucune situation nouvelle n'est venue démentir son analyse. L'existence d'une périodisation du capital est déjà mentionnée dans les oeuvres publiées du vivant de Marx (cf. Le Capital Livre I - Pléiade I p.1196) et concerne tous les développements sur la plus-value absolue et relative etc. mais l'usage des termes "soumission formelle et soumission réelle du travail au capital" est plus fréquent dans « Un chapitre inédit du Capital » non publié du vivant de Marx.

Ceci n'atténue en rien la portée de cette distinction dans la mesure où elle intervient tout au long de l'oeuvre. Il faut préciser toutefois que si ces deux phases sont méthodologiquement distinctes l'une de l'autre et successives, elles ne sont pas totalement séparées dans le temps. La phase de soumission réelle se développe sur la base de la phase de soumission formelle qui elle-même peut être introduite lorsque la première est déjà réalisée. La différence se situe au niveau de la prédominance qualitative de l'une ou de l'autre phase, dans la mesure où même dans la phase réelle, l’extraction de plus-value absolue et d'autres déterminations de la phase formelle subsistent .

 

« Si l'on considère à part chacune des formes de plus-value, absolue et relative, celle de la plus-value absolue précède toujours celle de la plus-value relative. Mais à ces deux formes de plus-value correspondent deux formes distinctes de soumission du travail au capital ou deux formes distinctes de production capitaliste, dont la première ouvre toujours la voie à la seconde, bien que cette dernière, qui est la plus développée des deux, puisse ensuite constituer à son tour la base pour l'introduction de la première dans de nouvelles branches de production. » (Marx - Un chapitre inédit du capital. 10/18, p.201. ou http://classiques.uqac.ca/classiques/Marx_karl/capital_chapitre_inedit/capital_chapitre_ inedit.html)

 

Affirmer la périodisation ne revient donc pas à mettre en cause l'unicité de l'être du capital, principe de base de la théorie communiste. La critique communiste de l'économie politique démontre que l'origine de la valeur se trouve dans le seul travail humain et que le temps de travail constitue la seule source et mesure de la valeur. Le but de la production capitaliste consiste dans la plus grande appropriation possible de plus-value. Celle-ci est la différence entre la valeur créée par la force de travail (la capacité de travail de l'ouvrier) et la valeur de la force de travail (laquelle comme toute marchandise a une valeur égale au temps de travail moyen socialement nécessaire à sa reproduction). Le capital est donc une valeur qui cherche à se valoriser grâce au surtravail qu'il extorque à l'ouvrier.

Pour ce faire, le capital a recours à deux types successifs d'extorsion de la plus-value, lesquelles caractérisent les deux phases historiques du développement économique de la production capitaliste : la phase de soumission formelle du travail au capital et la phase de soumission réelle du travail au capital.

 

3.1.1  Phase de soumission formelle du travail au capital : production de plus-value absolue.

Dès cette phase, le procès de travail est soumis au procès de valorisation du capital. Celui-ci, dans le procès de production accroît sa valeur d'un incrément appelé plus-value. Cependant, dans la phase de soumission formelle, les procédés techniques hérités des anciennes formes de production pré-capitaliste ne sont pas modifiés et sont utilisés tels quels dans la procès de production. Dès cette époque existe une classe de travailleurs libres dont la force de travail est marchandise, et c'est sur son exploitation que repose la valorisation du capital. Le seul recours que possède alors le capital pour extorquer plus de plus-value (en supposant que le prix de la force de travail n'est pas abaissé au-dessous de sa valeur), est d'allonger la journée de travail afin d'accroître la part de travail non payée de celle-ci. Ce procédé est caractérisé par Marx (cf. Capital I,5,16) comme production de plus-value absolue.

« C'est justement par opposition au mode de production capitaliste pleinement développé que nous appelons soumission formelle du travail au capital, la subordination au capital d'un mode de travail tel qu'il était développé avant que n'ait surgi le rapport capitaliste.

Les deux formes ont en commun que le capital est un rapport coercitif visant à extorquer du surtravail, tout d'abord en prolongeant simplement la durée du temps de travail, la contrainte ne reposant plus sur un rapport personnel de domination et de dépendance, mais uniquement sur les différentes fonctions économiques. En fait, le mode de production spécifiquement capitaliste connaît encore d'autres modes d'extorsion de la plus-value, mais, sur la base d'un mode de production préexistant, c'est-à-dire d'un mode donné de la force productive du travail, et du mode de travail correspondant au développement de cette force productive, la plus-value ne peut être extorquée qu'en prolongeant la durée du temps de travail, sous forme de la plus-value absolue. La soumission formelle du travail au capital ne connaît donc que cette seule forme de production de plus-value » (Marx - Un chapitre inédit du capital, 10/18 p. 194-195 ou http://classiques.uqac.ca/classiques/Marx_karl/capital_chapitre_inedit/capital_chapitre _inedit.html)

 

Ce qui caractérise également cette phase, c'est une concentration et une centralisation du capital peu développées. Les unités de production sont petites et le volume des moyens de production mis en mouvement, réduit. De même, l’échelle de la production (masse de marchandises produites) est restreinte. L'organisation technologique du travail est encore héritée des anciennes formes de production. Le capitaliste emploie peu d'ouvriers et travaille souvent avec eux. Cependant cette phase, dont la caractéristique essentielle est qu'elle repose sur la production de plus-value absolue, forme la base générale du système capitaliste et le point de départ de la production de plus-value relative.

3.1.2  Phase de soumission réelle du travail au capital : production de plus-value relative.

Comme nous l'avons dit, celle-ci se développe au sein de la soumission formelle du travail au capital. Elle peut être la base de l'introduction de cette dernière là où elle n'existait pas encore. Mais le développement du mode d'extorsion fondé sur la plus-value relative n'est pas seulement quantitatif. Il arrive un moment où sa généralisation en fait le mode prédominant d'extorsion de la plus-value. La quantité se transforme en qualité. Du point de vue historique ce passage se situe au moment de la première guerre mondiale qui ouvre la période de métamorphose du capital. Le procès de production de plus-value relative domine désormais la base économique de la société, mais sa prédominance nécessite et provoque une mutation fondamentale des superstructures sociales.

A la faveur de la guerre et également de l'intervention violente du prolétariat que le capital dût réprimer, celui-ci a pu asseoir sa domination sur la société dans sa totalité.

Cette domination se caractérise par un totalitarisme croissant dû à la difficulté grandissante d'accroître la masse de plus-value extorquée au prolétariat : l'Etat devient l'arme du capital pour rationaliser l'économie et favoriser l’exploitation. Le capital ne peut tolérer aucune expression qui ne soit pas conforme à son être. Il se pose comme seule et unique présupposition de la société et des rapports entre les hommes. Il est vital pour lui d'intégrer le prolétariat, ce qu'il réalise à travers le fascisme, une fois passé le point culminant (1919) de la vague révolutionnaire, l'intégration des syndicats, et la tentative d'accorder une réserve aux prolétaires en haussant les salaires réels et grâce à la "garantie de l'emploi" etc.

De même avec la première guerre mondiale s'accentue la transformation de la base matérielle (système Taylor, production de masse, usage intensif de la science, concentration et centralisation marquées des capitaux permettant la "planification", etc.)

Avec la phase de soumission réelle, la forme du procès de production est modifiée, la nature et les conditions réelles du procès de travail sont bouleversées et apparaît une technologie spécifiquement capitaliste. La science joue un rôle prépondérant dans le développement des forces productives. Les capitaux sont concentrés et centralisés en peu de mains, la scission entre la propriété et la fonction du capitaliste est effective. En même temps, il y a dépersonnalisation du capital, la classe bourgeoise se voyant tendanciellement expulsée du procès de production par le mouvement même du capital. L'échelle de la production s'élargit et nécessite l'emploi d'une plus grande quantité de capital fixe. L'extraction de plus-value relative implique donc une productivité croissante du travail.

Le capital, après s'être débarrassé des obstacles antérieurs à sa valorisation (vestiges des formes de production pré-capitalistes) n'a plus à lutter que contre ses propres contradictions qui s'accentuent, plus particulièrement contre la contradiction valorisation/dévalorisation qui se présente sous l’aspect de la lutte contre la baisse tendancielle du taux de profit général.

 

« Il y a production pour la production, production comme fin en soi, dès que le travail est soumis formellement au capital, que le but immédiat de la production est de produire le plus possible de plus-value et que la valeur d'échange du produit devient le but décisif. Mais, cette tendance inhérente au rapport capitaliste ne se réalise d'une manière adéquate et ne devient technologiquement aussi une condition nécessaire qu'à partir du moment où est développé le mode de production spécifiquement capitaliste, autrement dit, la soumission réelle du travail au capital. » (Marx – Un chapitre inédit du capital, 10/18, p.221-222 ou http://classiques.uqac.ca/classiques/Marx_karl/capital_chapitre_inedit/ capital_chapitre_inedit.html)

3.1.3  Phase de soumission réelle ou "capitalisme monopoliste d'Etat" ?

Alors que, comme nous l'avons vu, Marx maintient l'unicité du capital en montrant comment il se réalise en totalité à travers deux phases successives qui décrivent le cours INTEGRAL du mode de production capitaliste, il n'en est évidemment pas de même pour les économistes de tous bords : bourgeois, staliniens, trotskystes et ultragauchistes.

Pour tous ceux-ci, Marx aurait décrit le "capitalisme du XlXè siècle" et donc tout ce qui s'est passé après lui (les métamorphoses décrites plus haut) nécessiterait une nouvelle explication et un « enrichissement » de la. théorie. Quant aux « approfondissements » explicatifs qu'ils proposent, ceux-ci varient selon leur allégeance au léninisme ou au luxemburgisme.

Les premiers distinguent une phase de libre concurrence, « capitalisme de libre concurrence », et une ère monopoliste, le « capitalisme monopoliste » ou « capitalisme monopoliste d'Etat ».

Les seconds, ayant décidément renoncé à la thèse selon laquelle les forces productives ont cessé de croître en 1914 (!) (conséquence d'ailleurs parfaitement logique avec les thèses de Rosa Luxemburg) préfèrent distinguer entre une phase ascendante du mode de production capitaliste qui s'étendrait jusqu'à la première guerre mondiale, et une phase de « décadence du capitalisme », par la suite.

Pour les deux espèces, Marx ayant écrit dans le « capitalisme de libre concurrence » ou bien dans la « phase ascendante du capitalisme », ses thèses seraient donc périmées, ou, ce qui n'est pas mieux,à compléter pour la phase présente : Ainsi pour Staline :

"(…) la loi de la plus-value est une loi d'ordre trop général, qui ne touche pas aux problèmes du taux supérieur du profit, dont la garantie est la condition du développement du capitalisme monopoliste. Pour combler cette lacune, il faut concrétiser la loi de la plus-value et la développer plus avant, en accord avec les conditions du capitalisme de monopole, en tenant compte que ce dernier ne réclame pas n'importe quel profit, mais le profit maximum. C’est ce qui fait la loi économique fondamentale du capitalisme actuel." (Staline, 1952, Les problèmes économiques du socialisme en URSS, Editions de Pékin,  p.39  ou http://www.communisme-bolchevisme.net/marxismeleninisme_pb_eco_socialisme .htm# Remarques %20relatives% 20aux%20questions %20économiques)

II en va de même pour le trotskyste Mandel qui pense que :

"Le capitalisme de monopoles vise avant tout la défense et l'augmentation du taux de profit des trusts. Ainsi s'établit un taux de profit monopolistique supérieur au taux de profit moyen."

Au contraire, dans la lignée de Marx, la Gauche avait répondu à Staline (cf. Dialogue avec Staline) que le capital -dans sa totalité- se développe en luttant contre la baisse tendancielle du taux de profit général (contradiction valorisation/dévalorisation). Les contradictions et les résultats mis en évidence par Marx, bien loin d'être dépassés avec le développement de la concentration du capital sont au contraire pleinement effectifs avec la phase de subordination réelle du travail au capital, car à ce moment là seulement est réalisé le mode de production spécifiquement capitaliste.

Les théoriciens du capitalisme monopoliste d'Etat ne voient donc qu'un aspect partiel du mouvement du capital, la concentration et la centralisation de celui-ci. Le saut qualitatif qui intervient dans le procès de valorisation (passage de la plus-value absolue à la plus-value relative) n'est donc pas mis en relief, ce qui implique que le processus de concentration lui-même ne peut être bien démontré car la concentration et la centralisation du capital découlent de son procès de valorisation.

D'autre part, Marx n'a jamais opposé rigidement le monopole et la concurrence comme étant antithétiques et devant s'exclure (ceux qui voient dans le monopole l'antithèse de la concurrence 'flirtent' singulièrement avec Proudhon).

« Dans la vie pratique, on trouve non seulement la concurrence, le monopole et leur antagonisme, mais aussi leur synthèse, qui n'est pas une formule, mais un mouvement. Le monopole produit la concurrence, la concurrence produit le monopole. Les monopoleurs se font de la concurrence, les concurrents deviennent monopoleurs. Si les monopoleurs restreignent la concurrence entre eux par des associations partielles, la concurrence s'accroît parmi les ouvriers ; et plus la masse des prolétaires s'accroît vis-à-vis des monopoleurs d'une nation, plus la concurrence devient effrénée entre les monopoleurs des différentes nations. La synthèse est telle que le monopole ne peut se maintenir qu'en passant continuellement par la lutte de la concurrence. » (Marx, Misère de la philosophie, Pléiade, t.1 p.116 ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/06/km18470615i.htm)

D'autre part, la concurrence ne fait qu'exécuter les lois du capital, les capitaux ne pouvant se reproduire que dans leur diversité, ce qui n'exclut pas que le capital soit concentré en une seule compagnie de capitalistes ou dans l'Etat.

Jamais le passage de la propriété des moyens de production aux mains de l'Etat n'a constitué un trait anti-capitaliste, bien au contraire. L'anti-monopolisme du PCF, par exemple, ne vise rien moins sur le plan politique qu'à camoufler l'existence de l'exploitation et à immerger le prolétariat dans le « peuple de France », tout entier dressé contre les « banquiers monopoleurs », les « riches », les « gros », etc.

En fait l'objet central de la critique prolétarienne, c'est le procès de valorisation, c'est-à-dire le lieu où se produit et se reproduit le rapport capitaliste lui-même.

« Le procès de valorisation du capital a essentiellement pour but de produire des capitalistes et des travailleurs salariés. » (Marx – Manuscrits de 1857 -1858, « Grundrisse », Fondements, etc., t.1, p.422)

En montrant qu'il y a périodisation du capital, le communisme montre que celle-ci trouve son origine et sa base dans le procès de valorisation. Les changements qui interviennent dans les superstructures juridiques (rapports de propriété) ou les conditions de vie de l'entreprise et de la société ne sont que des phénomènes qui découlent de cette périodisation. Critiquer le monopole n'est pas remettre en cause le rapport de production capitaliste, de même la critique gauchiste de la marchandise ou du 'travail' s'attaque à des aspects partiels de la domination capitaliste et non à sa base réelle (là où le communisme l'attaque) : le procès de valorisation.

En conséquence, les objectifs que tenteront d'assigner au prolétariat ces forces contre-révolutionnaires seront toujours en opposition à son but réel. Proposer au prolétariat des nationalisations ou la gestion des entreprises par les travailleurs n'est rien d'autre que l'inviter à choisir librement la forme de son exploitation. Que le programme de ces forces contre-révolutionnaires prévoie l'utilisation de la voie parlementaire ou celle de la violence ne change rien à l'affaire. Le prolétariat a à leur opposer d'abord l'arme de la critique : son programme invariant (abolition du salariat, de la valeur et des catégories marchandes, destruction des classes et de la division du travail, etc.) puis dans la guerre de classe, la critique par les armes.

Les théories staliniennes (anti-monopolisme) ou gauchistes (autogestion, pouvoir ouvrier, etc.) ne sont qu'une fraction de l'économie politique. Sur le fond même, cette fraction rejoint l'économie libérale, laquelle distingue elle aussi une phase de libre concurrence suivie d'une « phase de concurrence monopolistique. »

Le contenu positif de l’économie politique s’est épuisé vers 1830 ouvrant la voie à sa critique communiste qui est seule à même de prévoir rigoureusement le cours du mode de production capitaliste et d'énoncer les moyens de sa destruction.

En ce qui concerne les partisans de la décadence, dont l'expression la plus achevée aujourd'hui est le Courant Communiste International (CCI) -Révolution Internationale France, Internationalismo, Venezuela, Internationalisme, Belgique, World Révolution, GB, etc.) ceux-ci rompent avec le communisme sur tous les plans : contenu et méthode. Soucieux d'établir une dialectique de la décadence, ils ne font que prouver jusqu'où peut aller la décadence de la dialectique. La convergence formelle qui peut exister entre certaines positions de notre courant et les leurs (anti-parlementarisme, reconnaissance de l'intégration des syndicats, crise etc.) ne doit pas cacher le profond antagonisme qui existe au niveau des racines historiques.

Découper la courbe de vie du mode de production capitaliste en une phase ascendante et une phase de décadence relève d'une analyse grossièrement erronée de la réalité capitaliste.

Pour le CCI, le caractère inéluctable de -la décadence se manifeste à chaque forme de production. C’est seulement à l'issue de la phase de déclin nécessaire que peut surgir une forme supérieure. Dans cette vision, le cours historique de toute forme de production inclurait automatiquement une période de ralentissement définitif de la croissance des forces productives. Cette conception rejoint, dans son gradualisme, le révisionnisme. Le communisme ne naît donc pas ici d'un saut brusque à l'apogée du développement des forces productives du mode de production capitaliste, mais peu à peu, au déclin de celles-ci.

« Pour que le socialisme puisse devenir une réalité, il faut non seulement que les moyens pour son instauration (classe ouvrière - moyens de production) soient suffisamment développés, mais encore que le système qu'il est appelé à dépasser - le capitalisme - ait cessé d’être un système indispensable au développement des forces productives pour devenir une entrave croissante c'est-à-dire qu'il soit entré dans sa phase de décadence. » (RI – ancienne série - N° 5 p.72)

Il y a déjà longtemps que la Gauche d'Italie a fait justice d'une telle conception, lorsqu'elle précisait, à la réunion de Rome de 1951 :

« Marx n'a pas escompté une montée et ensuite un déclin du capitalisme mais au contraire l'exaltation dialectique de la masse des forces productives que le capitalisme contrôle, leur accumulation et leur concentration illimitée, et, en même temps, la réaction antagonique des forces dominées représentées par la classe prolétarienne. »

Compte tenu de cet antagonisme, c'est au moment du plus haut développement des forces productives et de sa rupture dans la crise catastrophique que doit surgir la révolution communiste.

D'autre part, l'application indéterminée du concept de décadence à des modes de production historiquement différents est la marque de la pensée petite-bourgeoise du CCI. Il s'agit d'une vieille déviation qui consiste à éterniser les catégories historiques propres au mode de production capitaliste. Mais si la pensée bourgeoise classique, applique les catégories du monde bourgeois à toute l'histoire passée en leur donnant ainsi un caractère naturel et éternel, le CCI lui, commence par dégager ces catégories des formes de production antérieures, et, seulement ensuite essaye de les vérifier dans le mode de production capitaliste.

L'argument développé par le CCI est qu'il faut d'abord « dégager le concept général de décadence d'un système » grâce à l'expérience du passé, après quoi on petit appliquer "ce concept général au cas particulier du capitalisme. pour en déduire les traits spécifiques et les concepts politiques" (id. p.76)

Or, partir du passé pour comprendre le présent, c'est comme nous le verrons plus loin tout à fait contradictoire avec la méthode de Marx. Dégager de toute l'histoire passée une catégorie éternelle, c'est agir « (…) à la manière des économistes qui. effacent toutes les différences historiques et voient dans toutes les formes de société la forme bourgeoise. » (Marx – Introduction générale à la critique de l’économie politique, Pléiade, t.1 p.260 ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1857/08/km 18570829.htm dans une traduction différente)

Fort de l'autorité d'historiens et d'économistes bourgeois, le CCI disserte pompeusement sur l'inflation et la « dévaluation galopante des monnaies aussi bien dans le Bas-Empire qu'à la fin du Moyen-âge » (p.86) ou sur la baisse des profits dans la Rome Antique comme caractéristiques permanentes (donc a-historiques) de la décadence. Ceci a pour conséquence d'abolir la spécificité du mode de production capitaliste. La vision gradualiste dénie tout sens à l’histoire, chaque société, antique, féodale et capitaliste étant, envisagée comme un système clos et autonome, reproduisant à chaque fois la même courbe de vie. L'histoire devient alors hasardeuse. Les phénomènes spécifiques à la phase de soumission réelle (voir plus haut) sont incompris et banalisés comme formes cycliques du développement historique.(Passons sur les arguments purement bouffons tels que la folie des chefs d'Etat -Caligula puis...Nixon!- comme signes indiscutables de décadence !)

Dans ses causes, et à un niveau plus profond, la théorie de la décadence provient de l'incompréhension, du rôle historique de la périodisation. Se basant sur la théorie de Rosa Luxemburg selon laquelle l'effondrement du mode de production capitaliste survient par suite du manque de débouchés que fournissaient les formes de production pré-capitalistes subsistant sur la planète, le CCI ne voit pas la possibilité du développement du mode de production capitaliste après 1914. Par conséquent, il y a incompréhension de la phase de soumission réelle qui est celle où le capital débarrassé des formes de production pré-capitalistes ne lutte plus que contre ses propres contradictions (valorisation/dévalorisation).

Si les théories de Rosa Luxemburg sont en elles-mêmes fausses (ceci sera traité dans un travail ultérieur), elles sont de plus complètement incomprises par les épigones. Ainsi, si l'on se place du point de vue du CCI, il devient impossible d'expliquer l'accumulation du capital qui a eu lieu depuis la fin de la dernière guerre. Notons à ce propos que le taux de croissance au XXè siècle (y compris la stagnation de 1929 à 1939) a été plus élevé qu'au XlXè siècle. Pour le CCI (cf. RI Nouvelle série N° 4 p.42) cette accumulation a eu trois principaux champs d'expansion. Examinons-les rapidement :

1° « La reconstruction consécutive à la deuxième guerre."

Or, cette reconstruction n'est pas explicable sur la base de l'analyse luxemburgiste car celle-ci présuppose une demande préalable fournie par les formes de production pré-capitalistes, lesquelles ont été qualitativement détruites. C’est de cette destruction qu’on infère l'existence de la décadence !

2° « La production permanente et massive d'armements et- fournitures militaires. »

On peut, grâce à cet expédient, expliquer comment se réalise improductivement une partie de la plus-value, mais en aucune manière comment peut-être réalisée la plus-value utilisée de manière productive, problème qui était au centre de l'étude de Luxemburg.

3° « La meilleure exploitation de marchés anciens. »

Chez Rosa Luxemburg, le capital atteint ses limites lorsqu'il a peu à peu détruit les marchés extra-capitalistes, se privant ainsi d'une demande solvable nécessaire à la réalisation de la plus-value. Par conséquent, quels sont les marchés dont parle le CCI ? De deux choses l'une : ou bien ce sont des marchés capitalistes mais dans ce cas leur rôle dans l'accumulation est nul selon l'orthodoxie luxemburgiste, ou bien ce sont des marchés extra-capitalistes, ceux-là même dont on affirme qu'ils ont été détruits voilà 50 ans !

La vision gradualiste du développement historique interdit au CCI de comprendre la nature du prolétariat, être négatif du capital. Pour eux il y a coupure dans le devenir de la classe prolétarienne : celle-ci ne devient révolutionnaire qu'en 1914, au moment de la coupure dans le capital. Avant cela elle est réformiste .En ce sens, ni la naissance de la théorie communiste, ni les révolutions prolétariennes du XlXè siècle ne peuvent être comprises. (Sommet de l'absurdité, la Commune de Paris est un « accident de l'histoire » ! -cf. RI Nlle série N° 2)

Le prolétariat apparaît comme naturellement réformiste et déterminé à n'être révolutionnaire que par le seul fait que le capitalisme, en décadence, ne peut plus rien lui accorder. Une telle vision implique donc aussi une mauvaise compréhension du rôle des syndicats et de leur intégration, ainsi que celui de l'Etat dans la domination réelle du capital.

L'apriorisme de la décadence mène donc à une interprétation erronée de la réalité historique. Les signes qui sont ceux du développement du mode de production capitaliste, de son renforcement par le passage à la soumission réelle du travail, et que Marx avait prévus, sont interprétés comme manifestations de la décadence « concept à peine ébauché par Marx » (N° 2 p.38).

Par exemple, l'intervention croissante de l'Etat dans l'économie (donc la concentration et la centralisation croissantes) est interprétée comme signe d'affaiblissement du mode de production capitaliste. L'argument est encore une fois tiré du passé :

« On constate le très fort développement de l'interventionnisme économique de l'Etat aussi bien dans le déclin de l'Empire Romain que dans celui du féodalisme. » (RI. anc. série N° 3 p.96)

Le dépérissement des idéologies est incompris. Le CCI croit que la mort des valeurs traditionnelles signifie la faiblesse du capital, alors qu'elle est en fait le signe de sa bonne santé : pour unifier les hommes dans sa communauté matérielle, le capital n'a plus besoin d'autre présupposition que lui-même. Tout ce qui était utile à son développement dans la phase de domination formelle (la politique, la religion, l’art, etc.) devient superflu, car le capital est assez fort pour unifier lui-même les hommes et constituer leur seule idéologie.

Pour conclure sur ce point, nous dirons que nous maintenons la vieille thèse communiste de l'unicité de l'être du capital, dans l'espace et dans le temps. Les modifications qu'il subit au cours du passage à la phase de soumission réelle constituent la réalisation des présupposés qui le fondent et non une remise en cause de ces présupposés.

Admettre une différence de fond entre deux périodes ou moments du cycle capitaliste revient à invalider la théorie révolutionnaire puisque celle-ci ne concernerait qu'un seul de ces moments, et en l'occurrence le moins développé. Il est logique qu'alors on déclare la théorie périmée ou. - ce qui est pire - (Nous préférons les adversaires déclarés de la théorie à ses partisans enrichisseurs) on se propose de la « développer » à l'aide de concepts nouveaux. Là encore se vérifie notre vieille équation ; "annonciateur de cours nouveau = traître" (cf. Dialogue avec les morts).

Pour lutter contre cela, il faut réaffirmer l’invariance, et, en accord avec Marx, le caractère de totalité organique de la théorie. Marx est le théoricien du prolétariat et donc il étudie toujours le capital du point de vue du communisme établissant ainsi non sa biologie mais sa nécrologie. Dans un passage célèbre s'affirme la méthode qui correspond à cette organicité :

« L'anatomie de l'homme est une clé pour l'anatomie du singe. Les virtualités qui annoncent dans les espèces animales inférieures une forme supérieure ne peuvent au contraire être comprises que lorsque la forme supérieure est elle-même déjà connue. » (Marx – Introduction générale à la critique de l’économie politique, Pléiade, t.1 p.260 ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1857/08/km 18570829.htm dans une traduction différente)

Cela signifie qu'on ne peut comprendre le mode de production capitaliste (et les sociétés qui l'ont précédé) que lorsque les éléments négatifs qu'il contient (les bases du communisme) sont suffisamment développés pour être connus. C'est ce qui permet à la théorie de ne pas faire une phénoménologie du capital, mais d'anticiper - par delà son développement intégral - sur sa destruction. Cela implique également que les moyens définis pour sa destruction (constitution de la classe en parti politique, violence, dictature du prolétariat et terreur révolutionnaire) soient donnés une fois pour toutes. Le but que poursuit le prolétariat : l'instauration du communisme, est inscrit dès le départ dans le capital et en constitue la contradiction invariable qui le détruira. Cela fait plus de 130 ans que les communistes savent cela et nous ne voyons aucune raison de le modifier d'un iota.

Par conséquent, tout ce que certains présentent comme des nouveautés comme, par exemple, le développement des monopoles était déjà parfaitement compris et analysé par Marx. Comme nous l'avons vu, c'est avec la phase de subordination réelle basée sur la plus-value relative que se développent la concentration et la centralisation du capital, ainsi que l'intervention croissante de la science dans le procès de production. Marx montre dans le chapitre sur la plus-value relative (Capital I, 4) comment chaque capitaliste essaye de tourner à son avantage la loi de la valeur en accroissant la productivité du travail, empochant ainsi un surprofit (lequel sera remis bientôt en question par la généralisation de la technique supérieure).

C'est sur la base du profit moyen et de la concurrence que surgissent surprofits et monopoles. Et la théorie du surprofit (donc du monopole) est complètement traitée par Marx et plus particulièrement dans la section du livre III intitulée « Transformation du surprofit en rente foncière ».

3.2          La place de la question agraire dans la théorie communiste.

« Les points décisifs de notre conception furent pour la première fois indiqués scientifiquement, encore que sous la forme polémique, dans mon écrit Misère de la philosophie, publié en 1847 et dirigé contre Proudhon ». (Marx – Critique de l’économie politique, Pléiade, t.1 p.274 ou http://www. marxists.org/ francais/ marx/works/1859/01/km18590100b.htm dans une traduction différente)

Dès "Misère de la philosophie" sont donc développées les positions prolétariennes essentielles sur la question agraire. C'est également dans ce premier ouvrage publié que Marx démontre l'origine pratique de la théorie. Elle est liée au mouvement révolutionnaire et ne présente pas passivement une nouvelle interprétation scientifique du monde, mais expose pratiquement le but poursuivi par la prolétariat : l'émancipation de l'espèce humaine. Le caractère impersonnel de la théorie se traduit par ce fait qu'elle est une théorie de parti. Elle exprime le point de vue historique invariant du prolétariat, organisé en parti communiste.

« De même que les économistes sont les représentants scientifiques de la classe bourgeoise, de même les socialistes et les communistes sont les théoriciens de la classe prolétaire. Tant que le prolétariat n'est pas encore assez développé pour se constituer en classe, que, par conséquent, la lutte même du prolétariat avec la bourgeoisie n'a pas encore un caractère politique, et que les forces productives ne sont pas encore assez développées dans le sein de la bourgeoisie elle-même, pour laisser entrevoir les conditions matérielles nécessaires à l'affranchissement du prolétariat et à la formation d'une société nouvelle, ces théoriciens ne sont que des utopistes qui, pour obvier aux besoins des classes opprimées, improvisent des systèmes et courent après une science régénératrice. Mais à mesure que l'histoire marche et qu'avec elle la lutte du prolétariat se dessine plus nettement, ils n'ont plus besoin de chercher la science dans leur esprit, ils n'ont qu'à se rendre compte de ce qui se passe devant leurs yeux et de s'en faire l’organe. Tant qu'ils cherchent la science et ne font que des systèmes, tant qu'ils sont au début de la lutte, ils ne voient dans la misère que la misère, sans y voir le coté révolutionnaire, subversif, qui renversera la société ancienne. Dès ce moment, la science produite par le mouvement historique, et s'y associant en pleine connaissance de cause, a cessé d'être doctrinaire, elle est devenue révolutionnaire. » (Marx, Misère de la philosophie, Pléiade, t.1, p.92 ou http://www.marxists.org/ francais/marx/works/1847/06/km18470615g.htm dans une traduction différente

Par conséquent, au fur et à mesure que l'évolution historique confirme les résultats de la théorie, ceux-ci s'inscrivent dans la continuité des écrits de 1847 (date à laquelle est également rédigé le Manifeste du Parti Communiste). Ceci est naturellement valable pour la théorie, de la rente :

« J'ai donné dans un autre ouvrage (il s'agit de Misère de la philosophie - NDR-) .une explication suffisante de la propriété foncière moderne." (Marx. Histoire des doctrines économiques. p.359)

Dans « Misère de la philosophie », certaines formulations rejoignent celles de Ricardo, quoique beaucoup de conclusions soient divergentes. Ceci n'est d'ailleurs pas contradictoire avec la spécificité de la théorie prolétarienne mais confirme la thèse classique de l'impersonnalité de celle-ci : la théorie ne naît pas d'un homme mais d’une époque, moment où toutes les conditions historiques rendent visibles les résultats qu’il ne reste plus qu’à formuler (chose que peut faire un bourgeois, mais partiellement. Seul le communisme peut organiser tous ces résultats en une totalité qui lui fournisse une vision non aliénée du cours historique).

Toutefois, si pour Ricardo, la hausse de la population conduit à défricher des terres de plus en. plus mauvaises, entraînant la hausse du prix du blé et donc la hausse de la rente, Marx lui, en 1851 montre qu'il n'en est pas toujours ainsi et qu'il existe la possibilité d'une rente même en cas d’une baisse du prix du blé. Ainsi, l’exemple envisagé, par Ricardo, n’est plus qu'une possibilité parmi beaucoup d'autres.

Enfin, dans sa lettre à Engels du 2 août 1862, Marx précise les modalités de la transformation de la valeur en prix, et formule la théorie de la rente absolue (c’est-à-dire la possibilité d’une rente même sur le plus mauvais terrain).

L’importance de la théorie de la rente est affirmée ainsi : « Mais plus je me plonge dans cette ordure (l'économie politique -NDR-) plus je me convaincs que la réforme de l’agriculture, donc également de cette merde de propriété qui se fonde sur elle, est l'alpha et l'oméga du bouleversement futur. Sans quoi, le père Malthus aurait raison. » (Marx, Lettres sur « le Capital », 14 août 1851, ES, p.56)

La théorie de la rente contient également la théorie du surprofit. En effet, l'accroissement de la productivité du travail qu’entraîne le développement de l'industrie mécanique et le rôle croissant de la science dans le procès de production, (aspects de la phase de subordination réelle) fait apparaître la machine comme une force naturelle (et ceci d'autant plus que la machine est plus productive.)

« Déduction faite des frais quotidiens de la machine et de l'outil, c'est-à-dire de la valeur que leur usure et leur dépense en matières auxiliaires telles que charbon, huile, etc., transmettent en moyenne au produit journalier, leur aide ne coûte rien. Mais ce service gratuit de l'une et de l'autre est proportionné à leur importance respective. Ce n'est que dans l'industrie mécanique que l'homme arrive à faire fonctionner sur une grande échelle les produits de son travail passé comme forces naturelles, c'est-à-dire gratuitement. » (Marx, Capital, Pléiade, Œuvres, t.1, p.932-933 ou http://www.marxists.org/ francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-15-2.htm)

« Ricardo porte parfois son attention si exclusivement sur cet effet des machines (…) qu'il oublie la portion de valeur transmise par les machines au produit, et les met sur le même pied que les forces naturelles. » (id.)

3.3          Les trois classes du mode de production capitaliste.

3.3.1  Le communisme et la question agraire.

Comme le remarquait Bordiga, Marx et Engels ont écrit plus sur l'agriculture que sur l’industrie. Ils ont consacré plusieurs chapitres du 'Capital' à la théorie de la rente (Livre III et IV) mais aussi de nombreuses pages du Livre I (l'accumulation primitive) et du livre II (cf. la rotation du capital).

A part « Misère de la philosophie », déjà cité, de nombreux autres textes abordent ces problèmes : « Discours sur le Libre-échange », « La guerre des paysans », « La question paysanne en France et en Allemagne », « Le 18 Brumaire… », « La question du logement », et les « Manuscrits de 44 », sans parler des « Grundrisse », etc.)

Cette importance quantitative des écrits résulte non pas d'une soi-disant domination de l'agriculture à l'époque où écrivait Marx, ce qui est le point de vue des crétins (petits-cousins de ceux qui voient en Marx le penseur de la « société industrielle du XlXè siècle »), mais de l’importance qualitative de ce secteur de la production sociale.

D'une part, il ne peut y avoir de société développée si la productivité du travail dans ce secteur n'est pas telle qu'elle soit capable d'entretenir d'autres membres qui pourront ainsi se consacrer à des activités non immédiatement liées à la terre ; d'autre part il ne peut y avoir de production sans qu'existe ce moyen de production qu'est la terre. Même s'il revêt une importance particulière dans l’agriculture et dans le bâtiment, il constitue aussi le support de toute autre activité sociale. Il faut encore ajouter les points suivants, plus spécifiques au mode de production capitaliste :

- Pour le prolétariat, le secteur agricole fournit les moyens de consommation ou les matières premières destinées à. la fabrication des subsistances qui lui permettront de se nourrir. Les dépenses (avec le loyer du logement) directement reliées à la terre occupent une part importante dans le prix de la force de travail (aujourd'hui -encore, 40 à 50 %: du revenu d'un ouvrier)

- C’est dans ce secteur que le capital est le plus soumis à la nature, la rotation du capital dépendant des cycles « naturels »

- Marx peut, avec la théorie de la rente foncière résoudre un problème qui paraît contredire la théorie de la valeur-travail. En effet, la terre a un prix sans être un produit du travail. Cette apparente contradiction est levée, dans l'étude du prix de la terre.

- Last but not least, c'est dans ce secteur qu'on voit le mieux les trois classes en présence dans le mode de production capitaliste. Les capitalistes (de l’industrie, du commerce, ou de l’agriculture, les ouvriers salariés et les propriétaires fonciers.

3.3.2  Les trois classes du mode de production capitaliste.

Contre tous les théoriciens de la bureaucratie, comme nouvelle classe (Daménistes, Socialisme ou Barbarie, etc.), la Gauche se chargea de défendre l'intangible schéma communiste selon lequel le mode de production capitaliste "pur" comprend trois classes (et non deux comme d'autres l’affirment). Ce « modèle ternaire de la société bourgeoise » se retrouve dans le plan de "l'Economie" prévu par Marx (plan qui prévoyait SIX livres dont le 'Capital' dans son entier - les trois livres- n'est que le premier : Capital, Travail salarié, Propriété foncière, Etat, Commerce extérieur, Marché mondial et crises).

Dans l'introduction générale de 1857 où Marx dessine le plan de son étude, on peut lire :

« Les catégories qui constituent la structure interne de la société bourgeoise et sur lesquelles reposent les classes fondamentales. Capital, travail salarié, propriété foncière. Leur rapport réciproque. Ville et campagne. Les trois grandes classes sociales. L'échange entre celles-ci .» Marx – Introduction générale à la critique de l’économie politique, Pléiade, t.1 p.263 ou http://www.marxists.org/francais/ marx/works/1857/08/km18570829.htm dans une traduction différente)

Or, l'agriculture (cf. plus haut l'extrait du 'Dialogue avec les morts') met directement aux prises ces trois classes.

C'est dans l'agriculture que naît le mode de production capitaliste ainsi que la classe capitaliste. Car si le prolétariat a été créé par la violence, discipliné par la terreur, l’expropriation de la population campagnarde ne pouvait engendrer que de grands propriétaires fonciers. Il faut donc expliquer l'origine des capitalistes et ceci correspond à la genèse du fermier capitaliste (cf. Capital Livre I).

La révolution agricole qui a entraîné un bouleversement dans les conditions de la propriété foncière a engendré des modifications techniques (perfectionnement des méthodes de culture, concentration des moyens de production, exploitation accrue des salariés agricoles), et la production d'une plus grande masse de marchandises.

La transformation des paysans en salariés entraîne la disparition de l’industrie domestique. Ainsi d'une part les fermiers capitalistes vont pouvoir écouler leurs marchandises auprès de l'industrie en fournissant les moyens de subsistance nécessaires à la reconstitution de la force de travail, et les matières premières qui entrent dans le capital constant, d'autre part le capital industriel voit, avec la disparition de l'économie domestique la possibilité de se constituer un marché intérieur.

Par conséquent, une fois expliquée la genèse du fermier capitaliste qui s'accomplit peu à peu, Marx peut expliquer la formation des capitalistes industriels, qui elle, ne se fait pas progressivement.

Il y a une difficulté à exposer séparément la théorie de la rente car « On ne peut comprendre la rente foncière sans le capital, mais on comprend bien le capital sans la rente foncière. » (Marx – Introduction générale à la critique de l’économie politique, Pléiade, t.1 p.262 ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1857/08/km18570829.htm dans une traduction différente)

Lorsque Marx analyse la propriété foncière, il n'étudie pas la propriété foncière en général, mais sa forme développée, lorsque celle-ci a subi l'action transformatrice du capital, et est donc soumise au mouvement de celui-ci. Cela implique que les développements théoriques élaborés par Marx concernent uniquement le mode de production capitaliste (par exemple, les concepts de rente absolue et de rente différentielle).

Quant à la classe qui les nie toutes, le prolétariat, il fournit le surtravail que le capital s'approprie et qu'il accroît sans cesse (ce surtravail se répartit entre les capitalistes industriels – profit -, les capitalistes financiers – intérêt - et les propriétaires fonciers – rente -).

3.3.3  Dialectique des trois classes.

C'est grâce à l'action du capital sur la propriété foncière que se développe le travail salarié.

« Tant par sa nature que par l'histoire, le capital crée la propriété et la rente foncière modernes, son action dissout donc parallèlement les anciennes formes de la propriété foncière. La nouvelle forme surgit à la place de l'ancienne par suite de l'action du capital. En ce sens, le capital est père de l'agriculture moderne. Les rapports économiques de la propriété foncière moderne représentent un procès : rente foncière - capital - travail salarié (on peut l'inverser ainsi : travail salarié – capital - rente foncière, mais toujours, c'est le capital qui est l'intermédiaire actif.). Nous avons ainsi la structure interne de la société moderne, le capital étant posé dans la totalité de ses rapports. » (Marx - Grundrisse T.1)

Le mouvement du capital entraîne un accroissement absolu du nombre de prolétaires dont l'exploitation permet la mise en valeur du capital.

Dans la phase de soumission réelle le procès de valorisation a pour conséquence d'une part la diminution du salaire relatif (diminution de la part de la valeur de la force de travail dans la valeur créée par la force de travail, ce qui est une autre manière de dire que le taux d'exploitation croît) d'autre part le développement d'une surpopulation relative due à la hausse de la composition organique du capital.

Marx montre également que l'intérêt du capital est de faire vivre un maximum de personnes sur la plus-value et qu'au cours de son développement il devient par rapport à sa propre logique de plus en plus improductif, aussi, il s'oppose à l'introduction de nouvelles machines, et, de même le temps de circulation devient plus grand que le temps de production; il faut pour faire circuler la valeur créée utiliser une partie plus grande du capital. Enfin, pour accroître la valorisation du capital et pour modifier les valeurs d'usage (aussi bien la technologie employée dans le procès de travail que les moyens de consommation), la science occupe une place croissante dans le procès de production. D'où le gonflement des nouvelles classes moyennes.

Enfin, si pour la partie active de l'armée industrielle,le capital forge des chaînes dorées durant les périodes d'expansion (possibilité d'augmentation du salaire réel), elle se retrouve complètement démunie lorsque la crise éclate.

Par contre, le prolétariat agricole, lui, diminue, étant donné que par suite du progrès de la productivité, il faut de moins en moins de travail salarié pour une même superficie de terre. Ainsi d'après « Economie rurale » (1967) le nombre d'UTH pour les grandes exploitations passe de 7,8 pour 100 ha en 1938 à 3,3 en 1965. Autrefois, pour un labour profond d'automne, un charretier labourait 33 ares par jour. De nos jours un tracteur moyen laboure 1,5 ha. Certains évaluent un tracteur à 1,4 salariés. L’évolution des salariés est la suivante :

 

1862 : 2.975.000

1929 : 1.523.000

1946 : 1.039.725

1954 : 1.151.000

1962 :    829.600

1968 :    604.500

1974 :    368.000

 

Le mouvement du capital tend, d'autre part, à faire du bourgeois un personnage superflu, ainsi que du propriétaire foncier. Il s'opère une séparation entre la propriété et la fonction du capitaliste (cf. Livre III, chapitre du crédit et de l’intérêt). Le capital n'utilise plus alors que des fonctionnaires salariés. Il se dépersonnalise.

Au cours de son mouvement, le capital lutte contre la propriété foncière d'une part, pour s'approprier le surprofit que la propriété foncière capte, et qui, notamment par la lutte pour l'allongement du bail, empêche le capital de s'investir dans l’agriculture, d'autre part, du fait du rôle spécifique que joue la propriété foncière qui freine l'investissement des capitaux, tant qu'elle n'a pas reçu une certaine masse de plus-value (rente absolue).

Ceci a une double conséquence : 1°/ la difficulté pour le capital de pénétrer dans l'agriculture 2°/ une partie de la plus-value est soustraite à la péréquation du taux de profit.

Enfin, la propriété foncière entraîne un renchérissement des produits agricoles avec tous les effets que cela implique à la fois sur la composition organique et sur la valeur de la force de travail.

La fraction radicale de l'économie politique qui s'inscrit dans la lignée de Ricardo (c'est-à-dire Mill, Cherbuliez, Hilditch, etc.) avait comme mot d'ordre le transfert de la rente à l'Etat. Ils y voyaient un excellent moyen d'alléger les impôts des capitalistes. Cependant, avec le développement du mode de production capitaliste et de la lutte des classes, la bourgeoisie est de moins en moins capable. de s'en prendre à la propriété foncière car à travers la critique de celle-ci, ce sont les rapports de propriété bourgeois qui risquent d'être remis en cause. D'où l’attentisme, les hésitations de la. bourgeoisie vis-à-vis des propriétaires fonciers. C'est en se basant sur cette analyse de Marx que Lénine pouvait montrer que la bourgeoisie russe étant beaucoup trop liée à l'Etat tsariste et aux propriétaires fonciers, elle serait incapable de mener à bien sa. propre révolution étant donné qu'en Russie s'ouvrait la perspective d'une révolution démocratique bourgeoise. Aussi, le prolétariat fit-il sien le mot d'ordre bourgeois radical : nationalisation de la terre :

« Nous devons nous faire une idée exacte des forces sociales réelles qui se dressent contre le « tsarisme » (force parfaitement réelle et parfaitement compréhensible pour tous), et qui sont capables de remporter sur lui une « victoire décisive ». Ces forces ne peuvent être ni la bourgeoisie, ni les grands propriétaires fonciers, ni les fabricants ni la « société » qui suit l'Osvobojdénié (revue libérale bourgeoise NDP). Nous voyons même qu'ils ne veulent pas de cette victoire décisive. Nous savons qu'ils sont incapables, de par leur situation sociale, de soutenir une lutte décisive contre le tsarisme : la propriété privée, le capital, la terre sont à leurs pieds un trop lourd boulet pour qu'ils puissent engager une lutte décisive. Ils ont trop besoin, contre le prolétariat et la paysannerie, du tsarisme avec son appareil policier et bureaucratique, avec ses forces militaires, pour aspirer à sa destruction » (Lénine - Deux tactiques de la social-démocratie http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1905/08/ vil19050800g.htm)

3.3.4  Les représentants des trois classes en présence.

Nous avons déjà signalé que si les économistes représentent la classe dominante, par contre les communistes défendent le point de vue du prolétariat.

L'économie politique connaît deux phases : tant que le prolétariat n'intervient que de façon faible dans la lutte des classes, la bourgeoisie est encore capable d'accomplir un travail scientifique dans ce domaine. Constituée comme science à l'époque des manufactures, l’économie politique connaît sa période classique avec ses premiers représentants : William Petty, en Angleterre, et Boisguillebert, en France, atteint son apogée vers 1830 et a pour derniers grands représentants Ricardo, pour l'Angleterre, et Sismondi, pour la France.

A partir de là, la science économique régresse, elle ne cherche plus à comprendre les mécanismes du mode de production capitaliste, mais se borne à en faire l'apologie la plus grossière, c'est pourquoi Marx la dénomme 'économie politique vulgaire'. Contrairement à ce que prétendent les vulgaires, justement, Marx n'est pas le dernier des économistes classiques. Bien au contraire, il s'est livré à la critique communiste de la science économique dans son ensemble (ce qu'il fait également en montrant que cette science régresse depuis 1830)

Ce qui a pour conséquence que toute la production de la science économique bourgeoise (les Keynes, Galbraith, Samuelson et autres...) depuis cette date se situe largement au-dessous de Ricardo ou de Sismondi.

Il va de soi que cela s'applique, ô combien! aux "dépasseurs" et "enrichisseurs" de Marx. Par conséquent, toute nouvelle théorie économique est morte avant même d'être née. Marx était plus concis lorsqu'il disait de l’économie politique que c'était de la merde !

Les divers auteurs classiques théorisent différemment les rapports des trois classes suivant la fraction de la classe dominante qu’ils représentent. Si Ricardo est le représentant de la bourgeoisie industrielle et est considéré, par Marx, comme "l'adversaire les plus stoïque du prolétariat", Smith, lui, pense que l'intérêt général de la société s'identifie avec l'intérêt de la classe des propriétaires fonciers. Il en va de même, en gros, pour la classe des salariés dont les intérêts particuliers ne s'opposent pas à l'intérêt général. Par contre, il pense que la société devra se méfier des capitalistes et considérer leurs propositions avec la plus extrême méfiance. Malthus, lui est le représentant le plus vil des propriétaires fonciers, et Marx le vouait à la haine de la classe ouvrière.

A l’opposé des économistes se situent les représentants du prolétariat, les communistes. Ce n'est pas à ces derniers que revient le mérite d'avoir découvert l'existence des classes, car des historiens avaient avant eux exposé l’évolution historique, et des économistes, l’anatomie économique. Par contre, la découverte originale du communisme est d'avoir démontré que :

1°/ L'existence des classes n'est liée qu'à des phases historiques déterminées du développement de la production.

2°/ Le. lutte des classes mène nécessairement à la dictature du prolétariat .

3°/ Cette dictature elle-même ne représente qu'une transition vers l'abolition de toutes les classes et vers une société sans classe. (cf. Marx. Lettre à Weydemeyer - 5 Mars 1852)

3.3.5  Question agraire et doute révisionniste.

Les multiples déviations et remises en cause des principes contre lesquelles Marx et Engels eurent à lutter au sein de l'AIT puis de la IIe internationale n'épargnaient pas, bien évidemment, la question agraire.

Par exemple, dans la « Critique au programme de Gotha », Marx montre que Lassalle n'attaquait que la classe des capitalistes et non celle des propriétaires fonciers. Or :

« Dans la société actuelle, les moyens de travail sont le monopole et des propriétaires fonciers (le monopole de la propriété foncière est même la base du monopole du capital) et des capitalistes. » (Marx, Critique du programme de Gotha, Pléiade, t.1, p.1416 ou http://www.marxists.org/francais/ marx/works/1875/05/18750500a.htm)

Et le texte rappelle que dans les statuts de l’AIT, même si ces deux classes n'étaient pas nommées, il n'était pas moins évident que les moyens de travail étaient le monopole des propriétaires fonciers et des capitalistes. Par conséquent, le prolétariat ne limite pas sa lutte aux seuls capitalistes mais l’engage aussi contre les propriétaires fonciers.

Musique d'aujourd'hui, paroles d'hier : la même critique s'applique à la misérable politique des partis "communistes" qui soutiennent démagogiquement l'existence de la petite propriété parcellaire, alors que celle-ci tend à être éliminée par le mouvement même du capital.

Engels critiquait déjà (cf. La question paysanne en France et en Allemagne) les penchants opportunistes du mouvement Français (Lafargue, etc.) qui pour gagner à lui la petite paysannerie proposait la coalition de tous les éléments de la production agricole "contre l'ennemi commun : la féodalité terrienne". Or, comme le montre Engels, cela constituait une violation des principes. De même, aujourd'hui, les staliniens ne luttent plus contre la propriété foncière parce qu'ils jugent que l'adversaire est devenu le grand capital monopoliste qu'il convient de réduire en l'isolant du reste de la nation.

Toutefois la différence réside en ce que l'opportunisme de Lafargue pouvait, selon Engels, être redressé, alors que l'opportunisme d'aujourd'hui est définitivement contre révolutionnaire et doit être combattu de front.

Nous avons déjà vu tout ce que la stratégie anti-monopoliste devait à Proudhon, nous découvrons maintenant qu'elle compte aussi Lassalle parmi ses ancêtres.

Il faut noter comment s'établi la falsification qui permet aux staliniens de défendre la propriété privée de la terre tout en se réclamant de Marx. Marx pensait que le transfert de la rente à l'Etat ne supprimait pas le capital (cf. plus haut)

« Nous-mêmes, comme je l'ai déjà rappelé, nous avons déjà admis cette appropriation de la rente foncière par l'Etat, parmi les nombreuses mesures de transition qui, ainsi que le Manifeste l’observe, sont en elles-mêmes contradictoires, et doivent l'être.

Mais ce desideratum des économistes bourgeois radicaux d'Angleterre, en faire la panacée socialiste, déclarer que cette procédure est la solution des antagonismes cachés au sein de la production de notre époque, c'est ce qui a été fait d'abord par Colins (...). Tous ces "socialistes", depuis Colins, ont ceci en commun qu'ils laissent subsister le travail salarié, et donc la production capitaliste ; ils veulent se leurrer, ou leurrer le monde, en promettant que, par la transformation de la rente foncière en impôt payé à l’Etat, toutes les tares de la production capitaliste vont disparaître d'elles-mêmes. Tout cela n'est donc qu'une tentative, enrubannée de socialisme, pour sauver la domination capitaliste et, en fait, la fonder à nouveau sur une base encore plus large que l'actuelle." (Marx. Lettre à Sorge, 30 juin1881, citée dans Pléiade, t.1, p.1475-1476)

Dans l'interprétation stalinienne, cela devient : il ne faut pas nationaliser la terre, il faut donc défendre la petite propriété. Or, on omet ainsi de préciser deux choses :

- Si le paiement de la rente à l'Etat ne supprime pas le mode de production capitaliste, il en va de même du transfert du capital aux mains de l'Etat.

« Mais ni la transformation en sociétés par actions, ni la transformation en .propriété d'Etat ne supprime la qualité de capital des forces productives. Pour les sociétés par actions, cela est évident. Et l'Etat moderne n’est à son tour que l'organisation que la société bourgeoise se donne pour maintenir les conditions extérieures générales du mode de production capitaliste contre les empiètements venant des ouvriers comme des capitalistes isolés. L'Etat moderne, qu'elle qu'en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste : l'Etat des capitalistes, le capitaliste collectif en idée. » (Engels - Anti-Dühring. Editions sociales p.315 ou http://classiques.uqac.ca/classiques/Engels_friedrich/ anti_duhring/anti_duhring. html)

- D'autre part si le mot d'ordre de nationalisation de la terre peut ne pas dépasser le cadre bourgeois, il a le mérite d'être radical ; par contre celui de la défense de la propriété, outre son caractère petit-bourgeois a le défaut d'être conservateur et réactionnaire.

4.         Valeur d'usage et valeur d'échange

4.1          Valeur d'usage.

La marchandise se présente sous un double aspect : valeur d'usage et valeur d'échange. En tant que valeur d'usage, il faut qu'elle satisfasse un besoin social. Par conséquent pour qu'il puisse y avoir production de marchandises il ne suffit pas que le produit satisfasse les besoins du producteur, mais il faut que la valeur d'usage soit une "valeur d'usage pour autrui", une "valeur d'usage sociale". La découverte des cotés utiles d'une chose est historique, de même que le besoin social. Ici, le besoin social explique qu'il existe une demande solvable pour la marchandise. Cette demande solvable naît sur la base de rapports de production et de distribution déterminés. Elle doit satisfaire, par exemple, dans le Mode de Production Capitaliste, la reproduction de la force de travail. La reproduction de cette force de travail exige certains besoins socialement déterminés et qui varient en fonction de circonstances historiques, "naturelles" et morales.

« Les besoins naturels, tels que nourriture, vêtements, chauffage, habitation, etc., diffèrent suivant le climat et les autres particularités physiques d'un pays. D'un autre coté, le nombre même des besoins dits naturels, aussi bien que le mode de les satisfaire, est un produit historique, et dépend ainsi, en grande partie, du degré de civilisation atteint. Les origines de la classe salariée dans chaque pays, le milieu historique où elle s'est formée continuent longtemps à exercer la plus grande influence sur les habitudes, les exigences, et par contre-coup les besoins qu'elle apporte dans la vie. La force de travail renferme donc, au point de vue de la valeur, un élément moral et historique ; ce qui la distingue des autres marchandises. Mais pour un pays et une époque donnés, la mesure nécessaire des moyens de subsistance est aussi donnée. » (Marx, Capital L.I, Pléiade t.1 p.720 http://www.marxists.org/ francais/marx/works/ 1867/Capital-I/kmcapI-6.htm )

Donc sur la base d'une forme de production déterminée à un moment donné, se fait jour une demande solvable pour telle ou telle valeur d'usage. Avec le passage à la phase de soumission réelle du travail au capital, la masse des valeurs d’usage, support de la valorisation du capital, est démultipliée. Par conséquent :

« (…) la production de plus-value relative, c'est-à-dire fondée sur l'accroissement et le développement des forces productives, exige le renouvellement de la consommation. Il faut que, dans sa sphère, la circulation s'élargisse à mesure que s'élargit celle de la production.

1°/ Elargissement quantitatif de la consommation existante ;

2°/ Création de nouveaux besoins en ce sens que les besoins déjà existants sont étendus sur une sphère toujours plus vaste.

3°/ Production de besoins nouveaux, invention et création de nouvelles valeurs d'usage. En d'autres termes : le surtravail accumulé ne reste pas un simple surplus quantitatif ; en revanche, la sphère des différences qualitatives du travail (partant, du surtravail), augmente constamment, est rendue multiforme et se diversifie de plus en plus en elle-même. Par exemple, la force productive étant doublée, il suffirait d'un capital de 50 là où il fallait précédemment un capital de 100, si bien qu'un capital de 50 et le travail nécessaire correspondant se trouvent libérés, pour lesquels il faut donc créer une nouvelle branche de production qualitativement différente, qui suscite et satisfasse de nouveaux besoins. La valeur de l'ancienne industrie n'est conservée que si est créée la base d'une industrie nouvelle où le rapport du capital et du travail est lui-même renouvelé, D'où exploration de la nature tout entière en quête de nouvelles propriétés utiles des choses ; échange universel des produits venant de tous climats et pays étrangers ; traitements nouveaux (artificiels) des ressources naturelles pour leur conférer de nouvelles valeurs d'usage ; exploration, d’un bout à l'autre de la terre, à la recherche de nouveaux éléments utiles, d'innovations applicables à l'utilisation des matières premières connues, etc. ; découverte, création et satisfaction de besoins nouveaux qui surgissent de la société elle-même ; culture de toutes les qualités de l'homme social pour en faire un être aux besoins les plus variés ; c’est là une autre condition de la production fondée sur le capital, puisque la richesse des ressources propres à l'homme fait qu'il est lui-même le produit socialement la plus total et le plus universel, et que, pour être à même d'en jouir d’une manière multiforme, il doit avoir un haut degré de culture. Cette création de nouvelles branches de production, autrement dit de temps additionnel qualitativement nouveau, ne relève pas seulement de la division du travail ; elle est autométamorphose de la production en tant que création de nouvelles valeurs dusage, développement d'un système toujours plus large et plus complet de modes de travail et de production, auxquels correspond un système de besoins toujours plus étendus et plus riches." (Marx, Manuscrits de 1857-1858, « Grundrisse », Pléiade t.2 p. 259-260)

Il est alors parfaitement absurde de voir dans la manifestation de certains phénomènes, la production de luxe par exemple, l’effet d'une même cause a-historique comme le fait le CCI.[vi] Si la production d'objets de luxe est, dans l'Etat Antique, le résultat nécessaire de l’esclavage, elle est reliée dans le MPC au procès contradictoire de valorisation/dévalorisation que connaît ce mode de production dans sa phase de soumission réelle. Bien loin de marquer sa décadence, la création de nouvelles branches de production d'articles de luxe, est l'un des moyens développés par le capital pour contrecarrer la baisse tendancielle du taux de profit.

Dans le MPC, « le superflu est plus facile à produire que le nécessaire »[vii] et nous le démontrerons dans ces textes consacrés à la question agraire. Parce que la production de moyens de luxe met en mouvement une plus grande quantité de travail vivant par rapport au travail mort (ce qui traduit ici des conditions de production plus simples que la moyenne), elle permet d’obtenir une plus grande masse de plus-value tout en abaissant la composition organique moyenne du capital. De plus, les moyens de luxe sont consommés par la classe capitaliste et surtout les classes moyennes ce qui permet au capital de différer et limiter temporairement ses crises de surproduction. C'est sur le double plan de la production et de la réalisation qu’intervient donc la croissance de la production des biens de luxe (nous négligeons ici le commerce extérieur ). Par contre, dans l'état antique, on ne rencontrait pas la surproduction, mais la surconsommation, laquelle dégénère et marque la décadence de cet Etat.

4.2          Valeur d'échange.

"La valeur d'échange apparaît d'abord comme le rapport quantitatif, comme la proportion dans laquelle les valeurs d'usage d'espèces différentes s’échangent l'une contre l'autre." (Marx, Capital, I,1, Pléiade, t.1 p.563 ou http://le.capital.free.fr/text/livre1/ch1/txt1.html)

La valeur d'échange de la marchandise s'exprime dans la valeur d'usage d’une autre marchandise. Cette valeur d'échange peut s'exprimer dans une foule d'autres articles. Par exemple, la valeur d'échange d'une certaine quantité de froment peut s'exprimer dans une quantité donnée de cirage, de soie etc. On peut écrire, par exemple, l'équation :

2m de toile = 1 kg de farine

Cela signifie que la valeur d'échange de la toile est de 1kg de farine. Cette valeur d'échange s'exprime dans une certaine quantité d'une autre marchandise, dans la valeur d'usage d'une autre marchandise, ici 1kg de farine.

5.         La valeur et ses formes (valeur d'échange)

Poser l’équation 2m de toile = 1kg de farine implique qu'il y a entre ces deux objets une substance commune.

« (…) les valeurs d'échange des marchandises doivent être ramenées à quelque chose qui leur est commun et dont elles représentent un plus ou un moins.» (Marx, Capital I,1, Pléiade, t.1, p.564 ou http://le.capital.free.fr/text/livre1/ch1/txt1.html)

Ce quelque chose de commun ne se trouve pas dans leurs valeurs d'usage. Celles-ci sont évidemment différentes :

« (…) l'on fait abstraction de la valeur d'usage des marchandises quand on les échange et (...) tout rapport d'échange est même caractérisé par cette abstraction. » (id. )

Si l'on fait abstraction de la valeur d'usage, il reste que les marchandises sont le produit du travail humain. Si nous mettons de coté le travail en tant qu'il façonne des valeurs d'usage, donc le travail concret, nous ferons alors abstraction des formes particulières des marchandises, pour ne tenir compte que de la substance qui leur est commune, c'est-à-dire une dépense de force de travail humaine. En tant que cristallisation de cette substance commune, la marchandise est valeur, indépendamment de sa forme particulière, de sa valeur d'usage. Dans la mesure où le travail humain produit des valeurs d'usage, il est un travail concret, et en tant qu'il forme la substance de la valeur, il est du travail abstrait.

« Il ne reste donc plus que le caractère commun de ces travaux ; ils sont tous ramenés au même travail humain, à une dépense de force humaine de travail sans égard à la forme particulière sous laquelle cette force a été dépensée. » (Marx, Capital I,1, Pléiade, t.1, p.565 ou http://le.capital.free.fr/ text/livre1/ch1/txt1.html)

Par conséquent, ce qu'il y a de commun entre les deux marchandises et qui apparaît à travers le rapport d'échange[viii] c'est la valeur, et celle-ci est fonction du temps de travail abstrait matérialisé dans la marchandise. La valeur est égale au temps de travail moyen socialement nécessaire pour reproduire la marchandise.

« Le temps socialement nécessaire à la production des marchandises est celui qu'exige tout travail, exécuté avec le degré moyen d'habileté et d’intensité et dans des conditions qui, par rapport au milieu social donné, sont normales. » (Marx, Capital I,1, Pléiade, t.1, p.566 ou http://le.capital.free.fr/ text/livre1/ch1/txt1.html)

Si donc la valeur d'usage a pour fondement l'utilité sociale de la marchandise, et est le résultat du travail concret, la valeur elle, est du temps de travail abstrait cristallisé et la grandeur de cette valeur est égale à la quantité de travail abstrait matérialisé dans la marchandise. La marchandise est donc unité de la valeur d'usage et de la valeur.

« (…) il n'y a pas, à proprement parler, deux sortes de travail dans la marchandise, cependant le même travail y est opposé à lui-même suivant qu'on le rapporte à la valeur d'usage de la marchandise comme à son produit, ou à la valeur de cette marchandise comme à sa pure expression objective. Tout travail est d'un côté dépense, dans le sens physiologique, de force humaine, et, à ce titre de travail humain égal, il forme la valeur des marchandises. De l'autre côté, tout travail est dépense de la force humaine sous telle ou telle forme productive, déterminée par un but particulier, et, à ce titre de travail concret et utile, il produit des valeurs d'usage ou utilités. De même que la marchandise doit avant tout être une utilité pour être une valeur, de même le travail doit être avant tout utile, pour être censé dépense de force humaine, travail humain, dans le sens abstrait du mot. » (Marx, Capital I,1,3, Pléiade, t.1, p.574-575 ou http://le.capital.free.fr/text/livre1/ch2/ch2.html).

Si la marchandise est unité de valeur d'usage et de valeur, cette valeur ne se manifeste que dans le rapport d'échange.

« La marchandise est valeur d'usage ou objet d'utilité, et valeur. Elle se présente pour ce quelle est, chose double, dès que sa valeur possède une forme phénoménale propre, distincte de sa forme naturelle, celle de valeur d'échange ; et elle ne la possède jamais cette forme, si on la considère isolément.» (Marx, Capital I,1,3, Pléiade, t.1, p.591 ou http://le.capital.free.fr/text/livre1/ch1/txt3.html

La valeur de la marchandise n'apparaît alors que dans la valeur d'usage d'une autre, dans une quantité déterminée d'une autre marchandise. En tant que matérialisation du temps de travail social, la valeur d'usage de la marchandise est mise en rapport avec la valeur d'usage d'une autre. Pour reprendre l'exemple ci-dessus, dans l'équation 2m de toile = 1kg de farine la valeur des 2m de toile - admettons qu'elle soit égale à 10 heures de travail abstrait - ne se manifeste que dans le rapport d'échange.

Le temps de travail social moyen pour reproduire le kilo de farine est de 10 heures. Les deux marchandises ont bien comme substance commune le travail abstrait. Mais celui-ci ne se manifeste que dans un rapport d'échange. La valeur de la toile s'exprime dans la farine. Deux valeurs d'usage sont mises en rapport et la marchandise qui exprime la valeur de l'autre constitue son équivalent. La valeur de la marchandise toile s'exprime par une quantité de l'autre marchandise, de la marchandise équivalent. La valeur d'échange est donc une quantité de la marchandise équivalent. Par exemple la valeur d'échange de 2m de toile est 1kg de farine. Ce kilo de farine constitue ici la valeur d'échange de 2m de toile, laquelle représente la valeur. Elle en constitue une forme.

Nous abordons ici à travers la dialectique valeur d'échange/valeur, la dialectique forme/contenu. La forme et le contenu sont inséparables l'un de l'autre. Comme dit Hegel : "le contenu comme tel n'est ce qu'il est qu'en contenant en lui la forme développée" (Logique). De même, toute forme n'est valable qu'en tant que forme de son contenu. Autant cette conception est dialectique, autant la conception de Kant d'une forme extérieure au contenu posée a priori en dehors de lui et enveloppant purement et simplement le contenu qui vient s'y poser, est métaphysique. L'économie politique reproduit tout à fait cette métaphysique lorsqu'elle analyse la valeur et ses formes, alors que la critique communiste puise comme d'habitude dans le "noyau rationnel de la dialectique hégélienne", les armes nécessaires à la nécrologie du capital. En tant que contenu, la valeur ne peut sécréter d’autres formes que celles rencontrées au cours du procès d'investigation de la réalité. La valeur d'échange est une forme de la valeur et la dialectique des formes de la valeur conduit à la théorie de l'argent.

La "forme simple de la marchandise" que nous avons rapidement mis en relief ici constitue le germe de la forme argent. Nous avons dans le N°3 traité brièvement des diverses fermes de la valeur, dont le développement conduit à l'équivalent général et à la forme monnaie. Nous ne reprendrons pas ici ces questions pourtant fort importantes, tout cela sera abordé plus tard. Considérons simplement ici le résultat.

Si au lieu d'écrire 2m de toile = 1kg de farine, nous écrivons désormais : 2m de toile = 1g d'or, et si le g. d'or définit par exemple le franc, nous pouvons directement écrire 2m de toile = 1f.

La valeur d'échange de la toile est donc de 1f. représentant ici 10 h. de travail abstrait.

Le temps de travail particulier n'est pas immédiatement social. Pour qu'il le devienne, il doit être sanctionné par un équivalent qui soit l'expression du temps de travail social. L'analyse des formes de la valeur n'est donc pas un ornement dialectique, qui peut se révéler inutile à "l'analyse scientifique", mais l'un des moments essentiels de la critique révolutionnaire du MPC, et de ses défenseurs. L'existence de la valeur implique d'emblée l'existence de ses formes, médiations qui permettent sa réalisation et son autonomisation.

« L'économie politique classique - nous dit Marx - n'a jamais réussi à déduire de son analyse de la marchandise, et spécialement de la valeur de cette marchandise, la forme sous laquelle elle devient valeur d'échange, et c'est là un de ses vices principaux » (Marx, Capital I,3, Pléiade t.1, p.603-604, souligné par nous, ou http://le.capital.free.fr/text/livre1/ch1/ch1notes.html)

L'une des conceptions couramment répandues et qui infeste même le camp révolutionnaire c'est que Marx aurait accordé une importance secondaire à la monnaie, analysant plutôt la production de la valeur et de la plus-value. Nous avons vu que la théorie de la valeur et des ses formes étaient intimement liées. Si bien que Marx pouvait dire que ce qui le distinguait de Ricardo c'était sa théorie de l’argent.[ix] [x]

"Pour que les marchandises soient mesurées d'après la quantité de travail qu'elles contiennent, les travaux de différentes sortes contenus dans les marchandises doivent être réduits au même travail simple. Cette réduction au travail moyen simple n'est cependant pas la seule détermination de la qualité de ce travail dans l'unité duquel se résolvent les valeurs des marchandises. Le fait que la quantité de travail contenue dans une marchandise soit la quantité socialement nécessaire à sa production est une détermination qui ne touche que la grandeur de la valeur." (Marx)

C'est là qu'en reste Ricardo et ses épigones modernes. Aussi va-t-il chercher seulement à mesurer la grandeur de cette valeur, et ses variations.

D'où la recherche d'un étalon invariable qui permettrait d'effectuer une mesure correcte. Ricardo ne voit pas le caractère historique de la marchandise[xi]. Il ne voit pas que la marchandise est aussi le produit d'un travail privé et que la valeur pour devenir sociale doit s'échanger contre l'équivalent général qui matérialise le temps de travail social. Le temps de travail contenu dans toutes les marchandises est représenté par une marchandise particulière qui devient la marchandise monnaie. Le travail n'est pas immédiatement social comme il l'est dans une production communautaire. La communauté posée avant la production rend d'emblée le travail privé travail social. Le travail individuel n'est qu'un moment de la totalité du travail social, prédéterminé par la communauté. Il agit immédiatement comme travail social en étant médiatisé par la communauté. Avec la valeur il faut aussi une médiation, mais celle-ci agit post festum. Le travail privé devient social par l'échange et la médiation est fournie par l'argent qui devient la communauté aliénée des individus. Voilà pourquoi l'économie politique était incapable de fournir la genèse de la forme monnaie. Cela Ricardo, représentant de la bourgeoisie, ne pouvait le comprendre et, avec lui, les imbéciles qui passent pour disciples de la théorie révolutionnaire et qui d'ailleurs n'arrivent pas au niveau de Ricardo. Si, à propos de Mill, Marx pouvait remarquer que « sur un terrain plat, de simples buttes font leffet de collines ; aussi peut-on mesurer la platitude de la bourgeoisie contemporaine d’après le calibre de ses esprits forts »[xii]. Il faudrait ajouter, quaujourd’hui, les taupinières des "marxistes" paraissent des montagnes.

6.         Communisme, bon horaire et bon de travail

Nous avons vu, brièvement, ce qui distingue la critique révolutionnaire du MPC de la théorie bourgeoise de la valeur la plus évoluée (celle de Ricardo). La description de la société communiste et cette critique sont dialectiquement liées ; comme n'a cessé de le répéter la Gauche Communiste d'Italie, nous ne faisons pas la biologie du capital, mais sa nécrologie. Il n'est pas surprenant que ceux qui n'ont pas compris un traître mot de la théorie de la valeur se retrouvent alors pour penser que Marx n'a pas bien décrit la société communiste ou qu'il a commis à ce sujet des erreurs, voire qu'il s’est contredit d’une oeuvre à l'autre. Parmi les assauts révisionnistes que doit repousser inlassablement le parti communiste, figure la légende selon laquelle Marx aurait dans sa critique du bon horaire proposé par les Proudhoniens, donné la preuve de l'invalidité du bon de travail dans la phase inférieure du communisme. Nous allons voir que la critique des Proudhoniens est tout à fait conforme à la théorie de la valeur et que la société communiste qui ne connaît ni valeur ni valeur d'échange s'accommode fort bien des bons de travail dans sa phase inférieure.

Le projet des Proudhoniens anciens et modernes, consiste à créer une monnaie-travail. Au lieu d'écrire 2m de toile = 1g d'or = 1 franc, les Proudhoniens veulent ôter à l'or son privilège et le ravaler au rang de toutes les autres marchandises, ce en exprimant directement la marchandise en temps de travail abstrait. L'ancienne équation deviendrait alors : 2m de toile = 1g d'or = 10 heures de travail abstrait. Sur une certaine quantité d'or on inscrirait le temps de travail socialement nécessaire à sa reproduction. Pour les Proudhoniens il faut donc conférer « (…) à toutes les marchandises le monopole que l'or et l'argent possèdent actuellement en exclusivité. Laissez exister le Pape, mais faites Pape tout un chacun. Supprimez l'argent en transformant toutes les marchandises en argent et en les dotant des propriétés spécifiques de l’argent. Ici, on peut se demander justement si le problème n’exprime pas sa propre absurdité et si, en conséquence, l’impossibilité de sa solution ne réside pas déjà dans les conditions posées dans son énoncé. Souvent la réponse ne peut consister qu’en une critique de la question et souvent on ne peut résoudre celle-ci qu’en niant la question elle-même. Voici la question réelle : Le système d’échange bourgeois ne nécessite-t-il pas lui même un instrument d'échange spécifique  ? Ne crée-t-il pas nécessairement un équivalent particulier pour toutes les valeurs ? » (Marx, Manuscrits de 1857-1858, « Grundrisse », ES t.1, p.61 ou http://www.marxists.org/archive/ marx/ works/1857/grundrisse/ch02.htm en anglais)

Le projet proudhonien est d'emblée absurde car il est impossible que la valeur se présente indépendamment de ses formes.

« Le rapport d'échange d'une marchandise particulière contre de l’argent, c'est-à-dire la quantité de monnaie en laquelle est convertible une quantité donnée de marchandise, est déterminée par le temps de travail matérialisé dans la marchandise. C'est en tant que réalisation d'un temps de travail déterminé que la marchandise est valeur d'échange. La quantité de temps de travail représentant la marchandise trouve sa mesure dans la monnaie - elle y est contenue dans sa forme échangeable, universelle, conforme à son concept. La monnaie est l'intermédiaire concret qui permet aux valeurs d'échange de recevoir une forme correspondant à leur vocation d’universalité. Selon Adam Smith, le travail (le temps de travail) est la monnaie originelle grâce à laquelle on achète toutes les marchandises. Si l’on considère l'activité productrice, cela reste toujours exact (et aussi pour la détermination des valeurs relatives). Dans la production, toute marchandise est continuellement échangée contre du temps de travail. La nécessité d'une monnaie distincte provient justement de ce que la quantité de temps de travail doit s'exprimer non pas dans son produit immédiat et particulier, mais dans un produit médiatisé et universel, dans un produit particulier saisi dans son équivalence et sa convertibilité avec tous les autres produits qui exigent le même temps de travail ; temps de travail contenu non pas dans une marchandise donnée, mais dans toutes les marchandises à la fois et, pour cette raison, dans une marchandise particulière qui les représente toutes. Le temps de travail lui-même ne peut pas servir directement de monnaie (autrement dit, l’exigence qui voudrait que chaque marchandise fût sa propre monnaie tombe du même coup) parce qu'il n’existe jamais, en fait, que dans des produits particuliers (comme objet) : en tant qu'objet universel il ne peut exister que de façon symbolique, précisément sous forme de marchandise particulière que l'on pose comme monnaie. Le temps de travail n'existe pas comme objet d'échange universel, indépendant et séparé (détaché) des particularités naturelles des marchandises. Or, tel devrait bien être son mode d’existence s'il lui fallait remplir immédiatement les conditions de la monnaie. C'est la matérialisation du caractère social et général du travail (et, par conséquent, du temps de travail contenu dans la valeur d'échange) qui fait précisément de son produit une valeur d’échange et donne à la marchandise sa propriété de monnaie, propriété qui implique à son tour un objet monétaire existant en-dehors d'elle de façon autonome.

Un temps de travail déterminé est matérialisé dans une marchandise particulière donnée par des propriétés particulières et une relation particulière aux besoins ; mais comme valeur d'échange, il doit être matérialisé dans une marchandise qui n'exprime que sa quantité continue ou discontinue dont les propriétés naturelles sont indifférentes, marchandise par conséquent susceptible d'être métamorphosée - c'est-à-dire échangée en toute autre marchandise matérialisant un temps de travail égal. Comme objet, il doit posséder ce caractère général qui contraste avec sa particularité naturelle. Ce contraste ne peut s'abolir qu'en se matérialisant lui-même, et cela par le fait que la marchandise est posée de deux façons : d’abord sous sa forme naturelle immédiate, ensuite sous sa forme médiatisée comme monnaie. Celle-ci ne devient réalité que par la transformation d'une marchandise particulière en substance générale de valeur d'échange, ou par l'identification de la valeur d'échange des marchandises avec une substance, une marchandise particulière par opposition à toutes les autres. C'est dire que, pour être échangeable à volonté et indifféremment contre toutes les marchandises, une marchandise quelconque doit d'abord être convertie en une marchandise universelle, produit symbolique universel ou matérialisation du temps de travail, en lequel elle se métamorphose comme valeur d'échange. La monnaie est le temps de travail devenu objet universel ou matérialisation du temps de travail général, bref, marchandise universelle. Il semble donc que le temps de travail, parce quil régit les valeurs d’échange, n'est pas seulement, en fait, la mesure qui leur est propre, mais tout simplement leur substance même (car, comme valeurs d'échange, les marchandises ne possèdent pas d'autre substance ni d'autres qualités particulières) ; il semble aussi qu'il pourrait leur servir directement de monnaie, c'est-à-dire constituer l'élément où les valeurs d'échange se réalisent comme telles ; mais cette apparence de simplicité est trompeuse. Bien au contraire, le rapport des valeurs d'échange - des marchandises en tant que matérialisations égales et égalisables entre elles par le temps de travail - contient des contradictions qui reçoivent leur expression concrète dans une monnaie distincte du temps de travail. » (Marx, Manuscrits de 1857-1858, « Grundrisse », Pléiade t.2,  p220-22 ou http:// www.marxists.org/ archive/marx/works/1857/grundrisse/ch03.htm en anglais)

Valeur et valeur d'échange sont dialectiquement liées. La valeur ne peut pas prendre d'autre forme que celle de valeur d'échange. La valeur est une sanction sociale. Elle est ce par quoi se constitue, de manière aliénée la communauté. Comme dit Marx "la comparaison se substitue à la communauté et à l'universalité véritables". Dans le MPC, tout se compare, parce que tout a une forme valeur. Tout se compare dans l’échange. Les produits ne se distinguent pas selon une appréciation et une définition qualitative, mais seulement d'après leur valeur d'échange, daprès leur prix. Même ce qui n’est pas produit du travail humain acquiert une valeur déchange, par exemple la terre, certaines forces naturelles, les sentiments et passions humains, etc. (cf. Manuscrits de 1844)

Tel est le caractère universel de la valeur, et aussi son caractère civilisateur (précisément parce qu'il est universel). En se développant (jusque dans le marché mondial), l'échange ne concerne plus un lieu et un temps précis, ni certaines catégories de produits. Tous les produits humains se réfèrent à la valeur et toutes les valeurs se réalisent dans la forme monnaie, qui est la forme valeur universelle. On ne peut donc vouloir séparer le contenu (la valeur) de ses formes, et toute altération de l'un implique immédiatement l'altération de l'autre. L'abolition de la valeur, de l’échange, de l'argent et du salariat, forment un tout indissoluble et toute tentative de vouloir conserver l'une sans l'autre est Utopie.

Pour le communisme, il s'agit de mettre fin à la domination de la valeur et de ses formes, de mettre fin au règne des catégories marchandes, du salariat, de la monnaie. Les Proudhoniens, comme les sociaux-démocrates, voulaient rendre consciente la valeur ; mais il est impossible de maîtriser son mouvement, lequel mène les producteurs bien plus loin de l'endroit où ils voulaient aller.

Ceux qui prétendent comme les staliniens et les gauchistes qu'il est possible de "planifier" la production sur la base de la valeur d'échange, c'est-à-dire lui éviter des crises sont des contre-révolutionnaires.

Vouloir dominer par une quelconque "planification" la valeur revient à demander à un infirme de dompter un étalon sauvage.

Nous avons vu que les Proudhoniens veulent fixer une valeur à l'or, cela implique qu'il ne pourra faire son office que si la productivité du travail demeure constante. Si la force productive du travail double par exemple, la valeur de notre gramme d'or sera désormais 5 heures de travail abstrait alors qu'elle porte comme titre 10 heures de travail abstrait. Aussi la monnaie-travail serait exposée à de plus fortes oscillations que l'ancienne monnaie-or. La monnaie subirait une dépréciation chaque fois que la force productive du travail augmente. Aussi les Proudhoniens modifient-ils leur solution et proposent de mettre en place des bons horaires sur lesquels seraient inscrits un certain nombre d'heures de travail abstrait. Supposons par exemple un bon de 10 heures. Si la force productive du travail augmente on pourra avec ce bon acheter un plus grand nombre de marchandises, par exemple on achètera deux fois plus de toile avec le même bon si la force productive double. Les proudhoniens en tirent argument pour dire que le pouvoir d'achat des ouvriers augmentera ainsi en proportion du développement de la force productive. La contradiction rencontrée avec l'or semble englobée, mais elle n'est pas supprimée.

Comme nous l'avons déjà vu, la valeur ne peut se réaliser que dans l'échange, que par son expression dans la valeur d'usage d'une autre marchandise.

« Le produit devient marchandise ; la marchandise devient valeur d’échange ; la valeur d'échange de la marchandise, c’est sa qualité monétaire immanente ; cette qualité monétaire se détache d’elle en tant qu’argent, acquiert une existence sociale universelle, distincte de toutes les marchandises particulières et de leur mode d’existence naturel ; le rapport du produit à soi-même en tant que valeur d’échange devient son rapport à un argent existant à côté de lui ou encore rapport de tous les produits à l’argent existant en dehors d’eux tous. De même que l'échange effectif des produits engendre leur valeur d'échange, de même leur valeur d’échange engendre l'argent. » (Marx, Manuscrits de 1857-1858, « Grundrisse », ES, t.1, p.81-82 ou http://www.marxists.org/archive/marx/works/1857/grundrisse/ ch02.htm en anglais) [xiii]

La différence entre valeur d'échange et valeur n'est pas une simple différence nominale, qu'on pourrait abolir sans pour autant supprimer l'une et l’autre, mais la fin du règne de la valeur et de la valeur d'échange ne peut être obtenue que par la révolution communiste.

Qui plus est, il n'y a jamais stricte égalité entre la valeur et le prix de marché. Le prix de marché fluctue sans cesse autour de la valeur, au gré de l'offre et de la demande. Ce n'est que sur une longue période que la moyenne des prix de marché va coïncider avec la valeur d'échange. Les mêmes fluctuations se reproduiraient avec les bons horaires. Le temps de travail représenté par les bons horaires ne s'échangera jamais contre la même quantité de travail. Les marchandises auront tantôt plus tantôt moins de valeur que celle représentée dans le bon horaire.

«Mais la confusion atteindrait un tout autre sommet du fait que le médium par lequel on comparerait les marchandises, ces quanta de temps de travail objectivé, ne serait pas lui-même une tierce marchandise, mais leur propre mesure de valeur, le temps de travail. La marchandise a, objectivation de 3 heures de temps de travail, = 2 bons-heure de travail ; la marchandise b, objectivation pareillement de 3 heures de travail, = 4 bons-heure de travail. Cette contradiction s’exprime en fait dans les prix en argent : simplement elle est masquée. La différence entre prix et valeur, entre la marchandise, mesurée par le temps de travail dont elle est le produit, et le produit du temps de travail contre lequel elle s'échange, cette différence requiert d’avoir pour mesure une tierce marchandise, en quoi s’exprime la valeur d’échange effective de la marchandise. Parce que le prix n'est pas égal à la valeur, l’élément qui détermine la valeur - le temps de travail - ne peut pas être l’élément en quoi s’expriment les prix, parce que le temps de travail devrait s’exprimer à la fois comme l’élément déterminant et non déterminant, comme l’égal et l’inégal de soi-même. » (Marx, Manuscrits de 1857-1858, « Grundrisse », t.1, p.74, )

D'autre part il faudrait pour déterminer la quantité de travail abstrait contenue dans la marchandise, qu'un organisme spécial -une banque l’évalue. Cette banque aurait également pour tâche de répartir les moyens de production et le bon de travail de manière à ce que le travail de chaque branche soit du travail social, et donc que partout l'on ait la même productivité et intensité du travail. De ce fait les rapports de production capitalistes ne seraient pas bouleversés. Les bons horaires circulent et sont donc accumulables, la valeur peut toujours se valoriser, et salarier la force de travail.

Que signifie une organisation communiste de la société ?

Que représentent les bons de travail -distinct des bons horaires proudhoniens- dans la phase inférieure de la société communiste? La production est d'emblée sociale, le travail des individus est immédiatement social et il est la médiatisé par la communauté posée avant la production, et non par l’argent. La valeur et la valeur d'échange ont disparu. Désormais le travail ne domine pas les individus. La société n'est plus dominée par la valeur d'échange. C'est la satisfaction des besoins humains qui détermine la mise en place d'un plan de consommation présent et futur. Individu et espèce ne s'opposent plus et l'espèce unifiée produit les valeurs d'usage nécessaires à la satisfaction des besoins établis suivant le plan de consommation. Il faut donc recenser ces besoins et les moyens matériels dont dispose la société pour les satisfaire. Il faut, par la même occasion, répartir le temps de travail de l'ensemble de la société dans les diverses branches et déterminer la durée de son application. Il s'agit ici de la durée du travail concret. Le travail abstrait -la valeur- a disparu.

« Une fois supposée une production communautaire, la détermination du temps reste bien entendu essentielle. Moins la société a besoin de temps pour produire du blé, du bétail, etc., plus elle en gagne pour d'autres productions, matérielles ou spirituelles. Comme pour un individu isolé, la plénitude de son développement, de son activité, dépend de l'épargne de son temps. Economie du temps, à laquelle se réduit finalement toute économie. La société doit répartir son temps rationnellement en vue de réaliser une production conforme à ses besoins, tout comme l'individu doit diviser le sien avec exactitude pour acquérir des connaissances dans des proportions convenables, ou pour donner une place suffisante aux différentes tâches qui s'imposent à son activité. L’économie du temps, aussi bien que la répartition méthodique du temps de travail dans les différentes branches de la production, demeure donc la première loi économique dans le système de la production collective ; elle y prend même une importance considérable. Pourtant, nous sommes bien loin de la mesure des valeurs d'échange (travaux ou produits) par le temps de travail. Le travail des individus dans un même secteur et les différents types de travail varient non seulement en quantité mais en qualité. » (Marx, Manuscrits de 1857-1858, « Grundrisse », Pléiade t. 2, p.226)

Dans la phase inférieure de la société communiste, il n'y a pas encore suffisamment de moyens pour satisfaire pleinement les besoins.

« La société communiste que nous avons ici à l’esprit, ce n’est pas celle qui s’est développée sur des bases propres, mais au contraire, celle qui vient d’émerger de la société capitaliste ; c’est donc une société, qui, à tous égards, économique, moral, intellectuel, porte encore les stigmates de l’ancien ordre où elle a été engendrée. » (Marx, Critique du programme du parti ouvrier allemand - programme de Gotha - Pléiade, t.1, p.1418-1419 ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1875/05/ 18750500a.htm dans une traduction différente)

Il n'y a donc encore qu'une domination formelle du communisme. Le développement atteint par la société ne permet pas la totale satisfaction des besoins humains, d'où une limitation de la consommation.

« Le temps de travail règle d'abord le rapport exact des diverses fonctions aux divers besoins, de l'autre il mesure la part individuelle de chaque producteur dans le travail commun. »

C'est dans ce deuxième moment qu'intervient le bon de travail. Pour éviter toute démagogie, la Gauche Communiste d'Italie préférait parler de "carte de ravitaillement" (cf. Réunion de Naples 1951). Le bon de travail permet la répartition des produits destinés à la consommation individuelle. Nous soulignons individuelle car sur l'ensemble du travail concret fourni dans la société, une partie seulement revient au travailleur individuel. La formule lassalienne du produit intégral du travail est ici balayée. En effet, du produit social total il faut retirer une partie destinée au renouvellement des moyens de production usés, à l'augmentation de la production future, saris compter un « fonds de réserve et d'assurance » contre les accidents, les perturbations dues aux phénomènes naturels, etc.

D'autre part, une partie du produit total - frais généraux de la société - est consommée improductivement. Cette partie diminue par rapport au MPC et va en diminuant avec le développement du communisme. Il faut ajouter que le consommation communautaire augmente et s'accroît avec l'épanouissement de la société communiste.

Enfin, une partie de la population, qui n'est pas en âge ou à même de travailler, consomme une partie du produit social. Ce n'est donc que sur le reste du produit social, c'est-à-dire la fraction destinée à la consommation individuelle, qu'intervient le bon de travail, la carte de ravitaillement. On répartit les objets destinés à la consommation individuelle au prorata du temps de travail concret effectué. Il n'est pas tenu compte de l'intensité ou de la productivité du travail de chaque individu, celui-ci varie d'un individu à l'autre, d'une branche à l'autre, d'un "pays" à l'autre. Seule la durée du travail concret est ici déterminante. On en a fini avec la valeur, le travail abstrait, avec le travail simple et complexe. Le travail individuel est d'emblée communautaire, d'emblée travail social. Une heure de travail de tel individu dans telle branche dans tel pays est identique à une heure de travail de tel autre individu, dans telle autre branche, dans tel autre pays. De plus, les divers individus ont des besoins différents en qualité comme en quantité mais ici dans la phase inférieure du communisme, ils ne peuvent les satisfaire qu'au prorata du temps de travail effectué. La satisfaction des besoins est limitée et inégale. Par conséquent, avec le bon de travail nous avons un « droit égal qui est un droit inégal pour un travail inégal. »

« (…) tous ces inconvénients sont inévitables dans la première phase de la société communiste, quand elle ne fait que sortir de la société capitaliste, après un long et douloureux enfantement. Le droit ne peut jamais être plus élevé que la structure économique de la société et le développement culturel qui en dépend.

Dans une phase supérieure de la société communiste, quand auront disparu l’asservissante subordination des individus à. la division du travail et, par suite, l’opposition entre le travail intellectuel et le travail corporel ; quand le travail sera devenu non seulement le moyen de vivre, mais encore le premier besoin de la vie ; quand, avec l'épanouissement universel des individus, les forces productives se seront accrues, et que toutes les sources de la richesse coopérative jailliront avec abondance - alors seulement on pourra s'évader une bonne fois de l'étroit horizon du droit bourgeois, et la société pourra écrire sur ses bannières : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ! » » (Marx, Critique du programme du parti ouvrier allemand - programme de Gotha - Pléiade, t.1, p.1420 ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1875/05/18750500a.htm dans une traduction différente)

Nous avons pu voir brièvement que le bon horaire, la monnaie-travail de Proudhon et de tous les sociaux-démocrates modernes qui font de la loi de la valeur maîtrisée la condition du socialisme, et le bon de travail de Marx n'étaient absolument pas conciliables. Avec le premier se maintient la production de marchandises tandis qu'avec l'autre nous passons dans la phase inférieure de la société communiste laquelle ne connaît pas de production mercantile. Le communisme met fin à la domination de la valeur et de la valeur d'échange.

Dans le communisme, les valeurs d'usage elles-mêmes sont modifiées. Dans le MPC, elles sont le support de la valorisation et leur détermination sociale en est influencée. Par exemple, la technologie dont hérite le communisme est spécifique au MPC. Celle-ci est forgée pour extraire le maximum de plus-value relative. Dans ses formes même, elle est orientée directement vers l'assujettissement de l'ouvrier et cherche à briser la résistance de la classe. De même, la dévalorisation des marchandises entraîne la dégradation des produits de consommation individuelle, etc. La Gauche avait ainsi raison d'affirmer que 90% de la production dans le MPC est inutile, voire nuisible. Dans le communisme, les valeurs d'usage ne sont plus des porte-valeurs, elles visent désormais à satisfaire les besoins humains. Tous les rapports antérieurs sont bouleversés ; cela vise aussi bien l'organisation du travail, l'alimentation, l’urbanisme, etc., bref toute la praxis humaine.

« La révolution communiste est la rupture la plus radicale avec le système de propriété traditionnel ; rien d'étonnant si dans le cours de son développement on assiste à l'abandon le plus radical des idées traditionnelles. » (Marx-Engels, Manifeste du Parti Communiste, Pléiade, t.1, p.180 ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/00/kmfe18470000b.htm dans une traduction différente)

Nous sommes à présent armés pour suivre les rocambolesques exhibitions théoriques des petits bourgeois qui veulent se confronter au communisme prolétarien et y trouver des "contradictions".

Ainsi Hembé, dans un article du N°8 (Mars-Avril 1970 de "Révolution Internationale" fait preuve d'une grande condescendance à l'égard de Marx et d’Engels qui se sont certes "trompés" et ont commis des déviations, mais cela est dû aux "conditions de l’époque", celles du capitalisme ascendant, celles d'un siècle ou la révolution n'était pas encore possible. Finalement, Marx et Engels, à défaut d'être les derniers économistes classiques, - ou peut-être précisément pour cela -, seraient les derniers des utopistes. Mais si l'imbécillité et la mauvaise foi peuvent connaître des limites dans la phase ascendante du MPC, Hembé va nous administrer la preuve que toute limite est désormais franchie. Parmi les "erreurs" et "autres horreurs" d’une époque révolue, Hembé nous livre en pâture les bons de travail, et il oppose à Marx...Marx, critique des bons horaires Proudhoniens. Hembé nous fournit ses déductions à partir d'une relecture savante des Grundrisse (écrits dans les années 57-58). Dans ces brouillons, Marx aurait condamné par avance - en critiquant le bon horaire Proudhonien - les bons de travail qu'il propose dans la "Critique du programme de Gotha" (1875). Pour pouvoir affirmer de telles âneries, il faudrait pouvoir prouver que Marx a modifié sa théorie de la valeur entre les Grundrisse et le programme de Gotha. Un examen rapide montre tout le contraire.

 

1847 : Misère de la philosophie.

Marx critique Bray parce qu'il croit « y avoir trouvé la clé des ouvrages passés, présents et futurs de M. Proudhon »[xiv]. Et Marx, en opposition au projet de Bray conclut :

« Donc, si l'on suppose tous les membres de la société travailleurs immédiats, l’échange des quantités égales d'heures de travail n'est possible qu'à la condition qu'on soit convenu d'avance du nombre d’heures qu'il faudra employer à la production matérielle. Mais une telle convention nie l'échange individuel. » (Marx, Misère de la philosophie, Pléiade, t.1, p.49 ou http://www.marxists.org/francais/ marx/works/1847/06/ km18470615e.htm dans une traduction différente)

Donc, en même temps qu'il fait la critique d'un ancêtre de Proudhon, Marx met en évidence la nécessité de mesurer la répartition et la durée du travail concret dans la phase inférieure du communisme. C’est-à-dire ce qu'il propose toujours trente ans après. Mais pour Hembé, il vaut mieux ignorer cela. Aussi ne se donne-t-il pas la peine de prendre connaissance de "Misère de la philosophie", texte de jeunesse sans doute ! La véritable analyse de Marx ne semble donc commencer qu'avec les Grundrisse.

 

1857-58 : Grundrisse.

Ces manuscrits vont servir à préparer la critique de l'économie politique, parue en 1859. Marx développe sa théorie de la valeur et critique le livre du proudhonien Darimon, et les bons horaires. Mais dans le même ouvrage, il expose les différences entre une société fondée sur la valeur d'échange et le communisme. Marx parle encore de déterminer le temps de travail. Ce n'est donc plus d'une année sur l'autre que Marx se contredirait, mais d’une page à l'autre. Mais Hembé préfère le silence et sa lecture des Grundrisse s'est arrêtée juste à la page où Marx allait se "contredire".

 

1859 : Critique de l'économie politique.

Marx, sans doute par le plus pur des hasards, développe la même théorie de la valeur que dans les Grundrisse. Il critique les bons horaires de Gray; lequel veut que les produits soient fabriqués comme marchandises, mais ne soient pas échangés comme tels. Voilà donc que Marx persévère et Hembé sent qu'il lui sera de plus en plus difficile de ne pas parler de ces "contradictions" et finira par tronquer ses sources.

 

1867 : Le Capital (Livre l)

Marx expose de nouveau sa théorie de la valeur, fait référence à sa critique des proudhoniens dans la critique de l'économie politique, et oppose à la société mercantile la communauté humaine.

« Représentons-nous enfin une réunion d'hommes libres travaillant avec des moyens de production communs, et dépensant, d'après un plan concerté, leurs nombreuses forces individuelles comme une seule et même force de travail social. Tout ce que nous avons dit du travail de Robinson se reproduit ici, mais socialement et non individuellement. Tous les produits de Robinson étaient son produit personnel et exclusif et conséquemment objets d'utilité immédiate pour lui. Le produit total des travailleurs unis est un produit social. Une partie sert de nouveau comme moyen de production et reste sociale ; mais l’autre partie est consommée, et, par conséquent, doit se répartir entre tous. Le mode de répartition variera suivant l'organisme producteur de la société et le degré de développement historique des travailleurs. Supposons, rien que pour faire un parallèle avec la production marchande, que le. part accordée à chaque travailleur soit en raison de son temps de travail, le temps de travail jouerait ainsi un double rôle. D'un coté, sa distribution dans la société règle le rapport exact des diverses fonctions aux divers besoins ; de l'autre, il mesure la part individuelle de chaque producteur dans le travail commun, et en même temps la portion qui lui revient dans la partie du produit commun réservée à la consommation. Les rapports sociaux des hommes dans leurs travaux et avec les objets utiles qui en proviennent restent ici simples et transparents dans la production aussi bien que dans la distribution. » (Marx, Capital 1,1, Pléiade,t.1, p.613 ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-I-4.htm)

 

Là Hembé n'y tient plus. Voilà donc Marx qui recommence éternellement les mêmes erreurs, en 1847, 1857, et 1867. Hembé trouve alors une parade surprenante; à défaut d'attaquer le contenu, on s'en prend au style! Et notre homme de souligner avec force le mot supposons pour prouver que les bons ne sont qu'un modèle abstrait, qu'on expose qu'au conditionnel. Eh bien si Marx ne fait qu'établir un modèle abstrait à chaque fois qu'il utilise des expressions comme "supposons","représentons-nous","imaginons", etc. le communisme tout entier ne serait qu'une abstraction. Rares, en effet, sont les passages où Marx décrit tout de go la société future et pourtant la description de celle-ci est au premier plan de son oeuvre. Mais la prudence verbale de Marx, qu’est-ce sinon une ruse vis-à-vis de l'omniprésente censure de son époque ? Bordiga, lui, à chaque fois qu'il citait un de ces passages où l'indécision du style semble l'emporter sur la fermeté du contenu, soulignait trois fois le contenu, le programme, c'est-à-dire la société future. Dialectique péremptoire où les précautions littéraires périmées avec le temps ne volent en éclat que pour mieux faire apparaître la jeunesse et l'actualité brûlante de la thèse qu'elles enveloppent!

 

1875 : Critique du programme de Gotha.

Marx expose le rôle du bon de travail dans la phase inférieure de la société communiste, position en parfaite conformité avec ce qui a précédemment été évoqué. Invariance du programme!

 

1877 : L'Anti-Dühring

A défaut d'opposer Marx à Marx, l'un des artifices de l'historiographie bourgeoise est d'opposer Engels à Marx et Hembé ne se prive pas de ce plaisir. Dans cet ouvrage, Engels taille en pièce les bons horaires de Dühring et a contrario rappelle les grandes lignes du communisme. Hembé, dont nous avons vu la grande "aptitude" non seulement à comprendre, mais même à lire les textes de Marx s'est persuadé que les bons de travail ne sont qu'une 'image', un argument pédagogique pour les ouvriers de la phase ascendante du capitalisme (trop bêtes sans doute pour comprendre la loi de la valeur ?-mais que dire alors de notre "théoricien"?- et en tous cas incapables d'accomplir leur mission historique). Pour faire partager cette conviction aux lecteurs, il est prêt désormais à toutes les falsifications, il "cite" à l'appui de ses dires un passage de l’Anti-Dühring :

« Chez Owen, les bons de travail sont tout au plus un moyen de rendre le communisme plausible au public britannique (R.I N°8 p.37 souligné par Hembé).

Il est certes fastidieux d'avoir toujours à repasser derrière les tâcherons de la "théorie révolutionnaire", mais c'est bien utile parfois pour mesurer leur haut niveau de conscience et la profondeur de leur pensée. Si l'on ouvre l’Anti-Dühring à la page 343 des Editions Sociales, on lit :

« Deuxièmement, chez Owen, les bons de travail ne sont qu'une forme de transition à la communauté complète et à la libre utilisation des ressources sociales, et accessoirement tout au plus un moyen de rendre le communisme plausible au public britannique. » (http://www.marxists.org/francais/engels/ works/1878/06/fe18780611ad.htm, souligné par nous)

Voilà à quoi en est réduit le plumitif de RI! A de misérables escroqueries et subterfuges pour arriver à montrer qu'il n'a pas compris le premier mot de la théorie révolutionnaire.

 

1869-1879 : Capital livre II.

Marx parle de l'abolition du capital-argent et de la mise en oeuvre du bon de travail qui n'est pas de l'argent.

 

1880 : Notes sur Wagner.

Marx démolit le professeur d'Université Wagner et rappelle les thèses essentielles du livre I sur la marchandise et la valeur.

D'un bout à l'autre du travail de parti de Marx et Engels, il n'y a pas de place pour les "variations", les "remises en cause" et autres "contradictions" décelées par le commentateur de RI. Quant à la mise en place des bons de travail, elle ne relève pas d'une phase révolue du MPC mais au contraire de la phase de soumission réelle du travail au capital.

« Les banques créent, à l'échelle sociale, la forme, mais seulement la forme, d'une comptabilité et d'une répartition générales des moyens de production. » (Marx, Capital livre III, cité par Lénine dans "L'impérialisme : stade suprême du capitalisme", ES., p.48, http://www.marxists.org/francais/lenin/ works/1916/vlimperi/vlimp2.htm, cf. Marx, Pléiade, p.1280, t.2 dans une traduction différente)

 

C'est à l'aide de ce levier puissant qui se développe au sein même de la société capitaliste que le prolétariat pourra bouleverser les rapports de production actuels. Ce qui était déjà possible en 1875 et en 1914 est aujourd'hui encore plus facilité par le développement économique et technique.

S'il se trouvait à court d'arguments, Hembé pourrait toujours aller en puiser dans diverses poubelles. En l'occurrence dans "l’œuvre" de l’ex-stalinien Glucksmann reconverti récemment dans la philosophie-rackett, lui aussi grand découvreur de "contradictions" dans l’œuvre de Marx. (cf. -avec des pincettes- "Les maîtres penseurs")

7.         Valeur de marché et prix de production

7.1          Le passage de la valeur au prix de production.

Ricardo se rendait bien compte que, dans le MPC, les marchandises ne séchangent pas proportionnellement au temps de travail social moyen qu’elles contiennent. Si Smith en déduisait que la loi de la valeur n'avait de sens que dans les temps les plus récents, Ricardo lui, concluait qu'elle était valable à 93%. Marx va régler son compte à l'économie politique classique en montrant :

1°) que la loi de la valeur se réalise pleinement avec le MPC.

2°) que le capital tend à la nier, en se dévalorisant avec l'augmentation de la productivité du travail social, mais comme le capital a pour but son auto-valorisation maximum, il ne peut s'affranchir de la loi de la valeur. Le processus valorisation/dévalorisation est alors une contradiction insurmontable. Cette contradiction se présente sous l'aspect de la baisse tendancielle du taux de profit.

3°) qu'avec la phase de soumission réelle du travail au capital, les marchandises produits du capital ne sont plus vendues à leur valeur mais à un prix de production différent de cette valeur.

Dans le MPC, la valeur des marchandises est égale à c+v+pl où « c » représente le capital constant dépensé (matières premières, valeur des moyens de production usés, etc.), « v » le capital variable (salaires) et « pl » la plus-value, le surtravail extorqué à la classe ouvrière.

Ce que Marx appelle valeur de marché est une forme supérieure de la valeur d'échange. Nous avons vu que celle-ci pouvait s'exprimer en mettant en rapport deux marchandises quelconques. La valeur de marché, elle, est toujours exprimée en argent. Qui plus est, elle est une catégorie spécifique du MPC. La valeur de marché est la valeur réalisée, c'est-à-dire exprimée en argent;elle est donc égale à c+v+pl sous forme argent. Quant au prix de production, il est la forme modifiée de la valeur dans le MPC. Dans la phase de soumission formelle, les marchandises sont vendues à un prix de marché qui fluctue autour de la valeur de marché, tandis que dans la phase de soumission réelle le prix de marché fluctue autour du prix de production distinct de la valeur de marché. Avec le passage de la phase formelle à la phase réelle il y a conversion des valeurs de marché en prix de production. On passe d'urne forme de la valeur à une forme modifiée de la valeur. Toutefois, la loi de la valeur reste la base du mouvement général des prix de production, et sur le plan du capital total, il y a égalité entre la somme des valeurs et la somme des prix de production.

Pour nombre d'auteurs, le concept de valeur n'a qu'une signification théorique, et non historique. Pour eux, dans le MPC, les marchandises sont vendues à leur prix de production, lesquels diffèrent de la valeur même si celle-ci constitue la base de leur détermination. En fait, les marchandises ne se vendent à leur prix de production que dans la phase de soumission réelle du travail au capital. Dans la phase formelle, les marchandises se vendent à leur valeur de marché, par conséquent ce n'est pas seulement du point de vue théorique que le concept de valeur a un sens, comme l'affirment les trotskystes Valier et Salama, à la suite de Rosdolsky. Il ne s'agit nullement d'une erreur de Marx, mais de la juste conception du passage de la phase formelle à la phase réelle.

« L'échange de marchandises à leurs valeurs - ou approximativement à leurs valeurs – suppose, par conséquent, un stade moins avancé que l’échange aux prix de production, qui nécessite un niveau élevé du développement capitaliste.

De quelque manière que les prix des différentes marchandises soient fixés ou réglés initialement les uns par rapport aux autres, la loi de la valeur régit leur mouvement. Si le temps de travail nécessaire pour les produire diminue, les prix baissent; s’il s'accroît, les prix montent, toutes choses restant égales d'ailleurs.

Même sans tenir compte du fait que les prix et leur mouvement sont régis par la loi de la valeur, il est donc entièrement conforme à la réalité de reconnaître à la valeur des marchandises la priorité non seulement théorique, mais aussi historique, sur les prix de production. » (Marx, Capital, L. III, Pléiade, t.2, p.969 ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-III/kmcap3_09.htm dans une traduction différente) [xv]

Par conséquent, si le passage, la transformation des valeurs de marché en prix de production correspond au passage de la phase de soumission formelle à la phase de soumission réelle du travail au capital, il recoupe également la transformation de la plus-value en profit.

Dans la première phase, c'est le taux de plus-value qui joue un rôle prédominant (c'est-à-dire le rapport de la plus-value au capital variable pl/v) ; dans la phase de soumission réelle c'est le taux de profit (c'est-à-dire le rapport de la plus-value au capital total avancé (pl/c+v))[xvi] Bien entendu, même dans la phase formelle il existe un capital constant même si celui-ci est faible, ce n'est que dans l'exposition théorique que nous les distinguons. Cela montre aussi que si nous séparons les deux phases dans le processus d'exposition, celles-ci sont dialectiquement liées. Nous avons déjà montré (cf. N°2) qu'il ne faut parler que d'une prédominance qualitative d'un mode d'extraction de la plus-value par rapport à un autre. Par conséquent, lorsqu'on parle du taux de profit dans la phase formelle, il est assimilable au taux de plus-value, la part de 'v' dans le capital avancé étant prédominante ; comme seul le capital variable engendre une plus-value, le taux de profit est fort élevé dans cette phase. Il peut baisser sous l'influence d'une hausse des salaires, dans la mesure où une accumulation du capital rapide entraîne une réduction de la concurrence entre les travailleurs et limite la surpopulation. (Nous verrons en détail ces questions dans le N°5 consacré aux deux phases du MPC).

Dans la phase de soumission réelle, qui correspond au développement de la plus-value relative, il y a augmentation du rapport c/v et également du capital fixe. La contradiction valorisation/dévalorisation devient effective et se présente sous l'aspect de la baisse tendancielle du taux de profit dont l'un des facteurs de compensation réside dans la création d’une masse de plus-value plus importante. Le taux de profit est plus bas que dans la phase formelle et il tend à baisser avec le développement des forces productives et de la productivité du travail. Dans la phase de soumission réelle, le capital se constitue en totalité et n'a plus à lutter que contre ses propres contradictions (valorisation/dévalorisation)[xvii]. La baisse du taux de profit engendre la concurrence entre les capitaux.[xviii] et la péréquation des taux de profit entre les divers secteurs de la production capitaliste. C’est ainsi que désormais les marchandises vont être vendues à leur prix de production, c'est-à-dire coût de production égal au capital dépensé plus un profit tel que celui-ci, rapporté au capital avancé, soit égal au taux général de profit de la société.

7.2          Valeur de marché.

La valeur de marché, forme de la valeur, a deux acceptions.

1) Elle est égale à la valeur de la masse des marchandises produites dans la branche. Supposons que l'on ait produit dans diverses entreprises 1 000 unités d'une marchandise quelconque et qu'il faille 1 000 heures de travail abstrait pour reproduire cette marchandise. La valeur de marché exprimée en argent sera par exemple de 1 000 francs à supposer qu'1 heure de travail abstrait soit nécessaire pour reproduire la quantité d'or déterminant le franc.

2) Dans la branche, toutes les entreprises n'ont pas le même niveau de productivité, la valeur individuelle dans chaque entreprise diffère de la valeur sociale individuelle, de la valeur de marché individuelle qui résulte de la confrontation des diverses valeurs individuelles. La valeur de marché individuelle est donc la valeur sociale individuelle des marchandises produites dans la branche en faisant une moyenne pondérée suivant le poids des techniques utilisées pour les produire (bien entendu à condition que le travail soit du travail social). Dans l'exemple ci-dessus cette valeur de marché individuelle sera de 1 franc. Il y a dans la branche des producteurs dont la valeur individuelle est supérieure à cette valeur sociale, d'autres qui ont une valeur individuelle inférieure et dautres enfin qui ont une valeur égale ou approximativement égale à cette valeur sociale.

Il faut également tenir compte du besoin social et donc prendre en compte la valeur d'usage dans la mesure où celle-ci a une influence sur la détermination du besoin social.

« Pour qu'une marchandise soit vendue à sa valeur marchande, c'est-à-dire proportionnellement au travail socialement nécessaire qu’elle contient,  la quantité totale du travail social consacrée à la masse totale de cette espèce de marchandises doit correspondre à l'ampleur du besoin que la société en éprouve - bien entendu du besoin social solvable.» (Marx, Capital L.III, Pléiade, t.2, p.983 ou http:// marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-III/kmcap3_09.htm dans une traduction différente)

Nous avons déjà vu que les besoins étaient historiquement déterminés et qu'au sein d'une forme de production donnée, la demande solvable est fonction des rapports sociaux. Remarquons ici en passant que le "besoin social", ce qui règle le principe de la demande est essentiellement conditionné par les rapports des différentes classes entre elles et par leur position économique respective, donc d'abord par le rapport de la plus-value totale au salaire et ensuite par le rapport entre les diverses fractions en lesquelles se décompose la plus-value (profit, intérêt, rente foncière, impôts, etc.).

La valeur de marché constitue le centre autour duquel oscillent les prix de marché sous l'influence des variations de l'offre et de la demande. La valeur de marché ne fluctue pas avec la variation de l'offre et de la demande, comme le croit Rosdolsky ; l’influence de la valeur d'usage, qui permet la détermination du besoin social n'est pas immédiate, mais médiate. C'est-à-dire qu'une variation de l'offre et de la demande n'influence pas la valeur de marché dans la mesure où c'est à travers ces fluctuations qu'apparaît la valeur de marché, dans la mesure où la valeur de marché apparaît comme la loi des oscillations du prix de marché.

« Quand l'offre et la demande s'équilibrent, leur action cesse, et c'est précisément pourquoi la marchandise est vendue à sa valeur marchande. Quand deux forces s'exercent également en sens opposé, elles s'annulent et n'ont pas de répercussions à l’extérieur, et les phénomènes qui se produisent dans ces conditions doivent s'expliquer autrement que par l'intervention de ces deux forces. Si l'offre et la demande s'annulent réciproquement, elles cessent d'expliquer quoi que ce soit ; elles n'influent pas sur la valeur marchande et laissent plus que jamais cette question dans l'ombre : pourquoi la valeur marchande s’exprime-t-elle dans telle somme d'argent précisément et non dans telle autre? Les véritables lois internes de la production capitaliste ne peuvent évidemment pas être expliquées par l'interaction de l'offre et de la demande, car ces lois ne semblent se réaliser pleinement que lorsque l'offre et la demande cessent d'agir, c'est-à-dire quand elles coïncident. En fait, elles ne coïncident jamais ; ou bien, si cela se produit, c'est par hasard ; donc, du point de vue strictement scientifique, cette coïncidence doit être considérée comme nulle et non avenue. Mais, en économie politique, il est sous-entendu qu'elles coïncident. Pourquoi ? Afin de considérer les phénomènes dans leur forme normale, adéquate à leur concept, c'est-à-dire indépendamment des apparences produites par le mouvement de l'offre et de la demande. Mais aussi, pour découvrir et, dans une certaine mesure, fixer la tendance réelle de leur mouvement. Les disparités sont en effet de nature antagonique ; et, comme elles se succèdent constamment, elles se compensent par leurs mouvements divergents, par leur antagonisme même. Donc, bien que l’offre et la demande ne coïncident dans aucun cas particulier, leurs disparités se succèdent de telle sorte - un écart dans un certain sens ayant pour résultat un autre en sens contraire - que, pour l'ensemble d'une période plus ou moins longue, l’offre et la demande s'équilibrent constamment ; mais cet équilibre ne se réalise qu'en tant que moyenne du mouvement écoulé et comme mouvement continuel de leur antagonisme. De ce fait, les prix courants qui s'écartent des valeurs marchandes s'équilibrent — si l'on considère leur nombre moyen — et deviennent des valeurs marchandes, les écarts en plus ou en moins s'annulant en définitive. Et ce nombre n'a pas seulement une importance théorique ; il présente au contraire une importance pratique pour le capital dont l'investissement est calculé en fonction des fluctuations et des compensations sur une période plus ou moins déterminée.

Le rapport entre l'offre et la demande explique donc, d'une part, uniquement les écarts entre les prix de marché et les valeurs marchandes et, d'autre part, la tendance à annuler ces déviations, autrement dit à supprimer l'effet du jeu de l'offre et de la demande. » (Marx, Capital L.III, Pléiade, t.2, p. 980-8l ou http://marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-III/kmcap3_09.htm dans une traduction différente)

Il y a donc une différence conceptuelle entre prix de marché et valeur de marché. Dans l'interprétation que donne Rosdolsky, dans "La genèse du Capital de K. Marx", cette différence n'est pas bien mise en relief. C'est que, pour lui, toute variation de la demande solvable entraîne une variation de la valeur de marché. La demande pour la valeur d'usage a un effet immédiat et non plus médiat pour déterminer la valeur de marché. Derrière cette conception se cache l'idée que l'on peut maîtriser la valeur et son mouvement sans la détruire.

7.3          Valeur individuelle et valeur sociale.

Nous avons déjà vu que la valeur individuelle d'un groupe de producteurs peut être différente de la valeur sociale qui s'établit à la suite de la confrontation de ces diverses catégories de producteurs. On peut distinguer 3 catégories de producteurs qui se regroupent selon leur degré de productivité.

a) Ceux dont les conditions de production sont telles que la valeur individuelle (en temps de travail abstrait) de leurs marchandises est supérieure à la valeur sociale. Ceux-ci mettent donc plus de tempe à produire une marchandise que le temps de travail socialement nécessaire qu'exprimé la valeur de marché, bien que ces producteurs contribuent à déterminer ce temps de travail socialement nécessaire.

b) Ceux qui produisent des marchandises dont la valeur individuelle est égale ou approximativement égale à la valeur sociale.

c) Enfin ceux qui disposent des conditions de production les plus efficaces et dont les marchandises ont une valeur individuelle plus faible que la valeur sociale.

Les 3 catégories contribuent à déterminer la valeur de marché laquelle exprime sous forme argent le temps de travail socialement nécessaire pour produire les marchandises. Au lieu de voir que c'est la totalité des producteurs qui participe à l’établissement de la valeur sociale, laquelle est une moyenne, Rosdolsky estime que la valeur de marché dépend de la prédominance relative d'une classe de producteurs. En règle générale, nous dit-il, c'est la catégorie b) ; celle des producteurs dont les conditions de production sont moyennes. Mais il se peut qu'une autre catégorie de producteurs prédomine. Dans ce cas, c'est la valeur individuelle de cette catégorie de producteurs qui détermine la valeur de marché.

« C'est ainsi que se présente la détermination de la valeur de marché, si nous ne considérons que la masse des marchandises jetée sur le marché, en faisant abstraction de la possibilité d'une non-coïncidence de l'offre et de la demande.» (Rosdolsky, La genèse du « capital » chez Karl Marx, Maspéro,  p.135)

En effet, pour Rosdolsky, les conditions du marché vont bouleverser tout l’échafaudage établi dans la production. La détermination de la valeur de marché est modifiée lorsque l'offre et la demande ne coïncident pas.

a) Si l'offre est égale à la demande, la valeur de marché est égale à celle qui a été déterminée par la valeur individuelle de la catégorie de producteurs prédominante.

b) Si l'offre est supérieure à la demande, la valeur de marché baisse et donc s'aligne sur la classe de producteurs qui ont les conditions de production les plus efficaces, et donc la valeur individuelle la plus faible ; c'est à dire la catégorie c) que nous avons vu plus haut.

c) Si l'offre est inférieure à la demande, la valeur de marché monte et c'est alors la catégorie b) celle dont les conditions de production sont les plus défavorables qui règle la valeur de marché.

L'explication développée par Rosdolsky aboutit à nier la théorie de la valeur. La valeur de la marchandise ne serait plus égale au temps de travail social moyen nécessaire pour la reproduire mais dépendrait du libre jeu de l'offre et de la demande. On réintroduit par la bande la théorie vulgaire de la valeur selon laquelle la valeur résulte de la confrontation sur le marché de l'offre et de la demande. On introduit aussi la perspective d'une maîtrise de la loi de la valeur grâce à une "planification" de l'offre et de la demande. Le communisme ne serait plus alors la destruction de la valeur mais sa domination consciente (thèse révisionniste que nous avons déjà réfutée).

Marx a répondu par avance à Rosdolsky dans sa critique de A. Wagner objecte à la théorie de Marx qu'une baisse de la production de céréales due à une mauvaise récolte entraîne une hausse de prix et Wagner pense ainsi réfuter la théorie de Marx. Dans la conception de Rosdolsky il faudrait conclure que dans ce cas c'est la catégorie de producteurs qui produit avec les conditions de production les moins favorables qui règle la valeur de marché. Or Marx dit :

« (…) quand le prix du blé monte à la suite d'une mauvaise récolte, c'est d'abord la valeur de celle-ci qui croit, car une masse donnée de travail est réalisée en une moindre quantité de produits ; ensuite c'est son prix de vente qui croît bien davantage. En quoi cela concerne-t-il ma théorie de la valeur ?

C'est justement parce que le blé est vendu au-dessus de sa valeur que d'autres marchandises se vendent, en nature ou sous forme d'argent, en proportion, au-dessous de leur valeur, et cela même si leur propre prix ne baisse pas. S'il se traduit en monnaie par une somme plus grande — un accroissement de la somme de la "valeur d'échange" selon M. Wagner — le montant total de la valeur n'en reste pas moins identique. » (Marx, Notes sur Wagner, Pléiade, t.2, p.1536)

Après comme avant la mauvaise récolte, c'est toujours la totalité des producteurs qui détermine la valeur. Celle-ci, du point de vue de la récolte globale, demeure identique mais la valeur de marché individuelle augmente, étant donné qu'une moins grande quantité de valeurs d'usage a été produite. Toutefois, le prix de marché, étant donné la raréfaction de l'offre va monter au-dessus de la valeur de marché. Dans la version de Rosdolsky-Wagner, la valeur d'échange, la valeur de marché aurait augmenté, il n'y a pas de différence entre la valeur de marché et le prix de marché. La valeur de marché, forme de la valeur, ne subit pas toutes les fluctuations que Rosdolsky lui attribue. Pour Marx, c'est la totalité des producteurs qui détermine la valeur de marché. Chaque catégorie de producteurs crée du travail social, mais le travail social moyen ne résulte que de la confrontation des diverses catégories de producteurs. Par conséquent, il n'y a pas stricte correspondance entre la valeur individuelle créée et la valeur de marché. La valeur sociale individuelle, la valeur de marché individuelle, résulte donc de la moyenne des valeurs individuelles des marchandises produites par les diverses catégories de producteurs, pondérée selon la prédominance relative des techniques utilisées dans la production de celles-ci. C'est cette position que Marx défend aussi bien dans le livre III que le livre I du Capital[xix]et dans les "Notes sur Wagner".

Pour reprendre notre analyse sur la valeur de marché supposons par exemple 3 groupes de producteurs produisant respectivement 9, 10 et 11 unités d'une marchandise quelconque. Supposons encore que la valeur créée par chaque catégorie de producteurs soit égale à 10 heures de travail abstrait. La valeur de l'ensemble des marchandises (30 unités) est de 30 heures, et donc la valeur de chaque unité 1 heure. Si nous admettons que la valeur s'exprime en francs et que la valeur de marché de l'ensemble vaut 30 francs, la valeur de marché individuelle vaut 1 franc. Nous retrouvons ici les deux définitions qui ne font que recouper deux aspects d'une même réalité.

1) La. valeur de marché est égale à la valeur de l'ensemble des marchandises de la branche. Ici 30 francs.

2) La valeur de marché individuelle est la valeur sociale individuelle de la marchandise, soit ici 1 franc.

Si nous appelons V la valeur de marché définie dans le 1) et v la valeur de marché individuelle du 2), nous avons toujours l'égalité V = nv où n représente le nombre de marchandises.

Qu'adviendrait-il d'un producteur dont le travail individuel a une faible productivité par rapport à la moyenne ? Ce travail ne participerait pas à la détermination du temps de travail social moyen nécessaire. Ainsi, dans notre exemple ci-dessus, si nous ajoutons un autre groupe de producteurs qui ne produit en 10 heures qu'une seule unité, son travail n'est pas entièrement du travail abstrait et il ne participe pas à l'établissement de la valeur sociale de la marchandise. Aussi il ne recevra, s'il vend sa marchandise, que la somme de 1 franc, soit l'expression de 1 heure de travail abstrait.

« D'abord, ce qui importe, c'est dans quelle chose la force est introduite, et, deuxièmement, comment elle est introduite. Si notre quelqu'un fabrique un objet qui n'a aucune valeur d'usage pour autrui, toute sa force ne crée pas un atome de valeur ; et s'il s'obstine à fabriquer à la main un objet qu'une machine fabrique vingt fois moins cher, les 19/20è de la force qu'il y introduit ne produisent ni valeur en général, ni une grandeur particulière de valeur." (Engels, Anti-Dühring, ES, p.216)

Cela explique le rôle révolutionnaire du MPC. Celui-ci d'emblée suppose une forte hausse de la productivité du travail et les marchandises produites dans les conditions capitalistes peuvent concurrencer celles produites dans des conditions pré-capitalistes c'est-à-dire dépouillées de cette productivité.

Voyons maintenant la conception de Rosdolsky. Dans notre exemple qui illustre la thèse communiste, le concept de totalité est déterminant. La valeur de marché résulte de la participation de la totalité des producteurs dont le travail est entièrement du travail abstrait. Il est donc indifférent que les trois catégories de producteurs aient le même poids social, ce qui est le cas dans notre exemple, ou que l'une prédomine, car dans tous les cas, ce qui compte c'est le caractère abstrait du travail qu'ils fournissent. Par contre, pour Rosdolsky, c'est la partie qui détermine le tout. Tout l'aspect qualitatif de la détermination de la valeur n'est pas mis en évidence. C'est la catégorie prépondérante de producteurs qui règle la valeur et la valeur de marché.

1) Supposons que ce soit la catégorie de producteurs produisant avec les conditions de production les moins productives. Dans ce cas la valeur de marché sera de 10/9 = 1,11 F et la valeur de l'ensemble des marchandises 331/3 F représentant 33 1/3 heures de travail abstrait.

2) Si c'est la classe de producteurs dont les conditions techniques sont les plus efficaces, dans ce cas la valeur de marché est de 0,9 F pour une marchandise et 27 F pour la totalité des marchandises de la branche. Cette valeur de marché exprime 27 heures de travail abstrait soit trois heures de moins que la valeur réelle.

3) Si ce sont les producteurs qui produisent dans les conditions doyennes, la valeur de marché individuelle est de 1 F et la valeur de marché de 30 F. Nous trouvons la valeur de marché effective, mais c'est par pur hasard, puisque nous sommes dans le cas particulier où les producteurs produisant dans les conditions les moins productives équilibrent ceux produisant avec les conditions les plus efficaces. Sans cette compensation, nous n'aurions pas retrouvé la même valeur.

La valeur de marché telle que la définit Rosdolsky est sans cesse différente de la valeur réelle. Elle fluctue en fonction de la prédominance d'une catégorie de producteurs. Il suffirait de planifier l’offre, c'est-à-dire d'assurer à une catégorie de producteurs une influence relative plus grande que les autres pour que la valeur de marché soit déterminée par celle-ci. La loi de la valeur ne serait plus un processus social qui s'impose au producteur. Il serait possible de la maîtriser. A partir de là, le communisme pourrait utiliser la loi de la valeur, il ne devrait pas l'abolir. Bref, la conception de Rosdolsky aboutit à nier la théorie communiste de la valeur, à renoncer à la destruction du MPC. Le temps de travail moyen socialement nécessaire devient désormais un concept fluctuant au gré de l'offre et, nous allons le voir, au gré de la demande.

En effet, quelle que soit la catégorie de producteurs qui règle la valeur de marché, ce processus est remis en cause suivant l'intensité de la demande. Si, par exemple, c'est la classe de producteurs ayant les meilleures conditions de production, elle ne détermine la valeur de marché que si la demande est égale à l'offre. Si la demande est plus grande, suivant l'intensité de cette demande, ce seront les producteurs ayant les conditions techniques moyennes ou inférieures qui vont déterminer la valeur de marché. Ici, la valeur n'est pas déterminée par le temps de travail social moyen nécessaire à la reproduction de la marchandise, mais par le jeu de l'offre et de la demande. Si l'intensité de la demande est encore plus forte et que la valeur individuelle des producteurs produisant dans les plus mauvaises conditions est plus basse que le prix de vente, Rosdolsky fait alors intervenir le concept de prix de marché. Celui-ci, n'intervient que dans les cas extrêmes. Lorsque le prix de vente est supérieur à la valeur individuelle des producteurs produisant dans les conditions les plus mauvaises ou lorsque le prix de vente est inférieur à la valeur individuelle des marchandises produites dans les meilleures conditions. La différence conceptuelle et donc qualitative entre prix de marché et valeur de marché n'est absolument pas mise en relief. Le prix de marché se "déclenche" lorsque les variations de la valeur de marché prennent trop d'amplitude, mais même dans ce cas, il est à la limite toujours possible de trouver un producteur dont les conditions techniques pourraient déterminer la valeur de marché. Par exemple, le producteur dont nous avons vu tout à l'heure qu'il ne participait pas à la détermination de la valeur car le temps employé pour la production de la marchandise était dépourvu de la productivité et de l'intensité qui, par rapport aux conditions données, étaient normales. Si la demande augmentait suffisamment, le travail de ce producteur pourrait alors selon Rosdolsky devenir du travail social et même déterminer le temps de travail social. La différence entre prix de marché et valeur de marché se révèle alors parfaitement inutile. En fait, Rosdolsky ne peut introduire le concept de prix de marché que rien ne différencie de la valeur de marché, telle qu'il l'a définie. S'il admet ce concept, c'est uniquement pour que son analyse ait un semblant de cohérence avec l'analyse de Marx. Il doit faire correspondre les concepts de Marx tels qu'ils sont développés dans toute son œuvre avec une conception subjective de la valeur, car la valeur est déterminée par l'offre et la demande et, en conséquence, il n'existe pas de différence entre valeur de marché et valeur.

En définitive, dans l'analyse de Rosdolsky, le prix de vente de la marchandise exprime toujours la valeur de la marchandise. L'on retrouve les conceptions de l'économie politique, et la confusion entre la valeur et ses formes.

Il nous reste à voir les conséquences d'une modification du "besoin social", ce qui se traduit par une modification durable de la demande solvable, sur la valeur de marché. Nous avons vu que pour un "besoin social" déterminé, le prix de marché oscillait autour de la valeur de marché, laquelle exprimait la valeur égale au temps de travail moyen socialement nécessaire à la reproduction de la marchandise[xx]. Si un travail était dépouillé des conditions de productivité et d'intensité correspondant à la norme sociale, il ne participerait pas à la détermination de la valeur. Mais, supposons maintenant une baisse durable et importante du prix de marché, laquelle traduit une baisse de la demande et donc une modification du "besoin social". Dans ce cas, une partie du temps de travail social est dépensée en pure perte :

« Supposons (...) que chaque morceau de toile qui se trouve sur le marché n'ait coûté que le temps de travail socialement nécessaire. Néanmoins, la somme totale de ces morceaux peut représenter du travail dépensé en pure perte. Si l'estomac du marché ne peut absorber toute la toile au prix normal de 2 sh. par mètre, cela prouve qu'une trop grande partie du travail social a été dépensée sous forme de tissage. L'effet est le même si chaque tisserand en particulier avait employé pour son propre produit individuel plus que le travail nécessaire socialement. » (Marx, Capital, L.I, Pléiade, t.1, p.646 ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-3-2.htm)

Dans ce cas, une partie du travail social va quitter la branche diminuant l'offre. La valeur de marché qui s'établit à la suite du départ du capital dépend du type de capital qui a quitté la branche. La valeur de marché, par exemple, baissera et tendra à s'aligner sur le prix de marché si le départ du capital se traduit par l'élimination des entreprises produisant dans les conditions les plus mauvaises.

7.4          Le prix de production.

Le capital est un être en devenir. Il devient conforme à son être avec la phase de soumission réelle du travail au capital. Le capital se constitue alors en totalité. Il tend à englober la loi de la valeur dans ses moments particuliers tout en y étant soumis dans sa totalité. Il tend à nier la loi de la valeur en dévalorisant les marchandises, mais il ne peut s'affranchir de celle-ci dans la mesure où le but de la production capitaliste est toujours l'auto-valorisation maximum du capital. Cette contradiction se présente sous l'aspect de la baisse tendancielle du taux de profit. Si la valeur de marché résulte de la concurrence entre les producteurs d'une même espèce de marchandise, le prix de production va résulter, lui, de la concurrence entre les capitaux investis dans les différentes branches de production. Dans la phase de soumission formelle du travail au capital, les marchandises sont vendues à leur valeur de marché. Avec la phase de soumission réelle, le capital généralise la concurrence, de même qu'il généralise le monopole. La baisse du taux de profit engendre la concurrence entre les capitaux si bien que la valeur de marché se transforme en prix de production. Nous avons déjà dit que, du point de vue méthodologique, le niveau d'abstraction auquel se situe le prix de production est le même que celui de la valeur de marché. Ce prix de production est spécifique au MPC. Il est spécifique de sa phase de soumission réelle.

Le prix de production s'établit à la suite de l'égalisation des taux de profit entre les diverses branches de production. La masse des marchandises est alors égale au coût de production plus le profit moyen calculé selon le montant du capital avancé dans chaque branche. Dans la phase de soumission réelle, il y a donc transformation des valeurs de marché en prix de production. De même que la valeur de marché est une forme de la valeur, le prix de production est une forme modifiée de la valeur. Marx appelle cette forme de la valeur "prix de production" car "à la longue il est la condition de l'offre, de la reproduction de la marchandise de chaque sphère de production particulière". Marx précise d'ailleurs que son concept de prix de production correspond au "prix naturel" d'A. Smith, au "prix de production" de Ricardo, et au "prix nécessaire" des physiocrates. Nous avons là une nouvelle preuve du fait que la demande n'intervient pas immédiatement dans la détermination du prix de production et de la valeur de marché, et que d'autre part, valeur de marché et prix de production ont le même niveau d'abstraction, qu'ils sont tous les deux exprimés en argent et qu'ils constituent le centre autour duquel gravite le prix de marché, le "prix courant" de Smith et Ricardo[xxi]

Les prix de production ne sont donc pas égaux au temps de travail social moyen nécessaire et donc ne sont pas sur le même plan que la valeur, ce qui explique qu'on les définisse comme "forme modifiée de la valeur". On peut s'étonner de l'opposition formelle entre valeur de marché et prix de production, les termes de "marché" dans l'un et de "production" dans l'autre pouvant faire penser que ces concepts ne sont pas homogènes, qu'ils ne se situent pas sur le même plan. Marx en a apparemment eu conscience, c'est entre autres pour cela qu'il précise que son concept de prix de production correspond au prix naturel dA. Smith, mais il prolonge par endroits le concept de "prix de production" en "prix de production de marché"[xxii]. Quant à employer le concept de "valeur de production" cela aurait pu créer des confusions avec la valeur. Autrement dit, on pourrait dire que le passage de la valeur de marché au prix de production peut tout aussi bien s'intituler "transformation de la valeur de production de marché en prix de production de marché". Dans la phase de soumission formelle les marchandises se vendent à un prix de marché qui gravite autour de la valeur de production de marché, tandis que dans la phase de soumission réelle, le prix de marché tourne autour du prix de production de marché.

Prix de production et prix de production de marché signifient la même chose. Il ne s'agit pas d'un nouveau concept comme l'écrit P. Salama. Ce qui a été dit pour la valeur de marché est aussi valable pour le prix de production (sous certaines conditions). Tout d'abord, il est possible de distinguer le prix de production au niveau de la branche et le prix de production individuel ou prix de production régulateur, qui est l'équivalent de la valeur de marché individuelle.

Il y a donc dans la branche des entreprises dont le prix de production individuel est inférieur au prix de production régulateur du prix de marché, et ces entreprises obtiennent un surprofit. D'autres, par contre, ont un prix de production individuel supérieur au prix de production régulateur et ces entreprises touchent un profit inférieur au profit moyen.

Toutefois, la pleine réalisation de l'être du capital dans la phase de soumission réelle entraîne certaines modifications suivant les branches dans lesquelles s'investit le capital. D'une part, le prix de production s'écarte de la valeur des marchandises, mais sur le plan du capital total, la somme des valeurs est égale à la somme des prix de production. D'autre part, si la somme des prix de production individuels est bien égale au prix de production de la branche, le prix de production régulateur multiplié par la quantité de marchandises donne une somme qui peut être différente des prix de production (branche). Cette somme, Marx l'appelle comme dans le cas précédent valeur de marché, mais elle ne correspond pas tout à fait à l'un des aspects précédemment analysés, car ici il y a eu égalisation des taux de profit.

Si, dans l’industrie, prix de production et valeur de marché (dans le nouveau sens que nous venons de lui donner c'est-à-dire nombre de marchandises x prix de production régulateur) coïncident, il n'en va pas de même dans l'agriculture.

8.         Taux de profit et prix de production.

8.1          Taux général de profit, branche et taux de profit moyen.

Si le prix de marché s'élève au-dessus du prix de production régulateur, la branche obtient des surprofits. Ceux-ci vont attirer dans la branche de nouveaux capitaux. A terme, le taux de profit retombera au niveau normal.

Une autre possibilité est que les prix augmentent dans les autres branches, entraînant ainsi l'égalisation des taux de profit, mais, dans ce cas, nous aurons une hausse générale des prix.

Si le rapport de la plus-value totale au capital total détermine le taux de profit général (pl/c+v) il n'y a aucune raison pour que, dans chaque branche, les taux de profit soient identiques. Les taux de profit varient - pour un taux d'exploitation identique - en fonction de trois facteurs :

a) le rapport entre capital constant et capital variable.

b) le rapport entre capital fixe et capital circulant

c) le rapport entre la période de production et la période de travail.

Dans chaque branche, en raison des conditions techniques différentes, des taux de profit différents tendent à s'établir, mais la baisse du taux de profit général entraîne une concurrence entre les capitaux et l'égalisation des taux de profit de manière à ce que chaque branche obtienne un taux de profit moyen conforme au taux général de profit.

Ici, même s'ils sont distingués du point de vue méthodologique, le taux de profit général et le taux général de profit sont supposés identiques. Nous appelons taux de profit général le rapport de la plus-value totale au capital avancé total.

Nous appelons taux général de profit le taux de profit qui s'établit à la suite de la concurrence des capitaux entraînée par la baisse du taux de profit général. Aussi, chaque branche obtient un taux de profit moyen conforme au taux général de profit. Il est égal au profit d'entreprise plus l'intérêt rapporté au capital avancé. Il exclut donc la rente et si nous faisions intervenir l'Etat, il serait nécessaire d'ôter le montant des impôts payés par le capitaliste. De plus, sous l'effet de conditions particulières (par exemple, la propriété foncière) certains secteurs ne participeront pas à la détermination du taux général de profit, mais ils auront une influence sur le taux de profit général.

Prenons un exemple qui illustre la transformation des valeurs de marché en prix de production. Nous ne tiendrons compte ici que de l'influence qu'a sur la baisse du taux de profit la différence entre le capital constant et le capital variable. Par conséquent, le rapport entre capital fixe et capital circulant est le même dans chaque branche, de même que celui entre période de production et période de travail. Dans chaque branche, nous supposons un taux de plus-value identique, ici égal à 100%.

Supposons 5 branches de production dans lesquelles le capital avancé se répartit comme suit :

 

 

 

 

Capital Avancé

Valeur des marchandises

Valeur totale

I

95 c +  5 v

38 c +    5 v +  5 pl

= 48

II

90 c + 10 v

36 c + 10 v + 10 pl

= 56

III

85 c + 15 v

34 c + 15 v + 15 pl

= 64

IV

80 c + 20 v

32 c + 20 v + 20 pl

= 72

V

75 c + 25 v

30 c + 25 v + 25 pl

= 80

 

Dans chaque secteur, le capital avancé est de 100 francs. Il se décompose en capital constant et capital variable, de telle manière que dans chaque secteur, nous ayons une composition organique (c/v) différente. Elle s'élève, par exemple, à 9 dans le secteur II (90/10) et à 4 (80/20) dans le secteur IV.

C'est uniquement de l'usage de la force de travail prolétarienne que naît la plus-value. La force de travail a la propriété de créer une valeur plus grande que sa propre valeur, mais elle a aussi le privilège de conserver la valeur du capital constant, c'est-à-dire la valeur incorporée dans les moyens de production, matières premières, etc.

Dans le procès de production, cette valeur est transmise au produit. Toutefois, une partie du capital constant, sa partie fixe, n'incorpore sa valeur au produit que par fractions, au cours du procès de production. Il est nécessaire de recommencer celui-ci plusieurs fois pour qu'il transmette l'intégralité de sa valeur. Ainsi tel bâtiment, telle machine va pouvoir être utilisé plusieurs années et donc sa valeur ne sera transmise au produit que par fractions. Cela explique la différence entre capital avancé et capital dépensé. Il est nécessaire d'avancer la totalité du capital, car il faut, par exemple, acheter une machine. Mais seule une partie de la valeur de celle-ci se retrouve dans la marchandise dont le capital dépensé est plus faible que le capital avancé. Enfin, à ce capital dépensé vient s'ajouter la plus-value et leur somme forme la valeur des marchandises.

Le taux de profit général de la société est de 75/500 soit 15%, c'est-à-dire le rapport de la somme de la plus-value créée dans les 5 secteurs (=75), au capital total avancé dans les 5 secteurs (=500).

Sous l'influence de la concurrence entre les capitaux, laquelle est engendrée par la baisse du taux de profit, la valeur de marché se convertit en prix de production. Désormais, les marchandises vont être vendues à un prix de production différent de la valeur de marché, lequel prix est égal au coût de production, c'est-à-dire le capital dépensé (38 + 5 = 43) dans la branche I, 36 + 10 = 46 dans la branche II, etc.) plus un profit moyen tel que le taux de profit de la branche soit égal au taux général de profit. Donc il se calcule sur le capital avancé (100 dans chaque branche).

Les marchandises auront tendance à se vendre à un prix de production tel que :

 

 

Capital Avancé

Capital Dépensé

Prix de production

I

95 c +  5 v

38 c +  5 v

38 c +   5 v + 15 pl = 58

II

90 c + 10 v

36 c + 10 v

36 c + 10 v + 15 pl = 61

III

85 c + 15 v

34 c + 15 v

34 c + 15 v + 15 pl = 64

IV

80 c + 20 v

32 c + 20 v

32 c + 20 v + 15 pl = 67

V

75 c + 25 v

30 c + 25 v

30 c + 25 v + 15 pl = 70

 

Le tableau ci-dessus ne fait qu'illustrer les modifications qu'impose le passage à la phase de soumission réelle du travail au capital. Le prix de marché des marchandises d'une branche particulière tend désormais à graviter autour du prix de production, lequel peut différer notablement de la valeur de marché.

Désormais dans chaque branche, nous obtenons un taux de profit de 15%. La force de travail n'apparaît plus comme la seule source de la plus-value. Dans le premier tableau, la plus-value est proportionnelle au capital variable avancé. Le taux de plus-value qui apparaît dans chaque branche est le réel taux d'exploitation de la classe ouvrière. Avec le passage aux prix de production, le capital dans sa totalité paraît source de valeur. Même dans les branches où le capital constant est élevé, la masse de plus-value est la même que dans celles où le capital variable prédomine. Il s'ensuit une mystification nouvelle : le capital paraît créer la valeur.

8.2          La péréquation des taux de profit.

La péréquation du taux de profit est source de nombreuses confusions et révisions. Tout d'abord, les staliniens et tous les théoriciens qui font du monopole un fait nouveau que Marx n'aurait pas prévu, affirment que cette tendance est contradictoire avec l'existence de monopoles. En fait, comme nous l'avons déjà dit, l'établissement d'un taux de profit moyen concerne la branche de production (cela va même au-delà, comme nous le verrons plus tard, dans la branche nous considérons surtout l'aspect technique du procès de production, alors que l'aspect social est moins souligné), et l'interaction du capital total et des capitaux dans leur diversité.

L'égalisation des taux de profit n'est nullement en contradiction avec l'existence de surprofits pour certaines entreprises. Bien au contraire, c'est avec la phase de soumission réelle que se manifeste à la fois cette tendance à l’égalisation, et les conditions les plus favorables à l'obtention de surprofits. Il faut enfin préciser les hypothèses théoriques qui permettent d'établir les tableaux ci-dessus. D'une part, il est supposé un même taux de plus-value dans les branches, c'est-à-dire que si la durée de la journée de travail est identique, la productivité et l'intensité du travail sont supposées les mêmes dans chaque branche. Il n'y a donc pas ici de branches qui auraient des conditions de production plus favorisées, lesquelles seraient symbolisées par une composition organique (c/v) plus élevée, opposées à des branches retardataires dont la composition organique serait basse, le transfert de plus-value d'une branche vers l'autre traduisant la domination des branches les plus dynamiques; les différences de composition organique ne reflètent en fait ici que des différences technologiques.

La valeur de la force de travail est supposée la même dans chaque branche. Cela est logique car la valeur de la force de travail est déterminée socialement, mais cela n'est aussi qu'une tendance et Marx montre que certaines circonstances peuvent influencer la valeur de celle-ci dans certaines branches (cf. lois de domiciliation en Angleterre pour les journaliers agricoles).

Une autre erreur est souvent commise en ce qui concerne le rôle des mouvements de capitaux dans l'égalisation des taux de profit. Celle-ci, pour les économistes bourgeois affublés de la barbe de Marx, serait provoquée par le passage des capitaux d'une branche à l’autre, c'est-à-dire des branches ayant le plus faible taux de profit (donc celles à faible composition organique), vers les branches à fort taux de profit (celles où la partie variable du capital prédomine).

En fait, dans l'analyse communiste, au niveau d'abstraction que nous avons défini, c'est le simple choc, l’affrontement de capitaux nombreux entrant en concurrence, leur pression et interaction mutuelle qui entraîne l'égalisation des taux de profit. Dans le tableau que nous avons exposé, il n'y a pas de transfert de capitaux des branches ayant le plus bas taux de profit (I et II) vers celles ayant le plus fort taux de profit (IV et V). En définitive cette conception bourgeoise envisage l'égalisation des taux de profit moyen comme un processus qui entraînerait l'établissement d'une composition organique dans chaque branche.

Quant aux trotskistes comme Salama qui refusent, à juste titre, une telle conception du transfert des capitaux d'une branche à l’autre, c'est pour retomber dans l'erreur dénoncée plus haut, à savoir que les différences entre les compositions organiques recouperaient des écarts de productivité entre les branches. Aussi trouvent-ils illogiques les processus de transfert qui voient le capital venir des branches les plus favorisées vers les branches les plus retardataires. Si effectivement, c'est le processus inverse qui se passe, c'est parce que les branches les plus favorisées obtiennent des surprofits, c'est-à-dire que le prix de marché monte au-dessus du prix de production. Les transferts de capitaux ne se font donc que sur la base d'une égalisation des taux de profit déjà existante. Il y a alors transfert de capital et cela est d'autant plus facilité qu'est développé le système de crédit, lui aussi caractéristique de la phase de soumission réelle.

Il est également ridicule, et cela témoigne d'une totale incompréhension de la théorie de la valeur, que d'envisager une péréquation des taux de profit à l'échelle internationale comme le font Grossmann, Mattick, le CWO (Communiste Workers Organisation) et autres Emmanuel.[xxiii]

Il y a entre les diverses nations des différences de productivité et d'intensité du travail qui se traduisent par des taux de plus-value et de profit différents. Par conséquent :

 « Dans son application internationale, la loi de la valeur est encore plus profondément modifiée, parce que sur le marché universel le travail national plus productif compte aussi comme travail plus intense (…) » (Marx, Capital, L.I, Pléiade, t.1, p.1060 ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/ Capital-I/kmcapI-22.htm)

Plus la force productive du travail est grande, plus le mode de production capitaliste est développé, et donc plus le taux de plus-value est élevé. Les valeurs relatives des monnaies sont différentes suivant les pays, selon leur degré de développement capitaliste. Cela entraîne donc des différences dans l'application de la loi de la valeur à l'échelle internationale (cf. RIMC n°14). Chaque pays forme un moment du tout mondial et la loi de la valeur ne se manifeste parfaitement qu'avec l'apparition du marché mondial et donc du commerce extérieur.

« Si le surtravail ou la plus-value ne se présentait que dans le surproduit national, l’accroissement de la valeur par amour de la valeur, et ainsi l’extorsion du surtravail se heurterait aux bornes imposées par l’éventail étroit des valeurs d’usage qui représenteraient la valeur du travail national. C’est le commerce extérieur qui développe la vraie nature de ce surproduit en tant que valeur à partir du moment où il fait du travail que le surproduit contient du travail social se présentant sous la forme d’une série illimitée de valeurs d’usage différentes, et donne en fait un sens à la richesse abstraite. (…)

Or, c’est seulement le commerce extérieur, la transformation du marché en marché mondial, qui mue l’argent en argent mondial et le travail abstrait en travail social. La richesse abstraite, la valeur, l’argent donc le travail abstrait, se développent dans la mesure où le travail concret évolue dans le sens d’une totalité des différents modes de travail qui englobe le marché mondial. La production capitaliste est basée sur la valeur, c’est-à-dire sur le développement comme travail social du travail contenu dans le produit. Mais cela n’a lieu que sur base du commerce extérieur et du marché mondial. C’est donc aussi bien la condition que le résultat de la production capitaliste. » (Marx, Théorie sur la plus-value, t.3, p.297, Editions sociales)

Il est donc erroné de penser comme les léninistes que le MPC peut dans sa phase de subordination réelle exister sans commerce extérieur. Chaque pays est un moment d'une totalité mondiale au sein de laquelle seulement le travail abstrait peut devenir du travail social. Le CWO, à la suite de Mattick, reprend les mêmes positions ricardiennes que Lénine. Ils refont la même erreur et ne comprennent pas un mot de la théorie de la valeur (tout comme leurs adversaires du CCI, ce qui nous vaut, par exemple, sur la théorie des crises, de lamentables débats où la fausseté des arguments ne cède le pas qu'à l'inanité de la méthode ; ces deux courants ne font que rééditer un débat séculaire, déjà parvenu à son apogée avec l'opposition Ricardo/Sismondi, mais qui appartient à l'économie politique - donc en tant que tel combattu victorieusement par Marx -, et qu'il est affligeant de voir reprendre par ceux qui se réclament du communisme).

Le CWO retombe dans les errements ricardiens et, en conséquence, ils ne voient que l'aspect quantitatif du problème de l'égalisation des taux de profit, ce qui les amène à concevoir son action à l'échelle de plusieurs pays et donc à ignorer complètement ce qu'est le travail abstrait et son expression. Aussi négligent-ils complètement entre autres, la "fonction universelle" parmi les "fonctions de la monnaie" dont Marx dit que :

« C'est sur le marché du monde et là seulement que la monnaie fonctionne dans toute la force du terme, comme la marchandise dont la forme naturelle est en même temps l'incarnation sociale du travail humain en général. Sa manière d'être y devient adéquate à son idée. » (Marx, Capital, L.I, Pléiade, t.1, p.687 ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-3-3.htm)

Si, à la différence du CCI, le CWO essaye au moins d'entreprendre un effort théorique, c'est pour recopier les manuels bourgeois d'économie politique et nous servir les fadaises de la bourgeoisie sous un vocable "marxiste".

8.3          Plus-value absolue et prix de production.

Nous avons maintes et maintes fois répété que la production de plus-value absolue et la production de plus-value relative ne pouvaient pas être séparées, ce qui exclut une séparation rigide et non dialectique des deux phases du MPC. Il nous faut donc envisager la formation des prix de production, dans le cas d'une production de plus-value absolue, ou plus exactement les relations dialectiques entre le couple valeur de marché/ plus-value absolue, et le couple prix de production/plus-value relative.

Si, dans la phase formelle, caractérisée par la production de plus-value absolue, les marchandises se vendent à leur valeur de marché, et si dans la phase réelle, caractérisée par la production de plus-value relative, les marchandises se vendent à leur prix de production, il faut envisager également leur interdépendance.

Soient trois branches de production :

 

 

 

 

Capital Avancé

Valeur des marchandises

I

90 c + 10 v

18 c + 10 v + 10 pl = 38

II

80 c + 20 v

16 c + 20 v + 20 pl = 56

III

70 c + 30 v

14 c + 30 v + 40 pl = 84

 

Lorsque le taux de plus-value est différent sous l'effet d'une longueur de la journée de travail plus grande dans une branche que dans une autre la plus-value absolue produite dans la branche demeure entre les mains des capitalistes qui l'ont extorquée.

Lorsque l'égalisation du taux de profit intervient, on obtient :

 

Capital Avancé

Prix de production

I

90 c + 10 v

18 c + 10 v + 20 pl = 48

II

80 c + 20 v

16 c + 20 v + 20 pl = 56

III

70 c + 30 v

14 c + 30 v + 30 pl = 74

 

Avec l'égalisation du taux de profit, chaque branche obtient un profit moyen de 20%. Notons la différence qui existe ici entre le taux de profit général qui est de 70/300 soit env. 23%, et le taux de profit moyen, conforme au taux général de profit, qui est ici de 20%. La plus-value supplémentaire de 10 obtenue dans la branche 3 grâce à l'allongement de la journée de travail (par rapport à une journée de travail normale dans les autres branches) reste entre les mains des capitalistes de cette branche. Ceux-ci obtiennent donc un surprofit et leur taux de profit se monte à 30% [xxiv].

Comme nous l'avons déjà vu, dans la phase de soumission réelle, caractérisée par la plus-value absolue, la tendance à l'égalisation des taux de profit n'intervient pas, elle se manifeste avec la phase de soumission réelle, avec le passage du taux de plus-value au taux de profit, et à la baisse de celui-ci. Il est à noter pour revenir une dernière fois sur le CWO que Ricardo aussi pensait qu'avec le développement de l'accumulation capitaliste, le taux de profit tendrait à baisser pour engendrer non pas des crises catastrophiques, comme le démontre le programme communiste, mais un état stationnaire, ce qui est conforme à sa théorie de la valeur. C'est la même conception de fond qui préside dans le CWO où le taux de profit entraîne l’essoufflement du MPC et provoque sa "décadence". Bien loin de constituer un progrès du mouvement révolutionnaire, comme l'écrit, en se donnant un brevet de satisfaction C. Ward, dans la "Revue Internationale" du CCI (N°13), le fait que le débat entre le CWO et le CCI ne se fasse pas sur l'existence même de la décadence et sur ce concept, mais sur les causes de celle-ci est le signe de l'énorme effort qui doit être accompli pour se débarrasser des scories réformistes qui hantent les quelques groupes qui ont quelque chose à voir avec le communisme.

8.4          Facteurs de l'égalisation du taux de profit.

Marx expose parfaitement les conditions qui favorisent l'égalisation des taux de profit. Celle-ci étant caractéristique du mode de production capitaliste à son plus haut niveau de développement, elle sera d'autant plus facilement réalisable que la soumission réelle du travail au capital sera plus profonde.

« L'égalisation continuelle des disparités incessantes s'accomplit d'autant plus vite que : 1°) le capital est plus mobile, donc plus facile à transférer d'un secteur ou d'un endroit à l'autre ; 2°) la force de travail peut être transférée plus rapidement d'un secteur à l'autre, d'un point à un autre de la production. La première condition suppose une liberté totale de commerce à l'intérieur de la société et la suppression des monopoles autres que naturels, à savoir ceux qui résultent du mode de production capitaliste lui-même. En outre, elle suppose le développement du système de crédit qui, en face des capitalistes individuels, concentre la masse inorganique du capital social disponible. Enfin, elle implique la subordination aux capitalistes des différents secteurs de la production. Cette condition est déjà incluse dans notre hypothèse, puisque nous avons supposé que la conversion des valeurs en prix de production concerne tous les secteurs de la production exploités selon le mode capitaliste. Mais cette égalisation elle-même se heurte à de plus grands obstacles quand de nombreux et très importants secteurs de la production non soumis à l'exploitation capitaliste (comme par exemple la petite production agricole), s'intercalent entre les entreprises capitalistes et s'y imbriquent. Enfin, elle suppose une grande densité de la population. La seconde condition implique l'abrogation de toutes les lois qui interdisent aux ouvriers de passer d'un secteur de production à l'autre, d'un centre de production à n'importe quel autre ; l’indifférence de l'ouvrier à l'égard de la nature de son travail ; la réduction, poussée le plus loin possible, du travail à du travail simple, dans tous les domaines de la production [Notons que ceci est tout aussi valable dans le cas d'une branche qui se distinguerait non pas par une journée de travail plus longue, mais par une intensité plus grande du travail, NDR] ; l’abandon, par les travailleurs, de tous les préjugés de vocation professionnelle ; enfin et surtout la soumission du travailleur au mode de production capitaliste. » (Marx, Capital, L.III, Pléiade, t. 2, p. 987-988 ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-III/kmcap3_09.htm#NoteRef 13)

L'accumulation du capital entraîne à la fois cette égalisation puisque les capitaux s'investissent plus particulièrement dans des branches où le taux de profit est plus élevé que le profit moyen. Mais, en même temps, elle recrée des différences de taux de profit sous l'effet des modifications qu'elle peut entraîner, à la fois, dans le taux de profit général et les taux de profit particuliers des branches (variations du taux de plus-value, de la rotation du capital, progrès technique, etc.)

Jusque là, nous n'avons mis en évidence que les caractéristiques techniques de la branche. Pris à la lettre, cela ne peut donner encore qu'une image déformée du processus d’égalisation. En effet, dans chaque branche, le processus technologique est différent, mais également les masses de capitaux nécessaires à ce procès. Or, nous avons vu dans le tableau que les masses de capitaux qui s'affrontaient étaient égales.

L'égalisation exige donc une concentration et une centralisation des capitaux qui, par-delà plusieurs branches de production (du point de vue technologique), s'affrontent sous l'effet de la concurrence, elle-même produite par la baisse du taux de profit général. Là encore, nous voyons que l'apparition de la concentration, de la centralisation, du monopole, n'est pas antagonique avec l'égalisation des taux de profit ; elle la présuppose, au contraire.

Il est alors absurde de se livrer, comme le font les économistes, à un travail statistique, qui, indépendamment même de leurs erreurs sur les concepts et de certaines approximations pensent en tirer des arguments anti-communistes en arguant que la tendance à l'égalisation des taux de profit ne se vérifie  pas. Or, d'une part, d'une branche à l'autre, la productivité, l'intensité, la durée, la qualification etc. du travail ne sont pas les mêmes et, d'autre part, il faut également tenir compte du développement de la soumission réelle du travail au capital dans chaque branche, et donc des facteurs qui gênent l'égalisation (cf. le passage de Marx cité plus haut – Pléiade, t.2, p.987). Il faut également étudier le mouvement des prix sur plusieurs années pour éliminer les fluctuations. De même, il faut tenir compte de l'accumulation du capital et des causes qui à la fois égalisent et recréent des différences entre les taux de profit. Enfin, même si l'on calcule le taux de profit dans une branche (donc, en fonction du caractère technique de la production d'un type de marchandises), il ne faut pas oublier le caractère social de la concentration et de la centralisation du capital, ce qui d'emblée dépasse le cadre de la branche.

Mais, bien sûr, il n'est pas donné à l'économie politique de dépasser l'horizon dans lequel se complaît le capitaliste. La péréquation du taux de profit et les transferts de plus-value qu'elle entraîne, implique que la mystification propre au MPC augmente. La base du MPC, l’exploitation de la force de travail est obscurcie, dans la mesure où le capital apparaît comme source de valeur. La plus-value ne parait plus reliée à l'exploitation du travail vivant. (A la limite, une branche qui n'emploierait que du capital constant obtiendrait un profit moyen comme toutes les autres branches).

Avec la phase de soumission réelle, le MPC se constitue en totalité, au sein de laquelle classe capitaliste et classe ouvrière s'affrontent en tant que totalités antagoniques. C'est désormais le capital mondial qui affronte le prolétariat mondial, l’ensemble de la classe capitaliste qui affronte l'ensemble de la classe ouvrière. Chaque capitaliste, comme l'ensemble des capitalistes est intéressé, non seulement à l'exploitation de ses ouvriers, mais encore à celle de l'ensemble des ouvriers.

Chaque capitaliste ou chaque groupe de capitalistes entre en concurrence avec les autres pour obtenir une plus-value extra, mais tous se coalisent contre la classe ouvrière pour lui extorquer le maximum de plus-value. Voilà pourquoi les capitalistes, tout en se comportant en faux-frères lorsqu'ils se font concurrence, forment cependant une véritable franc-maçonnerie en face de l'ensemble de la classe ouvrière.

8.5          Egalisation du taux de profit et exploitation de la force de travail.

Si la tendance à l'égalisation des taux de profit n'existait plus, le mode de production capitaliste ne pourrait exister. Quelle est donc la signification de ce phénomène ?

Quel est l'intérêt général du capital ?

Si l'on comprend facilement que chaque capitaliste recherche pour lui-même le profit moyen, il reste à expliquer comment, au niveau de la société dans son ensemble, par-delà le point de vue particulier du capitaliste, il s'établit un taux de profit moyen conforme au taux général de profit.

La production capitaliste a pour but la production de plus-value, il importe donc peu aux capitalistes d'avoir telle ou telle valeur d'usage pour servir de support à la valorisation. Or, les caractéristiques techniques de la production des marchandises sont fondamentalement différentes suivant les branches, les compositions techniques des capitaux et leur rotation sont totalement différentes. Par conséquent, dans chaque branche il y a un taux de profit différent.

Or, pour le capital, la mesure de la valorisation est le taux de profit. Si différents taux de profit se maintenaient, la base même de la production capitaliste n'existerait pas. Seules seraient utilisées les techniques utilisant le plus de capital variable. Avec l'égalisation des taux de profit, Marx peut donc démontrer que le MPC peut se développer tout en ayant pour but l'extraction maximum de plus-value, dans la mesure où l'ensemble de la classe capitaliste exploite l'ensemble de la classe ouvrière et se répartit la plus-value globale en fonction de la fraction du capital total que chaque partie de la classe capitaliste possède.

Mais il y a encore une raison plus importante qui nécessite et explique l'égalisation des taux de profit. Nous l'avons dit, le but du MPC est dobtenir un maximum de plus-value en grandeur et en quantité. L’égalisation des taux de profit permet au capital de se répartir entre les diverses branches de production et d'établir ainsi la division sociale du travail qui lui permet d'obtenir la meilleure exploitation possible de la force de travail. Cela explique que le capital lutte contre les barrières internes à la valorisation du capital.

Dans la société russe actuelle se pose le problème de la mutation de la base matérielle de la société, de la généralisation et de l'approfondissement de la production de plus-value relative, du passage à la phase de soumission réelle du travail au capital. Avec elle s'impose aussi la péréquation des taux de profit et la pleine insertion dans le marché mondial. C'est tout le sens des débats sur la réforme des entreprises et de l’adoption d'un système de "prix rationnels", c'est-à-dire du système de prix qui favorise l'exploitation "optimale" du prolétariat.

9.         «L'erreur» de Marx

Dans la lutte féroce qui oppose le prolétariat au capital, tous les efforts seront faits par celui-ci pour ruiner les fondements de la théorie prolétarienne. Economistes bourgeois et réformistes déguisés en "marxistes" s'entendent fort bien pour se diviser le travail. Les uns critiquant, les autres mettant à jour les cotés "dépassés" par la critique. Parmi les nombreuses attaques dont fait l'objet le communisme théorique, le passage de la valeur au prix de production est l'élément théorique qui en réunit le plus. Marx aurait commis l'erreur de ne pas modifier les coûts de production, lesquels conservent la même valeur aussi bien dans le schéma-valeur que dans le cadre des prix. En effet, dans les tableaux que nous avons présentés ci dessus, le capital dépensé -le coût de production- est le même aussi bien dans le tableau représentant la valeur que dans celui représentant le prix de production. Supposons, par exemple, une machine qui vaut 100 francs dans le cadre du schéma-valeur et qui entre dans le coût de production d'une marchandise. Si, sous l'effet de l'égalisation des taux de profit, le prix de production diffère de la valeur, le prix de production de la machine sera différent de 100 francs. Supposons qu'il soit de 90 ; dans ce cas, le prix d'achat de la machine sera de 90 et dans les coûts de production il faudra également tenir compte de cette modification. Le coût -de production, donc-le capital dépensé doit lui aussi être différent de sa valeur. A la suite de cette critique, les économistes proposent de résoudre ce problème que Marx aurait d'après eux laissés en suspens n'ayant pas la formation mathématique nécessaire (ô cuistres ! ). Nous ne nous attardons pas ici sur les diverses réponses apportées par nos mathématiciens[xxv] pour en arriver directement aux conséquences, c'est-à-dire la négation de la baisse du taux de profit et de l'exploitation. Pour nos hommes de science, même si le taux de profit pouvait baisser lorsqu'il s'exprime en valeur, cela n'implique pas du tout qu'il baisse lorsqu'il y a transformation des valeurs en prix de production. Les biens de luxe n'influençant pas le taux de profit, certains comme Kidron en concluent que les armements sont assimilables à des biens de luxe et n'influencent pas le taux de profit, etc.

En fait, les solutions proposées montrent que leurs auteurs ignorent la théorie de la valeur de Marx et l'assimilent tout au plus à celle de Ricardo. D'une part, on se sert des schémas de la reproduction du livre II (encore que la plupart du temps ce soient ceux de Tougan-Baranowsky plutôt que ceux de Marx), qui sont d'un niveau d'abstraction totalement différent de ceux du livre III. Avec le livre II, on se situe sur le plan du capital en général, tandis qu'avec le livre III on envisage le capital sous l'aspect de "capitaux nombreux" et donc on prend en compte la concurrence des capitaux entre eux. Dans le livre II valeur et prix de production coïncident car nous sommes au niveau du capital total. Marx reprochait justement à Ricardo de ne pas avoir poussé l'abstraction assez loin c'est-à-dire de ne pas avoir envisagé la plus-value indépendamment de ses formes (profit, intérêt etc.). Ce n'est que lorsqu'on a fait cette analyse qu'on peut envisager l'étude du profit, forme métamorphosée de la plus-value et donc expliquer le passage de la valeur au prix de production. De plus, les schémas de reproduction sont formellement en équilibre, cela conduit à concevoir le passage de la valeur au prix de production sous la forme d'un tableau d'interdépendance générale. Alors que, nous l'avons vu, les secteurs que Marx fait apparaître ne sont pas liés. Il en est ainsi parce que Marx n'est pas un théoricien de l'équilibre du MPC ! Il est absurde d'envisager un tel équilibre autrement que de manière conceptuelle, dans le cadre des schémas de reproduction, lesquels n'ont pas pour but de montrer l’existence de crises, mais de montrer comment les concepts de capital constant, capital variable, plus-value pouvaient expliquer l'accumulation du capital. Même si l'on désagrège le tableau et qu'on le découpe en plusieurs branches, on commet 2 erreurs. D'une part, la péréquation des taux de profit se situe au-delà de la branche, dans la mesure où il faut tenir compte de l'action réciproque de masses égales du capital. Tout l'aspect social de la péréquation est nié, on ne retient que l'aspect technique conçu uniquement sous l'aspect quantitatif des coefficients techniques et les rapports sociaux s’évanouissent. De plus, pour déterminer vraiment le prix de production, il faut en fait poursuivre plus avant l'analyse et faire intervenir d'autres éléments (le capital commercial, la rente, ...). Nous avons vu que dans les tableaux ci-dessus, il y avait égalité entre taux de profit général et taux général de profit, ce qui n'est plus vrai lorsqu'on fait intervenir la rente. En fait, pour Marx, il n'est pas possible de connaître les coûts de production sous leur forme modifiée - avant que soit connu le prix de production régulateur (c'est-à-dire lorsqu'on se place à l'intérieur de la branche). Dans la mesure où on confond branche et entreprise, (ou branche et secteur de production) on ne peut admettre une différence entre la valeur de marché (au sens II) et le prix de production. On s'interdit aussi également une bonne compréhension de la rente. Enfin les économistes affirment que la transformation des valeurs en prix de production est le passage d'un schéma-valeur (exprimé en temps de travail) à un schéma-prix (exprimé en argent). Dans le schéma-valeur, les échanges sont donc de type M-M, marchandise contre marchandise ; l’argent n'y apparaît pas. L'économie politique vulgaire ricardienne ignore (plus profondément encore que son ancêtre et inspirateur) les formes de la valeur. Marx passe d'une forme de la valeur (valeur de marché) à une forme modifiée de la valeur (prix de production) les deux étant exprimés en argent. Aussi ne se pose-t-il pas, comme les ricardiens, le problème de la mesure qu'implique chez eux la recherche du numéraire.

Marx n'ignorait absolument pas ce problème comme en témoigne ces deux citations, dans lesquelles d'ailleurs les questions sont infiniment mieux posées que chez les économistes bourgeois.

"Puisqu'il est possible que le prix de production s'écarte de la valeur de la marchandise, son coût de production renfermant le prix de production d'une autre marchandise peut, lui aussi, se trouver au-dessus ou au-dessous de cette fraction de sa valeur globale qui constitue la valeur des moyens de production consommés. Il faut se rappeler cette signification altérée du coût de production et penser qu'une erreur est toujours possible quand, dans une sphère de production particulière, on pose le coût de production de la marchandise comme égal à la valeur des moyens de production consommés au cours de la production." (Marx. Capital livre III, p.181, Editions sociales)

Marx avait également mis en évidence cette question dans les "Théorie sur la plus-value" :

"Il est clair que la métamorphose des valeurs en prix de production a un double effet. D’abord : le profit qui s'ajoute au capital avancé peut être supérieur ou inférieur à la plus-value qui est contenue dans la marchandise elle-même, c'est-à-dire représenter plus ou moins de travail non payé que n'en renferme la marchandise. Ceci s'applique à la partie variable du capital et à sa reproduction dans la marchandise. Mais, si nous faisons abstraction de ce point, le prix de production du capital constant - ou des marchandises qui entrent comme matières premières, matières accessoires ou moyens de travail - bref comme moyens de production, dans la valeur de la nouvelle marchandise peut également être supérieur ou inférieur à la valeur de cette marchandise. Ainsi, il y entre une faction de prix qui varie par rapport à la valeur et qui est indépendante de la quantité de nouveau travail ajouté ou du travail par lequel les conditions de production sont transformées, pour des prix de production donnés en un nouveau produit. Tout ce qui s'applique à la différence entre le prix de production, et la valeur de la marchandise, comme telle, s'applique également, cela va de soi à la marchandise dans la mesure où elle entre comme ingrédient sous la forme de capital constant dans le procès de production. Le capital variable, quelle que soit la différence de valeur et de prix de production est remplacé par une quantité déterminée de travail qui forme un composant de la valeur de la nouvelle marchandise, que le prix exprime cette valeur exactement, ou par excès ou par défaut. En revanche, la différence entre le prix de production et la valeur est transférée comme élément donné dans la valeur de la nouvelle marchandise, dans la mesure où indépendamment du procès de production, cet élément entre dans le prix.

La différence entre prix de production et valeur de la marchandise est donc provoquée de deux manières : par la différence entre prix de production et valeur des marchandises qui constituent les conditions présupposées du procès de production de la nouvelle marchandise ; par la différence entre la plus-value effectivement ajoutée aux moyens de production et le profit calculé [sur le capital avancé]. Mais toute marchandise qui entre comme capital constant dans une marchandise sort elle-même comme résultat ou produit d'un autre procès de production. Ainsi la marchandise apparaît comme condition et comme résultat de la production. Dans l’agriculture (l'élevage par exemple), la même marchandise est tantôt produit, tantôt moyen de production.

Cette variation importante entre les prix de production et les valeurs – qui conditionne la production capitaliste - n'empêche pas les prix de production d'être après comme avant déterminés par les prix de production." (Marx, Théories sur la plus-value. T.III, p.201-202, éditions sociales et Ed Costes)

Marx est donc parfaitement conscient des conséquences de la transformation de la valeur en prix de production. Nous avons vu plus haut les raisons méthodologiques qui impliquent qu'il est vain de tenter de déterminer les coûts de production. Il suffit de savoir que cette question existe pour la circonscrire. Marx considère donc la valeur dans son acceptation première, c'est-à-dire la valeur créée par le seul travail vivant. Le capital constant est supposé égal à sa valeur. Lorsqu'il y a transformation des valeurs en prix de production le capital constant demeure inchangé, la transformation n'affecte que la partie égale à la plus-value. La conception du salaire de Marx apparaît ici totalement différente de celle de ses adversaires. Pour ceux-ci il s'agit uniquement de biens de consommation. Pour Marx le capital-argent n'est que potentiellement variable. Il est variable parce que dans le procès de production la force de travail, dont le salaire est la forme valeur, crée une valeur plus grande que la sienne propre, cet excédent étant la plus-value. Cette partie du capital change de valeur, elle se transforme sans cesse de grandeur constante en grandeur variable. Par conséquent l'argent avancé qui va se convertir en salaire pour les ouvriers est toujours égal à la valeur de la force de travail déterminée socialement du point de vue du capital total. Cette partie n'est donc pas affectée par la transformation des valeurs en prix de production. Seule est modifiée la partie correspondant à la plus-value.

On voit donc qu'en dehors de la conception communiste classique exprimée par Marx, toute autre tentative échoue, de fournir une explication correcte de la transformation des valeurs en prix de production.

10.  Reproduction de la nature et reproduction de l'espèce humaine

10.1    Dialectique de l'homme et de la nature.

A l'époque du capital, toute unité entre l'homme et la nature est perdue puisque l'antique communauté a été entièrement détruite et dans le MPC, l'homme et la nature apparaissent comme des catégories distinctes et séparées, s'opposant rigidement. Il importe donc de réinsérer ce rapport dans le mouvement historique, car ce rapport dépend toujours de conditions historiques et sociales bien déterminées.

Le problème des relations entre l'homme et la nature ne doit pas être envisagé d'une manière métaphysique en posant la nature comme entité supra-humaine échappant à l'emprise et à l'activité de l'espèce humaine. Au contraire, Marx nous donne dès 1844 la clé de la liaison entre l'homme et la nature, en ce que la nature est définie comme CORPS INORGANIQUE DE L'HOMME et l'homme comme PARTIE DE LA NATURE.

« Quand elle n'est pas elle-même le corps humain, la nature est le corps non organique de l'homme. L'homme vit de la nature : cela signifie que la nature est son propre corps avec lequel il doit rester constamment en contact pour ne pas mourir. Dire que la vie physique et intellectuelle de l'homme est liée à la nature, c'est dire tout simplement que la nature est liée à elle-même, car l’homme est une partie de la nature. » (Marx, Manuscrits de 1844

Cette nature non organique, ce "corps" de l'homme n'est autre chose que l'ensemble des conditions matérielles et physiques nécessaires au déroulement de la vie et de l'histoire de l'espèce humaine; en tant que tel ce corps n'est pas immuable, mais soumis à évolution, tout comme le corps humain au long de l'histoire.

« La condition première de toute histoire humaine est naturellement l'existence d'êtres humains vivants. Le premier état de fait à constater est donc la complexion corporelle de ces individus et les rapports qu'elle leur crée avec le reste de la nature. Nous ne pouvons naturellement pas faire ici une étude approfondie de la constitution physique de l'homme elle-même, ni des conditions naturelles que les hommes on trouvées toutes prêtes, conditions géologiques, orographiques, climatiques et autres. Toute histoire doit partir de ces bases naturelles et de leur modification par l'action des hommes au cours de l'histoire. » (Marx, Engels, Idéologie Allemande- ES p. 43 souligné par nous)

Dans la « Dialectique de la nature » (ES p. 233), Engels fait remarquer qu'à son époque en Allemagne, il ne restait quasiment plus rien de la « nature » telle qu'elle existait à l'époque de l'installation des Germains. Le climat, la végétation, la faune, les hommes, ont été profondément modifiés sous l'action de l'activité humaine.

Aussi voyons-nous l'interaction permanente entre facteurs humains et facteurs naturels au cours du développement de l'histoire humaine qui est pour l'homme tentative de maîtriser le déterminisme de la nature, de dépasser la pure existence naturelle pour parvenir à l'existence sociale. Le problème de l'espèce humaine n'est pas d'établir une domination sur la nature en tant qu'objet extérieur, mais de parvenir à la domination de soi, en tant qu'espèce. C'est pourquoi dans le communisme, tout antagonisme entre l'homme et la nature aura disparu.

Au pôle primitif de l'histoire humaine, au contraire, lorsque la communauté est le mode d'être de l'espèce humaine, le corollaire de l'unité de l'homme avec la nature, étant donné que cette communauté s'effectue sous l'aspect étriqué de la tribu, est une profonde soumission de l'homme à la nature immédiate. Les possibilités d'action de l'homme sur la nature sont ultra-réduites. C'est pourquoi la nature est divinisée et les phénomènes naturels les plus évidents pour l'espèce aujourd'hui sont alors de terrifiants prodiges (la nuit, la foudre, les éruptions, le tonnerre, etc.)

Au cours de l'histoire, l'homme parvient à faire reculer les bornes de cette dépendance à l'égard de la nature immédiate, mais ce qu'il faut souligner, c'est que ce procès est un procès matériel, pratique : c'est par le travail, l'activité générique de l'espèce que celle-ci est capable de s'affranchir pratiquement des contraintes naturelles immédiates.

Comme dit Marx, l'homme ne se sépare pas des animaux parce qu'il pense, mais parce qu'il est capable de produire et reproduire ses moyens d'existence. C'est seulement sur la base d'une transformation réelle de la nature que l'homme est capable d'en comprendre les phénomènes.

Pour l’espèce humaine, "s'affranchir" de la contrainte naturelle immédiate ne veut pas dire l'éliminer et s'en abstraire totalement, mais signifie modifier l'état de dépendance où elle se trouve par rapport à la nature. Ainsi voit-on les "limites" de cet affranchissement ; elles résident dans la complexion organique de l'homme lui-même. Par exemple, l'homme ne peut s'affranchir des fonctions naturelles indispensables à son existence, mais ce qu'il modifie socialement c'est la manière de satisfaire ces fonctions, au point que cette manière peut n'avoir rien de commun entre deux périodes historiques. Par exemple, tant que l'homme est homme il faut qu'il mange, mais la composition de la nourriture, sa qualité, la manière dont elle est produite, préparée, absorbée etc. sont autant de facteurs qui varient historiquement, dans le sens d'une moins grande sujétion à la nature immédiate.

Ce faisant, l'homme recrée sans cesse en dehors de lui la nature comme son corps non organique. Aussi est-il faux de concevoir le dépassement de la nature immédiate par l'homme comme une abstraction vis-à-vis de celle-ci, car en se rendant maître de ses conditions de vie, l'homme s'unit à une nature toujours plus développée (c'est-à-dire accrue de nouvelles déterminations humaines) tandis que la nature s'unit à un homme toujours plus développé (c'est-à-dire accru de nouvelles déterminations naturelles).

Par exemple si l'homme a accru son action sur la nature jusque dans les airs et bien au-delà de l'atmosphère terrestre - cf. les éjaculations Américano-Russes ! - cela implique dialectiquement qu'il se soit enrichi –quoique, actuellement, cela n'enrichisse que ... le capital - d'une nouvelle détermination qui auparavant ne se trouvait que dans la nature : celle de pouvoir voler. L'homme ne peut pas éliminer la nature, mais il peut dominer l'hostilité de celle-ci en la transformant. C'est de cette hostilité que fut victime le malheureux Icare, le soleil ayant fait fondre la cire qui attachait les ailes à son dos ! Aujourd'hui, l'espèce serait à même d'évoluer dans les airs avec infiniment moins de risque, n'était l'hostilité du capital qui, en rognant sur les coûts de production, reproduit périodiquement sur une échelle 100 fois plus grande, le plongeon d'Icare !

Nous ne reprendrons pas ici les travaux d'Engels sur l’"hominisation" de l'espèce, et le passage du singe à l'homme, car ce n'est pas le but de ce texte, mais il faut noter que si, au cours de ce développement, l'homme se trouve muni des conditions nécessaires pour produire ses propres moyens d'existence, il se trouve du même coup contraint de le faire. Non seulement avec la maîtrise de la main, l'homme peut se séparer de l'animal car il dispose ainsi d'un organe pour modeler la nature extérieure, mais encore il se trouve désormais incapable de revenir en arrière.

Comme l'a montré Engels - et sur ce point comme sur les autres, la science bourgeoise n'a fait aucun progrès depuis - la libération de la main et l'usage de la parole sont deux phénomènes corrélatifs rendus possibles par le passage à la station verticale. Dès lors que l'homme possède la main comme instrument préhensile, il n'a plus besoin de la bouche pour cela, ce qui se traduit par le fait que la bouche n'est désormais plus apte à la préhension; de même pour les membres inférieurs. Ainsi tout progrès rend impossible le retour en arrière, à l'étape antérieure, les étapes ne devant pas être caractérisées physiologiquement mais socialement. Mesurer ce qui sépare l'homme muni aujourd'hui de tous ses organes sociaux du primitif, c'est mesurer ce qui sépare l'organisation sociale capitaliste de la tribu. L'écart devient infranchissable souligne Engels. Dès lors c’est une nécessité de la vie humaine de produire ses moyens d'existence et non plus seulement de s'en emparer.

Toute production est en même temps reproduction et toute reproduction est à un degré plus ou moins grand substitution à l'action naturelle. Il en est ainsi même aux plus bas degrés de l'activité humaine : cueillette, chasse, pêche. Ainsi de la chasse : contrairement aux animaux, l'homme ne peut faire confiance à sa seule force physique, surtout contre les gros animaux. Il est défavorisé. La tribu doit avoir recours au travail collectif : battues, pose de pièges etc., c'est-à-dire à une activité mûrie, qualitativement tout à fait différente de la chasse par une meute de loups par exemple où seule la force physique brute décide de l'issue. L'action des simples forces naturelles n'est déjà plus suffisante. Marx a admirablement montré comment le capital dépossède l'homme de cette organisation sociale, quoiqu'il la développe pour lui-même comme elle ne l'a jamais été. Ce faisant, il rabaisse l'homme (le prolétaire) en dessous de l'animal en le privant de ce qui le rend homme : l'affirmation de soi comme être social:

« Ainsi, tandis que le travail aliéné arrache à l'homme l'objet de sa production, il lui arrache sa vie générique, sa véritable objectivité générique, et transforme sa supériorité sur l'animal en infériorité puisque son corps non organique, la nature lui est dérobée » (Marx, Manuscrits de 1844)

En lui dérobant son corps inorganique, le capital se substitue à l'homme dans son unité avec la nature. Alors que dans les communautés communistes primitives, l'homme subissait le joug de la nature, désormais le prolétaire subit le despotisme de la communauté du capital uni avec la nature.

A l'échelle de l'histoire humaine, l'homme reproduit la nature toute entière, et la transforme du même coup. L'homme "produit et reproduit la nature toute entière (Marx)[xxvi]. Cette nature comme produit de l'activité humaine n'est pas une "nouvelle nature", radicalement étrangère à celle qui forme les bases inorganiques de l'existence humaine, c'est toujours la même, mais transformée, imprimée par le travail humain. Une telle marque est immédiatement visible dans la transformation du paysage naturel par exemple. Sous cet angle, le processus est celui de l'humanisation de la nature, transformation de la nature par l'homme. Mais dialectiquement, cet aspect n'est pas séparable de cet autre : naturalisation de l'homme. Dans la mesure où l'homme accroît son emprise sur la nature, il accroît également sa propre nature. Prenons le cas de l'espèce avant la domestication du feu. Le feu naturel, celui causé par la foudre par exemple est une menace contre l'homme : il le terrifie, ruine son espace vital, le prive de ses moyens d'existence, etc. Pour l'espèce, la domestication du feu est à la fois : maîtrise de l'homme sur un phénomène naturel (celui-ci peut être reproduit) = humanisation de la nature, et accroissement du potentiel productif de l'homme (une force naturelle rentre à son service) = naturalisation de l'homme. Dans le genre "homme" est inclus désormais une détermination supplémentaire qui est celle de savoir faire du feu. L'homme arrache à la nature une force naturelle et l'incorpore à l'espèce en tant que force sociale. Naturalisation de l'homme et humanisation de la nature ne sont que deux pôles d'un même procès.

" Plus l'homme est universel comparé à l'animal, plus est universel le champ de la nature non organique dont il vit.". Cela implique que l'homme soit productif, alors que la nature ne l'est pas stricto sensu. Mais la nature humanisée, unité de l'homme et de la nature inorganique, réalise les conditions de la production. Le travail de l'homme contribue à finaliser la nature et celle-ci est productive "pour l'homme" ou tout simplement, la nature est "pour l'homme". Pas plus qu'il n'y a de chose en soi kantienne, il n'y a de nature en soi. Quand nous maîtrisons la connaissance d'une chose dit Engels (in : Ludwig Feuerbach) c'est-à-dire quand nous parvenons à la maîtrise des conditions de la production de cette chose, elle devient alors une chose pour nous. C'est le cas de la nature.

" Découvrir ces cotés divers (d'une chose NDR) et, en même temps les divers usages des choses est une oeuvre de l'histoire." (Marx - Capital 1,1 ES Tome 1 p. 51)

Si la nature était en soi productive cela reviendrait à dire qu'elle fournirait des produits tous faits que l'homme n'aurait qu'à consommer. Aussi celui-ci, ne travaillant pas, vivrait d'une rente de la nature.

A la suite de Marx, Bordiga s'est élevé contre une telle conception qui a entre autres pour fonction de répandre l'image idyllique d'un communisme christianisé où les humains repus et vautrés obtiennent tout de machines automatiques. C'est la vision moderniste du communisme naturel.

10.2    La reproduction de la nature.

On peut parler de forces productives "naturelles", dans la mesure où la nature fournit l'objet de la production (au sens large : l'ensemble des conditions inorganiques de celle-ci). Ces conditions existent dans la nature, mais il faut que le travail humain s'instaure comme médiateur. Ces conditions qui en tant que telles ne produisent rien deviennent dès lors productives.

« L'homme ne peut point procéder autrement que la nature elle-même, c'est-à-dire qu'il ne fait que changer la forme des matières. Bien plus, dans cette oeuvre de simple transformation il est encore constamment soutenu par des forces naturelles. Le travail n'est donc pas l'unique source des valeurs d'usage qu'il produit, de la richesse matérielle. Il en est le père, et la terre la mère comme dit William Petty. » (Capital 1,1 p. 38 ). Il faut que les forces productives de la société -en soient arrivées à un certain degré de développement pour qu'on puisse dégager le rôle du travail humain dans la production. Les primitifs estiment que tout leur vient de la nature et, dans le même sens, les barbares Germains déferlant sur l'Occident détruisaient les moulins sur leur passage, car c'était un grand crime pour eux de faire "travailler" la nature.

On définira donc force productive naturelle une force qui n'est pas directement produite par l'homme, mais qu'il trouve en dehors de lui et se soumet à son propre usage (par exemple, l'eau, le vent, la terre etc.) Pour qu'une force naturelle devienne productive, il faut l'insérer dans l'activité humaine et dans ses résultats, il faut des organes qu'on ne trouve pas dans la nature, mais qui sont fabriqués par l'homme. Ces organes permettent de "consommer productivement" ces forces naturelles.

« De même que l'homme a besoin d'un poumon pour respirer, de même il a besoin d'organes façonnés par son industrie pour consommer productivement les forces physiques. Il faut une roue hydraulique pour exploiter la force motrice de l'eau, une machine à vapeur pour exploiter l'élasticité de la vapeur. Et il en va de la science comme des forces naturelles. » (Capital I Pléiade I p.931)

Ainsi la praxis est-elle le véritable trait d'union entre l'homme et la nature dont parlent les Manuscrits de 1844. Sans se référer explicitement à ce trait d'union, on ne peut parler de "productivité de la nature" sans tomber dans le plat schéma téléologique dénoncé par Engels : les souris sont faites pour être mangées par les chats, les chats pour manger les souris,  etc.

Pour en revenir à la question de la productivité naturelle, celle-ci n'est que potentielle c'est-à-dire que pour devenir réelle, il faut qu'elle soit médiatisée par le travail humain. De même, dialectiquement, le travail humain doit être médiatisé par la nature, car celle-là est la base de celui-ci. Le travail est un acte pratique. La terre sans travail n'est rien mais le travail sans la terre n'est rien non plus. L'acte productif est l’unité des deux.

Marx a développé ceci à propos de la fertilité, notamment (nous aurons l'occasion de voir, au cours de cette étude, concrètement l'unité de la productivité sociale et de la productivité naturelle en abordant la rente différentielle). Abstraitement, on peut définir les conditions d'une fertilité naturelle en étudiant la composition chimique des terrains. Mais là encore cette composition chimique est en elle-même inopérante car elle est reliée médiatement à l'activité humaine sur la terre qui est cultivée et donc varie également historiquement.

« Pourtant, à supposer deux parcelles de même composition chimique et de même fertilité naturelle, la fertilité réelle, effective, y diffère selon que ces éléments nutritifs sont plus ou moins assimilables et immédiatement utilisables pour l'alimentation des plantes. Dans quelle mesure la même fertilité naturelle sera donc accessible sur des parcelles également favorisées ce sera en partie affaire de progrès de la chimie, et en partie affaire de progrès de la mécanique. La fertilité a beau être une propriété inhérente au sol, elle implique toujours un rapport économique, une relation au niveau actuel du développement de la chimie et de la mécanique appliquées à l'agriculture; et par conséquent elle varie avec ce niveau. » (Capital 111,6 Pléiade II p.1319 souligné par nous)

Par conséquent, lorsque nous parlons de fertilité potentielle cela signifie aussi que celle-ci varie suivant les degrés du développement historique. Si le rendement moyen du blé à l'hectare était en France de 10,68 quintaux en 1893 et qu'il a quadruplé depuis pour atteindre 42,7 q/ha en 1977 c'est bien parce que les techniques capitalistes se sont développées et se sont emparées de la production agricole. Bien entendu, l'élimination des plus mauvais terrains a contribué aussi quoique dans une part beaucoup plus faible, à cette hausse de la productivité. La fertilité est donc en grande partie affaire de technique c'est-à-dire de travail humain, mais dans le MPC la technique est synonyme de gestion catastrophique du patrimoine de l'espèce par le capital. Aussi dans la mesure où le capital parvient à augmenter la fertilité de la terre, il provoque dans le même temps son épuisement.

« Toutes ces données (chimie, mécanique, ... NDR) influent sur la fertilité différentielle des terres : ainsi du point de vue de la fertilité économique, le niveau de la productivité du travail (qui permet à l'agriculture dans le cas présent, de rendre la fertilité du sol immédiatement exploitable dans une mesure variable selon les stades du développement) est un facteur important de la fertilité du sol que l'on dit naturelle, aussi important que sa composition chimique et ses autres propriétés naturelles. » (id. souligné par nous)

Ainsi, la nature est "pour l'homme", elle est déterminée humainement. Il est important pour ce qui va suivre de préciser, à nouveau, le caractère historique de cette humanisation, car celle-ci est toujours dépendante du degré de développement social. Avec le MPC, on ne peut plus parler d'humanisation de la nature et de la naturalisation de l'homme sans affirmer en même temps que ce procès s'effectue sous une forme aliénée.

Dire que la nature est pour l'homme revient à dire qu'elle est "pour le capital", car celui-ci soumet la nature à la production capitaliste. De ce point de vue, Lukacs exprime bien l'aspect socialement déterminé de la nature, encore qu'il ne restitue pas la totalité de la dialectique entre l'homme et la nature.

« La nature est une catégorie sociale. Autrement dit, ce qui à une étape déterminée de l'évolution sociale passe pour la nature, les caractères de la relation entre cette nature et l'homme et la forme dans laquelle a lieu la confrontation de l'homme avec la nature, bref, ce que la nature doit représenter quant à sa forme et à son contenu, son extension et son objectivité, est toujours socialement déterminé. » (Changement de fonction du matérialisme historique, in : Histoire et conscience de classe p.270 éd. Minuit)

Lorsque Lukacs affirme que la nature est une catégorie sociale c'est que pour lui la nature n'est que nature humanisée. Il ne conçoit pas l'homme comme une partie de la nature, mais la nature comme pure et simple partie de l'activité humaine. C'est-à-dire que dans sa lutte de communiste contre le révisionnisme philosophique, il a été impuissant à restaurer cette dialectique de la nature et de l'homme. S'il a dans l'ensemble bien exprimé l'aspect humanisation de la nature, il n'a pas su restaurer intégralement la thèse communiste qui ne voit l’humanisation de la nature qu'en liaison dialectique avec la naturalisation de l'homme.

« L'histoire est elle-même une partie réelle de l’histoire de la nature, du processus par lequel la nature devient humanité. » (Marx, Manuscrits de 1844 p. 255.10/18)

Tout en voulant combattre le naturalisme et le scientisme des révisionnistes Lukacs n'arrive pas à dépasser leur terrain méthodologique et à restaurer l'unité de l'homme et de la nature. Là où les Kautsky et Cie se livrent à un matérialisme des plus vulgaires et transforment le devenir de la nature vers l'humanité (Marx) en devenir du protozoaire vers l'homo sapiens, Lukacs n'a pas su restaurer intégralement l’effectuation de ce devenir dans et par le travail humain (praxis). Au lieu de montrer que ce devenir n'est pas de nature purement biologique, mais sociale, Lukacs en arrive plutôt à nier la continuité et le devenir; il est victime de l’illusion capitaliste qui consiste à voir en l'homme un être abstrait. A la vision vulgaire d'une histoire naturelle indépendante du devenir humain, il ne fait qu'opposer la thèse d'une histoire de l'homme indépendante de la nature. Or la véritable thèse communiste est celle d'une histoire unique où l'homme s'approprie la nature, faisant de celle-ci un être en devenir pour l'homme.

« Pour l'homme socialiste, l'histoire dite universelle n'est rien d'autre que la génération de l'homme par le travail humain, rien d'autre que le devenir de la nature pour l'homme; c'est pour lui la preuve évidente et irréfutable de sa génération par lui-même, du processus de sa genèse. Entre l'homme et la nature, le lien est essentiel : l'homme est devenu pour l'homme la réalité de la nature, et la nature est devenue pour l'homme la réalité de l’

(Manuscrits de 1844 p.4g éd.Pléiade t.1)

Avec le MPC, les conditions sont données pour que ressurgisse une véritable unité entre la communauté humaine et la nature, mais pour réaliser celle-ci, il faut que le prolétariat détruise le capital, qui n'a produit cette nature sociale que sous la forme de l'aliénation et donc d'une complète déshumanisation. La nature telle qu'elle se transforme par l’industrie est donc - quoique sous une forme aliénée - la vraie nature anthropologique (Marx).

10.3    Capital et destruction de la nature.

Si le capital forme obstacle à la réappropriation de la nature par l’homme, c'est parce qu'il est basé sur l'exploitation du travail humain et que donc, en exploitant le prolétaire, il lui arrache à la fois l'objet général de son travail : la nature, et son travail lui-même, son activité objective.

"En séparant l'homme 1 °/ de la nature, 2°/ de son propre "moi", de sa propre fonction active, de son activité vitale, le travail aliéné rend l’espèce humaine étrangère à l'homme : il impose à l’ homme la vie dans l'espèce comme une substitution à sa vie individuelle." (Marx, Manuscrits de 1844, Pléiade t.2, p. 63)

Le capital dépouille le prolétaire de son objectivité. Toute activité générique, c'est-à-dire toute activité humaine qui est transformation de la nature et de l'homme est donc désormais effectuée pour le capital. Comme tout mode de production, le capital incarne un certain rapport entre l'homme et la nature : il ne peut pas s'abstraire de la nature car celle-ci est la base de toute activité productive. Le capital exploite donc la nature en même temps que la force de travail humaine, guidé en cela par son seul motif d'existence : l'extorsion du maximum de plus-value. Ce n'est pas de la nature évidemment, que le capital tire la plus-value, mais du seul travail humain. Il faut donc que la force de travail prolétarienne transforme la nature pour produire le capital-marchandise et donc la plus-value. L'élargissement le la base productive du capital prendra donc aussi l'aspect de l'élargissement de son champ d'action sur la nature. La véritable base de l'universalité de l’homme par rapport à la nature dont parle Marx est donnée pour la première fois dans l'histoire avec le capital, mais cette universalisation, dans la mesure où elle est soumise aux impératifs de la valorisation maximum du capital reste anarchique et catastrophique tant pour l'homme que pour la nature.

Pour élargir sans cesse la base de son procès de valorisation, le capital crée toujours de nouvelles valeurs d'usage, inaugure de nouvelles branches etc. De plus le capital utilise les forces naturelles en vue d'arracher le maximum de plus-value au prolétaire (car les forces naturelles permettent d'améliorer la productivité du travail). Son rapport à la nature est donc purement guidé par ses intérêts immédiats, et c'est aussi la direction que suit la science. Celle-ci ne fait que suivre le mouvement du capital, inaugurant de nouvelles disciplines au fur et à mesure que le capital s'attaque à de nouveaux aspects de la nature. Des champs entiers de la connaissance, des sphères entières de la nature seront donc inaccessibles à l'homme tant que subsistera l'obstacle du capital. En outre, vis-à-vis de la nature comme vis-à-vis du prolétariat, le capital dans sa recherche jamais satisfaite de plus-value se comporte en pillard, brisant ainsi l'échange organique entre l'homme et la nature.

« Dans l'agriculture comme dans la manufacture, la transformation capitaliste de la production semble n'être que le martyrologe du producteur, le moyen de travail, que le moyen de dompter, d'exploiter et d'appauvrir le travailleur, la combinaison sociale du travail que l'oppression organisée de sa vitalité, de sa liberté et de son indépendances individuelles. La dissémination des travailleurs agricoles sur de grandes surfaces brise leur force de résistance tandis que la concentration augmente celle des ouvriers urbains. Dans l'agriculture moderne, de même que dans l'industrie des villes l'accroissement de productivité et le rendement supérieur du travail s'achètent au prix de la destruction et du tarissement de la force de travail. En outre, chaque progrès de l'agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l'art d'exploiter le travailleur, mais encore dans l'art de dépouiller le sol; chaque progrès dans l'art d'accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays, les Etats-Unis du Nord de l'Amérique, par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce procès de destruction s'accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu'en épuisant en même temps les deux sources d'où jaillit toute richesse: LA TERRE ET LE TRAVAILLEUR » (Marx, Capital I,4 ES tome 2 p/181-182)

L'histoire n'a pu que confirmer ce que disait alors Marx : le capital épuise tout ce qui, dans la nature n'est pas reproductible : l'eau, le sol, l'air etc. en même temps le Mode de Production Capitaliste implique une irrésistible dégradation des valeurs d'usage dans toutes les sphères de la production. C'est une des lois du capital de produire des marchandises de moins en moins bonne qualité, par conséquent il y a destruction non seulement du corps inorganique de l'homme, mais aussi de son corps organique.

Aussi le capital : 1°/ arrache la nature à l'homme, 2°/ lui arrache son activité vitale; par conséquent, en détruisant le rapport organique entre l'homme et la nature, le capital constitue d'emblée une menace pour l'espèce humaine.

Tout le mouvement de la civilisation capitaliste porte en soi cette terrible menace : destruction de l’ humanité !

Pour sauver l'espèce, tout se résume dans cette alternative posée au prolétariat : COMMUNISME OU CIVILISATION ! Révolution Communiste ou poursuite de l'infâme route capitaliste, toujours plus menaçante pour l'espèce humaine, toujours plus destructrice envers l'homme et la nature. Ceci fut affirmé dès le début par notre doctrine de classe. Cela n'a donc rien à voir avec les ridicules exhibitions des nouvelles classes moyennes, qui s'agitent afin de réclamer un capital PROPRE!

Leur veulerie réactionnaire n'a d'égale que leur utopie, dans la mesure où tout ce qu'ils demandent c'est que soit mis un terme aux excès du capital lorsque ceux-ci deviennent trop voyants. Ils veulent bien les avantages, mais pas les inconvénients de ce mode de production, comme Proudhon. Pour nous l’excès réside déjà dans l'existence même du capital. Ces nouvelles classes moyennes, étant donné qu'elles consomment une part de la plus-value extorquée au prolétariat ne peuvent pas formuler une critique adéquate du capital et donc comprendre que la destruction du lien organique entre l’homme et la nature, leur mutilation et leur épuisement est un fait inhérent à la poursuite d'une exploitation maximale du prolétariat par le capital. Seule la théorie communiste est capable d'intégrer tous ces faits dans une vision cohérente et unitaire du cours historique .[xxvii]

C'est pourquoi le programme communiste prévoit un certain nombre de mesures applicables dès la phase de dictature du prolétariat, telles que (entre autres) : arrêt de la construction dans les villes, interdiction de la circulation automobile dans les grandes villes, utilisation des excréments humains dans l'agriculture, mesures tendant à supprimer l'antagonisme entre la ville et la campagne, arrêt des activités anti-sociales etc. Ainsi la révolution communiste arrêtera les perspectives catastrophiques du cours du MPC, dont la moindre feuille bourgeoise nous donne un triste aperçu quotidien [xxviii](2). Non seulement le mode de production capitaliste est incapable d'épargner à l'espèce humaine les agressions et les destructions naturelles, mais il est lui-même obligé de provoquer des destructions d'une plus grande ampleur encore pour résoudre ses propres contradictions.

« Le capital n'est plus adapté désormais à la fonction sociale qui consiste à transmettre le travail de la génération actuelle aux générations futures et à utiliser pour cela le travail des générations passées. Il ne veut pas d'adjudications de travaux d'entretien, mais de gigantesques affaires de construction : pour cela les cataclysmes naturels ne suffisant pas, le capital crée, avec une nécessité inéluctable, les cataclysmes humains et il fait de la reconstruction de l'après-guerre « l'affaire du siècle » » (Bordiga. Espèce humaine.... p.)

Tant que ce mode de production existera, l'espèce humaine sera menacée d'une manière permanente de destruction physique. Sa seule sauvegarde, elle la trouvera dans la révolution communiste, menée par une seule classe : le prolétariat. Une fois détruite toute forme de propriété de la terre, même l'espèce ne sera plus considérée comme propriétaire de celle-ci. Chaque génération n'aura aucune prétention à dilapider le patrimoine naturel et social de l’homme, mais au contraire devra faire le pont entre le travail de toutes les générations passées et celui des générations futures, unies pour la première fois dans un seul et même arc de vie.

10.4    Terre-matière et terre-capital.

Nous avons vu comment, dans le MPC les forces naturelles devenaient forces productives, le MPC les enrôlant à son service. La science est la forme que prend dans le MPC la naturalisation de l'homme, qui s'effectue "pour le capital" (dans cette optique, il paraîtrait juste de parler de "naturalisation du capital", forme que prend la "naturalisation de l'homme" dans le MPC).

Au fur et à mesure du développement du capital et avec le passage à la phase de soumission réelle, la science prend une importance de plus en plus grande dans la production. Ce qui, lorsque prédomine le travail vivant (phase formelle) est savoir-faire, habileté de l'ouvrier, ficelles du métier etc. se transforme en force productive sociale en devenant science, force productive du capital, (cf. Chapitre inédit du capital p.200)

L'ouvrier devient pur et simple appendice de la machine. On a application de la science, jouant pratiquement le même rôle que les forces naturelles, à la production, cette application s'accompagnant d'un gigantesque accroissement du capital fixe.

« A mesure que la grande industrie se développe, la création de la richesse vraie dépend moins du temps et de la quantité de travail employés que de l'action des facteurs mis en mouvement au cours du travail, dont la puissante efficacité est sans commune mesure avec le travail immédiat que coûte la production; elle dépend plutôt de l'état général de la science et du progrès technologique, application de cette science à la production. (Le développement de cette science, celui des sciences naturelles en particulier, et grâce à celles-ci de toutes les autres, est à son tour lié au développement de la production matérielle). L'agriculture par exemple, devient une pure et simple application de la science et des méthodes de régulation les plus avantageuses des échanges organiques au profit du corps social tout entier. » (Marx Grundrisse - Pléiade t.2 p.305)

Nous ne nous étendrons pas ici, car nous y reviendrons dans le N°7(-qui sera consacré à la suite du texte sur les deux formes historiques de la production capitaliste), sur la mystification dont est victime le prolétariat au cours de ce procès, mais il est évident que du même coup, le rapport de l'humanité (c'est-à-dire du prolétariat) à la nature, subit la complète domination de la communauté du capital.

« Le travailleur ne s'interpose plus comme un chaînon entre l'objet naturel modifié et lui-même. C'est un acte spontané -transformé en processus industriel- qu'il interpose entre lui et la nature non organique dont il se rend maître. »

Ce n'est plus le travail humain qui est la médiation entre l'homme et la nature, mais son produit : le capital. Celui-ci forme obstacle à la réappropriation de la nature transformée, c'est-à-dire de la nature humanisée par l'homme. Pour que le retour à l'unité s'accomplisse, il faudra détruire le capital. Ce n'est pas une des moindres raisons de la condamnation à mort de celui-ci que le conflit croissant entre le développement de la productivité sociale et l'appropriation privée. Toute la puissance matérialisée du savoir que l'espèce humaine se forge au cours de son développement historique [xxix] lui est ainsi arrachée et domine le prolétaire à travers le capital.

« La nature ne construit ni locomotives, ni chemins de fer, ni télégraphes électriques, ni machines automatiques etc. Ce sont des produits de l'industrie humaine, des matériaux naturels, transformés en organes de la volonté humaine pour dominer la nature ou pour s'y réaliser. Ce sont des organes du cerveau humain créés par la main de l'homme; c'est la puissance matérialisée du savoir. Le développement du capital fixe montre à quel point l'ensemble des connaissances est devenu une puissance productive immédiate, à quel point les forces productives ont pris non seulement un aspect scientifique, mais sont devenues des organes directs de la pratique sociale et du processus réel de leur existence." (Marx p. 307 Grundrisse – souligné par nous).

Ainsi que nous l'avons vu, si l'homme est capable de reproduire la totalité de la nature en la transformant, il y a certaines conditions naturelles qu'il ne peut pas reproduire. L'homme peut reproduire certaines qualités chimiques de la terre, il ne peut pas reproduire la terre elle-même en tant qu'élément naturel. De même, on ne peut pas créer de toutes pièces une mine de charbon là où il n'y en a pas. Comme le dit Bordiga, personne ne peut dire : je t'avance tant de capital-argent, et tu me fabriques tant de terre. La terre se trouve et ne se produit pas ; elle peut être gratuite, elle peut se payer avec la vie. Et avec lui, nous "rabâchons cet ABC du marxisme jusqu'à l'ennui".

La différence entre moyens de production reproductibles et moyens de production non reproductibles est fondamentale : les premiers peuvent être généralisés alors que la nature non reproductible et limitée des seconds permet leur monopolisation, laquelle peut créer une entrave à la production capitaliste. Tout ceci sera développé plus loin.

Au sein de l'agriculture, la différence entre moyens de production reproductibles et moyens de production non reproductibles revêt une importance toute particulière du fait que le principal moyen de production est la terre elle-même. Il n'est pas toujours facile de distinguer matériellement entre ce qui est fourni par la nature et ce qui est produit par le travail humain. Plus le capital incorpore la science à la production dans ce secteur et plus la distinction est difficile à effectuer. Pour donner un exemple schématique, on voit très bien, au premier abord, qu'il y a dune part le moulin d'autre part la rivière. Mais à un stade plus avancé, il est déjà plus difficile de distinguer entre le fleuve lui-même et les modifications de son débit de son cours etc. qui sont dues au travail humain, par exemple à l'érection d'un barrage. De même, en ce qui concerne la substance même de la terre, celle-ci évolue avec l'incorporation des engrais, des installations de drainage et même la manière de labourer transforme, comme nous l'avons vu, sa composition chimique.

Pour distinguer précisément cette substance des modifications qu'elle subit, Marx désigne la première comme "terre-matière", et la valeur des installations incorporées à celle-ci comme "terre-capital". La terre-matière est ainsi le résidu non reproductible qui forme la base du travail humain dans cette sphère de l'activité et dans toutes les autres. Toutefois, nous avons vu que cette base a constamment besoin d'être entretenue par le travail humain pour être rendue productive. C'est en tant que terre-capital que s'incorporent à la nature les moyens de production qui permettent au capital de s'assurer la maîtrise de celle-ci, par exemple en augmentant la fertilité de la terre, en régularisant le débit des fleuves, en exploitant le sous-sol.

« La terre-capital est un capital fixe, mais le capital fixe s'use aussi bien que les capitaux circulants. Les améliorations apportées à la terre ont besoin de reproduction et d'entretien; elles ne durent qu'un temps et elles ont cela de commun avec toutes les autres améliorations dont on se sert pour transformer la matière en moyens de production. Si la terre-capital était éternelle, certains terrains présenteraient un tout autre aspect qu'ils n'ont aujourd'hui, et nous verrions la campagne de Rome, la Sicile, la Palestine, dans tout l'éclat de leur ancienne prospérité. » (Marx, Misère de la philosophie ES p.170)

Comme le montre ensuite Marx, l'amélioration peut perdurer, même en cas de disparition de la terre-capital, par exemple si la concurrence oblige à mettre en culture des terrains plus fertiles, ou encore si une généralisation des améliorations (la terre-capital est reproductible, contrairement à la terre-matière), entraîne une dévalorisation de la terre-capital sur un terrain donné.

En général, la terre -capital doit être constamment renouvelée ou entretenue par de nouveaux apports de capital pour que ses effets sur la terre-matière soient maintenus.

« La terre, tant qu'elle n'est pas exploitée comme moyen de production n'est pas un capital. Les terres capitaux peuvent être augmentées tout aussi bien que tous les autres instruments de production. Ou n'y ajoute rien à la matière, pour parler le langage de Mr Proudhon, mais on multiplie les terres qui servent d'instrument de production. Bien qu'à appliquer à des terres, déjà transformées en moyen de production, de secondes mises de capital, on augmente la terre-capital sans rien ajouter à la terre-matière, c'est-à-dire à l'étendue de la terre. La terre-matière de Mr Proudhon, c'est la terre comme borne. Quant à l'éternité qu'il attribue à la terre, nous voulons bien qu'elle ait cette vertu comme matière. La terre-capital n'est pas plus éternelle que tout autre capital. » (Marx, Misère de la philosophie p.169)

La distinction entre terre-matière et terre-capital, que Marx reprend dans le Capital[xxx] nous met en présence des trois principaux protagonistes de la société capitaliste : la classe des propriétaires fonciers, la classe des capitalistes, et le prolétariat.

 

11.  Théorie de la valeur et surprofit

« Contre-thèse 11 : La théorie marxiste de l'économie moderne, fondée sur les lois de la production en tant que déterminations de la valeur du produit et de la plus-value n'a pu rendre compte des phénomènes récents du monopole et de l'impérialisme, étant donné que ses déductions partaient de l’hypothèse de l'existence de la pleine concurrence.

Thèse 11 : La théorie fondée sur le calcul de la valeur et de ses fractions dans la production capitaliste, s'opposa dès son apparition à celle bourgeoise de la concurrence. Elle la nia et la condamna en dévoilant, dès ce moment-là, le caractère dé monopole de classe de cette économie. Les phénomènes récents ont confirmé la doctrine et toutes ses prévisions. Leur présentation théorique et mathématique même dans les secteurs industriels s'accomplit sans aucune difficulté grâce aux théorèmes rigoureux sur la rente. Ceux-ci furent appliqués - dès leur énonciation - non seulement à l'agriculture mais à toutes les forces naturelles. Ils sont donc valables pour l'économie où il y a le moteur à vapeur, ou à essence, dont l'énergie est l’hydro-électricité ou demain, nucléaire. Tout cela forme les bases actuelles ou prochaines de surprofits et de monopoles, de revenus parasitaires, qui accusent le manque de compensation de la forme sociale capitaliste." (Il programma communista 1954 -N°12)

 

11.1    Moyens de production reproductibles .

Nous avons déjà insisté ci-dessus, à la suite de la Gauche d'Italie, sur le fait que la théorie du profit de Marx inclut également la théorie du surprofit. La théorie du profit moyen contient donc la théorie du profit extra. Les assertions révisionnistes qui veulent que la théorie communiste soit devenue caduque avec l'avènement du capitalisme moderne, lequel introduirait des éléments qualitatifs que la théorie n'aurait pas prévus, sont donc ainsi définitivement balayées.

Nous avons montré plus particulièrement (cf. p.) que c'est justement dans la phase où le capital devient conforme à son être, la phase de soumission réelle du travail au capital, que jouait pleinement la théorie des prix de production et de l'égalisation du taux de profit moyen. La phase de soumission réelle exige la concentration et la centralisation du capital ainsi que l’interpénétration des différents secteurs de la production capitaliste et des différents capitaux (industriel, commercial et financier).

Nous avons également montré que à l'Est comme à l'Ouest l'égalisation du taux de profit moyen s'imposait à la production capitaliste assoiffée de plus-value. Aucune "planification", aucun "prix administré" ne peut rien changer à cela car les lois de la production capitaliste s'imposent à ses agents indépendamment de leur conscience et de leur volonté.

De même que le programme révolutionnaire du prolétariat n'est pas la lutte contre le "grand monopole", mais la destruction radicale du capital et de son corollaire, le travail salarié, de même il ne prévoit pas pour cela comme moyen le suffrage universel, -quitte à redoubler celui-ci de la mobilisation des masses, comme dans la version gauchiste -, mais le renversement violent de l'ordre existant, la dictature du prolétariat, la violence et la terreur rouge.

Afin d'aborder la question de la rente foncière le plus clairement possible, nous allons ici préciser plus avant la théorie du surprofit telle qu' elle existe dans la doctrine communiste invariante.

Supposons que nous ayons dans une branche quatre types d'entreprises qui produisent dans des conditions productives différentes. La répartition du capital est la suivante :

 

 

Type

Capital constant

Capital variable

Plus-value

Total

Nombre marchandises

I

  600 c

+ 100 v

+ 100 pl

=    800

18 u  

II

  400 c

+ 100 v

+ 100 pl

=    600

12 u

III

  350 c

+ 100 v

+ 100 pl

=    550

10 u

IV

  250 c

+ 100 v

+ 100 pl

=    450

8 u

Total

1 600 c

+ 400 v

+  400 pl

= 2 400

48 unités

 

Supposons que les quantités physiques de marchandises soient de 18 unités dans l'entreprise I- 12 dans l'entreprise II; 10 dans l'entreprise III; et 8 dans l'entreprise IV.

Au niveau de la branche, il y a un capital avancé total de 2000 qui se décompose en 1600 de capital constant (pour simplifier, nous supposons que le capital fixe se reproduit en un seul cycle de production), et 400 de capital variable. Le taux général de la plus-value est de 100%. Nous avons vu plus haut le processus de formation de la valeur sociale et de la valeur sociale individuelle.

« Ricardo a besoin, pour mettre sur pied sa théorie de la rente, de deux propositions, qui non seulement n'expriment pas la même action, mais expriment l'effet opposé de la concurrence. La première c'est que les produits de la même sphère se vendent à une seule valeur marchande, la même, donc que la concurrence impose des taux de profit différents, des déviances par rapport au taux de profit général. La seconde, que le taux de profit doit être le même pour tout investissement de capital ou encore que la concurrence crée un taux général de profit. La première loi vaut pour les différents capitaux autonomes qui sont investis dans la même sphère de production. La seconde pour les capitaux, dans la mesure où ils sont investis dans des sphères de production différentes. Par la première action, la concurrence crée la valeur marchande, c'est-à-dire la même valeur pour des marchandises de la même sphère de production, bien que cette valeur identique doive nécessairement engendrer des profits différents, donc la même valeur, malgré, ou plutôt grâce à des taux de profit différents. Par la seconde action(qui d'ailleurs s'opère aussi autrement, c'est la concurrence des capitalistes des différentes sphères qui expulsent les capitaux d'une sphère et les projettent dans l'autre alors que l'autre concurrence, dans la mesure où elle ne concerne pas les acheteurs s'effectue entre les capitaux de la même sphère) la concurrence crée le coût de production (prix de production NDR) c'est-à-dire le même taux de profit dans les différentes sphères de production bien que ce taux de profit identique contredise l'inégalité des valeurs donc ne puisse être obtenu que par des prices (prix) différents des valeurs". (Marx. Théories sur la plus-value T.2 p.23)

Comme nous l'avons vu ci-dessus la totalité des entreprises dans lesquelles le travail abstrait dépensé est du travail social participent à la détermination de la valeur et donc de la valeur de marché. Nous supposons ici que les 4 entreprises répondent à cette condition. Par conséquent la valeur des marchandises de la branche est de 2400. Comme 48 unités ont été produites dans la branche, la valeur individuelle est de (2400/48)= 50.

Dans la mesure où la concurrence égalise les valeurs individuelles en une valeur sociale, les entreprises obtiennent des taux de profit différents. Dans les rapports initiaux de valeur, les entreprises les plus productives ont les taux de profit les plus bas. Par exemple dans les entreprises de type I, le taux de profit est de 1/7° contre 2/7° dans les entreprises de type IV.

Avec la formation d'une valeur sociale pour l'ensemble de la branche, les entreprises les plus productives sont désormais celles dont le taux de profit est le plus élevé, la valeur individuelle des marchandises produites par elle étant inférieure à la valeur sociale. Ces entreprises les plus productives obtiennent ainsi un surprofit. (Notre théorie se place toujours au point de vue de la totalité et nous avons ici la preuve que le surprofit ne peut absolument pas être compris en ne considérant que l'entreprise individuelle. En effet, si le surprofit de chaque entreprise était déterminé individuellement, alors chaque capitaliste ferait tout pour freiner le progrès technique dans son entreprise).

A la suite de la formation de la valeur sociale, le tableau I devient :

 

Type

Capital constant

Capital variable

Profit

Total

Nombre marchandises

I

  600 c

+ 100 v

+ 200 pl

=    900

18 u  

II

  400 c

+ 100 v

+ 100 pl

=    600

12 u

III

  350 c

+ 100 v

+   50 pl

=    500

10 u

IV

  250 c

+ 100 v

+   50 pl

=    400

8 u

Total

1 600 c

+ 400 v

+  400 pl

= 2 400

48 unités

 

L'entreprise I obtient un taux de profit de 2/7 (= 28,5) contre 25% dans l'entreprise II, 12,5 % dans l'entreprise III, 14,3%' dans l'entreprise IV alors que auparavant (cf. tableau ci-dessus) le rapport de la plus-value au capital avancé dans chaque entreprise était de : 14,28% dans l'entreprise I, 20% dans l'entreprise II, 22,2% dans l'entreprise III, 28,5% dans l'entreprise IV.

La formation d'une valeur sociale permet aux entreprises les plus productives d'obtenir un surprofit, qui provient du transfert de plus-value des entreprises les moins productives.

L'entreprise II est l'entreprise régulatrice de la valeur de marché individuelle. C'est-à-dire que dans cette entreprise ou ce type d'entreprise, la valeur individuelle correspond à la valeur sociale. La valeur sociale est de 50 et la valeur individuelle des marchandises produites dans les conditions techniques de l'entreprise II (ou des entreprises, puisqu’il s'agit là d'un type d'entreprises) est également de (600 : 12) = 50. L'entreprise II est donc l'entreprise régulatrice de la valeur de marché dans la branche et son taux de profit est égal au taux moyen de la branche. Lorsqu'intervient la transformation de la valeur en prix de production c'est-à-dire le deuxième aspect de la concurrence défini ci dessus[xxxi] ce qui a été dit pour la valeur de marché est tout aussi valable pour le prix de production.

La branche dont il est question ci-dessus participe à l'établissement du taux général de profit. Nous supposons que celui-ci est égal à 25%, et donc nous supposerons que la composition technique de la branche est telle que sa composition organique est plus élevée que la moyenne. Si donc le taux général de profit est de 25% le prix de production de la branche de 2500 pour une quantité de marchandises de 48 unités soit un prix de production régulateur d'environ 52,08.

A la suite de la formation du prix de production, nous obtenons le tableau suivant :

 

Type

Capital constant

Capital variable

Profit

Total

Nombre marchandises

I

  600 c

+ 100 v

+  237,5 p

=    937,5

18 u  

II

  400 c

+ 100 v

+ 125 p

=    625

12 u

III

  350 c

+ 100 v

+   70,8 p

=    520,8

10 u

IV

  250 c

+ 100 v

+   66,7 p

=    416,7

8 u

Total

1 600 c

+ 400 v

+  500  p

= 2 500

48 unités

 

Les taux de profit sont, par ordre : 33,9% pour les entreprises de type I, 25% pour les entreprises de type II, 12,5% pour celles du type III, et enfin 15,7% pour celles du type IV.

Les entreprises de type I obtiennent un surprofit par rapport au taux général de profit, les entreprises de type II obtiennent un profit égal au taux général de profit, et les entreprises de type III et IV un taux inférieur à celui-ci.

Nous pouvons donc confirmer ici par la mathématique que la théorie du taux de profit moyen n'est pas incompatible avec le surprofit et le monopole mais au contraire que c'est sur la base du taux de profit moyen que naissent le surprofit et le monopole. Il apparaît clairement ici aussi que la LUTTE DES CLASSES n'est pas une lutte des ouvriers d'une entreprise ou même d'une branche [xxxii] -comme la sidérurgie- contre "leur" patron ou un groupe de patrons, mais la lutte de tout le prolétariat, organisé en parti communiste contre l'ensemble des capitalistes et leur Etat; car c'est l’ensemble de la classe capitaliste qui exploite l’ensemble de la classe ouvrière (ce que nous voyons dans les tableaux ci-dessus où tous les ouvriers concourent globalement à la production d'une plus-value totale qui sera répartie entre tous les capitalistes par le biais du transfert de la plus-value.)

« ... Tout cela obscurcit de plus en plus la véritable nature de la plus-value, c'est-à-dire le mécanisme réel du capital. Cet effet est encore renforcé par la transformation du profit moyen et des valeurs en prix de production, en moyennes régulatrices de prix de marché. Ici intervient un processus social compliqué, l'égalisation des capitaux, qui sépare les prix moyens relatifs d'avec les valeurs des marchandises, et les profits moyens dans les différents secteurs de production (abstraction faite des investissements individuels dans les branches particulières) d'avec l'exploitation réelle du travail par les capitaux particuliers. Et ce n'est pas une simple apparence, c'est au contraire un fait que le prix moyen des marchandises diffère ici de leur valeur, donc du travail qui s'y trouve réalisé, et que le profit moyen d'un capital particulier diffère de la plus-value que ce capital a tiré des travailleurs qu'il emploie, la valeur des marchandises n'apparaît plus directement que dans l’influence que la productivité variable du travail exerce sur la hausse ou la baisse des prix de production, sur leur mouvement, et non sur leurs ultimes limites. Le profit ne semble être déterminé qu'à titre accessoire par l'exploitation directe du travail, qui permet au capitaliste, devant les prix de marché régulateurs apparemment indépendants de cette exploitation, de réaliser un profit supérieur à la moyenne. Les profits moyens normaux semblent inhérents au capital et indépendants de l'exploitation; l'exploitation anormale - ou même l'exploitation moyenne dans des conditions exceptionnellement favorables - semble déterminer non pas le profit lui-même, mais seulement les profits qui s'en écartent. La division du profit en profit d'entreprise et intérêt (sans parler de l'intervention du profit commercial et du profit financier, qui semblent avoir pour seule source la circulation et nullement la production) parachève la séparation formelle de la plus-value, l'ossification de sa forme vis-à-vis de sa substance, de son essence. » (Marx Capital III, Pléiade II pp. 1436-37)

Les capitalistes forment une Sainte-Alliance contre la classe ouvrière, L'interpénétration et l'interdépendance accrue de tous les capitaux que le procès de valorisation entraîne a pour conséquence l'accroissement du despotisme du capital. Toutefois, si les capitalistes se tiennent bien serrés devant la masse menaçante du prolétariat, en vue de lui extorquer le maximum de plus-value, cela n'empêche pas qu'une fois la plus-value extorquée, il s'engage une lutte à mort entre les alliés pour le partage du butin, autrement dit pour se répartir la plus-value. On mesure alors toute la vulgarité et le caractère anti-prolétarien de la position du PCF. Selon la thèse anti-monopoliste de ce parti des charognards, les entreprises les moins compétitives seraient "exploitées" par les plus productives dans la mesure où elles ne réussissent pas à récupérer la totalité de la plus-value qu'elles ont extorquée à leurs ouvriers[xxxiii]. Une telle escroquerie théorique est à la base de l'union anti-monopoliste à laquelle doivent participer petits patrons et ouvriers, exploiteurs et exploités, tous unis contre la grande entreprise capitaliste, et ce d'autant plus qu'elle est étrangère. Du point de vue de notre classe, cela revient à abandonner les prolétaires des petites entreprises aux griffes de leur patron, en les rendant "solidaires" de celui-ci et en les livrant à l'exploitation la plus féroce, puisque pour résister, les petits patrons sont obligés de pressurer à fond leurs ouvriers en rognant sur les salaires et en allongeant la journée de travail.

Si nous introduisions maintenant des différences entre les branches, nous voyons que des surprofits peuvent être obtenus au sein de la branche lorsque la durée du travail y est supérieure à la moyenne. Nous avons montré plus haut comment se formait le prix de production dans ce cas-là. Il en va de même lorsque l'intensité du travail est plus élevée que l'intensité moyenne. Dans ce cas également le surprofit appartient à la branche dans laquelle le surcroît d'exploitation a été obtenu, mais le premier cas est caractéristique de la plus-value absolue (allongement de la journée de travail), tandis que le second est caractéristique de la plus-value relative.

D'autre part il peut y avoir des différences dans la composition de la force de travail : présence plus ou moins grande de travail complexe.(Notons que pour l'analyse de la péréquation du taux de profit, nous considérons que tout le travail est du travail simple) .

Comme nous l'avons souligné dans le N°4, si nous restons au niveau de la branche vue uniquement sous son aspect "technique", nous ne dépassons guère le point de vue de l'économie politique la plus avancée. Nous avons montré que l'égalisation des taux de profit valait pour des capitaux avancés de même grandeur. Or cela implique que nous devons nous situer d'emblée au-delà de la branche de production. Nous ne devons pas considérer le capital avancé cherchant à obtenir le profit moyen comme capital de la branche, mais comme partie aliquote du capital total. En effet au niveau de la branche, des considérations "techniques" entrent en jeu. Si par exemple le capital engagé dans la branche de l'automobile n'est pas le même que dans la branche des bicyclettes, c'est que techniquement la branche des bicyclettes exige par exemple une moins grande masse de capital fixe, des machines quantitativement moins importantes etc. On ne cherchera donc pas à considérer la péréquation des taux de profit de l'automobile et du cycle. La théorie de l'égalisation des taux de profit ne se situe pas au niveau de l'entreprise ni même de la branche de production, mais sur le plan de conglomérats de capital (ce qui implique l'interpénétration du capital industriel, commercial et financier) et l'affrontement de ces conglomérats [xxxiv]

La péréquation des taux de profit prend donc tout son sens lorsque le capital est concentré et centralisé.

La concentration est l'augmentation de la quantité de capital au sein d'un même pôle capitaliste. C'est le corollaire de l'accumulation du capital. Le processus de la valeur qui se valorise se traduit par un accroissement de la somme des valeurs accumulées ce qui est la concentration du capital. Ainsi la concentration est-elle le mouvement d'une masse de capital qui suit sa propre tendance, "faisant ainsi acte de vitalité propre" (Marx). Il existe autant de "foyers de concentration relatifs" que de pôles d'accumulation, ainsi la concentration croit en même temps que le capital social lorsque le capital s'accumule dans ses divers pôles.

Il peut y avoir, dialectiquement un mouvement de déconcentration par exemple lors d'un héritage ou bien lorsqu'il y a dévalorisation et désengagement de capital. Supposons une branche dans laquelle le besoin social est limité : la plus-value produite dans cette branche ne s'y accumulera pas, le capital se désengage. Avec le développement de la production capitaliste, la masse de capital engagée pour satisfaire un besoin social donné diminue, d'où dévalorisation et déconcentration relative. En se dévalorisant le capital subit un processus de déconcentration à supposer que la demande augmente moins vite que la productivité. Le capital se désengageant d'un coté, il s'engage dans d'autres secteurs, d'où création de nouvelles valeurs d'usage pour servir de support à sa recherche maximum de plus-value. Toutefois le capital se centralisant, il y a quand même besoin de fortes avances de capital et d'autre part la composition du capital tend à se modifier dans le sens d'une substitution du capital constant au capital variable, donc d'une hausse de la composition organique.

Par contre, le procès de centralisation est celui d'une unification des pôles d'accumulation des capitaux, de la fusion d'un grand nombre d'entre eux en un nombre moindre. Ce procès met le capital à même d'accroître la vitesse de son propre mouvement et d'élargir l'échelle de son activité. En effet, c'est seulement par la centralisation de capitaux entre les mains de sociétés par actions ou de l'Etat qu'ont pu avoir lieu de grands travaux comme les chemins de fer etc. alors que la simple concentration de la masse d'un capital individuel donné ne peut que suivre le rythme de l'accumulation.

« La centralisation n'exige qu'un changement de distribution des capitaux présents, qu'une modification dans l'arrangement des parties intégrantes du capital social. Le capital pourra grossir ici par grandes masses en une seule main parce que là il s'échappera d'un grand nombre. Dans une branche de production particulière la centralisation n'aura atteint sa dernière limite qu'au moment où tous les capitaux qui s'y trouvent engagés ne formeraient plus, quun seul capital individuel. Dans une société donnée elle n'aurait atteint sa dernière limite qu'au moment où le capital national tout entier ne formerait plus qu'un seul capital entre les mains d'un seul capitaliste ou d'une seule compagnie de capitalistes. » (Marx, Capital Livre I Pléiade t.1 p.1139)

L'économie politique bourgeoise et le révisionnisme ont toujours nié la validité de cette thèse communiste pour l'agriculture (où selon eux il n'y aurait pas centralisation), admettant que dans l'industrie il y avait concentration et centralisation (et même, Bernstein tendait à la remettre en cause également pour l'industrie, en arguant que le nombre des entreprises industrielles augmentait, ce qui n'est pour nous nullement contradictoire comme nous le verrons plus bas) .

Une des thèses centrales de la contre-révolution (d'où l'importante nécessité pratique de la théorie de la rente et des études sur la question agraire) est que le mouvement du capital dans l'agriculture a complètement démenti les thèses de Marx :

« Aucune observation théorique n'a été réfutée par les développements historiques d'une manière aussi prompte et aussi catégorique que la loi marxiste de la concentration en agriculture. Tous sauf les ultra-orthodoxes marxistes ont accepté ce fait." (N. Georgescu Roëntgen)

Certes, en face de tous les traîtres, il y a eu notamment le Kautsky de « la question agraire », Lénine et Bordiga. Nous sommes en bonne compagnie.

Lorsque la masse des capitaux en concurrence est différente, nous pouvons avoir aussi des surprofits qui vont se traduire par le fait que des branches vendent les marchandises à un prix de marché supérieur au prix de production. Le rapport de force tourne à l'avantage des capitaux les plus importants. C'est ce qui se passe par exemple lorsqu'une petite entreprise est sous-traitante d'une grosse, celle-ci lui imposant son prix de marché.

L'obtention de ce surprofit durera jusqu'à ce que les capitaux nouveaux qui seront attirés par les surprofits permettent l'égalisation des taux de . profit. Bien entendu, c'est de l'intérêt du secteur qui obtient ce surprofit de retarder le plus possible la venue de capitaux dans cette branche. Avec le développement de la production capitaliste, la masse du capital à avancer pour pouvoir concurrencer sérieusement le capital alors en action dans la branche s'accroît ; par conséquent la concurrence prend la forme de luttes gigantesques entre fractions du capital, la lutte sourde n'apparaissant comme lutte ouverte que dans des périodes brèves.

Le mouvement du capital dans les pays de l'Est (URSS, Chine, etc.) se caractérise par une centralisation du capital plus achevée que dans les pays capitalistes occidentaux, tandis que la concentration du capital y est beaucoup moins développée. Il y a décalage entre concentration et centralisation. Le mouvement du capital en est facilité, ce qui permet d'autant mieux la réalisation de la loi de la valeur. Ce décalage est une des marques d'un plus faible développement de la phase réelle dans ces aires.

Le capital se centralise soit au sein de la branche, soit de branche en branche en les ordonnant les unes par rapport aux autres (ce que l'économie politique appelle concentration horizontale et concentration verticale). Toutefois cette centralisation peut aussi affecter deux secteurs indépendants. Bien sûr le cas le plus profitable est une centralisation intégrée (à travers deux secteurs complémentaires), le capital peut alors se concentrer dans les secteurs de son choix et supporter plus facilement la concurrence nationale et internationale. Les exemples abondent : possibilité d'abaisser les prix dans une branche donnée pour ruiner les concurrents et empêcher les nouveaux arrivants de s'installer. Transferts de profits entre les diverses firmes par une politique de bas et hauts prix suivant que l'on vende ou que l'on achète à l'entreprise vers laquelle le profit doit être transféré. Mais à travers ce mouvement anarchique, à travers la course aux surprofits et à travers l'égalisation des taux de profits la loi de la valeur se fraie inéluctablement son chemin et s'impose aux capitalistes de tous les secteurs.

Voyons comment cela est compris par l'entendement petit-bourgeois. Pour qui confond le tout et les parties, la baisse tendancielle du taux de profit devient un mystère insoluble. Parmi les explications fantaisistes, on peut citer celle de la CWO (Communist Workers Organisation - GB). Suivons leur raisonnement : le taux de profit est le rapport de la plus-value à la somme du capital constant et du capital variable (pl/c+v). Comme la plus-value ne naît que de l'emploi du capital variable, l'intérêt du capital serait d'augmenter au maximum la part de celui-ci. Pour expliquer la baisse du taux de profit, il faut donc l'intervention d'un deus ex machina qui impose au capital cette baisse -en le forçant à éliminer du travail vivant-. Cette intervention divine, l'économie marxiste vulgaire croit l'avoir trouvée avec la concurrence [xxxv]

Qu'en est-il ?

Que cette concurrence s'impose au capitaliste individuel, comme Marx l’a montré dans le livre I, voilà qui n'a rien d'étonnant mais sur le plan du capital total, la concurrence n'explique rien. Elle ne fait que réaliser les lois du capital, mais elle ne les crée en aucune façon[xxxvi].

En fait, les secteurs capitalistes dont l'accumulation du capital engendre la baisse du taux de profit ne sont pas ceux qui voient leur taux de profit baisser, bien au contraire il augmente. (Cela n'est paradoxal que pour qui n'a rien compris à la loi de la valeur). La concurrence ne joue un rôle que dans la mesure où elle va imposer à l’ensemble des capitalistes de nouvelles méthodes de production, plus productives. Par conséquent, il y aura à ce moment là généralisation de la baisse du taux de profit, des entreprises les moins productives à celles qui sont le plus compétitives.

Comment cela se passe-t-il ?

« Aucun capitaliste n'introduit volontairement de nouvelles méthodes de production quelques parfaites qu'elles soient et bien qu'elles puissent augmenter considérablement le taux de la plus-value, du moment qu'elles diminuent le taux de profit. Mais chacune de ces nouvelles méthodes rend les marchandises moins chères. Le capitaliste commence donc par les vendre au-dessus de leur prix de production et peut-être au-dessus de leur valeur. Il empoche la différence entre le coût de production et le prix de marché des mêmes marchandises produites à un coût plus élevé. Il le peut parce que le temps moyen socialement nécessaire à la production de ces marchandises est supérieur au temps de travail exigé par les nouvelles méthodes de production. » (Marx, Capital III, p.1045 t.2)

 

Supposons, en reprenant le dernier tableau que l'entreprise III qui a le taux de profit le plus bas répartisse désormais sa masse de capital de 700 selon la même composition technique que l'entreprise I (peu importent ici les moyens mis en oeuvre pour cette nouvelle répartition : crédit, restructuration, accumulation etc.).Ainsi, la technique la meilleure s'étend dans la branche. Pour le capitaliste de III qui avait un taux de profit de 12,5%, la modernisation de ses méthodes de production implique le passage à un taux de profit plus élevé. Voici ce que donne le tableau en tenant compte des bouleversements introduits par l'extension de la meilleure technique de production des entreprises de type I aux entreprises de type III.

 

Type

Capital constant

Capital variable

Plus-value

Total

Nombre marchandises

I

  600 c

+ 100 v

+ 100 pl

=    800

18 u  

I’

  600 c

+ 100 v

+ 100 pl

=    800

18 u

II

  400 c

+ 100 v

+ 100 pl

=    600

12 u

IV

  250 c

+ 100 v

+ 100 pl

=    450

8 u

Total

1 850 c

+ 400 v

+  400  pl

= 2 650

56 unités

 

La masse des valeurs créée est passée de 48 à 56 et la valeur sociale individuelle a baissé de 50 à 47,3. La formation d'une valeur sociale donne le tableau suivant :

 

Type

Capital constant

Capital variable

Profit

Total

Nombre marchandises

I

  600 c

+ 100 v

+ 152 p

=    852

18 u  

I’

  600 c

+ 100 v

+ 152 p

=    852

18 u

II

  400 c

+ 100 v

+   67 p

=    567

12 u

IV

  250 c

+ 100 v

+   29 p

=    379

8 u

Total

1 850 c

+ 400 v

+  400  p

= 2 650

56 unités

 

Sous l'effet de l'extension de la technique la meilleure et de la disparition de l'entreprise la moins rentable, le taux de profit des entreprises de type I diminue. Par conséquent, le taux de profit de l'entreprise I baisse, passant de 28% (cf. tableau ci-dessus) à 21%. Il y a donc toujours surprofit, mais celui-ci subit une baisse relative. Le capital de cette entreprise commence à voir l'achèvement de la "lune de miel" qu'il avait commencé à vivre grâce à l'utilisation de la technique la plus productive. La généralisation de celle-ci implique l'arrivée d'un autre larron qui touche également une part de surprofit, et voit son taux de profit augmenter, mais certainement moins qu'il ne l'escomptait au premier abord. En effet, le fait même qu'il y ait désormais plusieurs capitalistes pour partager la même source de surprofit, implique qu'ils ne puissent pas toucher chacun autant de surprofit que n'en touchait le premier auparavant.

Désormais, ce n'est plus l'entreprise II qui est l'entreprise régulatrice (c'est-à-dire celle dont la valeur individuelle est égale à la valeur sociale) mais cela va être une entreprise intermédiaire entre I et II. Ici l'entreprise II obtient un profit inférieur au profit moyen de la branche. De 20%, le taux de profit de la branche est tombé à 17%. C'est le cas, du moins lorsque nous nous situons sur le plan de la valeur ; mais lorsque nous envisageons l'égalisation des taux de profit, il n'est pas du tout dit que le taux de profit de la branche qui était après péréquation de 25%, baisse dans la même proportion. Cette baisse dépendra, toutes choses égales par ailleurs, de la place de la branche et de la part qu'elle représente au sein du capital total. Si nous supposons que le taux général de profit s'établit après péréquation à 24% dans la branche, nous obtenons alors le tableau suivant :

 

Type

Capital constant

Capital variable

Profit

Total

Nombre marchandises

I

  600 c

+ 100 v

+ 196,8 p

=    896,8

18 u  

I’

  600 c

+ 100 v

+ 196,8 p

=    896,8

18 u

II

  400 c

+ 100 v

+   97,8 p

=    597,8

12 u

IV

  250 c

+ 100 v

+   48,6 p

=    398,6

8 u

Total

1 850 c

+ 400 v

+  540 p

= 2 790

56 unités

 

Nous constatons que le prix de production régulateur du prix de marché s'élève maintenant à environ 49,5 au lieu de 50, donc les marchandises sont relativement moins chères. Pour simplifier, nous supposerons que la baisse de la valeur a permis daccroître le marché de la marchandise dont la demande sociale est désormais de 56. Le taux de profit a baissé, mais le capitaliste de l'entreprise I a vu son taux de profit s'accroître.

Nous observons un mouvement à la baisse des surprofits obtenus par les entreprises possédant la meilleure technique car l'utilisation de celle-ci n'est plus exceptionnelle, mais tend à devenir courante. C'est donc seulement la dialectique entre le tout et les parties au sein du mouvement du capital total qui explique la baisse du taux de profit, il n'y a aucun élément extérieur qui intervient pour provoquer celle-ci.

Si nous nous plaçons dans l'hypothèse où une seule entreprise monopolise complètement la production d'une branche, elle aurait tendance à freiner l'introduction de nouvelles techniques par crainte de voir son taux de profit baisser. Toutefois ceci n'implique pas que tout recours à une meilleure technique soit définitivement abandonné. En effet, l'entreprise pourrait tout de même obtenir des surprofits par rapport aux autres branches en vendant momentanément ses marchandises au-dessus du prix de production. Il y aurait une tendance à freiner l'innovation. C'est ce que montrait Lénine dans "L'impérialisme". Ce qui explique que souvent ce sont les petites entreprises qui sont à la pointe de l'innovation.

« Dans le cours général du développement capitaliste, les petits capitaux jouent, d'après la théorie marxiste, le rôle de pionniers de la révolution technique et ceci à un double titre : d'abord en ce qui concerne les méthodes nouvelles de production dans les anciennes branches fortement enracinées, ensuite dans la création de nouvelles branches de production non encore exploitées par les gros capitaux. On aurait donc tort de se figurer l'histoire des entreprises moyennes comme une ligne droite descendante qui irait du déclin progressif jusqu'à la disparition totale. L'évolution réelle est ici encore dialectique ; elle oscille sans cesse entre des contradictions. Les classes moyennes capitalistes se trouvent tout comme la classe ouvrière sous l'influence de deux tendances antagonistes, l'une ascendante, l'autre descendante. La tendance descendante est la croissance continue de l'échelle de la production qui déborde périodiquement le cadre des capitaux moyens, les écartant régulièrement du champ de la concurrence mondiale. La tendance ascendante est constituée par la dépréciation périodique du capital existant qui fait baisser pour un certain temps l'échelle de la production selon la valeur du capital minimum nécessaire, ainsi que la pénétration de la production capitaliste dans les sphères nouvelles. Il ne faut pas regarder la lutte comme une bataille en règle où la partie la plus faible verrait de plus en plus diminuer et fondre ses troupes en nombre absolu; c'est plutôt comme si de petits capitaux étaient périodiquement fauchés pour s'empresser de repousser afin d'être fauchés à nouveau par la grande industrie. » (Rosa Luxemburg. Réforme sociale ou révolution p30-31)

Par conséquent, le capital ne saurait exister sur la base d'une monopolisation totale des branches d'une nation ou du monde. Dans la mesure où il tend à le faire, il s'impose comme frein au développement des forces productives et comme parasite du libre développement de l'espèce humaine, mais il ne peut suivre cette tendance jusqu'à son terme, sans provoquer par là même sa propre fin. Il contredirait alors globalement ses propres présupposés en supprimant ses possibilités d'extorsion de plus-value et la tentative d'accroître celle-ci entraînerait alors immédiatement de graves crises. C'est pourquoi dans la réalité, aux forces centripètes, celles de la centralisation, viennent s'opposer des forces centrifuges qui elles favorisent la création de nouvelles entreprises et qui permettent au capital de poursuivre contradictoirement son procès. De toutes façons, on ne peut compter sur la réalisation intégrale de cette tendance pour expliquer la crise, car cela reviendrait alors à reconduire le schéma ricardien stagnationniste, corollaire dialectique des théories léninistes sur la valeur et le monopole. En fait, le capital ne peut exister que dans la diversité. Marx anticipait ainsi la ruine des théories du "super impérialisme" que Lénine également, en tant que militant orthodoxe, combattait[xxxvii]. Le mouvement d'accumulation du capital, sa concentration et sa centralisation ne se réalisent que si, dialectiquement existe une multiplication des foyers d'accumulation. Lénine montrait pour l'Allemagne de 1907 que 0,9% entreprises (30 588 sur 3 265 623) employaient 39,4% des ouvriers, consommaient 75,3% des chevaux-vapeur et 77,27% de l'électricité employée.

La répartition des entreprises françaises par nombre d'ouvriers employés en 1977 se fait ainsi (INSEE) :

 

Activité principale                                              Nb de salariés.

 

0 et non déclaré

1 à 9

10 à  49

+ de  50

Non renseignée

221 725

87 206

14 384

3 603

Agriculture, sylviculture, pêche

54 292

18 177

2 125

231

Ind. agric et alim. Prod. et distrib. d'énergie

 

27 990

 

39 308 

 

3 908

 

1 434

Ind. des biens inter-

21 039

18 196

8 803

3 771

Ind. des biens d'équipement

16 741

14 937

5 870

3 455

Ind. des biens de consommation.

61 284

39 232

12 879

5 502

Bâtiment

161 300

135 318

20 329

4 278

Commerce

350 040

221 299

23 397

4 080

Transports et télécom

48 460

22 586

5 260

1 632

Services marchands.

457 286

326 124

26 690

5 467

Locations

51 146

4 345

627

247

Assurances

585

852

219

130

Organismes financiers

1 640

2 692

600

325

Services non marchand

64 924

88 270

14 395

5 753

Total

1 539 658

1 011 363

139 746

40 040

 

11.2    Valeur de marché et aristocratie ouvrière.

Jusqu'ici nous avons envisagé des entreprises équivalentes, tant sur le plan du taux des salaires que sur celui du nombre d'ouvriers employés. Autrement dit, la masse du capital variable avancée était la même. Essayons maintenant d'affiner notre analyse en tenant compte d'une plus grande diversité.

Soit une branche composée de cinq types d’entreprises dont la productivité est différente, c'est-à-dire ayant des masses de capitaux et des compositions organiques différentes.

Considérons que la péréquation est effectuée entre les branches. Le taux général du profit étant de 20%. Le capital avancé est de 250 (on ne tient pas compte du capital fixe), et la masse de plus-value correspondante est de 50. L'ensemble se décompose ainsi :

 

Entreprises

 

 

 

 

 

 

 

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

Type

Nb

C

V

Pl

c+v+pl

Nb. unités produits

Prix de prod. Rég.

Pl/c+v

C/v

Nb. Ouv.

Taux sal.

I

1

  50

 11

16

  77

  18

30/7

0,26

4,5

   8

1,37

II

2

  45

 10,5

13

  68,5

  16

30/7

0,23

4,3

   9

1,16

III

3

  40

 10

10

  60

  14

30/7

0,2

4

 10

1

IV

4

  35

  9,5

 7

  51,5

  12

30/7

0,15

3,7

 11

0,86

V

5

  30

  9

 4

  43

  10

30/7

0,10

3,3

 12

0,75

Total

15

200

 50

50

300

  70

 

 

 

 50

 

 

(Nous avons numéroté les colonnes de 1 à 12 -chiffres gras- pour faciliter le commentaire du tableau).

Nous supposons que la colonne 2 nous donne le nombre d'entreprises de chaque type. La masse du capital c + v (colonne 3 + 4-) est donc à répartir entre le nombre d'entreprises indiquées. Si dans la catégorie I une seule entreprise possède un capital de 61, par contre dans la catégorie V, 5 entreprises se partagent une masse de capital de 39. Une seule entreprise (du type I) possède donc ici près du quart du capital total avancé, et les trois premières (du type I et II) en possèdent 46%

Le prix de production régulateur (col.8) est ici de 30/7 (c+v+pl=300/Nombre d'unités produites = 70).

Comme nous l'avons déjà vu, c'est la totalité des entreprises qui participent au prix de production régulateur. Chaque entreprise emploie un nombre variable d'ouvriers (col.11), à des taux de salaire différents (col.12). Par exemple, il y a 9 unités d'ouvriers dans les entreprises du type II, soit 4,5 par entreprise. Chaque ouvrier recevant un salaire de 1,16. La masse de capital variable v avancée dans ces entreprises est donc de 1,16 X 9 = 10,5 (colonne  4)

Le nombre d'unités de marchandises produites est par exemple de 14 dans les entreprises de type III (col 7). La colonne 10 nous donne les différentes compositions organiques. Et la colonne 9 indique le taux de profit.

Les entreprises les plus productives de la branche auront donc des surprofits. Celles dont la composition technique et la masse plus grande de leurs capitaux permet d'avoir un prix de production plus petit que le prix de production régulateur (c'est le cas des entreprises I et II : leur masse de capital est respectivement 50+11=61 et 45+10,5=55,5) obtiennent un taux de profit de respectivement 26% et 23% Si le taux général de profit est de 20%, elles touchent un surprofit de 6% pour l'entreprise I et de 3% pour l’entreprise II

Le taux de plus-value tel qu'il apparaît dans la branche et les entreprises n'a plus rien de commun avec le taux général de la plus-value. Une fois la péréquation effectuée donc, la masse de plus-value que chaque branche ou chaque entreprise obtient est différente de celle qui a été créée en son sein (sauf exception). Par conséquent, le taux de plus-value apparent est différent du taux de plus-value réel.

Les entreprises ayant des compositions organiques (et techniques ) témoignant d'une plus grande productivité ainsi que des masses de capitaux plus importantes peuvent toucher des surprofits, tout en payant leurs ouvriers avec des salaires légèrement supérieurs à la valeur de la force de travail, (nous supposerons que celle-ci représente un taux de salaire de 1,1). Les entreprises I et II qui produisent respectivement 16 et 13 unités de marchandises ont des capitaux plus grands que les autres, soit 61 et 55,5. De même, leur composition organique est plus grande 4,5 et 4,3 (la composition moyenne de la branche que reflète l'entreprise III est de 4 et la masse moyenne de capital y est de près de 17). Les masses respectives de capital constant 50 et 45 sont mises en mouvement par un plus petit nombre d'ouvriers ( 8 et 9) et témoignent ainsi de la plus grande productivité de ces entreprises. Les masses de plus-value et les taux apparents de plus-value sont aussi plus élevés dans ces entreprises (il en est de même pour ce que la bourgeoisie appelle le chiffre d'affaires, soit c + v + pl).

La possibilité ainsi fournie d'accorder des salaires supérieurs à la valeur de la force de travail à une partie de la classe ouvrière fournit au capital une base pour l'existence d'une aristocratie ouvrière dans la phase de soumission réelle du travail au capital. Une partie de la classe ouvrière peut ainsi être corrompue et attachée au char du capital par des chaînes dorées, lesquelles constituent la base matérielle du réformisme. C'est grâce à elles que le capital peut "gouverner avec l'appui de la classe ouvrière", cet appui étant obtenu grâce aux syndicats.

Nous avons là un des aspects de l'aristocratie ouvrière et de sa formation. Puisque si la totalité de la classe ouvrière vend sa force de travail à sa valeur, une partie pourra obtenir un prix au-dessus de la valeur, tandis qu'une autre devra se contenter d'un salaire plus bas que la valeur de la force de travail. Même si la force de travail était vendue au-dessous de la valeur (au niveau du capital global) il n'en subsisterait pas moins une aristocratie ouvrière dont les salaires seraient au-dessus de la valeur de la force de travail; (notons ici que bien que les objets de luxe n'entrent pas dans la détermination de la valeur de la force de travail, l'aristocratie ouvrière peut participer à leur consommation). Ainsi s'explique ce fait que si. une grande lutte ouvrière permettait à la classe d'obtenir une hausse des salaires de manière à ce que le prix de la force de travail soit égal à la valeur, une partie de la consommation des ouvriers sera orientée vers les objets de luxe, compensant partiellement la baisse de la demande des capitalistes (cf. à ce sujet Marx : Salaires prix et profits, pp.484-485 et le livre II du capital p.780). D'autre part, le capital peut augmenter, grâce à la productivité du travail le salaire réel (c’est-à-dire la quantité de marchandises mises à la disposition de la classe ouvrière), tout en abaissant le salaire relatif et donc augmenter le taux d'exploitation. Le capital tente ainsi d'accorder une réserve au prolétaire pour obtenir son appui.

« Dire que l'accroissement accéléré du capital est la condition qui favorise le plus le travail salarié revient à ceci : plus la classe des travailleurs accroît et renforce la puissance ennemie, la richesse étrangère qui la domine plus s'adoucissent les conditions dans lesquelles il est permis de travailler à un nouvel accroissement de la richesse bourgeoise, au renforcement de la puissance du capital : ne peut-elle s'estimer heureuse de se forger elle-même les chaînes dorées par lesquelles la bourgeoisie la traîne à la remorque. » (Marx, Travail salarié et capital Pléiade t1 p.221)

 

Le concept d'aristocratie ouvrière n'est nullement une invention de Lénine comme on l'entend parfois. Marx et Engels l'emploient pour désigner une catégorie de la classe ouvrière et en ont fait une des clés pour expliquer le réformisme, (cf. Livre I du Capital et "Le syndicalisme"-Maspéro). Contrairement à ce qu'affirment les révisionnistes du CCI, c'est avec le capital parvenu à maturité (phase de soumission réelle du travail au capital), que les bases matérielles aptes à susciter et entretenir une aristocratie ouvrière se développent pleinement. Lénine ne faisait que maintenir le programme communiste dans sa lutte contre les chefs réformistes, en montrant que ceux-ci s'appuyaient sur cette fraction de la classe ouvrière. Les bolcheviks (Lénine, Boukharine) généralisaient ce qu'avaient dit Marx et Engels à propos de l'Angleterre.

Si l'aristocratie ouvrière constitue le fer de lance du réformisme, il n’en reste pas moins que celui-ci naît de la possibilité pour le capital dintégrer la totalité de la classe ouvrière.

Les conditions de l'émergence de cette aristocratie ne sont pas identiques dans les deux phases de la production capitalistes. Dans la phase de subordination formelle, la valeur de la force de travail est relativement constante, puisqu'aucun progrès de la productivité du travail ne vient la faire baisser (cf. CouC sur les deux phases de la production capitaliste). Pour augmenter la quantité de surtravail, le capital ne peut qu'allonger la journée de la force de travail, ou abaisser violemment le prix de la force de travail au-dessous de sa valeur. Par conséquent, pour augmenter le standard de vie de la classe ouvrière il n'y a qu'une possibilité : payer la force de travail à sa valeur, voire dans certains cas au-dessus de celle-ci. Mais le capital ne peut adoucir l’exploitation que s'il possède une autre source de profit et celle-ci ne peut lui être fournie que de l'extérieur, par le monopole sur le marché mondial et la domination coloniale.

« Et la classe ouvrière ? On sait qu'elle connut aussi des périodes de misère durant l'essor inouï du commerce et de l'industrie de 1848 à 1868, car même alors sa grande masse bénéficia tout au plus d'une amélioration passagère de sa condition, et seule une petite minorité privilégiée et protégée jouit d'avantages durables. (...) La vérité la voici : aussi longtemps qu'a duré le monopole industriel de l'Angleterre, la classe ouvrière anglaise a participé jusqu'à un certain point aux avantages de ce monopole. Certes, ces avantages se répartissaient fort inégalement en son sein : la minorité privilégiée en empocha la plus grande partie, mais même la grande masse en avait, du moins par-ci par-là sa portion. C'est ce qui explique qu'il n'y a plus eu de socialisme en Angleterre' depuis la mort de l'owenisme.

Avec la ruine de la suprématie industrielle, la classe ouvrière d'Angleterre va perdre sa condition privilégiée. Dans son ensemble - y compris donc dans sa minorité privilégiée et dirigeante-, elle se verra alignée au niveau des ouvriers de l'étranger. Et c'est pourquoi le socialisme renaîtra en Angleterre. » (Engels. Cf "Le syndicalisme t1 p.192-193)

Comme le montre ici Engels, c'est l'ensemble de la classe ouvrière qui peut être corrompue et de plus divisée, car son aristocratie empoche la part du lion. Le réformisme naît de l’ensemble de la classe ouvrière, des chaînes dorées que le capital peut se permettre de lui forger durant les phases de prospérité économique.

Dans la phase de soumission réelle, non seulement la corruption de la classe ouvrière obtenue grâce à des surprofits tirés de l'exploitation d'autres nations peut être renforcée par le passage de la domination coloniale à la domination impérialiste (caractéristique de la phase de soumission réelle), mais encore, à l'intérieur même des métropoles impérialistes un élément de toute première importance se manifeste avec le progrès de la productivité du travail et donc le développement de la plus-value relative. Par ce biais, le capital peut augmenter le salaire réel tout en abaissant le salaire relatif.

C'est ce processus qui permet de lier le prolétariat aux intérêts du capital; d'autre part, nous avons vu, en étudiant la valeur de marché, les possibilités de différenciation des salaires et leur effet sur l'existence d'une aristocratie ouvrière. Une autre conséquence, c'est qu'il est possible désormais de diviser pleinement le prolétariat mondial, d'opposer une partie à l'autre en différenciant leur standards de vie. s'il est vrai que dans la phase formelle également les niveaux de vie sont différents entre pays, cela est dû avant tout aux circonstances historiques particulières qui déterminent la valeur de la force de travail, ainsi qu'à la lutte de classes ou aux diverses traditions nationales qui peuvent exister, de même qu'à la différence des aliments de base (blé en Europe, Riz en Asie). Cependant, une fois cette valeur de la force de travail donnée dans un pays, le salaire réel ne peut progresser durablement (sauf par le biais de la domination coloniale). Par contre dans la phase réelle, il devient plus facile de diviser le prolétariat mondial. La propagande bourgeoise montre en exemple l'ouvrier des pays capitalistes les plus développés et indique aux autres la voie à suivre : travaillez dur, soyez plus exploités, et vous serez mieux payés !

« De toutes façons, il ne faudrait pas s'imaginer que; parce que dans un pays donné la valeur relative du travail diminue proportionnellement à la productivité du travail, le niveau de salaire, dans les différents pays s'établit en proportion inverse de la productivité du travail. C'est juste le contraire qui se produit. Plus un pays est productif par rapport à un autre sur le marché mondial, et plus les salaires comparés aux autres y seront élevés. Ce n'est pas seulement le salaire nominal mais aussi le salaire réel, qui est en Angleterre plus élevé que sur le continent. L'ouvrier mange davantage de viande, satisfait davantage ses besoins. Mais cela ne vaut pas pour l'ouvrier agricole, seulement pour l'ouvrier de manufacture. Mais il n'est pas plus élevé en proportion de la productivité des ouvriers anglais. » (Marx Théories sur la plus-value T2 p.10)

C'est sur cette aristocratie ouvrière que prend assise le syndicat, ménageant les intérêts de celle-ci tout en bradant les intérêts de l'ensemble de la classe. Alors que dans la phase de soumission formelle le prolétariat pouvait utiliser le syndicat qui lui permettait de créer les conditions favorables pour que la force de travail se vende à sa valeur, par contre dans la phase de soumission réelle, l'une des fonctions du syndicat, devenu partie intégrante de la société bourgeoise, est de maintenir le prix de la force de travail en-dessous de sa valeur.

Reprenons par exemple notre tableau ci-dessus. Supposons que le prix de la force de travail y soit inférieur à sa valeur et que le salaire est égal à la valeur de la force de travail lorsque le taux de salaire est 1,1.

Il est donc parfaitement possible,-et c'est ce qui se passe dans la réalité - que la force de travail soit globalement vendue au-dessous de sa valeur (soit à 1 dans notre exemple), bien qu'une fraction de la classe ouvrière vende sa force de travail au-dessus de la valeur. Dans le tableau pour que globalement la force de travail soit vendue à sa valeur, il faudrait qu'il y ait une masse de salaire de 55 (au lieu de 50 ici). On peut mesurer ici tout ce qu'a de fallacieux la revendication du salaire minimum par le syndicat et par les gauchistes. Le syndicat réclamerait par exemple si nous prenons les chiffres du tableau un salaire minimum de 0,80 (soit 0,85 pour les gauchistes, compte tenu de la surenchère !). Ce faisant ils livrent pieds et poings liés le prolétariat au capital en revendiquant un salaire inférieur à la valeur de la force de travail.

Examinons les conséquences de tout ceci : les ouvriers des catégories III et IV qui eux aussi (tout comme ceux de V) vendent leur force de travail au-dessous de sa valeur ne sont pas unifiées face au capital sur une même revendication. Le syndicat maintient et reproduit la division de la classe ouvrière, et ce d'autant plus que les ouvriers des entreprises III, IV et V sont plus isolés (par exemple dans le tableau 12 unités d'ouvriers se répartissent dans 5 entreprises du type V, 11 dans 4 entreprises du type IV etc.); ce faisant, le syndicat canalise la lutte ouvrière en l'utilisant comme facteur du procès de rationalisation et d'accumulation du capital. Par exemple, si nous envisageons les entreprises encore inférieures à celles du type V, il est possible que la revendication d'un salaire minimum de 0,80 leur paraisse intolérable et les oblige à fermer leur porte. C'est ce qui explique que souvent les petits patrons soient de farouches adversaires du syndicat, alors que le patronat dans son ensemble et l'Etat le reconnaissent comme partenaire et interlocuteur privilégié, responsable et démocratique.

Par ce biais-là, le syndicat peut donc canaliser la lutte ouvrière comme facteur de rationalisation du capital. Mais il ne faudrait pas simaginer pour autant que le syndicat suscite les luttes. Au contraire, il cherche à les étouffer et à les limiter au maximum, y compris en les orientant selon les intérêts du capital. Ainsi, en Mai 68, la plus grande grève de l'histoire du mouvement ouvrier, les syndicats se sont vantés d'avoir arraché une augmentation de plus de 30% du salaire minimum. Ce qu'ils oublient de dire c'est qu'en fait ce salaire avait pris plus de 30% de retard sur l'évolution normale de l'ensemble du salaire ouvrier.

Nous avons vu que les syndicats ne cherchaient en aucune manière à unifier l'ensemble de la classe ouvrière pour qu'elle vende sa force de travail à sa valeur. Tout en fragmentant la classe, les syndicats vont développer une politique d'intégration spécifique à l'entreprise, au secteur, à la région, à la nation. Grâce aux différences de productivité, une partie de la classe ouvrière peut être corrompue par une politique de salaires plus élevés ce qui implique la possibilité de l'attachement à l'entreprise, du patriotisme d'entreprise, que les syndicats ne manquent pas d'exacerber. - Notons ici que nous avons considéré dans le tableau un même type d'ouvrier sans tenir compte des différences hiérarchiques etc.

C'est dans les entreprises de type I et II que nous trouvons l'aristocratie ouvrière (de plus c'est ici que les classes moyennes seront les plus nombreuses), qui forme une solide base pour le syndicat. En imposant la vente de la force de travail au-dessous de sa valeur, le syndicat ménage cette aristocratie dans la mesure où le capital n'est pas contraint d'attaquer ses privilèges. Bien au contraire, tant que durera la phase de prospérité, il cherchera à les maintenir, accroissant ainsi la division au sein du prolétariat, tout en s'assurant de l'attachement d'une fraction de la classe dont le poids social est déterminant. On remarquera, en effet, que, dans notre exemple, 34% des ouvriers ( 8 + 9 = 17 sur 50) contrôlent près de 50% du capital (50 + 45 = 95 sur 200), en n'étant réparti que dans 3 entreprises, et assurent près de la moitié de la production (18 + 16 = 34 sur 70). Ces ouvriers occupent donc une position-clé dans le procès global de production, ils sont fortement concentrés, d'où une menace potentielle relativement plus forte contre le capital. Il est donc particulièrement vital pour celui-ci de s'assurer l'appui de cette fraction de la classe ouvrière.

11.3    Moyens de reproduction non reproductibles.

Jusqu'ici nous n'avons vu l’établissement de surprofits que dans le cas des moyens de production reproductibles.

Au cours de son procès d'accumulation, le capital, étant donné qu'il est guidé par la soif du maximum de plus-value, provoque la baisse de la valeur des marchandises en généralisant les techniques de production les meilleures. Grâce à celles-ci, tout capital est à même de produire plus dans le même temps, car ces techniques sont reproductibles et ne restent pas l'apanage d'un seul capitaliste.

A condition de pouvoir mobiliser la masse des capitaux nécessaire, tout capitaliste peut introduire cette technique et obtenir momentanément un profit extra en abaissant la valeur individuelle des marchandises au-dessous de leur valeur sociale.

« Ou bien cette réduction (des coûts de production NDR) résulte du fait que le capital est employé dans des quantités supérieures à la moyenne, en sorte que les faux frais de la production diminuent tandis que les causes générales qui font croître la productivité du travail (coopération, division du travail etc.) peuvent avoir une plus haute efficacité, une intensité accrue, parce que leur champ d'activité s'est étendu; ou bien il provient du fait qu'indépendamment de la quantité de capital en fonction on recourt à de meilleures méthodes de travail, des inventions nouvelles, des améliorations mécaniques, des secrets de fabrication en chimie etc. bref, des moyens de production nouveaux, améliorés, supérieurs à la moyenne. La réduction du prix coûtant et le surprofit qui en résulte proviennent de la manière dont le capital en fonction est investi. Ils sont dus soit au fait que le capital est concentré dans les mains d'une seule personne, en quantité exceptionnellement grande, condition qui s'annule dès que des grandeurs équivalentes sont employées dans la moyenne; soit au fait qu'un capital de telle grandeur fonctionne d'une manière particulièrement productive, condition qui disparaît aussitôt que, d'exceptionnelle, la méthode devient générale ou se trouve surpassée par une autre, encore plus élaborée. » (Marx Capital III, 6 Pléiade t.2 pp.1313-1314)

Nous avons vu que les lois de la production capitaliste allaient toujours dans le sens de la généralisation de la technique la meilleure et par conséquent de l'abaissement de la valeur des marchandises. Le capital qui recherche le maximum de valeur extra, de plus-value, est obligé pour cela d'utiliser les techniques dont l'effet tend à réduire au minimum la valeur. Ce faisant, le capital pose d'une manière toujours plus accrue les bases de la société future. C'est cette contradiction valorisation/dévalorisation qui se présente sous l'aspect de la baisse tendancielle du taux de profit.

Cette généralisation de la technique la meilleure ne peut avoir lieu lorsque nous avons affaire à une force productive naturelle non reproductible et qui peut être monopolisée. Toute force productive naturelle n'est pas pour autant monopolisable, il en est ainsi de l'air par exemple. Dans un tel cas où une force productive naturelle peut être à la disposition de tous les capitalistes, il ne s'ensuit rien de différent par rapport au cas précédent. Le problème est tout autre lorsque nous avons affaire à l'utilisation d'une force productive qui est par nature monopolisable. En effet, elle est la source d'une productivité naturelle du travail qui ne provient ni du capital ni du travail, ni d'une utilisation par le capital d'une énergie naturelle distincte du capital mais incorporée en lui (par ex. l'utilisation de la vapeur dans une machine à vapeur).

Supposons que :

« les fabriques d'un pays donné soient pour la plupart actionnées par des machines à vapeur, une minorité cependant par des chutes d'eau naturelles. Supposons que le prix de production dans ces branches d'industrie soit de 115 pour une masse de marchandises dont la production a consommé un capital de 100. Le profit de n'est pas seulement calculé sur le capital de 100 qui a été consommé, mais sur le capital total utilisé dans la production de cette valeur marchandise. Comme nous l'avons expliqué antérieurement, ce prix de production n'est pas déterminé par le coût de production individuel de chaque producteur industriel, mais par le coût de production moyen de la marchandise produite, dans les conditions moyennes du capital, dans toute la sphère de production considérée. En fait il s'agit du prix de production de marché, du prix moyen de marché par opposition à ses oscillations. C'est d' ailleurs sous forme de prix de marché et ensuite sous forme de prix régulateur de marché ou prix de production de marché que se manifeste dans les marchandises la nature de la valeur; c'est ainsi que se traduit le fait qu'elle est déterminée, non point par le temps nécessaire à un producteur individuel donné produisant une certaine quantité de marchandises, ou des marchandises isolées, mais par le temps de travail socialement nécessaire; c'est le temps de travail requis pour produire, dans les conditions sociales moyennes de production, la quantité totale exigée par la société d'une espèce de marchandises se trouvant sur le marché." (Marx Capital ES t8 p.33)

Dans ce secteur, c'est la totalité des entreprises dont le travail abstrait est dépensé comme travail social qui détermine la valeur des marchandises. Supposons, en poursuivant l'exemple de Marx ci-dessus, que certains capitalistes soient à même d'utiliser une chute d'eau qui permette de réduire les coûts de production de 10. Leur capital avancé baisse alors de 100 à 90. Comme le prix de production dans la branche est le même pour la totalité des marchandises, les entreprises utilisant la chute d'eau vendent leurs marchandises 115 et touchent donc un profit de 25. Ces 25 se décomposent en 1355 de profit moyen (soit 15% -taux de profit moyen- de 90 - capital avancé-) et 11,5 de surprofit. Si le capitaliste qui exploite la chute d'eau n'est pas lui-même le propriétaire, mais que celui-ci est un personnage distinct du capitaliste, à savoir le propriétaire foncier, c'est celui-ci qui touche le surprofit sous forme de rente foncière. Il y a conversion du surprofit en rente foncière.

Dans le cas présent, cette rente sera appelée rente différentielle car elle est égale à la différence entre le prix de production individuel d'un capital particulier employant une force naturelle monopolisable, et le prix de production régulateur des marchandises de la branche. Dans la mesure où le propriétaire s'empare de ce surprofit celui-ci se convertit en rente foncière. Cette rente n'entre pas dans la formation du prix de production régulateur, elle est au contraire fondée sur lui. Cependant, tous les capitaux participent à l'établissement du prix de production régulateur, même ceux qui obtiennent un surprofit.

De même, il est possible que tous les capitaux participant à l'établissement du prix de production à l'intérieur de la branche soient caractérisés par le fait qu'ils emploient une force productive monopolisable. Dans l’agriculture par exemple, toutes les entreprises utilisent la terre comme moyen de production. Lorsqu'il y a seulement utilisation de moyens de production reproductibles, nous avons vu qu'il y a coïncidence entre le prix de production sur le plan de la branche c'est-à-dire somme des coûts de production individuels + profit moyen calculé sur le capital avancé total) et la valeur de marché (masse des marchandises multipliée par le prix de production régulateur du prix de marché individuel).

Par contre, lorsqu'il y a utilisation d'une force productive naturelle non reproductible, la valeur de marché est toujours supérieure au prix de production. Dans le cas présent, si nous faisons la somme des capitaux avancés dans l'entreprise qui possède la machine à vapeur et celle qui possède la chute d'eau, le prix de production au niveau de la branche serait de 100 + 90 (coût de production) + 28,5 (profit moyen de 15% sur le capital avancé) = 218,5 (prix de production au niveau de la branche). La valeur de marché est quant à elle de 115 (prix de production régulateur) X 2 (nombre de marchandises) = 230.

La différence de 11,5 revient au propriétaire foncier sous forme de rente. Si la chute d'eau appartenait au capitaliste, il y aurait toujours surprofit, mais le capitaliste l’empocherait directement, il ne serait pas obligé de le verser sous forme de rente au propriétaire foncier. Dès lors on ne pourrait pas, dans cette poche capitaliste, distinguer formellement le surprofit du profit moyen.

Par conséquent le surprofit est indépendant de l'existence ou de la non-existence de la propriété foncière. Le seul rôle de la propriété foncière dans cette affaire est de convertir le surprofit en rente. Alors que dans le cas que nous avons étudié précédemment, il y avait un mouvement du capital qui tendait à généraliser la technique la meilleure, ici cette meilleure technique -celle utilisant la chute d'eau- est par nature non généralisable puisque non reproductible. Les autres capitaux ne peuvent donc en bénéficier. Il n'y a donc pas moyen par ce biais-là, pour ces autres capitaux d'abaisser le prix de production régulateur au niveau du prix de production individuel du capital qui utilise la chute d'eau. Par contre rien n'empêche ces capitalistes d'utiliser une force productive reproductible (fruit du travail humain) qui ait les mêmes effets que la chute d'eau (ou des effets supérieurs) sur la productivité du travail et donc au niveau de la valorisation. Il peut très bien arriver que de nouvelles techniques, elles généralisables, viennent supplanter la technique non reproductible qui finit par être éliminée en tant que force productive.

La seule source de valeur est le travail, et la chute d'eau comme toute force naturelle n'a aucune valeur, elle permet seulement à un capital donné d'obtenir un surprofit grâce à un degré de productivité exceptionnel. C'est seulement en tant que propriétaire de cette force naturelle, que le propriétaire foncier peut s'approprier une partie de la plus-value extorquée à la classe ouvrière. Ce qui a été dit ici pour la chute d'eau vaut également pour les terres ou les richesses du sous-sol. Nous examinerons la rente agricole proprement dite dans la suite de cette étude.

12.  Mode de Production capitaliste = Alimentation végétalienne

Avant d'aborder la théorie de la rente proprement dite, nous devons développer ici un aspect essentiel de la théorie révolutionnaire. Cet élément très important qui est la théorie de l'aliment de base a été depuis Marx occulté, de même que l’ensemble de la question agraire, par les bourgeois et les réformistes. Lorsque rarement cet élément est mentionné, c'est comme de coutume pour le juger dépassé et le réviser en fonction des « phénomènes nouveaux » que connaîtrait le MPC.

Pour notre part, comme à notre habitude, nous nous rangeons dans le camp des quelques-uns qui farouchement défendent l'invariance du programme communiste.

Un des grands mérites d'Adam Smith est aussi d'avoir montré que la rente foncière provenant du capital employé dans la culture des produits agricoles tels que le lin, les plantes tinctoriales, dans l'élevage etc. est déterminée par la rente obtenue par le capital investi dans la production de l'aliment de base. Depuis Smith, aucun progrès n'a été réalisé à cet égard. Les restrictions ou additions que nous pourrions y ajouter n'ont pas leur place ici mais entrent dans l'étude spéciale de la propriété foncière. Nous ne parlerons donc pas ex professo de la propriété foncière se rapportant à un sol non destiné à la production de blé. » (Marx.p.1286).

En remarquant, que depuis Smith aucun progrès n'a été réalisé dans la compréhension de cet élément théorique, Marx raye d'un large trait de plume 50 ans de progrès scientifique. Si l'une de nos thèses montre que la science économique bourgeoise a atteint son apogée en 1830, sur la question de laliment de base le progrès s'est arrêté en 1776. Avis aux universitaires qui voudraient se présenter sur la ligne de départ et concourir dans la série "aliment de base" : ils ont un sérieux handicap de deux siècles ! Ce n'est pas vers les philistins modernes qu'il faudra se tourner pour avoir quelque lumière sur la question.

Comme Marx le fait remarquer, l'examen exhaustif de la question de l’aliment de base devait être menée à bien dans le livre consacré à la "propriété foncière" c'est-à-dire le deuxième livre des 6 que Marx projetait d'écrire et dont un seul l'a été : le Capital. Toutefois il n'est guère difficile d'exposer les grandes lignes de notre théorie. Hormis la Gauche Communiste d'Italie, bien peu de ceux qui prétendirent assurer la continuité du communisme révolutionnaire dans la terrible période de contre révolution dont nous émergeons à peine n'ont défendu cette thèse cardinale : le MPC s'accompagne d'une révolution alimentaire. Mode de production capitaliste = alimentation végétalienne. (écologistes vous arrivez 4 siècles après le capital !) [xxxviii]

Le lecteur écarquille les yeux ! Ne vivons-nous pas dans l'ère de la boite de conserves, du surgelé et du potage minute (en 1952, Bordiga ne parlait que de la conserve, excusez le modernisme !) ? Le journaliste de service de France-Soir ne nous dit-il pas d'ailleurs qu'aujourd'hui ce nest plus le pain quotidien que l'ouvrier doit gagner à la sueur de son front, mais le beefsteak ? La preuve : pour la première fois depuis qu'elle a le pouvoir politique, la bourgeoisie française vient de libérer le prix du pain!

Mais les faits sont têtus, et c'est sur eux que nous nous appuierons, même si la statistique bourgeoise, pourtant toujours prompte et précise dès qu'il s'agit de compter les poils de cul merdeux des capitalistes est peu loquace sur le sujet.

A chaque mode de production correspond un mode d'alimentation humaine donné. Dans le MPC, dont le but est de produire le maximum de plus-value, l'alimentation de la classé ouvrière, donc de la seule classe capable de fournir le surtravail aura une importance toute particulière. L'alimentation joue un rôle important dans la reproduction de la force de travail, et pour le capital il est nécessaire que la valeur de la force de travail soit la plus basse possible. Dans la phase de soumission formelle du travail au capital alors que l'augmentation de la productivité et de l'intensité du travail du travail rencontrent rapidement des limites, le capital ne peut, toutes choses égales par ailleurs accroître le taux de plus-value qu'en recourant à deux méthodes : l'allongement de la journée de travail et l'abaissement du prix de la force de travail au-dessous de sa valeur. Mais le capital tente aussi de modifier les conditions de la reproduction de la force de travail en substituant, par exemple, la pomme de terre à d'autres éléments permettant la reproduction de la force de travail.

« Le coton, les pommes de terre et l’eau-de-vie sont des objets du plus commun usage. Les pommes de terre ont engendré les écrouelles; le coton a chassé en grande partie le lin et la laine, bien que la laine et le lin soient, en beaucoup de cas, d'une plus grande utilité, ne fût-ce que sous le rapport de l'hygiène; l’eau-de-vie, enfin l'a emporté sur la bière et le vin, bien que l'eau-de-vie employée comme substance alimentaire soit généralement reconnue comme un poison. Pendant tout un siècle, les gouvernements luttèrent vainement contre l'opium européen; l'économie prévalut, elle dicta ses ordres à la consommation.

Pourquoi donc le coton, la pomme de terre et l'eau-de-vie sont-ils les pivots de la société bourgeoise ? Parce qu'il faut pour les produire, le moins de travail, et qu'ils sont par conséquent au plus bas prix. Pourquoi le minimum du prix décide-t-il du maximum de la consommation ? Serait-ce par hasard à cause de l'utilité absolue de ces objets, de leur utilité intrinsèque, de leur utilité en tant quils correspondent de la manière la plus utile aux besoins de l’ouvrier comme homme, et non de l'homme comme ouvrier ? Non, c'est parce que dans une société fondée sur la misère, les produits les plus misérables ont la prérogative fatale de servir à l'usage du plus grand nombre. (Marx Misère de la philosophie p.37)

Les lois de la production capitaliste renchérissent relativement les produits alimentaires par rapport aux produits manufacturés (à l'inverse du féodalisme dans lequel les produits manufacturés sont relativement plus chers que les produits agricoles), la généralisation du MPC s'accompagne donc d'une révolution alimentaire[xxxix], l'aliment de base de la classe exploitée étant un aliment végétal (Blé en Europe, Riz en Asie).

Dans son ouvrage sur "La Question Agraire", Kautsky, alors orthodoxe, commence par démolir les postulats bourgeois selon lesquels le climat et non le mode de production est l'élément déterminant de l'alimentation. Selon la théorie bourgeoise, il y aurait des branches de l'espèce humaine (notamment celles vivant dans les régions tropicales ou équatoriales) qui n'auraient pas besoin de viande. Une telle explication relève d'un plat naturalisme en ce qu'elle prétend déterminer la forme de l'activité humaine par le besoin en carbone ! Or s'il est vrai que dans les pays froids l’homme a relativement plus besoin de substances animales (riches en carbone) la différence n'est pas si notable qu'on puisse séparer naturellement l’humanité en peuples végétariens et peuples non végétariens suivant la latitude. C'est ce que prouve, par exemple, l'effort que font les Tchouktches des régions polaires pour se procurer des végétaux. A l'inverse, dans toutes les régions d'Afrique, les habitants se nourrissent de beaucoup de viande. A un faible degré du développement humain[xl] l'homme résolvait même son "besoin en carbone" en mangeant son semblable.

Comme le montre Kautsky, dans la mesure où l'homme est tout d'abord confronté à une nature qu'il ne domine pas, il dépend largement de celle-ci et se nourrit de ce qui lui est facilement accessible. Ainsi, malgré les différences de climat, tous les hommes vivant au stade de la chasse et de la pêche s'alimentaient à peu près de la même manière (avec bien sûr les variations locales dues à la plus ou moins grande rareté ou abondance de certains produits). La manière dont l'homme s'empare de ses sources de nourriture est déterminée par son mode de production. Aucun peuple ou groupe humain n'est par nature entièrement, végétarien[xli], le climat ne constituant dans tout cela, contrairement à ce qu'affirmant les théories bourgeoises, qu'un élément négligeable, dans la mesure où il ne joue pas de rôle sur la mise à disposition des produits (même Kroutchev a eu toutes les peines du monde à faire pousser des fraises en Sibérie, et pourtant il pensait que le socialisme impliquait la domination de la nature).

« Si le mode de production d'un peuple change, son alimentation change aussi sans que change le climat. Si le lazzaroni napolitain d'aujourd'hui se contente de macaronis, de sardines et d'ail, il ne le doit pas au magnifique climat sous lequel il vit. Sous le même climat, les hommes des temps héroïques de la Grèce, ainsi que nous l’apprenons par l’Iliade et l'Odyssée, trouvaient du plaisir non seulement à consommer de grandes quantités de viande, mais encore à consommer de la graisse "florissante", nourriture qui pourrait satisfaire même un esquimau.

Les Hindous eux-mêmes n'ont pas toujours été végétariens. Avant d'avoir envahi la vallée du Gange et de s'y être établis, ils étaient, des bergers nomades dont l'alimentation se composait principalement du lait et de la viande des bêtes de leurs troupeaux. Ce n'est que lorsque leur mode de production eut changé, lorsque l'agriculture eut pris la place de l’élevage parce que le pays du Gange présentait bien des conditions favorables à l'agriculture, mais non à une exploitation étendue de pâturages, ce n'est qu'alors que l'abatage d'un bœuf ou d'une vache, de celui qui laboure et de celle qui donne le lait, devint peu à peu un acte de prodigalité criminelle. » (Kautsky - La question agraire pp.33-34)

Il nous faut montrer maintenant que l’avènement du MPC s'accompagne de la généralisation de l'alimentation végétalienne.[xlii]

Selon des historiens allemands du XIXè siècle, la consommation de viande a atteint un point culminant en Allemagne au cours du XVè siècle avec environ 100 kg par personne et par an. C'est-à-dire, 250 g à 300 g par jour, si l'on divise cette quantité par la totalité des jours de l'année, mais il faut compter en enlevant les jours d'abstinence et de jeûne religieux, dans ce cas, on arrive à des rations courantes de 450 à 500 g.

Le déclin s'effectue au cours du XVIè siècle, d'abord lentement puis d'une manière rapide au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. A la fin du XVIIIè- début du XIXè siècle, on en est à 1,4 kg par personne et par an (il convient de noter l'insuffisance de tels chiffres qui ne prennent pas en compte les différentes classes sociales[xliii] - Nous avons vu que pour le capital ce qui est déterminant c'est la consommation de l'ouvrier. De ce point de vue, on peut dire que la ration de l'ouvrier était certainement légèrement inférieure à ce chiffre [xliv].

Ainsi en 250 ans, la consommation de viande de l'Allemand a été divisée par 7 ! Il s'effectue ensuite une légère reprise (environ 40 kg par personne et par an à la veille de la première guerre mondiale). Cela ne fait que confirmer notre doctrine de classe. En effet, s'il y a une baisse absolue de la consommation de viande avec l'établissement de la phase de soumission formelle du travail au capital, au cours de la phase de soumission réelle la consommation, de viande s'accroît de nouveau. La consommation de viande par ouvrier est d'ailleurs (avec le capital fixe et le nombre d'exemplaires vendus du Manifeste du parti communiste !) pour Marx l'un des indices les plus sûrs du développement capitaliste. Cependant si l'on considère la. consommation de l'ouvrier Français en 1974, celui-ci consomme toutes catégories de viande confondues, y compris charcuterie et poisson, moins de 160 g par jour soit trois fois moins de viande que l'artisan allemand du XVIè  siècle.

On peut constater la même tendance de diminution absolue de la consommation de viande comme corollaire du développement capitaliste, en Angleterre, même si les observations y ont été faites d'une manière moins sérieuse[xlv]. La ration alimentaire des "mangeurs de viande" (meat eating classes) est évaluée à 680 g par jour pour l'Angleterre du XVè siècle. Dans la Royal Navy en 1565, chaque matelot reçoit par jour 518 g de bœuf salé et 85 g de poisson séché. Au XVIIè la consommation de viande tomberait, (pour la population qui en mange tous les jours, ou 5 fois par semaine), à 311 g par jour (cf. Gregory King). Donc, là aussi on constate une diminution de la consommation de viande. De plus, celle-ci augmente à nouveau un peu plus tôt qu'en Allemagne, et ceci n'est pas étonnant, car comme nous l'avons vu dans notre N°5, l’Angleterre est la première aire à connaître la phase de soumission réelle du travail au capital.

En ce qui concerne le prolétaire anglais de l'ère de la révolution industrielle, il nous suffit de citer les résultats de l'enquête d'Engels à Manchester en 1844 pour en avoir un saisissant aperçu :

« L'alimentation habituelle du travailleur industriel diffère évidemment selon le salaire. Les mieux payés, en particulier ceux des ouvriers d'usine chez lesquels chaque membre de la famille est en état de gagner quelque chose ont tant que cela dure, une bonne nourriture, de la viande chaque jour et le soir, du lard et du fromage. Mais dans les familles où on gagne moins, on ne trouve de la viande que le dimanche ou 2 à 3 fois par semaine, et en revanche plus de pommes de terre et de pain; si nous descendons l'échelle peu à peu, nous trouvons que la nourriture d'origine animale est réduite à quelques dés de lard, mêlés aux pommes de terre, plus bas encore ce lard disparaît, il ne reste que du fromage, du pain de la bouillie de farine d'avoine (porridge), et des pommée de terre, jusqu'au dernier degré, chez les Irlandais où les pommes de terre constituent la seule nourriture." (Situation de la classe laborieuse en Angleterre p.115)

Engels ajoute par la suite que même cette limite est franchie quand l’ouvrier cesse d'avoir du travail ; par exemple, à Londres, où le nombre des sans-travail était plus grand qu'ailleurs :

« On consomme à défaut d'autre nourriture, des pelures de pommes de terre, des déchets de légumes, des végétaux pourrissants, et on ramasse ardemment tout ce qui peut contenir ne serait-ce qu'un atome de produit mangeable. »

En ce qui concerne la France, il y a encore moins de données globales, mais nous pouvons utiliser quelques exemples significatifs localisés, comme l'évolution de la consommation de viande du salarié Languedocien au XVIè siècle.

1480             39,5 kg/an

1533-34     40,9 kg/an

1549             32,7 kg/an

1551             38,2 kg/an

1562                      35 kg/an

1563                      30 kg/an

1583                        20 kg/an

1580-90     18,2 kg/an

Ainsi, en moins d'un siècle, la consommation de viande est divisée par 2.

En Espagne sous Philippe II, la consommation de viande et de poisson par an et par habitant est égale à 18 kg de bœuf, 9,6 kg de mouton, 6 kg de poisson frais et 6 kg de poisson séché, ce qui constitue des quantités honorables par rapport à l'époque actuelle. On peut noter toutefois que là où il y a forte consommation de viande il y a aussi souvent forte consommation de pain [xlvi]

Dans les époques de famine, l'alimentation, surtout celle du paysan est composée uniquement de céréales dans le meilleur des cas, de racines et de châtaignes autrement.

En séparant le prolétaire de la terre, le capital paupérise l'ouvrier, la part relative de la consommation de céréales et de végétaux augmente et ceux-ci constituent son aliment de base, celui-ci étant en Europe le blé. Avec la phase de soumission réelle du travail au capital, la consommation de viande de la classe ouvrière et plus encore de son aristocratie augmente. En effet, dans cette phase, il est possible d'augmenter le taux d’exploitation tout en augmentant le salaire réel. Le capital peut ainsi forger des chaînes dorées aux esclaves salariés. Avec cette phase, il s'ensuit un changement d'attitude de la bourgeoisie vis-à-vis de l'image de l'ouvrier qu'elle propose comme modèle à l'ensemble du prolétariat, de même son attitude vis-à-vis du syndicat se modifie. C'est ce qu’a très bien montré Rosa Luxemburg :

« Le rôle personnel de l'exploiteur est visible quand il s'agit du salaire absolu, c'est-à-dire du niveau de vie réel. Une réduction de salaire qui entraîne un abaissement du niveau de vie réel des ouvriers est un attentat visible des capitalistes contre les travailleurs et ceux-ci y répondent aussitôt par la lutte, là où existe un syndicat, et, dans les cas favorables, ils l'empêchent. La baisse du salaire relatif s'opère sans la moindre intervention personnelle du capitaliste, et contre elle, les travailleurs n'ont pas de possibilité de lutte et de défense à l'intérieur du système salarial, c'est-à-dire sur le terrain de la production marchande. Contre le progrès technique de la production, contre les inventions, contre l'introduction des machines, contre la vapeur et l'électricité, contre les perfectionnements des transports, les ouvriers ne peuvent pas lutter. Or, l'action de ces progrès sur le salaire relatif des ouvriers résulte automatiquement de la production marchande et du caractère de marchandise de la force de travail. C'est pourquoi les syndicats les plus puissants sont impuissants contre cette tendance à la baisse rapide du salaire relatif. La lutte contre la baisse du salaire relatif est la lutte contre le caractère de marchandise de la force de travail, contre la production capitaliste tout entière. La lutte contre la chute du salaire relatif n'est plus une lutte sur le terrain de l'économie marchande, mais un assaut révolutionnaire contre cette économie, c'est le mouvement socialiste du prolétariat.

D'où les sympathies de la classe capitaliste pour les syndicats qu'elle avait d'abord combattus furieusement, une fois que la lutte socialiste eut commencée et dans la mesure où les syndicats se laissent opposer au socialisme. En France, les luttes ouvrières pour l'obtention du droit de coalition ont été vaines jusque dans les années 1870 et les syndicats étaient poursuivis et frappés de sanctions draconiennes. Cependant, peu après que la Commune eut inspiré à la bourgeoisie une peur panique du spectre rouge, un brusque changement s'opéra dans l'opinion publique. L'organe du président Gambetta, La République Française, et tout le parti régnant des "républicains rassasiés", commencent à encourager le mouvement syndical, à faire pour lui une active propagande. Aux ouvriers anglais, on citait en exemple au début du XIXè siècle la sobriété des ouvriers Allemands; c'est au contraire l'ouvrier anglais, non pas sobre mais « avide » le trade-unioniste mangeur de bifteck, que l'on recommande comme modèle à l'ouvrier Allemand. Tant il est vrai que pour la bourgeoisie la lutte la plus acharnée, pour l'augmentation du salaire absolu est une vétille inoffensive par rapport à l'attentat contre le saint des saints, contre la loi du capitalisme qui tend à une baisse continuelle du salaire relatif. » (Rosa Luxemburg. Introduction à l'économie politique pp.282-83)

La consommation de viande de l'ouvrier sera donc un des indices du développement de la phase de soumission réelle du travail au capital. Il est facile de vérifier que c'est effectivement dans les métropoles impérialistes que l’ouvrier consomme le plus de viande[xlvii] (Deux exceptions : l'Argentine et l'Uruguay que la division internationale du travail a placées dans la position d'exportateurs de viande pour les pays capitalistes les plus développés et dans lesquels la consommation de viande par la classe ouvrière est comparable à celle des pays où le MPC est le plus développé).

Après avoir démontré que le MPC généralise l'alimentation végétalienne et que l'augmentation de la consommation de viande, avec la phase de soumission réelle, n'est absolument pas contradictoire avec la thèse précédente mais bien au contraire en parfaite continuité avec celle-ci, il nous reste à montrer l'importance, toute actuelle, de l'aliment de base végétal.

Tandis qu'augmentait pour les pays capitalistes les plus développés la consommation de viande, le rôle des aliments végétaux est allé en diminuant. Ainsi la consommation de pain par an et par personne passe, en France, de 84,3 kg en 1965 à 57,2 kg en 1974 ; la consommation des pâtes alimentaires passe de 7,6 kg en 65 à 5,6 kg en 74. Tandis que, dans le même temps, la consommation de viande de boucherie s'élève de 20,9 kg à 21,8 kg, la consommation de viande de porc passe de 6,3 kg à 7,8 kg, la charcuterie de 6,9 kg à 8,1 kg. La baisse de la consommation- de blé se retrouve dans la plupart des pays capitalistes dans lesquels le blé est l'aliment de base.

- Consommation de blé 1924-1961 en kilogrammes par an et par habitant-

 

Pays

1924-28

1929-33

1934-38

1950-53

1954-58

1959-61

France

192

184

158

162

141

132

Belgique + Lux

165

161

149

127

121

119

Royaume-Uni

138

133

127

117

114

108

Australie

137

134

126

127

119

111

Nlle-Zélande

128

122

118

103

103

105

Suisse

128

135

131

115

109

108

Canada

123

112

115

95

90

86

Etats-Unis

114

104

100

84

76

74

Pays-Bas

105

106

104

101

101

93

(Source : FAO)

 

Il faut cependant nuancer les chiffres ci-dessus, dans la mesure où ce qui nous intéresse c'est la consommation de la classe ouvrière, la seule dont l'exploitation de la force de travail permet la création de plus-value. De ce point de vue, ce sont les classes moyennes et les capitalistes qui consomment proportionnellement le plus de viande et le moins de céréales et de pommes de terre. Pour la France de 1974, nous avons la répartition suivante (en kilos par an et par personne).

 

                             Ouvriers

                Classes moyennes

 Employés / Cadres moy./ Cadres Sup.

Capitalistes

Pain

58,76

46,71

43,44

37,39

43,43

Pâtes

5,58

4,68

4,09

3,24

4,27

Pommes de T.

79,54

57,23

56,44

31,4

48,27

Ts. prod. Car-nés(+poisson)

56,74

58,04

55,74

54,02

62,69

(Viande boucherie)

(20,34)

(22,68)

(21,05)

(23,99)

(27,90)

 

Donc, d'une part notre doctrine de classe considère l'aliment de base qui rentre dans la reproduction de la force de travail prolétarienne, d’autre part il est nécessaire de considérer des aires géographiques et donc de dépasser l'analyse pays par pays. Nous retrouvons ici l'un des éléments des fameuses aires géo-historiques dont nous avons parlé brièvement dans le N°5 de C ou C dans notre conclusion sur la question nationale.

En ce qui concerne le blé, nous pouvons avoir une bonne indication de son importance dans certains pays où justement il constitue l'aliment de base en constatant la part de calories fournies par le blé dans le total des calories fournies par les céréales et féculents.

 

Grèce            89%

Liban.          82%

Yougoslavie 75%

Etats-Unis   72%

Israël             88%

Iran             82%

Suède            75%

Libye           71%

Hongrie         86%

Turquie..     82%

Irak             75%

Pays-bas      69%

Australie       85%

France...      80%

Canada       74%

Afghanistan68%

Jordanie        84%

Argentine    79%

Irlande         74%

Norvège      64%

Italie...          83%

Uruguay      77%

Espagne       74%

Roumanie   58%

Chili             82%

Belgique.     77%

Royaume-Uni 74%

All.Féd.       52%

Autriche      48%

Syrie....       77%

Suisse          73%

Finlande      50%

Danemark.  44%

Portugal      40%

RAU           43%

Pologne       40%

 

(Source : PAO 1962)

 

La faible part de certains pays comme la Pologne ou le Portugal s'explique par l'importance d'autres aliments comme le maïs et la pomme de terre. Il en va de même en RAU où le maïs joue un rôle très important. Toutefois le blé est prédominant, même si ce n'est que faiblement, et dautre part il est nécessaire de considérer l'ensemble de l'aire envisagée. Il est frappant de voir que les pays se répartissent dans les aires suivantes :

Europe (il faut inclure l'URSS dans laquelle le blé joue un rôle de très grande importance).

Moyen-Orient (il faudrait ajouter également le Pakistan occidental, consommateur de blé).

Amérique du Nord (sauf Mexique où le maïs est l'aliment de base).

Sud de l'Amérique Latine (comme nous l'avons noté l'Argentine et l'Uruguay ont un niveau de consommation de viande comparable à celui des pays capitalistes les plus développes, il n'en demeure pas moins comme le montrent ces chiffres que le blé y est l’aliment de base).

Bien entendu, si la part du blé dans la consommation de céréales et de féculents joue partout un rôle primordial, cette part est très variable du point de vue de la contribution au montant total des calories. Cela n'a rien d'étonnant car avec le développement de la phase de soumission réelle la quantité de viande consommée augmente, aussi les calories d'origine animale ont-elles en général d'autant plus d'importance que le MPC est plus développé. Ainsi, par exemple, en Turquie le blé fournit 58% des calories totales et les protéines d'origine animale 16% tandis qu'aux Etats-Unis, modèle du développement capitaliste la part du blé est de 17% contre 70% pour les protéines d'origine animale. Mais dans un cas comme dans l'autre, le principal végétal constituant l'aliment de base du prolétariat est le blé ( 82% en Turquie et 72% aux USA).

En ce qui concerne le riz et les autres végétaux susceptibles d'être l'aliment de base d'une aire donnée nous n'avons pas d'études comparables mais on peut toutefois citer à titre d'exemple le Japon. Le riz y est l’aliment de base.

- Consommation de certains aliments au Japon 1949-63 en grammes par jour et par habitant.

 

Aliments

1949

1955

1963

Riz

333

347

351

Blé

66

68

65

Orge

63

60

12

Aliments d' orig.anim.

69

125

178

(Source : FAO)

 

Quant à la Chine, si vous n'êtes pas convaincus que le riz y est l’aliment de base vous pouvez toujours aller, s'il vous reste quelques sous à la fin du mois, dans un restaurant chinois, et essayer d’y demander du pain[xlviii]

Jusqu'ici nous n'avons envisagé la question que sous l'angle des quantités consommées ou des calories fournies.

Si cela nous donne des indications précieuses pour la détermination de l'aliment de base, du principal végétal entrant dans la reproduction de la force de travail prolétarienne, cette détermination ne pourra être menée à bien que par l'étude des superficies cultivées. L'aliment de base étant le végétal qui occupe la superficie la plus importante.

Le blé était cet aliment en Europe aux XVIII0 et XIX0 siècle et il semble donc bien l'être toujours au vu des éléments que nous avons analysés plus haut.

Mais nous devons voir si cela est confirmé par la donnée qui est la plus importante pour la détermination de la rente : la superficie cultivée.

Pour cela nous aurons recours au grand tableau comparatif des pages suivantes.


Répartition des principales superficies cultivées en végétaux en Europe (unité=hectare)

 

Pays

Période

Seigle

Maïs

Riz

P. de T.

Blé

Orge

Avoine

Allemagne (RFA + RDA)

1912-14 1928-29 1969-71

6 500 000

4 500 000

1 550 000

-

-

100 000

-

-

-

3 400 000 2 800 000 1 100 000

2 000 000 1 600 000 1 200 000

1 600 000

1 500 000

2 100 000

4 500 000

3 500 000

1 000 000

Autriche

1912-14 1928-29 1969-71

2 000 000

  380 000

  140 000

290 000

  60 000 120 000

-

-

-

1 275 000

   190 000

   110 000

1 200 000

    200 000

    280 000

1 000 000

   150 000

   290 000

1 900 000

  300 000

  100 000

Hongrie

1912-14 1928-29 1969-71

1 100 000

   650 000

   150 000

2 900 000

1 000 000

1 275 000

-

-

-

   700 000

   280 000

   170 000

3 200 000

1 500 000

1 300 000

1 100 000

   450 000

   320 000

1 100 000

  280 000

    50 000

Belgique

1912-14 1928-29 1969-71

   260 000

   230 000

     20 000

-

-

2 000

-

-

-

   160 000

   170 000

     45 000

   160 000

    175 000

    210 000

     35 000

     40 000

   175 000

   275 000

   270 000

     90 000

Bulgarie

1912-14 1928-29 1969-71

185 000

180 000

 20 000

650 000 780 000

630 000

  3 000

  6 000

17 000

-

10 000

30 000

1 000 000 1 000 000 1 000 000

 230 000

 220 000

 420 000

  170 000

  150 000

    75 000

Danemark

1912-14 1928-29 1969-71

245 000

150 000

 40 000

-

-

-

-

-

-

60 000

65 000

35 000

  55 000

100 000

110 000

  250 000

  350 000

1 340 000

430 000

400 000

190 000

Espagne

1912-14 1928-29 1969-71

770 000 660 000 320 000

460 000 475 000

530 000

    39 000

    50 000

    60 000

   275 000

             ?

    390 000

3 900 000

4 200 000

3 800 000

1 500 000

1 800 000

2 215 000

550 000

700 000

480 000

France

1912-14 1928-29 1969-71

1 200 000

   790 000

   140 000

   470 000

   350 000

1 450 000

-

-

20 000

1 550 000

1 450 000

   400 000

6 500 000

5 200 000 4 000 000

   750 000

   750 000

2 820 000

4 000 000

3 500 000

   830 000

Italie

1912-14 1928-29 1969-71

125 000

125 000

  35 000

1 600 000

1 500 000

    980 000

145 000 140 000

170 000

295 000

350 000

280 000

4 800 000

4 800 000

4 000 000

250 000

230 000

180 000

  500 000

  500 000

   300 000


Pays

Période

Seigle

Maïs

Riz

P de T.

Blé

Orge

Avoine

Norvège

1912-14 1928-29 1969-71

15 000

  7 000

10 000

-

-

-

-

-

-

      40 000

      50 000

      30 000

       5000

    11 000

      4 000

    35 000

    60 000

   180 000

100 000

100 000

  70 000

Pays-Bas

1912-14 1928-29 1969-71

230 000

200 000

  60 000

-

-

1 000

-

-

-

    170 000

    180 000

    150 000

    60 000

    50 000

-

   25 000

   30 000

-

140 000

160 000

  60 000

Pologne

1912-14 1928-29 1969-71

?

5 500 000 3 750 000

-

-

-

-

-

-

-

2 500 000

 2 700 000

-

1 300 000

2 000 000

-

1 150 000

    870 000

-

2 000 000 1 400 000

Portugal

1912-14 1928-29 1969-71

?

250 000 230 000

-

-

430 000

-

-

40 000

-

-

115 000

-

450 000

500 000

-

80 000

90 000

-

230 000 165 000

Roumanie

1912-14 1928-29

1969-71

   90 000

300 000

  45 000

2 100 000

4 500 000

3 200 000

-

-

28 000

  10 000

200 000

310 000

2 000 000

3 000 000

2 500 000

550 000

2 000 000

310 000

500 000

1 200 000

130 000

Suisse

1912-14 1928-29 1969-71

25 000

20 000

 10 000

1 000

1 000

10 000

-

-

-

55 000

50 000

30 000

40 000

70 000

-

6 000

 6 000

 40 000

30 000

20 000

 10 000

GB + Irlande UK

1912-14 1928-29 1969-71

25 000

?

5 000

-

-

1 000

-

-

-

500 000

450 000

270 000

750 000

1 000 000

1 000 000

800 000 550 000

2 320 000

1 600 000 1 400 000 375 000

Suède

1912-14 1928-29 1969-71

400 000

250 000 80 000

-

-

-

-

-

-

150 000

150 000

 50 000

100 000

230 000

260 000

175 000

?

600 000

800 000

?

500 000

Grèce

1912-14 1928-29 1969-71

-

50 000

 7 000

-

-

160 000

-

-

17 000

-

12 000

55 000

-

500 000

1 000 000

-

200 000

?

-

130 000

80 000


Comme on peut le constater avec les chiffres des deux pages précédentes[xlix], c’est bien le blé qui occupe, en Europe, la superficie la plus grande parmi les végétaux. En outre, si le blé est destiné presque intégralement à l’alimentation humaine, il n’en va pas de même pour d’autres végétaux destinés pour une large part à l’alimentation animale, comme l’avoine, par exemple.

En arrondissant les totaux, nous voyons que le blé occupe, en 1914 et 1929 environ 25 millions d’ha ; l’avoine, environ 15 millions ; le seigle, environ 14 millions ; l’orge, environ 10 millions ; la pomme de terre et le maïs, environ 9 millions chacun ; enfin, le riz occupe une part peu importante : 200 000 ha.

En 1969-71, nous observons que le blé est toujours dominant par rapport aux autres végétaux (environ 24 millions d’ha)

On observe aussi la chute de l’avoine, qui tombe de 16,5 millions d’ha à 6 millions d’ha, baisse liée entre autres à la disparition du cheval, remplacé par les machines. Le seigle chute également pour atteindre 7 millions d’ha. Par contre, la superficie ensemencée en orge, s’élève de 9,5 millions d’ha en 1930 à 14 millions en 1970. Signalons que l’orge est utilisée à 70% pour nourrir les animaux, alors qu’à l’inverse, 70% du blé est utilisé pour l’alimentation humaine. Il en va de même pour le maïs qui semble se développer légèrement, surtout par son extension dans les régions qui ne pratiquaient pas traditionnellement ce genre de culture (Nord) ; le progrès scientifique permettant désormais d’y acclimater cette céréale. En Europe et en Amérique du Nord, le maïs sert pour la plus grande part à l’alimentation animale. Aux USA, le maïs occupe la plus grande part des surfaces cultivées en végétaux (23,8 millions d’ha, contre 18,7 millions pour le blé). Mais, c’est le blé qui constitue l’aliment de base puisque le maïs est utilisé en majeure partie pour nourrir les cochons, au point que les américains les appellent « maïs à quatre pattes ».

En ce qui concerne l’URSS, les données antérieures étant trop imprécises, nous ne pouvons fournir un tableau comparatif des différentes superficies cultivées en végétaux que pour la dernière période (1969-1971).

 

URSS

 

Blé

65 230 000 hectares

Orge

21 780 000 hectares

Seigle

  9 590 000 hectares

Avoine

  8 020 000 hectares

Maïs

  3 620 000 hectares

Millet

  2 820 000 hectares

Riz

     355 000 hectares

 

En ce qui concerne les autres aires, nous pouvons avoir une idée globale grâce au tableau suivant :

 

1975

Afrique

Am.Nord

Am. Sud

Asie

Europe

Océanie

URSS

Blé

8.484

38.487

9.704

75-779

25.305

8.612

61.985

Mais

19.056

36.397

16.050

27.480

12.142

80

2.652

Seigle

22

615

367

603

5.367

15

8.010

Avoine

402

7-769

567

2.315

6.502

1.010

12.107

Orge

4.426

8.294

1.031

24.085

19.271

2.446

 ?

Riz

4.507

1.965

6.456

128.194

377

86

500

Millet

15.272

703

944

5.343

6.348

47

7.912

Sorgho

13.839

7.872

2.488

17.866

159

513

77

(contrairement aux tableaux précédents, les chiffres sont donnés en milliers d'ha)

 

Nous y voyons bien à nouveau une confirmation de notre thèse selon laquelle le riz est l'aliment de base en Asie. (La zone qui va du Moyen-Orient à l'Afrique du Nord a comme aliment de base le Blé. Ainsi l'Afghanistan, le Pakistan Occidental, l'Iran, la Turquie sont des consommateurs de blé).

En ce qui concerne l'Afrique, nous n'avons pas réussi à obtenir assez de données pour discerner précisément quel est l'aliment de base. Il est certain qu'en Afrique du Nord -en liaison avec le Moyen-Orient- il s'agit du blé ( Libye, Algérie, Tunisie, Maroc, Egypte).

Pour l'Amérique Latine, comme on peut le voir sur le tableau, le maïs occupe une part prédominante dans les surfaces cultivées. Toutefois, dans la pointe Sud de l'Amérique Latine, l'aliment de base est le blé.

Nous avons essayé de représenter au moyen d'une carte la répartition de l'aliment de base par aires géographiques :

 

 

Au terme de notre analyse, nous avons donc établi que les positions de Marx étaient toujours valables. Le blé est l'aliment de base en Europe, le riz est l'aliment de base en Asie. Aucun nouveau végétal n'est venu supplanter ceux qui dominaient au siècle dernier. Si, dans un premier temps, Smith pensait que l'aliment de base était le riz en Asie, il y renonça par la suite dans la mesure où il affirme que les terres à riz sont impropres à toute autre culture à cause de la présence de l'eau. En réalité seule une partie assez faible (10 à 20%) des terres vouées à la culture des riz, est impropre à toute autre culture (c'est le cas du delta du Mékong au Vietnam par exemple). Les conditions naturelles indispensables à la culture du riz sont de fortes précipitations et un terrain parfaitement plat, aussi a-t-il fallu par exemple au Japon un travail considérable pour rendre possible la culture du riz, dans un pays fort montagneux (d'où de grands travaux daplanissement) . La terre à riz, en France, la Camargue, n'est pas du tout vouée naturellement à cette culture, puisqu'il y poussait avant du blé, puis de la vigne.

Quelles sont les conséquences théoriques .et pratiques du fait que le blé soit (pour l'Europe) l'aliment de base, et donc occupe les plus grandes surfaces cultivées en végétaux ? Tout d'abord, c'est la rente des terres à blé qui détermine la rente des autres terres cultivées ainsi que celle des pâturages. La rente des terres sur lesquelles sont cultivées les plantes servant, par exemple, de matières premières pour l'habillement (lin etc.) pour l'alimentation du bétail, ainsi que la rente des pâturages sont égales à celle que devrait payer le fermier si la terre était cultivée en blé. Si les terres à blé déterminent la rente différentielle, elles déterminent également pour les autres terres la rente absolue.(c'est-à-dire une rente identique pour chaque terre). C'est en effet sur la base du capital investi dans la culture du blé que s'établit la rente absolue. Dans les autres branches agricoles, cette rente s'ajoute aux coûts de production de même que la rente différentielle, si bien que par exemple la viande se vend au-dessus de son prix de production et de sa valeur. Si le blé est relativement plus cher que les produits industriels, la viande elle, est relativement plus cher que le blé.

Enfin, c'est la rente agricole qui détermine la rente urbaine. Sur la base de la rente agricole s'ajoutent également d'autres éléments particuliers qui renchérissent les terrains à bâtir : la situation (le progrès des moyens de transport et de communication renchérit les terrains lorsqu'il favorise la situation), le progrès de la population dans les villes, le développement du capital fixe qui demeure sur la terre à échéance du bail, la nécessité de la terre en tant qu'espace et assise indispensable à toute activité humaine. Tous ces éléments renchérissent les loyers en un mouvement qui part du centre des villes vers la périphérie, et les ouvriers sont progressivement rejetés des centres des villes vers les banlieues. Paris puni pour ses soulèvements révolutionnaires, désormais vidé de sa substance ouvrière, a maintenant un maire.

Vous qui jetez un oeil distrait sur les derniers remaniements des prix agricoles à Bruxelles, sachez bien ceci : LORSQUE LE PRIX DU BLE AUGMENTE TOUT CE QUI EST VITAL POUR LE PROLETAIRE AUGMENTE

 

13.  Terre vierge, capital satyre : rente différentielle I

13.1    Introduction.

Après avoir rappelé les fondements de la théorie de la rente (cf. N°s 2, 4 et 6), nous avions vu, dans le N°6 que c'est le capital accumulé dans la branche de l'aliment de base (blé en Europe, riz en Asie), qui détermine la rente des terres agricoles. C'est également la rente des terres à blé qui constitue la base de la rente urbaine.

Dans le cadre de l'analyse de la rente différentielle I, qui nous occupe pour ce numéro, nous supposons que le capital puisse être investi librement dans l'agriculture. C’est-à-dire qu'il n'y ait pas d'obstacle social à la pénétration du capital dans cette branche de la production. Il nous importe peu ici, que la terre soit nationalisée ou qu'elle soit possédée par des propriétaires fonciers. Le seul rôle que joue ici la propriété foncière, c’est de permettre la conversion du surprofit en rente foncière.

L'agriculture est une branche de production particulière dans laquelle la terre joue un rôle différent que dans les autres branches de la production, dans la mesure où elle est à la fois l'un des moyens de production principaux et l'objet du travail. Or, la terre n'est pas partout identique, elle possède des différences de qualité suivant la nature des sols, les régions, le climat etc. Comme nous l'avons montré dans le N°6, la terre est une force productive naturelle, et elle ne peut pas être reproduite à volonté. Elle fait partie des moyens de production non reproductibles. Encore faut-il distinguer (ce que fait Marx dans "Misère de la Philosophie" (1847), et plus tard dans "Le Capital"), entre « terre-matière » et « terre-capital ». Si l'homme ne peut pas créer la terre, ex nihilo, il peut toutefois la transformer et l'améliorer. Ainsi la terre ne reste pas une substance brute, extérieure au travail humain qui s'exerce sur elle, mais elle bénéficie des apports de ce travail humain qui la féconde. La substance de la terre se transforme et évolue avec la façon de labourer la terre, l'incorporation d'engrais, la mise en place d'installations de drainage etc. ce qui entraîne des modifications de sa composition chimique. Marx appelle donc la substance de la terre : "terre-matière" et le capital incorporé en elle : "terre-capital"[l] La terre matière constitue donc un résidu non reproductible et qui forme la base de l'activité productive, non seulement dans la sphère agricole, mais encore dans toutes les autres sphères de la production.

Toutefois ce résidu "naturel" n'est pas en soi producteur de quoi que ce soit. Il faut qu'il soit fécondé par le travail humain pour devenir et demeurer une force productive. Nous verrons plus loin que, lorsque ce contact fécond entre l'homme et la nature prend l'aspect de l’accouplement monstrueux de la terre et du capital, le travail qui s'exerce sur la terre ne l'entretient pas en tant que patrimoine de l'espèce, mais l'épuise en l'exploitant comme source de profit. Par contre, la terre-capital "est un capital fixe, mais le capital fixe s'use aussi bien que les capitaux circulants. Les améliorations apportées à la terre ont besoin de reproduction et d'entretien; elles ne durent qu' un temps et elles ont cela de commun avec toutes les autres améliorations dont on se sert pour transformer la matière en moyens de production. Si la terre-capital était éternelle, certains terrains présenteraient un tout autre aspect qu'ils n'ont aujourd'hui, et nous verrions la campagne de Rome, la Palestine, dans tout l'éclat de leur ancienne prospérité." (Misère de la Philosophie. ES p. 170)

L'amélioration peut cependant perdurer lorsque la terre-capital a disparu, ou se trouve dévalorisé. Contrairement à la terre-matière, la terre-capital fait partie des moyens de production reproductibles. Aussi, lorsque sous l'effet de l'accroissement de la productivité du travail, de la généralisation d'inventions de procédés ou d'équipements aux autres terres, de l'usure morale (obsolescence), la valeur de la terre-capital diminue, le capital incorporé à la terre se trouve dévalorisé, mais les amendements accomplis subsistent.

D'autre part, si des terrains plus fertiles étaient mis en culture de manière à ce qu'ils suffisent pour satisfaire la demande sociale, la valeur-capital incorporée aux terres les moins fertiles serait: dévalorisée, mais les améliorations n'auraient pas pour autant disparues .

La terre-capital est donc constituée du capital fixe incorporé au sol (installations de drainage, bâtiments de ferme, engrais etc.). Bien évidemment toute cette masse d'éléments ne constitue pas tout le capital constant employé dans l'agriculture. Celui-ci inclut également les machines agricoles, le bétail etc. De plus, l'accumulation du capital ne se traduit pas nécessairement par une extension de la surface cultivée, c'est même un avantage particulier de l'agriculture sur l'industrie, laquelle rencontre des limites plus rapides que l'agriculture en ce qui concerne l'accumulation sur une même superficie. Dans l'industrie la terre sert seulement de support matériel pour la production, alors que dans l'agriculture elle joue le rôle de machine productive. Les nouvelles injections de capital qui se font, dans l'agriculture, sur une même surface, nécessiteraient, dans l'industrie, beaucoup plus rapidement un agrandissement de la surface de production (bâtiments, ateliers etc. pour installer de nouvelles machines etc. "La terre, tant qu'elle n'est pas exploitée comme moyen de production, n'est pas un capital. Les terres capitaux peuvent être augmentées tout aussi bien que les autres instruments de production. On n'y ajoute rien à la matière pour parler le langage de M. Proudhon, mais on multiplie les terres qui servent d'instrument de production. Rien qu'à appliquer à des terres delà transformées en moyens de production, de secondes mises de capital, on augmente la terre-capital sans rien ajouter à la terre-matière, c'est-à-dire à l'étendue de la terre. La terre matière de M. Proudhon, c'est la terre comme borne. Quant à l'éternité qu'il attribue à la terre, nous voulons bien qu'elle ait cette vertu comme matière. La terre-capital n'est pas plus éternelle que tout autre capital."(Misère de la philosophie p. 169)

Pour saisir la véritable nature de la rente foncière, il faut que la production capitaliste ait atteint un certain degré de développement. On doit considérer que diverses quantités de terres existent en quantité limitée, c'est-à-dire que toute nouvelle expansion de la production agricole entraîne nécessairement la mise en culture de terres de qualités différentes. Ce qui découle du caractère non reproductible de la terre, c'est qu'elle est un moyen de production monopolisable.

"La propriété foncière repose sur le monopole qu'ont certains individus, à l'exception de tous les autres, de disposer de parties déterminées du globe comme sphères exclusives de leur volonté privée. Cela admis, il s'agit de dégager la valeur économique, c'est-à-dire la réalisation de ce monopole sur la base de la production capitaliste. Rien ne sert d'invoquer le pouvoir juridique qu'ont ces personnes d'abuser de certaines portions de la planète. L'usage en dépend entièrement de conditions économiques qui soient indépendantes de leur volonté. L'idée juridique signifie tout simplement que le propriétaire foncier peut disposer de la terre comme tout marchand de sa marchandise. Dans le monde antique, cette idée - l'idée juridique de la libre propriété foncière privée - n'est apparue qu’au moment de la dissolution de l’ordre social organique, et dans le monde moderne, seulement avec le développement de la production capitaliste." (Capital III. 6, XX Pléiade t.2 p.1288)

Moyen de reproduction non reproductible, la terre est donc monopolisable et ne peut, par conséquent, être mise à la libre disposition de tous les capitaux en même temps avec le même de degré de qualité. Les capitaux rencontrent face à eux des terres de qualité inégales et cette inégalité dépend essentiellement de deux facteurs, indépendants du capital : la fertilité et l'emplacement.

13.1.1                    La fertilité.

Ce facteur dépend, outre de la situation géographique et climatique de la composition chimique que la terre offre aux végétaux. Mais comme nous l'avons déjà vu (cf. N°6 p.7), cette fertilité naturelle n'est que potentielle et doit être réalisée par le travail humain. Cela implique que la fertilité dépendra plus ou moins du développement des forces productives car "la fertilité a beau être une propriété inhérente au sol, elle implique toujours un rapport économique"(Marx) . L'un des effets que peut avoir la terre-capital est d'augmenter la fertilité de la terre et par là même ses capacités productives :

"Les amendements dits permanents - qui modifient la composition physique, et en partie chimique du sol par des opérations nécessitant une dépense de capital, et qui peuvent être considérés comme du capital incorporé au sol - ont presque toujours un seul but : donner à un terrain déterminé, situe dans un certain endroit limité, des propriétés qu'un autre terrain, situé ailleurs, et parfois tout près, possède naturellement. Tel sol est naturellement de niveau, tel autre a besoin d'être nivelé, etc. ..(...) tel pré est naturellement irrigué ou limoneux, tel autre ne le sera que par le travail ou, pour employer le langage de l'économie bourgeoise, par le capital." (Capital. III, 6 . Pléiade t.2 p.1358)

La fertilité est donc en grande partie liée au progrès de la force productive du travail (elle en est d'ailleurs elle-même une composante, mais lorsque cette force productive se développe dans le cadre des rapports de production capitalistes, elle est synonyme d'exploitation maximale du prolétaire et d'épuisement de la terre. Ainsi l’homme et la nature, ces deux sources d'où jaillit toute richesse sont en même temps exploitées et mutilées par le capital. Nous avons maintes fois répété que tout progrès du MPC, toute avance de la civilisation s'accompagne à son pôle opposé d'une plus grande misère pour le prolétaire et d'une barbarie grandissante pour l'espèce humaine, toujours plus menacée.

"La grande industrie et la grande agriculture mécanisée agissent de concert. Si à l'origine, la première tend à ravager et à ruiner la force de travail, donc la force naturelle de l'homme tandis que la seconde s'attaque directement à la force naturelle de la terre, elles finissent par se conjuguer dans leur marche en avant : le système industriel à la campagne affaiblit également les travailleurs et, pour leur part, l’industrie et le commerce procurent à l'agriculture les moyens d'épuiser la terre." (Capital III, 6. Pléiade t. 2 p, 1424)

Dans le mode de production capitaliste, basé sur l'extorsion du maximum de plus-value, le travail des générations successives n'est pas organisé suivant un plan conscient et harmonieux, mais laissé à l'initiative de capitalistes ou groupes de capitalistes dont la soif de lucre constitue le seul mobile. Dès lors, un des éléments essentiels à la survie de l'espèce humaine : la préservation de son corps inorganique, la nature (à commencer par la terre qui doit être transmise bonifiée aux générations futures) est complètement négligé. Cela constitue un danger tellement sensible (non seulement à long terme pour l'espèce humaine, ce dont le capital n'a cure, mais même à court terme pour la poursuite de l'exploitation capitaliste), que pour prévenir l'épuisement brutal du sol, les propriétaires fonciers passent des assurances par contrat avec les capitalistes.

Dans un secteur aussi important que l'agriculture, qui réclame des soins particulièrement attentifs et des travaux de longue haleine, le MPC se montre le mode de production le plus inapte de l'histoire à assurer la mise en valeur de la terre. Le long calvaire de la terre soumise à l'agriculture moderne est donc synonyme d'érosions de toutes sortes[li], de blocages d'éléments, d'excès de fertilisants, de pléthore de toxiques etc. tandis que d'un autre coté le MPC fait un gaspillage énorme de matières premières et de déchets de toutes sortes [lii] . Le savant bourgeois Liebig le savait bien, lui qui montrait que la non utilisation des déjections humaines et animales rompt le cycle organique entre l'homme et la nature. D'un coté cela prive la terre d'un fertilisant naturel qu'il n'y a aucun mal à produire (l'homme ne produit-il pas, au cours de sa vie l'équivalent de 300 fois le poids de son corps...de merde ?) et de l'autre coté cela pose des problèmes de pollution insolubles aux gigantesques métropole urbaines érigées par la civilisation capitaliste et que demain le communisme détruira, sans remords.

13.1.2                    L'emplacement.

Il s'agit là du deuxième élément indépendant du capital qui favorise l'inégalité relative des terres. Bien entendu ce facteur n'est pas forcément lié au premier, à la fertilité, et peut même jouer un rôle inverse. Un terrain fertile peut être mal situé et inversement un terrain pauvre peut jouir d'un excellent emplacement. L'emplacement n'est pas non plus une donnée immuable qui serait définitivement acquise. Son importance varie en fonction du développement de l'ensemble de la société. Les progrès de la production sociale favorisent l'apparition de marchés locaux et perfectionnent les moyens de transports et de communication exerçant ainsi une influence sur la situation des terrains. De ce fait, des terres jusque là éloignées, excentrées ou mal situées deviennent accessibles. Il en résulte une tendance à niveler les écarts dépendants des différences de situation.

Il ne faut cependant pas s'imaginer qu'il s'agit là d'un processus linéaire et harmonieux. Si d'un coté., il y a une tendance au nivellement relatif des situations, d'un autre coté les mêmes progrès du développement capitaliste engendrent une aggravation des différences entre les diverses situations locales des terrains. L'anarchie propre au développement de la production capitaliste accentue la séparation entre la ville et la campagne, séparation qui est une des bases du MPC. Ainsi, on assiste à un développement de vastes régions tandis que d'autres sont laissées dans un isolement relatif. Ainsi se met en place une division du travail favorisant l'abandon de certaines régions, l'exode rural, etc. La bourgeoisie ne trouve alors rien de mieux que de livrer ces régions à une entreprise capitaliste championne en abêtissement et en crétinisme : le tourisme. Bien loin de répartir harmonieusement l'habitat humain sur l'ensemble de la croûte terrestre le MPC montre qu'il ne peut être sur le plan social que générateur d'anarchie, en sur peuplant certaines régions et en en dépeuplant d'autres quitte à les laisser violer à intervalles réguliers par des hordes de barbares modernes qui ont le désavantage sur leurs lointains ancêtres d'être incapables de féconder ni de régénérer quoi que ce soit, hormis la poche des commerçants locaux.

Cet abandon de terres est à son tour évidemment générateur de catastrophes sociales qu'il sera facile de mettre sur le dos de la fatalité "naturelle". Par exemple, les incendies de forêt, dont on a observé qu'ils étaient beaucoup plus fréquents dans les régions dont l'isolement relatif s'est accru, l'absence d'entretien et de surveillance des forêts accroissant la fréquence et la gravité des feux.

Un des aspects (que nous étudierons plus en détail par la suite) de cet antagonisme entre la ville et la campagne, est que tout en assurant un certain nivellement qui tend à réduire les écarts relatifs dans la rente agricole, il les accentue en ce qui concerne la rente urbaine. Ceci a des conséquences sur l'agriculture. Des terrains de plus en plus éloignés du centre des villes se révèlent constructibles ou potentiellement constructibles grâce à l'extension des routes, voies ferrées, et des infrastructures "sociales" : égouts, conduites d'eau, électricité etc. Leur prix s'élève bien au dessus du prix de la terre agricole. Ainsi d'une part d'excellentes terres agricoles sont transformées en terres à bâtir, et d'autre part le simple fait que les terrains soient potentiellement constructibles (avec tous les phénomènes spéculatifs que cela implique) gêne considérablement l'activité agricole. Dans la revue "Etudes Foncières" du printemps 79 on pouvait lire :

« On peut définir l'agriculture péri-urbaine comme la partie du secteur agricole dont la structure et l'activité sont modifiées par la présence ou l'extension d'une ou plusieurs agglomérations. Certains des facteurs de cette influence urbaine, tels que les possibilités d'emploi ou les prix fonciers font sentir leur influence à des distances importantes de l'agglomération. L'agriculture péri-urbaine ne se limite donc pas aux exploitations maraîchères de grande banlieue: pour fixer les idées, le territoire agricole concerné s'étendrait jusqu'à une vingtaine de kilomètres dans le cas d'une agglomération d'une centaine de milliers d'habitants, Cette définition est certes imprécise mais permet cependant de situer l'importance relative des aires péri-urbaines dans l'ensemble du territoire des différents pays. Dans ce sens quasi totalité de l'agriculture belge est péri-urbaine: en France et en Allemagne la proportion serait d'environ 25 et aux Etats-Unis de l'ordre de 15. »

Ainsi, outre le fractionnement des structures agricoles, le déclin des activités en amont des exploitations agricoles (collecte, services) qui quittent les zones péri-urbaines, la concurrence pour l'utilisation de l'eau, les "pollutions et les nuisances urbaines".

« le signe le plus marquant de l'influence urbaine est probablement l'élévation considérable des prix fonciers. En 1976, les prix des terres arables en région péri-urbaine et à plusieurs kilomètres de l'agglomération se situaient autour de 120.000 francs l'hectare dans la Rühr ou dans la région de Padoue en Italie du Nord-Est; ils atteignaient 1.500.000 francs l'hectare - il s'agit d'utilisation agricole - dans l'aire péri-urbaine d'Anjo, près de Nagoya au Japon. A de tels niveaux de prix, bien plus en rapport avec une espérance d'urbanisation future qu'avec là rentabilité attendue de l'agriculture (souligné par nous), il devient très difficile pour les agriculteurs d'agrandir leur exploitation par achat de terres : ils ont aussi beaucoup de mal à le faire par location, étant donné que - dans les pays européens et au Japon tout au moins - les législations du fermage imposent des baux de longue durée, alors que les propriétaires fonciers veulent pouvoir vendre leur terre si une occasion se présente. Dans les pays où la fiscalité foncière est lourde, comme au Canada ou aux Etats-Unis, le haut niveau des prix fonciers conduit à des impôts fonciers élevés, particulièrement quand les communes péri-urbaines propriétaires peuvent espérer réaliser de fortes plus-values. Toutefois, cet espoir ne se matérialisera que pour quelques-uns car les surfaces nécessitées par l'urbanisation au cours des années à venir ne représentent qu'un très faible pourcentage - entre 2 et 10%-de la superficie d'une telle région. »

Dans le cadre de la rente urbaine, l'emplacement joue un rôle particulièrement important. Par exemple un terrain situé au cœur d'une grande ville dans un quartier élégant vaudra, toutes choses égales par ailleurs, beaucoup plus cher que celui situé au fin fond d’une banlieue ouvrière. La distance des terres périphériques au centre et la capacité d’accès à celui-ci va donc être un facteur important dans la détermination de la rente foncière. Mais l'influence de l'emplacement dans le cadre de la rente urbaine ne se limite pas seulement à cet aspect. Par exemple au XIX° siècle, au moment de l'urbanisation à grande échelle, on a orienté la construction de manière à avoir un maximum de façades sur rue dans la mesure où elles étaient recherchées et où cela permettait une augmentation de la rente. Pour cette raison, il y eut une tendance à percer le plus grand nombre possible de rues et donc à multiplier les pâtés de maison. Du même coup, en allongeant démesurément la longueur des façades, on augmentait le nombre des carrefours, ce qui encore aujourd'hui contribue à rendre difficile la circulation automobile (au demeurant le mode de transport le plus crétin et le plus anti-social qui ait jamais existé). Ainsi, tandis que les uns profitent de la rue avec ses embouteillages et ses gaz d'échappement, les autres profitent de la cour avec son manque de lumière et ses odeurs de poubelle. Au XIX° siècle, dans les immeubles bourgeois du centre des villes, cette distinction était si nette que, tandis que les cours étaient le domaine des domestiques, les façades constituaient celui des maîtres. Zola a décrit dans « Pot-Bouille » les immondices et les misères qui se cachaient derrière l'apparat des maisons bourgeoises. Telle est d'ailleurs la civilisation bourgeoise : clinquante et opulente en apparence, misérable et lépreuse en réalité.[liii]

Une autre conséquence de ce mode stupide de bâtir, est qu'un appartement sur quatre est orienté au Nord, et donc se trouve privé de soleil. Mais comme toute stupidité a, à notre époque, le mérite d'être lucrative, cela devient une nouvelle source de rente pour le propriétaire foncier, un appartement ensoleillé se louant ou se vendant plus cher qu'un autre. Ainsi, par exemple, à Paris, en 1979, pour deux appartements neufs identiques d'une même tour, celui orienté au nord valait 420.000 francs alors que celui qui bénéficiait de l'ensoleillement en coûtait 450.000 F. Les Diogène de la civilisation moderne n'ont même plus la satisfaction de pouvoir crier du fond de leur tonneau à un Alexandre : "Otes-toi de mon soleil!", mais, plus prosaïques et plus lâches, ils paient une rente supplémentaire à leur propriétaire.

Un des autres aspects particuliers intéressants dans la question de l'emplacement (mais qui est encore bien loin d'épuiser la question de l’emplacement dans la détermination de la rente foncière), est celui de l'accès à la mer. D'une part tout le monde sait que les terrains avec vue sur la mer jouissent d'une situation privilégiée et ont donc un prix en proportion. D'autre part dans la mesure où ils permettent l'appropriation de richesses naturelles (pêche, etc.) et l'ouverture de voies de communication décisives, potentiellement, la rente s'en trouve accrue[liv]. Les répugnantes tractations sur le droit de la mer montrent comment une poignée d'états impérialistes, en s'arrogeant un droit exclusif sur les eaux limitrophes de leur territoire, dont ils essayent en outre de repousser les limites (de 50 à 200 miles), dès qu'ils ont les moyens techniques pour les exploiter, font main basse sur d'immenses richesses qu'ils pillent et gaspillent sans vergogne. Cette destruction à laquelle participent bien entendu les impérialismes russe et chinois se fait avec l'approbation tacite du social-chauvinisme, réformiste et impérialiste, soucieux de défendre le développement de son propre capital.

Pour mesurer, en conclusion, toute l'importance de la rente foncière, nous pourrions examiner quelques chiffres concernant l'écart relatif entre le prix d'un terrain à bâtir situé dans des quartiers résidentiels et le prix des terres agricoles dans une région délaissée. On apprenait récemment que la transaction la plus chère en matière d'appartements en France, avait été réalisée à Cannes par un modeste bourgeois qui s'était offert une suite de 1000 m² sur la croisette pour la bagatelle de 40.000.000 francs, ce qui fait 40.000 F. au m². D’un autre coté, on trouve des terres agricoles à 10.000 F l'hectare, soit 1 F le m² (On trouve même des terres moins chères mais dans les 40.000 F/m² de notre bourgeois, il faut tenir compte du coût de la construction, encore qu'avec 5000F/m² on ait droit à de "remarquables prestations" comme disent les promoteurs). Par conséquent l’écart relatif est de 1 à 40.000, mais cela n'empêche pas certains imbéciles, de trompeter partout que la rente foncière, ça n’existe pas. A ceux-là, il faudrait certainement bien plus de 40 000 coups de pied au cul pour leur faire entendre raison.

13.2    La rente différentielle I.

Parmi les éléments composant la rente que verse le fermier au propriétaire foncier, nous faisons abstraction bien sûr du capital incorporé au sol, et qui appartient au propriétaire foncier (ou dont il a aussi bien pu s'emparer). De même, dans toute notre analyse, le salaire est supposé égal à la valeur de la force de travail, même si, dans la réalité, la différence entre celle-ci et celui-là (paye bien au-dessous de la valeur) permet au fermier de payer tout ou partie de la rente au. propriétaire foncier.

Ecartons le problème de l'emplacement, et supposons que le mode de production capitaliste se soit emparé de l'agriculture comme des autres branches de production, et qu'on ait atteint un certain degré de développement. Nous appellerons A le terrain le plus mauvais, puis B un terrain de meilleure qualité, ainsi jusqu'à D qui sera le terrain le plus fertile.

Nous supposerons que sur chaque type de terrain est avancé un capital de même composition organique et de même valeur, par exemple 100 F. Des capitaux égaux mais investis sur des terrains différents réclameront un taux de profit identique pour des produits différents. Admettons que ce taux de profit soit de 25%. Dans ce cas pour chaque capital de 100 F. la masse de profit est de 25 F.

Sur le terrain A, qui est le plus mauvais, on produit 25 quintaux de blé; 30 sur le terrain B; 35 sur le terrain C et enfin 40 quintaux sur le terrain D, le meilleur.

C'est ici que la nature particulière de la terre, comme moyen de production non reproductible, et qui par conséquent est monopolisable revêt toute son importance en ce qui concerne la détermination du profit moyen. Dans la mesure où la meilleure terre ne peut pas être mise à la disposition de tous les capitaux, ce n'est pas le capital engagé placé dans les conditions moyennes qui va toucher le profit moyen (ce qui est le cas dans l'industrie comme nous l'avons vu dans le N°6), mais celui qui est engagé sur le terrain le plus mauvais, c'est-à-dire le terrain A. Ici, le prix de production régulateur du prix de marché du quintal de blé sera de 125 F (capital avancé = I00F + profit moyen = 25F) divisé par 25 (nombre de quintaux produits sur A) = 5 francs. Sur les terrains B, C et D vont se former des surprofits qui se convertissent en rente sous l'action de la propriété foncière.

13.2.1                    TABLEAU I

 

Type de sol

Produit

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Capital avancé

Profit

 

Rente

 

 

     q                F

 

   q          F

  q      F

A

25

125

100

5

25

0

0

B

30

150

100

10

50

5

25

C

35

175

100

15

75

10

50

D

40

200

100

20

100

15

75

 

Comme on peut le voir sur le tableau ci-dessus, sur chaque type de terrain le capital obtient une masse de profit de 25 F. correspondant à un taux de profit moyen de 25%. Le surprofit obtenu en plus du profit moyen se transforme en rente sous l'action de la propriété foncière et tombe ainsi dans la poche du propriétaire foncier.

Le terrain B qui produit le quintal de blé à un prix de production individuel de 4 1/6 F obtient un surprofit de 5/6 F. par quintal, soit 25 F, qui se convertissent en rente. Sur le terrain C la rente est de 50 F, et sur le terrain D elle s'élève à 75 F. Si l'on considère le produit, la rente est de 5 quintaux sur le terrain B, 10 sur le terrain C et 15 sur le terrain D. Sur le terrain A, et c'est sur lui que se détermine le prix de production régulateur du prix de marche, IL N’Y A PAS DE SURPROFIT ET DONC PAS DE RENTE. En effet, le capital n'obtient sur ce terrain que le profit moyen.

La série des terrains peut être lue dans un ordre soit croissant soit décroissant, c'est-à-dire que l'ordre d'apparition des terres peut aller de A à D ou de D à A (ou tout autre combinaison) . Dans ce deuxième cas il y aura une modification du prix de production régulateur. Cependant, quel que soit l'ordre d'apparition des terrains, nous pouvons faire les constatations suivantes :

I°/ La série se présente toujours comme décroissante puisqu'on part du terrain qui rapporte le maximum de rente pour arriver à celui qui n'en rapporte pas du tout.

2° / Le prix de production régulateur du prix de marché est celui du plus mauvais terrain (Bien entendu dans la mesure où la mise en culture de celui-ci est nécessaire pour satisfaire le besoin social). Si la mise en culture de terrains de fertilité supérieure fait que le besoin social puisse désormais être satisfait sans la production du terrain A, alors c'est sur les terrains de qualité immédiatement supérieure que se formerait le prix de production régulateur du prix de marché. Nous pouvons mesurer au passage toute la profondeur de l'argument de Graziadei, grand pourfendeur de la théorie révolutionnaire. Celui-ci estime la production de blé à 70.000.000 de quintaux et la surface cultivée à 5.000.000 d'hectares soit un rendement moyen de 14 quintaux à l'hectare. Graziadei ne trouve rien de mieux que d'opposer à la théorie "Ricardienne-Marxiste" de la rente les 100 hectares de mauvaise terre italiens, face aux 4.999.900 hectares d'une qualité supérieure sur lesquels sont produits respectivement 1400 et 69.998. 900 quintaux de blé. (A. Graziadei. "La rente et la propriété de la terre" pp.56 et 64).

3°/ La rente différentielle provient, à chaque stade du développement capitaliste, du fait que des capitaux égaux sont investis sur des terrains de fertilité différente (pour une superficie identique). Nous retrouvons là les moyens de production non reproductibles et monopolisables comme base de la rente différentielle. Cela implique bien entendu que les meilleures terres soient cultivées et que la satisfaction de la demande sociale exige la mise en culture de terres de qualités différentes - compte non tenu de l'emplacement.

4°/ La rente peut provenir du passage de D à A ou de A à D ou d'une autre combinaison quelconque.

5°/ La rente différentielle peut s'établir pour des prix de production stationnaires, en hausse ou en baisse.

Par conséquent la position de Malthus, West et Ricardo selon laquelle l'ordre de succession des terres se fait nécessairement du meilleur terrain vers le plus mauvais c'est-à-dire selon un passage successif de D vers A, est fausse. Il ne s'agit là que d'un cas possible parmi d'autres. Pour Ricardo, cette mise en culture des terres de moins en moins fertiles entraînait une hausse du prix du blé. Ce dernier ayant un rôle déterminant dans la reproduction de la force de travail, le salaire nominal s'élève tandis que le taux de plus-value baisse et que la rente différentielle se gonfle. Il s'ensuit pour Ricardo une baisse du taux de profit qui à terme doit enrayer l'accumulation et conduire à un état stationnaire. Alors que dans la théorie ricardienne, la baisse du taux de profit résulte de la productivité décroissante du travail dans l'agriculture, pour le programme communiste, elle provient d'un développement contradictoire de la productivité (et ceci dans toutes les sphères) . Dans le travail que nous commençons à publier dans ce numéro sur la crise catastrophique du MPC, nous verrons comment la contre-révolution, avec par exemple Grossmann interprète la théorie de la baisse tendancielle du taux de profit de manière ricardienne. C'est dans ce bourbier que patauge allègrement la C.W.O (Communist Workers Organisation en Grande-Bretagne), qui, via Mattick, s'inspire d'une telle conception contre-révolutionnaire. Mais la C.W.O a aussi montré qu'elle était capable par elle-même de puiser dans les arguments du révisionnisme en prenant à son compte les "corrections" apportées à Marx par Bortkiewicz et Cie à la suite des "remarques critiques" de Tougan-Baranowsky. (En ce sens ils vont plus loin que Mattick lui-même dans la remise en cause des fondements de la théorie révolutionnaire).

La seule condition pour que la rente se forme est que la fertilité des terrains soit inégale.

"Si le développement de la productivité entre en ligne de compte il faut supposer que l'accroissement de la fertilité absolue des surfaces cultivées ne fait pas disparaître cette inégalité mais qu'il l'augmente, la maintient ou la diminue sans la supprimer." (Marx. Capital III Es. t.8 p.50)

Dans le tableau I ci-dessus, le taux de la rente est de 75/100 sur le terrain D, de 50/100 sur le terrain C, 25/100 sur le terrain B et 0 sur A. La rente totale s'élève à 150. Le taux moyen de la rente ( = rente totale rapportée à la totalité du capital avancé) est de 150/400 = 37,5/100. Ce taux moyen varie en fonction de la part des divers types de terrains dans la production totale. Cette part relative de chaque type de terrain est donc particulièrement .importante pour calculer la rente totale, et ce d'autant plus que du point de vue théorique la rente différentielle I implique un mode de production extensif c'est-à-dire que l'accroissement de la production s'accomplit par l'augmentation de la surface cultivée. La rente différentielle I est donc caractéristique de la phase de soumission formelle du travail au capital. Il est donc supposé ici que le mode de production ne connaît pas de bouleversement technique[lv] si bien que l'accroissement de la production est possible uniquement par l'extension des terres. Cependant nous allons voir que ce mécanisme offre déjà la possibilité de création d'une plus-value relative, pourtant spécifique de la phase de soumission réelle. Cela tient à ce que la terre peut être considérée comme une "machine naturelle" et que par conséquent la productivité du travail peut varier en fonction de la fertilité des terres cultivées.

"Dans l'agriculture, la terre est elle-même, par son action chimique etc., une machine qui rend le travail immédiat plus productif : elle peut donc donner en premier une plus-value, parce qu'on y travaille plus tôt avec une machine (naturelle) . " (Marx. Grundrisse t.3 éd. 10/18 P.I4I)

Ainsi d'une part nous trouvons ici confirmation de la thèse selon laquelle phase de soumission formelle du travail au capital et phase de soumission réelle ne sauraient être mécaniquement séparées, et d'autre part cela renforce la thèse selon laquelle c'est dans l'agriculture que naît la phase de soumission réelle du travail au capital. Si l'on examine le cycle de vie du capital, on doit toutefois souligner le fait que ce n'est qu'une fois qu'il s'est soumis réellement l'industrie, que le capital peut achever réellement sa soumission sur l'agriculture.

"C'est ainsi que la production capitaliste tend à conquérir toutes les branches d'industrie ou elle ne domine pas encore et où ne règne qu'une soumission formelle. Dès qu'elle s'est emparée de l'agriculture, de l'industrie extractive. des principales branches textiles, etc. elle gagne les secteurs où sa soumission est purement formelle, voire où subsistent encore des travailleurs indépendants. "

(Marx. Un chapitre inédit du capital. Ed. 10/18 p.219)

Du point de vue que nous venons de souligner, il existe une différence importante, suivant que la mise en culture des terrains se fait dans le sens A-D ou dans le sens D-A. Dans le premier cas, du plus mauvais terrain au meilleur, le prix de production ne change pas, dans le second cas, il s'élève chaque fois qu'un terrain de qualité moindre entre dans la production totale. Dans ce cas, le taux de la plus-value relative baisse, ainsi que le taux de profit, sous l'action conjuguée de la baisse de la plus-value et de l'élévation du capital constant et variable. De la même manière si nous, admettons que l'on mette en culture un terrain du type D supplémentaire ( la superficie des terrains de type D étant le double de celle de chaque autre type de terrain), nous obtenons le tableau suivant (tableau II) :

 

13.2.2                    TABLEAU  II

 

Type de terrain

 

Superficie

Produit

 

q         F.

Capital avancé

Profit

 

  q.         F.

Rente

 

       q             F

A

1 ha

  25

125

100

 5

   25

0

  0

B

1 ha

  30

150

100

10

  50

5

 25

C

1 ha

  35

175

100

15

  75

10

 50

D

2 ha

  80

400

200

40

200

30

150

 

5 ha

170

850

500

70

  350

45

225

 

Si nous supposons que le besoin social qui était de 130 quintaux dans le cadre du tableau I, s'élève désormais à 145 quintaux, c'est-à-dire qu'il s'est accru de 15, alors la production actuelle (170 quintaux) est trop forte. Ce n'est plus dès lors sur le terrain A que se forme le prix de production, mais sur le terrain de qualité immédiatement supérieure, c'est-à-dire le terrain B. Nous supposons que le terrain A est éliminé, et le tableau se transforme donc ainsi :

 

13.2.3                     TABLEAU III -

 

Type de terrain

 

Superficie

Produit

 

q         F

Capital avancé

Profit

 

q           F

Rente

 

    q             F.

B

1 ha

30

125

100

6

25

 0

    0

C

1 ha

35

145

100

11

45

 5

45 5/6

D

2 ha

80

333 1/3

200

32

133 1/3

20

  83 1/3

 

4 ha

145

603 1/3

400-

49

203 1/3

25

129 1/6

 

Dans ce cas, le prix de production individuel étant déterminé sur le terrain B, il tombe à 4 1/6 F (125/30) alors qu'il était de 5 auparavant (tableau I). Toutes choses égales par ailleurs, le taux de la plus-value relative s'élève car le prix de production baisse et dans la mesure où le produit agricole (ici le blé) entre dans la détermination de la force de travail. En conséquence, comme la valeur de la force de travail diminue, le capital variable à avancer par le capitaliste baisse. Il en va de même pour le capital constant dans la mesure où le blé entre comme matière première dans celui-ci (semences etc.) Sous l'action conjuguée de ces baisses et de la hausse de la plus-value, le taux de profit s'élève. La rente totale est désormais de 129 1/6 contre 150 dans le tableau I et la rente en produit est de 25 quintaux au lieu de 30 précédemment. Le taux moyen de la rente est désormais de 32% contre 37,5% par le passé. Nous voyons ici qu'indépendamment d'un bouleversement dans les rapports de production (la composition organique du capital demeurant inchangée sur chaque type de terrain), la plus-value relative a augmenté. Si la mise en culture de terres de qualité supérieure permet l'élimination des terrains les plus mauvais, le prix de production baissera et donc la plus-value relative augmentera. Ainsi, sur la simple base de la phase formelle, indépendamment de toute révolution dans le procès de production, il est possible d'augmenter la plus-value relative. Cela tient à ce que la terre peut elle-même être considérée comme une machine ("naturelle") alors que dans l'industrie, ce n'est qu'avec la généralisation du machinisme que la plus-value relative pourra se généraliser.

Un autre facteur peut jouer un rôle important dans la détermination du salaire et de la valeur de la force de travail ( et donc dans celle du taux et de la masse de la plus-value), c'est la substitution partielle d'un aliment à l'aliment de base [lvi] .

Pour Smith (qui le premier a émis la thèse selon laquelle dans le MPC les terres qui déterminent la rente sont celles sur lesquelles on cultive l'aliment de base, en l'occurrence pour l'Europe le blé), pour Smith donc, la quantité de pommes de terre produites par hectare peut être 6 fois supérieure à celle du blé. C'est-à-dire que si l'on peut produire 10 quintaux de blé à l'hectare, il est possible de produire 60 quintaux de pommes de terre. La valeur en calories de la pomme de terre est évaluée à la moitié de celle du blé, ce qui ramène le rapport entre la pomme de terre et le blé à 3. Tout en estimant qu'il faut plus de temps de travail par hectare pour produire la pomma de terre, Smith affirme que cela est plus que compensé par une rotation du capital plus lente dans le cas de la culture du blé.

"Une acre de pommes de terre coûte moins à cultiver qu'une acre de blé, l'année de jachères, qui précède en général les semailles étant plus qu'une compensation du travail à la houe et des autres façons extraordinaires qu'on donne toujours aux pommes de terre" (Smith. Richesse...p.278)

Smith concluait qu'une plus grande quantité d'individus pouvait subsister tout en cultivant la même quantité de terres. Les terres employées pour La pomme de terre pouvant être converties facilement en d'autres cultures, la pomme de terre pouvait devenir l'aliment de base. Historiquement, ce fait ne s'est pas produit, et les chiffres montrent (cf. notre étude à ce sujet, parue dans le N°6), que le blé occupe toujours, aujourd'hui, en Europe, la principale partie des terres consacrées à la culture des végétaux.

Mais dans la phase de soumission formelle, il est vrai que peut exister une tendance à substituer la pomme de terre au blé dans la mesure où il s'agit là, dans cette phase, d'un moyen privilégié pour abaisser la valeur de la force de travail (la hausse de la productivité du travail étant limitée. Si le capital pouvait reproduire la force de travail de la classe ouvrière avec un temps de travail moindre, il augmenterait d'autant la plus-value.

Comparons donc, en supposant le mêmes terrains et la même quantité de capital avancé par hectare, les résultats pour le blé et la pomme de terre :


13.2.4                    TABLEAU IV

 

Type

Sup.

Capital avancé

Profit moyen

Produit blé

 

  q         F.

Produit pdt

 

  q         F.

Prix blé

Prix pdt

Rente blé

 

  q        F.

Rente pdt

 

     Qq             F.

A

1 ha

100

25

25

125

150

125

5

5/6

0

0

0

0

B

1 ha

100

25

30

150

180

150

5

5/6

5

25

30

25

C

1 ha

100

25

35

175

210

175

5

5/6

10

50

60

30

D

1 ha

100

25

40

200

240

200

5

5/6

15

75

90

75

 

4 ha

400

100

130

650

780

650

-

-

30

150

180

150

 

NOTA BENE : les colonnes 9 et 10, prix blé et prix pdt indiquent les prix de production individuels.


En substituant la pomme de terre au blé, la rente foncière (toutes choses égales par ailleurs), n'a pas subi de modification. Dans la mesure où l'on admet un sextuplement de la production de pommes de terre par rapport à celle du blé et si l’on admet que la valeur énergétique est doublée pour le blé, le rapport tombe à 3. Pour reproduire la force de travail, il faudra donc deux fois plus de pommes de terre que de blé. Par contre le coût de cette reproduction sera divisé par trois. Dans ce cas, La plus-value augmente, la substitution de la pomme de terre au blé entraînant une diminution de la valeur de la force de travail. Dans la phase de soumission formelle du travail au capital, étant donné que l’augmentation de la productivité du travail n'est possible que dans des limites étroites c’est par la substitution d'éléments nécessitant un temps de travail moindre pour reproduire la force de travail, que le capital est plus à même de faire baisser la valeur de la force de travail.

En fait la baisse du salaire pourrait être beaucoup plus forte que comme indiqué ci-dessus. La demande sociale de pommes de terre ne dépend pas du nombre d'individus à nourrir, mais du revenu distribué aux diverses classes. Toutes choses égales par ailleurs, là où il était nécessaire de produire 130 quintaux de blé, il suffirait de produire 260 quintaux de pommes de terre afin de reproduire la force de travail de la société. Supposons même que le salaire réel ait augmenté et que la classe capitaliste concède à la classe ouvrière 450 quintaux de pommes de terre. Dans ce cas, pour produire ces 450 quintaux, il suffirait de cultiver les terres de type A et B. Une partie du capital se désengagerait de l'agriculture et nous aurions la situation suivante :

13.2.5                    TABLEAU V -

 

Type

Sup.

Cap. av.

Profit moyen

Produit pdt

    q            F

Rente pdt

    q          F

prix. prod. indiv.

C

 1 ha

100

25

210

125

0

0

25/42 # 0,6

D

 1 ha

100

25

240

142 6/7

30

17 6/7

25/42 # 0,6

Total.

 2 ha

200

 

450

267 6/7

30

17 6/7

 

 

Le prix du produit diminue. Alors que le prix du quintal de pommes de terre s'élevait à 5/6 de francs, soit environ 0,8 F, il tombe ici à 25/42 soit environ 0,6 francs. La rente totale tombe à 17 6/7 francs, représentant 30 quintaux. Les terres du type C qui rapportaient une rente n'en rapportent plus et c'est sur ces terres que se calcule désormais le prix de production. Toutes choses égales par ailleurs le taux de plus-value s'élève et le taux de profit augmente, d'une part parce que la plus-value augmente, d'autre part parce que le capital variable diminue et aussi le capital constant dans la mesure où les pommes de terre entrent comme matières premières industrielles dans certaines fabrications. Le taux de la rente baisse, et le taux général de profit est relevé par la même occasion. Le salaire réel des ouvriers s'est amélioré.

Que se passera-t-il a fortiori, si nous nous plaçons dans le cadre d'un maintien du salaire réel c'est-à-dire si l'on se contente de donner environ 260 quintaux de pommes de terre aux ouvriers ? Dans ce cas, on peut admettre que seuls les terrains de type D, qui fournissent 240 quintaux, seront mis en culture. Dans ce cas, la rente différentielle est nulle.

Nous allons supposer maintenant que seuls les terrains les plus mauvais, c'est-à-dire les terrains de type A et B sont mis en culture. Nous obtenons alors le tableau suivant :

13.2.6                    TABLEAU VI

 

Type

Sup.

Cap.

av.

profit

moyen

Produit pdt

     q          F

Rente  pdt

    q           F

Prix de prod. Indiv.

A

1 ha

100

25

150

125

0

0

5/6

B

1 ha

100

25

180

150

30

25

5/6

 

2 ha

200

50

330

275

30

25

5/6

 

Par rapport au tableau IV, on peut constater qu'il n'y a pas de modification, hormis l'élimination des terrains C et D, qui ne sont plus désormais nécessaires pour satisfaire la demande sociale. Mais cela a pour conséquence une baisse de la rente totale qui n'est plus que de 25, ainsi qu'une baisse du taux moyen de la rente, qui tombe à 12,5%. (25/200). Dans la mesure où le taux de la rente baisse, il s'ensuivra une élévation du taux général de profit.

La possibilité de substitution d'un aliment à l’aliment de base constituait donc une arme nouvelle contre la classe ouvrière afin de renforcer son exploitation. Mais contrairement à ce qu'affirmait Smith, ce ne sont pas les propriétaires fonciers qui auraient été les bénéficiaires de cette reconversion d'une partie des terres. En admettant ici une baisse de la rente différentielle et une augmentation du taux de la plus-value, c'est la classe capitaliste qui retirerait l’essentiel du bénéfice à moins que les propriétaires fonciers ne compensent la diminution de la rente différentielle par l'augmentation de la rente absolue en mettant un obstacle à la conversion des terres. Dans tous les cas, c'est la classe ouvrière qui fait les frais du progrès de la civilisation.

La rente totale varie en fonction de la part respective des diverses terres dans la superficie cultivée totale.

Reportons-nous à notre premier tableau et supposons dans un premier cas que la superficie de chaque type de terrain soit doublée et que sur ceux-ci le même capital soit investi. Dans ce cas, la rente totale double! la rente par hectare demeure identique et le taux moyen de la rente également. Si l'on admet maintenant que la superficie totale triple, mais avec une plus grande augmentation des terres de mauvaise qualité (A et B), dans ce cas la rente totale est moins que triplée le taux de la rente par hectare demeure inchangé, par contre le taux moyen de la rente baisse. Enfin, si la superficie cultivée triple, mais que les terres de bonne qualité aient leur superficie plus que triplée, dans ce cas, la rente totale est plus que triplée, le taux de la rente par hectare demeure identique, mais le taux moyen de la rente s'élève. Dans les trois cas le prix de production est identique et se forme sur le terrain A. Pour un prix de production constant, l'augmentation de la surface cultivée se traduit par une augmentation de la rente foncière (sauf si tous les terrains mis en culture sont de type A), mais cet accroissement est variable, il est fonction de la proportion des divers types de terrains dans la superficie totale.

"A l'intérieur de la superficie totale des terrains cultivés d'un pays, les proportions entre les quantités de la terre la moins bonne et celles de la meilleure exerce sur la rente globale, une influence contraire à celle qu'exercé, sur la rente par acre, et - toutes choses égales d'ailleurs - sur le total des fermages, la proportion entre la qualité de la mauvaise terre et celle de la bonne et de la meilleure. On a confondu ces deux notions, et par suite, on a fait à la rente différentielle toutes sortes d'objections erronées." (Capital, III, 6, XXI p. 1330 Pléiade 2)

Dans notre numéro 4, nous avons mis en relief les fondements généraux de la théorie communiste de la valeur en essayant de montrer que la théorie du profit moyen contenait celle du surprofit. Avec la théorie de la rente nous avons la confirmation totale de ce point. Sur la base du profit moyen, un surprofit se constitue, qui se transforme en rente sous l'action de la propriété foncière. Dans les tableaux ci-dessus ne sont mis en relief que les surprofits qui sont indépendants du capital. Or, dans l'agriculture comme dans toutes les autres branches, le capital n'est pas réparti uniformément entre les diverses entreprises, et les techniques productives mises en application sont différentes, mais peuvent être reproduites. Si le fermier capitaliste ne peut disposer à sa volonté des terres les plus fertiles et les mieux situées, par contre il peut, dans la mesure du capital dont il dispose, se procurer le tracteur le plus efficient ou n'importe quelle autre machine perfectionnée qui lui permettra de labourer semer ou récolter avec un temps de travail moindre.

Dans notre analyse, nous n'avons pris en compte que des capitaux de même grandeur et de composition organique identique. Si nous levons cette hypothèse cela implique, comme nous l'avons déjà vu dans le N°4, que des capitaux qui disposent d'une technique supérieure à la moyenne ou dont la concentration est plus importante que la normale sont à même de produire les marchandises dont le prix de production individuel sera inférieur au prix de production régulateur et par conséquent ils obtiendront un surprofit. Par contre les capitaux moins favorisés recevront un taux de profit inférieur à la moyenne. Par conséquent les capitaux investis dans chaque type de terrain A. B. C. D. ne sont pas homogènes et des surprofits indépendant du capital existent en dehors des surprofits qui y sont liés. Bien entendu aussi bien les surprofits indépendants du capital que ceux qui lui sont liés font l'objet d'une âpre lutte entre les capitalistes et les propriétaires fonciers. Il est toutefois possible qu'un capitaliste jouissant d'un capital plus productif que la moyenne obtienne un surprofit tout en cultivant le terrain A[lvii]

Tout comme dans l'industrie, on considère dans l'agriculture l'ensemble du capital accumulé pour déterminer la valeur, mais placé dans les conditions de fertilité les moins bonnes et de la situation la plus mauvaise. Il s'agit donc du temps de travail social moyen sur la base du terrain le plus mauvais et le plus mal situé. De ce fait l'introduction d'une meilleure technique tout en abaissant la valeur d'échange du produit permet au capitaliste qui la possède d'obtenir pendant un certain temps un surprofit jusqu’à ce que les moyens de production employés se généralisent et constituent la norme sociale. Nous avons souligné temps de travail social car dans l'agriculture actuelle il se fait un grand gaspillage de temps de travail social. Un grand nombre de petits producteurs produisent dans des conditions telles que leur travail est dépouillé de productivité sociale. Dans ce cas (voir aussi plus haut)le temps de travail abstrait fourni par les agriculteurs ne joue aucun rôle dans la détermination de la valeur et ne devient donc pas du travail social. Ce phénomène concerne aussi bien le travail vivant que le travail mort si bien que dans l'agriculture actuelle le capital constant n'est pas dépensé dans des conditions sociales moyennes d'une époque donnée; il s'ensuit par exemple une surcapacité dans la puissance des machines utilisées à l'hectare.

Cela montre :

1°) la supériorité de la grande exploitation capitaliste sur la petite

2°) que les producteurs qui ne produisent pas dans les conditions sociales moyennes ne participent pas à la détermination de la valeur sociale

3°) que les producteurs marginaux qui obtiennent la valeur sociale parviennent tout juste à recevoir l'équivalent d'un salaire et que la reproduction du capital constant ne se fait pas en totalité

4°) qu'un énorme gaspillage de travail social est effectué dans l'agriculture moderne.

Si les surprofits sont temporaires lorsque la force productive est reproductible, ils sont permanents quoique variables en ce qui concerne la force .productive naturelle. Tant que celle-ci est utilisée et qu'elle possède une qualité supérieure permettant une plus grande productivité du travail, elle permettra à son propriétaire d'obtenir une rente, par contre les surprofits obtenus par un capital plus productif que la moyenne disparaissent lorsque la technique ou la grandeur du capital est devenue la norme sociale. La théorie selon laquelle la valeur est déterminée par le temps de travail social moyen nécessaire à la reproduction de la marchandise s'applique aussi bien à l'industrie qu'à l'agriculture ; cela, l'économie vulgaire n'a jamais été capable de le concevoir, gangrenée qu'elle est par l'empirisme le plus grossier.

Le professeur d'université A. Wagner s'appuyait sur le fait que dans le secteur agricole, étant donné les aléas climatiques, les prix peuvent varier brusquement, pour arguer que la loi de la valeur n'avait aucune réalité et qu'il fallait substituer à la théorie communiste celle bourgeoise selon laquelle la valeur résulte de la confrontation de l'offre et de la demande. Mais comme nous l'avons déjà vu, il ne faut pas confondre, comme le fait Wagner, valeur et prix. Avec les aléas climatiques il s'ensuit de brusques variations dans le prix de marché gravitant autour de la valeur de marché (ou prix de production de marché[lviii] lorsque celui-ci a pris la place de la valeur de marché). Sous l'effet des aléas climatiques la valeur sociale individuelle varie également et les prix de marche subissent eux aussi des fluctuations autour de cette valeur individuelle dont la grandeur est elle-même variable. Si globalement le temps de travail social dépensé demeure le même, il se repartit sur une plus ou moins grande quantité de marchandises en fonction des résultats de la récolte et toutes choses égales par ailleurs la masse des marchandises agricoles produites varie d'une année sur l'autre. Si la quantité est en augmentation, la valeur sociale individuelle diminue, mais il arrive que le prix de marché diminue plus brutalement encore dans la mesure où l'offre excède le besoin social. Par contre si la masse de marchandises offertes diminue, la valeur d'échange s'élève et le prix de marché également, et pour les raisons inverses aux précédentes il peut s'élever plus que la valeur de marché. Mais à travers ces fluctuations du prix de marché nous retrouvons ce qui en constitue l'élément régulateur autour duquel celui-ci oscille : la valeur déterminée par le temps de travail social moyen nécessaire à la reproduction de la marchandise. Ci dessus, en analysant la valeur de marché et le prix de production, nous avons montré que ces deux concepts se situaient au même niveau d'abstraction et que la valeur de marché se métamorphosait en prix de production dans la phase de soumission réelle du travail au capital. Nous avons vu que ces concepts étaient loin d'être définitifs et qu'ils évoluent sous des noms différents dans les ouvrages de Marx. Dans les théories sur la plus-value Marx appelle coût de production ce qu'il va appeler plus tard prix de production, réservant le concept de coût de production pour le capital dépensé (soit le c et v de la marchandise). Le concept de prix de production s'appelle également prix de production de marché et prix de production général[lix] dans le livre III.

Dans un premier temps, nous avons vu que la valeur de marché était une forme développée de la valeur d'échange et était donc l'expression en argent de la valeur du temps de travail social moyen nécessaire à la reproduction de la marchandise. Si le prix de production de marché prend donc la place de la valeur de production de marché, il existe une deuxième acceptation pour le concept de valeur de marché. Dans une branche, le prix de production des marchandises produites est égal à la somme des capitaux dépensées au sein de chaque entreprise, plus le profit moyen calculé sur la base du capital avancé au sein de la branche. Par contre la valeur de marché dans sa nouvelle acception sera égale au prix de production individuel multiplié par la masse des marchandises. Dans l'industrie le prix de production et la valeur de marché coïncident mais il n'en va pas de même dans l'agriculture.

"Au sujet de la rente différentielle en général, il faut faire remarquer que la valeur de marché est toujours supérieure au prix global de production de la masse du produit. (Marx)

Si nous reprenons le tableau I ci-dessus, en admettant que la masse du produit total égale à 130 quintaux soit vendue 650 francs. Cela vient de ce que le prix de production est déterminé sur la base du terrain A sur lequel le quintal vaut 5 francs. Par contre le prix de production réel est de :

 

Type de terrain

Produit

Prix de production

Prix de production individuel

A

25 q

125 F

1 q = 5 F

B

30 q

125 F

1 q = 4 1/6 F

C

35 q

125 F

1 q = 3 4/7 F

D

40 q

125 F

1 q = 3 1/8 F

 

130 q

500 F

1 q = 3 11/13 F

 

Le prix de production réel est de 500 F. Comme le blé est vendu 650 F. il est donc vendu 30% trop cher. Le prix moyen réel pour un quintal de blé est de 3 11/13 F alors qu'il est vendu 5 F. soit 30% au-dessus du prix de production individuel véritable. "Il s'agit là d'une détermination par le prix de marché tel qu'il s'impose sur la base du MPC grâce à la concurrence, laquelle engendre une fausse valeur sociale. Le phénomène qui résulte de la loi de la valeur des produits, donc des produits du sol également, est un acte social, même si son accomplissement social n'est ni conscient ni intentionnel ; cet acte repose nécessairement sur la valeur d'échange du produit; il n'est pas fondé sur la terre et ses différences de fertilité." (Marx Capital III ES t.8 p.58)

Le prix des produits agricoles et des matières premières est donc relativement plus cher que le prix des produits industriels. Là où le produit industriel se vendrait 500 F. il se vend 650 en tant que produit agricole. Ce n'est pas la rente qui renchérit le prix du blé, mais elle provient de ce que le blé est cher dans la mesure où sa valeur se détermine sur le plus mauvais terrain. Nous verrons en reprenant la théorie de l'aliment de base que la rente renchérit à son tour des produits autres que l'aliment de base, la viande par exemple si bien que si le prix de l'aliment de base est relativement plus élevé que le prix des produits industriels, le prix de la viande est lui relativement plus cher que celui de l'aliment de base et a fortiori que celui des produits de l'industrie. Notons que le transfert des terres à l'Etat ne changerait strictement rien à cette situation car, dans ce cas, la rente différentielle serait acquittée sous forme d'impôts mais le prix du produit agricole, toutes choses égales par ailleurs, n'aurait pas été modifié. Par conséquent, cette loi joue dans tous les pays capitalistes, qu'il s'agisse de l'Est ou de l'Ouest. Notons encore qu'elle est spécifique au MPC, et qu'on ne la rencontre pas dans le féodalisme par exemple où le prix des produits industriels est relativement plus élevé que celui des produits agricoles. Le communisme lui, mettra fin à cette loi qui veut qu'une partie du temps de travail de la société soit destinée à engraisser la classe des propriétaires fonciers ou leur substitut : l'Etat capitaliste. Le MPC est donc le mode de production qui nourrit le plus mal l’humanité.

Dans l'analyse de la rente foncière le raisonnement se fait "toutes choses égales par ailleurs", c'est-à-dire que, par exemple, une augmentation de la rente foncière est censée ne pas modifier le taux de profit moyen. De même si le prix de production est modifié, nous ne changeons pas pour autant le capital variable ou le capital constant. Cependant, si nous nous plaçons du point de vue du capital total nous concevons fort bien que, pour une masse de plus-value identique, le taux de profit moyen baisse quand la rente augmente, et augmente quand la rente baisse. Nous pouvons donc ici définir d'une part le taux de profit général qui rapporte la totalité de la plus-value au capital avancé total et d'autre part le taux général de profit dont l'établissement entraîne une égalisation des taux de profit entre les diverses branches de la production si bien que chaque fraction du capital obtient un taux de profit moyen égal au taux général de profit. Pour obtenir ce dernier il est donc nécessaire de retrancher la rente du taux de profit général.

"Lorsque nous parlons de profit comme la part de la plus-value revenant au capital, nous avons en vue le profit moyen (égal au profit d'entreprise plus l'intérêt) qui est déjà limité par la déduction de la rente opérée sur le profit total (identique dans sa masse à la plus-value totale), la rente est supposée déduite." (Marx. Capital III, 6 Pléiade t. 2 p. 1425)

La rente d'ailleurs n'est pas le seul prélèvement sur le taux de profit général, il faudra aussi tenir compte du percepteur et des classes moyennes. Nous voyons ici réunis tous les protagonistes qui vivent à des degrés divers du surtravail extorqué au prolétariat. Les capitalistes de l'industrie ( y compris l'agriculture) et du commerce qui obtiennent le profit d'entreprise ; les capitalistes financiers qui s'emparent de l'intérêt ; l’Etat dont la base économique est constituée par les impôts ; les propriétaires fonciers qui vivent de la rente et enfin les classes moyennes qui, dans leur forme moderne surgie avec la phase de soumission réelle du travail au capital, reçoivent une partie de la plus-value sous forme de salaire.

Dans la mesure où le taux général de profit s'obtient en déduisant la rente du taux de profit général, la rente ne provient pas exclusivement de la plus-value agricole. Le poids de la rente n'est donc pas supporté seulement par les fermiers capitalistes, mais par la totalité de la classe capitaliste s'opposant à la totalité des propriétaires fonciers. Bien que capitalistes et propriétaires fonciers s'affrontent pour le partage de la plus-value entre profit (+ intérêt) et rente, ils forment par ailleurs une Sainte-Alliance contre le prolétariat afin de lui extorquer le maximum de plus-value. Contre révolutionnaire donc, serait toute proposition d'alliance du prolétariat avec une des deux classes contre l'autre, ce qui n'empêche pas que le prolétariat puisse parfois profiter de leurs divisions.

Parmi les perspectives contre-révolutionnaires tracées au prolétariat, nous trouvons par exemple celle de Rocard, qui, parlant de la rente urbaine déplore qu'une "part du fruit de l’activité collective" (charabia désignant La plus-value), s'évapore sous forme de rente, privant ainsi la classe capitaliste de surprofits qui pourraient lui permettre de satisfaire une partie de revendications des "salariés" (terme qui dans le langage de M. Rocard désigne une masse interclassiste dans laquelle on trouve à la fois les prolétaires et les classes moyennes). Pauvres patrons, donc qui ne peuvent malgré toute leur bonne volonté offrir des concessions aux travailleurs", parce qu'il leur faut maintenir leur taux de profit, déjà bien bas par ailleurs. En quelque sorte, la lutte des classes ne proviendrait pas du fait que le capital exploite le travail, mais de ce que la propriété foncière empêche la réalisation de l'harmonie de leurs intérêts. Soucieux de rationaliser le capital, et donc d'optimiser l'exploitation capitaliste, selon les méthodes apprises à l’ENA et aux cours du soir du parti socialiste, M. Rocard prône donc une politique de collaboration de classe dans laquelle le prolétariat uni aux classes moyennes s'allierait au capital industriel contre les propriétaires fonciers.

En proposant, pour lutter contre les propriétaires fonciers urbains la baisse des loyers, les gens comme Rocard[lx] se font les défenseurs du capital industriel puisque à terme la baisse des loyers aurait pour effet d'abaisser les salaires, étant donné que le loyer est un élément entrant dans le prix de la force de travail.

D'autre part, la masse de plus-value ainsi conservée entre les mains du capitaliste industriel offrirait à celui-ci, grâce au remède des Rocard et Cie une capacité d'accumulation accrue et donc la possibilité de renforcer l'exploitation à la fois en volume par accroissement de la classe ouvrière, et en intensité en augmentant le taux d'exploitation du prolétariat par accroissement de la productivité et de l'intensité du travail.

Ainsi selon cette thèse social-démocrate le but du capital ne serait pas d'extorquer un maximum de plus-value, mais de s'efforcer de résister à l'exploitation" que lui fait subir la propriété foncière, tout comme les petits patrons devraient résister-(et ceci avec l'appui de leurs ouvriers) aux monopoles qui les "exploitent" et les empêchent d'augmenter les salaires, Pour la charogne contre-révolutionnaire, il s'agit de soumettre le prolétariat mobilisé derrière les classes moyennes aux intérêts généraux du capital et le cas échéant de le massacrer lorsqu'il se manifeste sur ses positions de classe autonome.

Un autre appel à la collaboration de classe, mais à l'usage cette fois des pays dominés par l'impérialisme et dans lesquels la réforme agraire reste à faire, est lancé par Gutelman (cf. "Structures et réformes agraires" aux éditions Maspéro). Ce dernier s'efforce de forger une "théorie de base" afin d’élaborer une "grille d'explication" pour l'analyse des réformes agraires. Selon cette "théorie de base" le surprofit dégagé dans l'agriculture et qui se transforme en rente foncière serait pris sur la plus-value du capitaliste industriel et transféré vers l'agriculture. D’où une source d'antagonismes entre capitalistes industriels et fermiers capitalistes, les premiers s'efforçant d’avoir les plus bas prix possibles afin de réduire la rente, et les seconds manifestant un comportement strictement inverse. D'autre part, les fermiers capitalistes rentrent en conflit avec les propriétaires fonciers pour le partage de la rente. Enfin, encore une fois on explique la surexploitation de l'ouvrier par le capitaliste industriel, par la nécessité pour ce dernier de faire supporter à l'ouvrier le poids du transfert de plus-value en direction de l'agriculture. Ainsi, ici aussi on appelle le prolétariat à s'allier avec les capitalistes industriels, au sein d'un bloc national, afin de réaliser la réforme agraire.

Au contraire, comme nous l'avons montré, c'est l'ensemble de la classe capitaliste qui verse un surprofit à l'ensemble des propriétaires fonciers, d'où leurs conflits. Du point de vue de la totalité, l'ensemble des capitalistes dont le but est la recherche du maximum de plus-value, cherche à abaisser la valeur des marchandises afin d'accroître le taux d'exploitation. Tant que la bourgeoisie était encore radicale cet antagonisme avec les propriétaires fonciers allait jusqu'à s'exprimer par la revendication de la nationalisation de la terre. Dans ce cas, la rente allant à l'Etat sous forme d'impôts, on obtenait la diminution de ceux-ci.

Une nouvelle fois donc, en mettant en scène les trois classes fondamentales de la société bourgeoise, l'étude de la question agraire montre que le prolétariat, pour réaliser le programme communiste, n'a à chercher aucun soutien ou alliance avec une fraction quelconque des classes dominantes, mais doit se constituer en parti politique distinct, le parti communiste, qui opposera à tous les autres les armes de la dictature et de la terreur.

14.  Terre marâtre, capital souteneur : Rente différentielle II

14.1    Introduction

La réalisation du mode de production capitaliste à travers deux phases (cf. texte sur les deux phases) : la phase de soumission formelle du travail au capital et la phase de soumission réelle du travail au capital n'affecte pas seulement l'industrie, mais toutes les branches de la production capitaliste et donc aussi l'agriculture.

Dans cette dernière branche, cette mutation du procès de production provoque d'importantes répercussions en ce qui concerne la rente différentielle.

La première forme de la rente, la rente différentielle I (cf. ci dessus) se rattache à un mode de production extensif, où l'augmentation de la production se fait au moyen de l'accroissement des surfaces cultivées. La mise en culture de terres de qualité différentes forme alors la base de la rente différentielle I.

Par contre, la rente différentielle II surgit sur la base d'un mode de production intensif, où l'élévation du volume de la production est obtenue par l'accumulation du capital sur les mêmes terres. Un tel procès implique une concentration du capital; on désigne par culture intensive cette concentration du capital sur un même terrain, alors que par culture extensive on entend une accumulation du capital sur de nouveaux terrains, un accroissement de la surface cultivée.

Tout ce passage d'un mode de production extensif à un mode de production intensif correspond au passage de la phase de soumission formelle à la phase de soumission réelle du travail au capital.

Nous avons vu que, même sur la base de la rente différentielle I, et donc sur la base d'une subordination encore formelle du travail au capital dans l'agriculture, la production de plus-value relative était déjà possible dans ce secteur, dans la mesure où le principal instrument de production y est la terre, et que celle-ci peut être considérée comme une "machine naturelle" capable d'accroître la productivité du travail. Cet accroissement est rendu possible (si nous écartons l'influence des variations saisonnières et de la qualité des récoltes suivant les années) par la mise en culture de terres plus fertiles et l'abandon concomitant des terres les moins fertiles et les moins bien situées.

Un autre moyen, également employé pour favoriser la production de plus-value relative, consiste dans le remplacement de l'aliment de base jusqu'alors généralement utilisé pour l'alimentation des classes exploitées, par un autre aliment de base, dont la production exige un moindre temps de travail social. La baisse de la valeur de la force de travail ainsi obtenue permet la production d'une plus-value relative.

Dans la mesure où cette sphère voit apparaître plus tôt la plus-value relative, l'agriculture est donc le premier secteur de la production capitaliste dans lequel s'affirme la phase de soumission réelle mais celle-ci ne peut y prédominer définitivement que lorsque la métamorphose de la production capitaliste s'est accomplie à l'échelle de la société tout entière et que la soumission réelle du travail au capital prédomine dans le procès de production de l'industrie. Si, par conséquent, tout le cycle du passage de la phase de soumission formelle à celle réelle du travail au capital démarre dans l'agriculture, elle ne pourra se soumettre définitivement cette branche qu'en dernier, une fois le cycle achevé dans l'industrie.

Si l'avantage que l'agriculture possède au départ sur l'industrie s'explique en partie par des causes "naturelles" (capacité de la terre à agir comme "machine naturelle"), par la suite le retard de l'agriculture sur le reste de la production capitaliste repose sur des causes sociales, que nous allons analyser ici.

En premier lieu, on pourra remarquer que les sciences qui conditionnent les progrès de l'agriculture se développent plus tard que celles qui favorisent le progrès de l'industrie. Plus apte à saisir le quantitatif que le qualitatif, la science bourgeoise avance plus rapidement et plus sûrement dans les domaines de la mécanique et de la physique que dans la chimie et les sciences de la vie, indispensables au développement de l’agriculture.[lxi]

« Si la composition du capital dans l'agriculture proprement dite est inférieure à celle du capital social moyen, c’est que, de prime abord, l'agriculture, dans les pays hautement industrialisés, n'a pas progressé au même rythme que l'industrie de transformation. Sans même tenir compte d’autres circonstances économiques parfois décisives, le développement plus précoce et plus rapide des sciences mécaniques, et surtout de leurs applications, comparé à celui beaucoup plus tardif et parfois tout récent, de la chimie, de la géologie et de la physiologie suffirait déjà à expliquer ce retard, particulièrement sensible dans l'agriculture. » (Marx. Capital III,6. Pléiade t.2 p.1371)

Enfin, la propriété foncière n'est pas le moindre parmi les obstacles à la libre accumulation du capital dans l'agriculture. La lutte entre les capitalistes et les propriétaires fonciers pour s'emparer des surprofits, ainsi que le progrès de l'accumulation dans l'agriculture sont au centre de la théorie de la rente différentielle II, et sont aussi à relier, comme nous le verrons par la suite, à celle de la rente absolue.

Il est vrai, toutefois, que la rente différentielle II pourrait exister indépendamment de la rente absolue et de la propriété foncière auquel cas l’accumulation du capital ne serait pas entravée et les surprofits surgis avec le développement du progrès technique iraient aux capitalistes. Mais tant qu'existe la propriété foncière, celle-ci forme un obstacle à l'accumulation du capital, et provoque un affrontement entre capitalistes et propriétaires fonciers pour l'appropriation des surprofits.

Le mouvement de la rente différentielle I, tout en étant lié parfois à la production de plus-value relative (laquelle est caractéristique de la phase de soumission réelle), correspond en fait à la phase de soumission formelle du travail au capital, phase de la société bourgeoise où le capital n'a pas encore forgé sa technologie spécifique et où, par conséquent, le rapport entre le capital constant et le capital variable qui prédomine, tend à demeurer identique.

« Ce genre de progression (c'est-à-dire un développement uniforme du capital variable et constant) existe uniquement dans les stades où le mode de production utilisé par le capital n'est pas encore conforme à la nature du capital, ou dans les sphères de production où sa domination n'est encore que formelle, dans l'agriculture par exemple. La fertilité naturelle du sol peut y avoir le même effet qu'une augmentation du capital fixe, autrement dit le temps de surtravail relatif peut augmenter sans que doive diminuer la quantité de travail vivant. C'est ce qui s'est produit par exemple aux Etats-Unis. » (Marx. Grundrisse 10/18 t.4 p.14)

Par conséquent, il est possible grâce au progrès de la fertilité et sur la base d'une composition technique du capital qui reste constante, de modifier le temps de surtravail relatif. (Pour illustrer ce cas, Marx a recours, aussi bien dans les Grundrisse que dans le Capital, à l'exemple des colonies d'Amérique du Nord).

Des terrains de qualité différente sont mis en culture parallèlement et simultanément par des capitaux dont les différentes fractions composent le capital agricole total. C'est sur cette base économique, c'est-à-dire la phase de soumission formelle, que se fonde la rente différentielle I.

Avec la modification de l'accumulation du capital dans l'agriculture, lorsque cette accumulation se fait sur les mêmes terrains, avec la concentration du capital, la base économique sur laquelle reposait la rente différentielle I se transforme, la culture devient intensive, et l'accroissement de la production repose sur la concentration du capital sur les mêmes terres. A la rente différentielle I succède la rente différentielle II, dont Marx nous dit que « sa base et. son point de départ du point de vue historique comme du point de vue de son mouvement à chaque période donnée, sont constitués par la rente différentielle I ». (Capital III, ES t.8 p.65)

De la même manière que la subordination formelle du travail au capital constitue la base historique et le point de départ de la subordination réelle, la rente différentielle I constitue la base et le point de départ de la rente différentielle II.

« Le mouvement de la rente différentielle II ne s'opère à tout moment, que dans un domaine qui constitue lui-même la base multiforme de la rente différentielle I ». (Marx. Capital III in : Pléiade t.2 p.1339)

« De toute évidence, la rente différentielle II n'est alors quune autre expression de la rente différentielle I, avec laquelle en substance, elle se confond. La fertilité différente des terrains différents n'agit, dans la rente différentielle I, qu'autant que des résultats inégaux sont obtenus par des capitaux investis dans le sol, soit par rapport à des capitaux de même grandeur, soit en fonction de leur grandeur proportionnelle. Que cette inégalité se produise pour des capitaux différents investis successivement sur le même terrain ou pour des capitaux engagés sur plusieurs terrains de différents types, ne peut rien changer à la différence de leur fertilité ou de leur produit, ni par conséquent à la formation de la rente différentielle pour des parties de capital investies plus fructueusement. C'est toujours le sol qui, pour des investissements égaux, révèle une fertilité différente, sauf qu'ici le même sol fait pour un capital investi successivement dans différentes portions ce que, dans la rente différentielle I, différents types de sol font pour des parties égales du capital social qui sont investies. » (idem p.1340)

Avec le développement du mode de production capitaliste et l'épuisement du sol qui lui correspond, la production agricole tend à reposer de plus en plus sur le capital qui devient l'élément décisif.

Nous avons déjà souligné dans les précédents chapitres de cette étude, le martyre que subissait la terre dans le cadre du MPC, et comment la séparation de l'homme d'avec son corps inorganique, la nature, atteint son paroxysme avec le MPC, lorsque la communauté du capital se substituant à la communauté des nommes, engendre l'épuisement et le tarissement des sources de la richesse : la terre et le travailleur.

Pour la théorie communiste, l'avènement du mode de production capitaliste est synonyme d'épuisement du sol[lxii] et si, avec la rente différentielle I, nous n'avons à faire qu'à un mode de production naissant où la terre commence seulement à subir les effets de la production capitaliste, avec le passage à la rente différentielle II, nous avons à faire à une terre épuisée et martyrisée qui ne donne des fruits que grâce à sa fécondation inhumaine par le capital. La terre, de mère nourricière, s'est muée en une marâtre à laquelle le capital n'arrache de nouveaux fruits qu'en la laissant toujours plus exsangue et épuisée.

14.2    La rente différentielle II

Nous avons déjà vu que, au sein d'une branche, pour qu'un capital obtienne le profit moyen il fallait que son montant soit égal à la moyenne du capital investi. Les capitaux qui avaient une masse et donc une productivité plus grande que la moyenne ne parvenaient pas à recevoir un profit moyen. Les sous-profits des uns compensant les sur-profits des autres (sous certaines conditions que nous avons déjà rappelées ci-dessus), les capitaux de la branche obtenaient un taux de profit moyen correspondant au taux général de profit qui s'établit au sein de la société.

Pour l'étude de la rente différentielle II, l'on suppose donc, sur chaque type de terrain de superficie égale, une répartition des capitaux identiques si bien que la moyenne du capital investi sur chaque terrain correspond à la moyenne du capital investi dans la branche.

De ce fait, sur chaque type de terrain les capitaux engagés reçoivent un taux de profit égal au taux de profit moyen. Si, sur un terrain, le capital accumulé était inférieur à la moyenne sociale, le taux de profit de ce capital serait inférieur au taux de profit moyen et si il était supérieur au minimum requis à une époque donnée, ce capital obtiendrait un profit extra ou sur-profit, en sus du profit moyen.

« Aucun terrain ne donne de produit sans qu'il y ait investissement de capital. Cela est vrai même pour la rente différentielle simple, la rente différentielle I; quand nous disons qu'une acre de A, c'est-à-dire du terrain régulateur du prix de production donne tel produit à tel ou tel prix et que les terrains de meilleure qualité B, C et D rapportent tant de produit différentiel, et donc, d'après le prix régulateur, tant de rente en argent, nous supposons toujours qu'on a utilisé un capital déterminé, considéré comme normal dans des conditions de production données. Tout se passe comme dans l'industrie, où chaque secteur industriel requiert une certaine quantité minimale de capital pour pouvoir fournir des marchandises à leur prix de production.

Si ce minimum vient à se modifier à la suite d'investissements successifs de capital sur un même terrain, qui entraînent des bonifications du sol, ce changement s'accomplit progressivement. Tant que le capital additionnel n'est pas investi sur un certain nombre d'acres, de A, par exemple, de la rente est produite sur les acres mieux exploitées de A parce que le prix de production est resté constant et la rente de tous les meilleurs terrains B.C et D s'en trouve augmentée. Mais dès que le nouveau mode d exploitation s'est suffisamment imposé pour qu'on le considère comme le mode normal, le prix de production baisse; la rente des bonnes terres diminue à son tour et la partie du terrain A qui ne dispose pas du nouveau capital moyen doit vendre au-dessous de son prix individuel de production, donc au-dessous du profit moyen. En cas de baisse du prix de production, ce phénomène se produit encore, même si la productivité du capital additionnel diminue, dès que le produit total nécessaire, résultat de l’ augmentation des investissements de capital est fourni par les bonnes terres, provoquant le retrait du capital de A, qui ne concourt donc plus à la production d'un produit donné, disons de froment. La quantité de capital qui est désormais investie en moyenne sur le nouveau terrain régulateur B est désormais considérée comme la normale; quand nous parlons des différences de fertilité des terres, nous sous-entendons que c'est cette nouvelle norme de capital par acre qui est utilisée. » (Capital L III, 6 ES t.8 p.94)

« A la différence de fertilité s'ajoutent dans la rente différentielle II, les différences dans la façon dont est réparti entre les fermiers le capital (et la capacité de crédit). Dans l’industrie manufacturière proprement dite se détermine très vite pour chaque branche d'industrie en particulier, un volume minimum d'affaires, donc aussi un minimum de capital au-dessous duquel une affaire individuelle ne saurait être menée avec succès. De même, dans chaque branche d'industrie particulière se constitue un capital moyen normal, supérieur à ce minimum dont la masse des producteurs doit disposer et dispose en fait. Tout ce qui dépasse ce capital peut réaliser un profit extra, tout capital inférieur ne permet pas d'obtenir le profit moyen. » (Idem p.66)

Dans la mesure où le capital ne s'empare que lentement de l'agriculture, ce processus est plus long à se réaliser dans cette sphère que dans l'industrie; néanmoins, pour l'analyse théorique, nous devons procéder comme si la production capitaliste était uniformément développée dans l'ensemble des branches. C'est seulement alors qu'on peut procéder à une analyse des cas particuliers que pourrait entraîner une répartition inégale des capitaux.

Dans le N°9 (consacré aux deux phases historiques de la production capitaliste), nous avons développés certains aspects de cette question, à propos des anciennes classes moyennes. Dans la mesure où il subsiste encore dans l'agriculture une grande masse de petits producteurs, ceux-ci jouent un rôle dans la détermination de la valeur des marchandises. Ce rôle est plus ou moins important en fonction du degré de développement de la production capitaliste.

Dans la phase de soumission formelle du travail au capital -donc dans le cadre de la rente différentielle I - les petits producteurs conservent une grande importance sociale : ils contribuent à l'établissement de la valeur sociale. Leur travail individuel abstrait peut encore compter comme travail social. Au fur et à mesure que se développe le mode de production capitaliste (c'est-à-dire que se développe la phase de soumission réelle du travail au capital), cette importance décroît car le travail du paysan indépendant se voit progressivement "dépouillé des conditions objectives, sociales aussi bien que matérielles de la productivité".

Cependant, mais à des degrés divers, tant que perdurent des formes de production capables d'influencer la valeur sociale des marchandises, les véritables fermiers capitalistes peuvent s'approprier un surprofit.[lxiii]

14.2.1                    1erCas : Prix de production constant.

Le mouvement d'accumulation du capital que nous avons déjà décrit brièvement ci-dessus nous montre comment s'articulent la course aux surprofits et l'établissement d'un taux de profit moyen.

Le processus est le même dans l'agriculture, mais dans la mesure où la classe des propriétaires fonciers peut y monopoliser l'un des moyens de travail essentiels : la terre, les surprofits ne vont pas forcément dans la poche des producteurs directs, c'est-à-dire des fermiers capitalistes, mais dans celle des propriétaires fonciers.

En attendant de voir dans quelle mesure les surprofits se convertissent en rente foncière, nous allons voir comment se forme le surprofit. Dans avons déjà examiné le tableau suivant (cf. p.)

:

- TABLEAU I -

 

Type

Produit

Capital avancé

Profit

Rente

q

F

q

F

q

F

A

25

125

100

5

25

0

0

B

30

150

100

10

50

5

25

C

35

175

100

15

75

10

50

D

40

200

100

20

100

15

75

 

Pour un capital avancé de 100 sur des terrains de superficie identique, mais de fertilité différente, classés dans l'ordre A B C D ( du plus mauvais au meilleur terrain), on obtient un profit de 25 correspondant à un taux de profit moyen de 25%, égal au taux général de profit qui règne dans l'ensemble des branches de la production capitaliste.

C'est sur le plus mauvais terrain, le terrain A, que se détermine le prix de production régulateur du prix de marché. Par conséquent le capital investi sur ce terrain obtient juste le profit moyen et donc ne produit pas de rente. Sur chacun des autres terrains, la différence entre le prix de production individuel et le prix de production régulateur du prix de marché se transforme en rente sous l’action de la propriété foncière et va ainsi engraisser la classe des propriétaires fonciers.

Considérons désormais, pour étudier la rente différentielle II, les conséquences de l'accumulation d'un investissement supplémentaire sur chacun des terrains, d'un capital additionnel de même grandeur. Au premier investissement d'un capital de 100 sur chacun des terrains A B C et D, de superficies égales, succède un second investissement d'une même valeur de 100.

 

- TABLEAU II -

 

Type

ha

Capital avancé

Profit

Prix de production

Prix de vente/q

Produit total

Rente

 

Q

F

q

F

A

1

100+100 = 200

50

250

5

50

250

0

0

B

1

100+100 = 200

50

250

5

60

300

10

50

C

1

100+100 = 200

50

250

5

70

350

20

100

D

1

100+100 = 200

50

250

5

80

400

30

150

Total

 

800

200

1000

5

260

1300

60

400

 

Sur chaque type de terrain, on a procédé à l'investissement d'un nouveau capital égal au capital précédent. Par conséquent, le capital avancé est désormais de 200 F contre 100 F précédemment.

Pour un taux de profit inchangé de 25%, le montant du profit obtenu par chaque capitaliste est de 50, et le prix de production s'élève à 250. Les produits obtenus avec la nouvelle dose de capital sont identiques aux produits obtenus avec le premier investissement. L'échelle des fertilités absolue et relative des terrains demeure inchangée. Le prix de production se forme toujours sur le plus mauvais terrain, le terrain A, et il demeure constant. Pour une dose de capital identique à la précédente, nous avons obtenu un produit identique.

Le produit de 50 quintaux obtenu sur le terrain A coûte 250 F. Le prix de vente du quintal est donc de 5 F. La rente sur le terrain B s'élève désormais à 50 F au lieu de 25 F mais le taux de surprofit demeure constant, soit 50/200 = 25%.

Sur le terrain C, la rente est de 100 F en argent, et de 20 q en produit. Le taux de surprofit demeure également constant : 100/200= 50%.

Enfin, sur le terrain D, la rente se monte à 150 F en argent et 30 q en produits.

La production augmente donc dans une proportion identique à l’augmentation du capital. La rente s'accroît également proportionnellement au capital investi, et du fait de cet investissement.

Tout se passe ici, tant du point de vue du produit que de la rente, comme si l'on avait mis en culture 4 terrains supplémentaires A, B, C et D, en utilisant un capital identique à celui du tableau I. Mais, et c'est là une différence essentielle, avec la rente différentielle I, la rente par hectare s'accroît.

« Plus le mode de production capitaliste se développe, plus se développe la concentration du capital sur un même terrain et plus est élevée donc la rente calculée par hectare. Donc, dans deux pays, où les prix de production, les différences entre les catégories de terrain et la masse du capital investi seraient identiques, mais où l'un pratiquerait plutôt les investissements successifs sur une étendue de terrain restreinte, l'autre les investissements simultanés sur des étendues assez vastes, la rente par hectare, partant le prix du sol, seraient plus élevés dans le premier pays que dans le second bien que la masse de la rente soit la même dans les deux. La différence dans le montant de la rente ne s'expliquerait donc pas ici par une différence de fertilité naturelle des divers terrains, ni de quantité de travail employé, mais elle serait exclusivement due aux modes différents d'investissements du capital. » ( Marx, ES Capital III, 6 p.80-81 t.8)

Dans notre premier exemple, nous n'avons envisagé que le cas d'un rendement des capitaux égal au rendement antérieur. L’apport d'une nouvelle dose de capital sur chaque terrain, permet l'obtention d'un rendement identique à celui qui avait été obtenu précédemment, pour une dose de capital identique.

Dans ce cas, puisque le produit fourni sur le terrain par une masse de capital identique à celle précédemment investie, est le même quauparavant, le prix de production reste inchangé. Par conséquent, les capitaux additionnels investis sur les terrains B C et D pourront avoir (pour une même dose de capital et par rapport au produit précédent), des produits constants, croissants ou décroissants, sans que le prix de production en soit affecté, tant qu'il est déterminé par le terrain A. Sous l'effet des doses supplémentaires de capital, la fertilité relative des terrains variera, de même que les rentes différentielles, mais le prix de production régulateur du prix de marché demeure identique.

Nous obtiendrions alors, par exemple, la distribution suivante

 

- TABLEAU III -

 

Type

ha

Capital avancé

Profit

Prix de production

Prix unité

Produit total

Rente

 

Taux

Q

F

 

 

A

1

100+100 = 200

50

250

5

25 + 25 = 50

250

0

0

B

1

100+100 = 200

50

250

5

30 + 25 = 55

275

25

12,5%

C

1

100+100 = 200

50

250

5

35 + 35 = 70

350

100

50%

D

1

100+100 = 200

50

250

5

40 + 45 = 85

425

175

87,5%

Total

 

800

200

1000

5

260

1300

300

 

 

Si nous analysons les effets de l'investissement supplémentaire d'une dose identique de capital sur chaque terrain, avec des rendements différents par terrain, nous obtenons ceci :

En effet, la deuxième dose de capital de 100 ne rapporte ici qu'un produit de 25 quintaux contre 30 avec la première mise de capital (voir tableau I).

 

Dans l'ensemble, les fertilités relatives des terrains et les rentes différentielles se sont modifiées. Le terrain B s'est rapproché du terrain A, et le montant de la rente est resté stationnaire. Le terrain C conserve une fertilité relative identique par rapport au terrain A, et la rente obtenue double, tandis que le taux de rente demeure constant.

Sur le terrain B, le montant de la rente est identique à celui que le fermier payait auparavant, mais le taux de rente a baissé, passant de 25% à 12,5%. Enfin, sur le terrain D, l'écart relatif avec le terrain A, et avec les autres terrains s'est creusé. L'accumulation d'un capital nouveau a permis la production d'un produit plus important que le précédent.

Le prix de production individuel du blé sur le terrain D diminue et la rente différentielle s'accroît d'autant : elle s'élève de 75% à 87,5%. Le montant absolu de la rente s'est accru sur les meilleurs terrains, sauf sur le terrain B, où elle demeure constante.

Lorsque le prix de production individuel du produit additionnel est inférieur au prix de production régulateur du prix de marché, le montant absolu de la rente augmente. Si en plus il est inférieur au prix de production individuel du produit antérieur, le taux de la rente augmente également.

C'est le cas sur le terrain D. Le prix de production individuel du produit additionnel est de 25/9 (125/45) F le quintal et le prix de production régulateur du prix de marché s'élève à 5 F ; en conséquence, le montant absolu de la rente s'accroît. D'autre part, le prix de production individuel du produit antérieur était de 3,125 F (125/40). Le prix du produit additionnel étant inférieur, le taux de la rente s'accroît également. Il passe de 75% à 87,5%.

Lorsque le prix de production individuel du produit additionnel est égal au prix de production individuel du produit antérieur, le taux de rente demeure constant.

Dans notre tableau (III) c'est le cas du terrain C.

Le montant absolu de la rente augmente lorsque le prix de production régulateur du prix de marché, et le taux de surprofit demeure constant.

Dans le tableau I, le taux de surprofit du terrain C est de 50% (50/100) et dans le tableau II, il reste constant puisqu'il s'élève toujours à 50% (100/200).

Lorsque le prix de production individuel du produit additionnel est supérieur au prix de production individuel du produit antérieur tout en étant inférieur au prix de production régulateur du prix de marché, le montant absolu de la rente augmente mais le taux de surprofit diminue.

Lorsque le prix du produit additionnel est égal au prix de production régulateur du prix de marché, le montant absolu de la rente demeure constant tandis que le taux de la rente baisse - c'est le cas du terrain B dans le tableau II -. Le prix de production individuel du produit additionnel est de 5 F/q (25/25) ; le montant de la rente s'élève donc toujours à 25, tandis que le taux de surprofit baisse de 25% à 12,5%.

Enfin, lorsque le prix de production individuel du produit additionnel est inférieur au prix de production régulateur du prix de marché, le montant absolu de la rente baisse, et par voie de conséquence le taux de surprofit également. Cette baisse rencontre sa limite ultime lorsque la rente est égale à zéro. Cela signifie que le terrain sur lequel ont été accomplis les investissements successifs, est devenu le terrain le plus mauvais et que c'est désormais sur lui que se détermine le prix de production régulateur du prix de marché.

En suivant ce cas de figure, nous arrivons à un cas particulier du prix de production constant dans le cas de la rente différentielle II, celui où la hiérarchie des terres se trouve bouleversée du fait des résultats différents des investissements de capitaux successifs et des différences qui s'ensuivent dans la bonification des terres.

 

- TABLEAU IV -

 

Type

ha

Capital avancé

Profit

Prix de production

Prix unité

Produit total

Rente

 

Q

F

 

A

1

100+100 = 200

50

250

5

25 + 35 = 60

250

5

B

1

100+100 = 200

50

250

5

30 + 20 = 50

275

0

C

1

100+100 = 200

50

250

5

35 + 35 = 70

350

100

D

1

100+100 = 200

50

250

5

40 + 45 = 85

425

175

 

La baisse du rendement en B, liée à un rendement croissant du capital en A entraîne un bouleversement dans la hiérarchie des terres.

Sous l'effet de l'accumulation et de la concentration d'un capital additionnel, le terrain A s'est bonifié et sa fertilité s'est accrue, tandis que le terrain B lui, s'appauvrit et voit sa fertilité diminuer. Le prix de production individuel du produit additionnel sur le terrain B est supérieur au prix de production régulateur du prix de marché, si bien que le montant absolu de la rente diminue pour tomber à zéro, dans la mesure où le prix de production individuel du produit total sur le terrain B (250/50) se trouve désormais égal au prix de production régulateur du prix de marché.

La hiérarchie des terrains s'étant bouleversée et le terrain B étant devenu le plus mauvais terrain, c'est sur lui que va se former désormais le prix de production régulateur du prix de marché, à la place du terrain A, où l'investissement additionnel de capital s'est traduit Par un produit croissant. Le prix de production individuel du produit sur A s'élève désormais à 4,16 (250/60) et donc une rente différentielle apparaît sur ce terrain. Sous l'effet de l'accumulation du capital, la hiérarchie des fertilités des terrains a été modifiée.

« La rente ne saurait être l'indice constant du degré de fertilité d'un terrain puisque l’application moderne de la chimie vient à chaque instant changer la nature du terrain, et que les connaissances géologiques commencent précisément de nos jours à renverser toute l'ancienne estimation de la fertilité relative : ce n'est que depuis 20 ans environ qu'on a défriché de vastes terrains dans les comtés orientaux de l'Angleterre, terrains qu'on laissait incultes faute d'avoir bien apprécié les rapports entre l'humus et la composition de la couche inférieure.

Ainsi l'histoire, loin de donner dans la rente un cadastre tout formé, ne fait que changer, renverser totalement les cadastres déjà formés. En fait, la fertilité n'est pas une qualité aussi naturelle qu'on pourrait bien le croire : elle se rattache intimement aux rapports sociaux actuels. Une terre peut être fertile cultivée en blé et cependant le prix du marché pourra déterminer le cultivateur à la transformer en prairie artificielle et la rendre ainsi infertile. » (Marx. Misère de la philosophie, in Pléiade t.I p.125)

Deux autres cas particuliers sont à considérer lorsque l'on combine la rente différentielle I et la rente différentielle II.

Le premier cas est celui où des investissements successifs plus productifs s'accompagnent de la mise en culture d'un terrain moins fertile si bien que le prix de production demeure constant.

Le deuxième cas est celui d'investissements successifs moins productifs qui s'accompagnent de l'abandon de la culture du terrain A, c'est-à-dire du terrain le plus mauvais. Dans ce cas, la baisse de productivité des investissements additionnels se trouvant compensée par l'abandon du terrain le moins fertile, le prix de production pourrait demeurer constant.

Dans le premier cas, nous aurions, par exemple, la distribution suivante :

 

TABLEAU V

 

Type

ha

Capital avancé

Profit

Prix de production

Prix unité

Produit total

Rente

 

Q

F

 

A’

1

200

50

250

5

50

250

0

A

1

100+100 = 200

50

250

5

25 + 30 = 55

275

25

B

1

100+100 = 200

50

250

5

30 + 35 = 65

325

75

C

1

100+100 = 200

50

250

5

35 + 40 = 75

375

125

D

1

100+100 = 200

50

250

5

40 + 45 = 85

425

175

 

Ce tableau illustre le processus suivant : pour satisfaire une demande sociale que l'on suppose ici en nette expansion, les investissements successifs sur les terrains A, B, C et D ne suffisent pas, malgré leur productivité supérieure aux investissements initiaux.

Par conséquent, il faut mettre en culture un nouveau terrain Aqui est moins fertile que A. Le montant du capital que l'on avance sur ce nouveau terrain est égal au montant accumulé sur les autres terrains soit 200. En effet, si le terrain A avait été mis en culture avec les terrains A, B, C et D lors du premier investissement de 100, il n'aurait peut-être fourni que 20 quintaux; la deuxième fraction du capital accumulé engendrant un produit de 30.

Cependant l'effet général de cette accumulation de 200 est de maintenir le prix de production à 5F, lequel prix de production était auparavant déterminé sur le terrain A. Il se forme maintenant sur la base des conditions de production existant sur le terrain de type A’.

De la même manière, il est possible d'envisager le retrait du terrain A de la production. Il ne resterait plus alors en présence que les terrains B, C et D et c'est sur le plus mauvais de ces terrains restants que se formerait le prix de production régulateur du prix de marché.

Dans ce cas, pour que le prix de production reste constant il faudrait que des rendements décroissants se manifestent sur le terrain B. Par exemple, si avec le capital additionnel on obtenait un produit supplémentaire égal à 20, le prix de production sur le terrain B s’élèverait à 5 F (125 + 125 / 30 + 20).

La disparition du terrain A ne se serait pas traduite ici par une modification du prix de production.

Ce que nous venons de montrer là ce sont des cas particuliers qui font intervenir le mouvement de la rente différentielle I, combiné avec la rente différentielle II.

Par contre, sur la base de la seule rente différentielle II, c'est-à-dire lorsqu'on conserve le terrain A comme terrain régulateur du prix de production, ce dernier demeure constant si l'accroissement du capital engendre un accroissement identique dans le produit.

14.2.2                    2°cas : prix de production en baisse

Le prix de production peut également baisser, et c'est là une possibilité qui a une grande importance pour le capital dans la mesure où, étant à la recherche du maximum de plus-value, il cherche à développer la plus-value relative, et donc à abaisser le prix de production des marchandises.

Si l'on considère toujours les 4 terrains A, B, C et D dans un ordre constant, le prix de production régulateur du prix de marché ne baisse que si le produit additionnel augmente plus que proportionnellement au capital nouvellement accumulé. Si l'on combine la rente différentielle I à la rente différentielle II, le prix de production pourra baisser même si les rendements sont constants ou en baisse.

Si donc nous considérons le premier cas envisagé, c'est-à-dire en restant uniquement sur la base de la rente différentielle II, sans combiner avec la rente différentielle I, nous obtenons le tableau suivant :

 

- Tableau VI -

 

Type

ha

Capital avancé

Profit

Prix de production

Prix unité

Produit total

Rente

 

Q

F

 

A

1

100+100 = 200

50

250

4,54

25 + 30 = 55

250

0

B

1

100+100 = 200

50

250

4,54

30 + 35 = 65

295,4

45,4

C

1

100+100 = 200

50

250

4,54

35 + 40 = 75

340,9

90,9

D

1

100+100 = 200

50

250

4,54

40 + 45 = 85

386,3

136,3

 

Le quintal de blé produit sur le terrain A est maintenant vendu 4,54 F contre 5 F auparavant.

« Puisque le taux de productivité croît en même temps que le taux de productivité additionnel, c'est qu'il y a eu bonification du sol. Celle-ci peut consister dans l'utilisation d'une plus grande quantité de capital par acre (davantage d'engrais, de travail mécanique etc.) ou encore dans la possibilité que seul ce capital additionnel offre de réaliser l'investissement de capital de manière différente qualitativement et plus productive. » (Marx. Capital III, 6 t.8 ES p.92)

« On constate que la rente différentielle, quand elle provient d'investissements successifs de capital sur la même étendue globale, se fond en réalité dans une moyenne : les résultats des différents capitaux déboursés ne sont plus discernables ni différentiables ; ces capitaux en conséquence ne produisent pas de rente sur le terrain A mais 1°/ ils font du prix moyen du produit total, disons pour une acre de A par exemple le nouveau prix régulateur et 2°/ le tout se présente comme une modification de la quantité totale de capital par acre, qui dans les nouvelles conditions est nécessaire pour une exploitation suffisante du terrain; les divers investissements successifs, comme leurs résultats respectifs sont confondus dans la nouvelle quantité de capital requise. Puis, il en va de même des diverses rentes différentielles des meilleurs terrains. Dans chaque cas elles sont déterminées par la différence entre le produit moyen du terrain considéré et le produit du plus mauvais terrain obtenu après l'augmentation du capital investi qui est maintenant devenu l'investissement normal. » (idem p.93)

Nous avons là une différence essentielle entre la rente différentielle II et la rente différentielle I. Si l'on avait mis en culture des terrains dont le produit pour un capital avancé de 100 est de 30, 35, 40, 45, cela revenait à ajouter aux terrains jusqu'alors cultivés un terrain B (produit 30), un terrain C (produit 35), un terrain D (produit 40) et un terrain E (produit 45), d'une fertilité plus grande que D. Le terrain A, le plus mauvais terrain serait resté le terrain sur lequel se forme le prix de production régulateur du prix de marché. Le prix de production serait demeuré constant à 5 F. La rente totale serait de 400 contre 272,6 dans le tableau ci-dessus (tableau VI).

« On voit, par conséquent, que la rente différentielle II comporte un élément qui n'existe pas dans la rente différentielle I, proprement dite, puisque celle-ci peut subsister indépendamment de toute modification du capital normalement investi par acre. C'est d'une part la confusion des divers investissements de capital sur le terrain régulateur A : leur produit apparaît simplement ici comme le produit moyen par acre. C'est d'autre part la modification du capital investi par acre si bien que cette modification se présente comme une propriété du sol. Enfin la manière dont le surproduit se métamorphose en rente change. » (idem p.94)

Par rapport au tableau III, où nous avons étudié le cas du prix de production constant, la rente baisse; elle s'élevait à 300, tandis que désormais, son montant est de 272,6 tandis que le surproduit reste constant et représente 60 quintaux. Cependant la valeur du surproduit diminue sous l'effet de la baisse du prix de production, qui tombe de 5 F à 4,54 F.

Dans notre cas particulier, la rente différentielle croît moins vite lorsqu'il y a rendement croissant que lorsque les prix de production demeurent constants. Mais ce n'est pas là une loi générale et nous pouvons parfaitement envisager d'autres possibilités : le taux de rente peut baisser, demeurer constant ou augmenter (le montant absolu de la rente augmentant). De plus, dans le cas d'une baisse du taux de la rente, le montant absolu de la rente peut demeurer constant voire augmenter.

Deux facteurs contribuent à l'abaissement du taux de la rente, d'une part la baisse du prix de production, d'autre part la diminution des écarts entre les terrains. Enfin, l'on peut imaginer toutes les combinaisons possibles entre les divers terrains. Diminution de la rente par hectare sur les uns, augmentation sur les autres, de telle manière que le taux général de la rente totale augmente, diminue ou reste constant.

Bien sûr, ces combinaisons ne doivent être considérées que dans l'hypothèse où le terrain A, malgré des investissements additionnels plus productifs reste le plus mauvais terrain et donc que c'est sur lui que continue à se former le prix de production régulateur du prix de marché.

Tous ces derniers développements que nous venons de considérer touchent à la critique de la théorie de Ricardo en ce qui concerne la rente différentielle II. Ricardo n'envisage qu'un seul cas, dans l'étude de la rente différentielle II, celui d'un rendement décroissant, c'est-à-dire le cas où l'injection de capitaux additionnels entraîne un accroissement du produit moins que proportionnel à l’augmentation du capital. Le prix de production s'élève. D'autre part, dans son analyse de la rente différentielle II, Ricardo ne fait que reconduire l'analyse de la rente différentielle I; il en fait quelque chose de très simple sans montrer les différences entre les deux types de rente. Ainsi par exemple, il ne tient pas du tout compte de l'égalisation qui intervient entre les divers capitaux et leurs divers produits. Il ne retient que le rendement additionnel du capital additionnel pour déterminer le prix de production. Il traite les investissements supplémentaires sur le même terrain (base de la rente différentielle II), de la même manière que les investissements extensifs, c'est-à-dire les investissements sur de nouveaux terrains, base de la rente différentielle I. Enfin, les aspects spécifiques de la formation du surprofit qui sont liés à l'accroissement du capital, à l'introduction de techniques supérieures et/ou à l'emploi d'une plus grande masse de capital, aspects qui sont particulièrement importants dans le cadre de la rente différentielle II, sont totalement négligés. Ricardo en vient même par moments, à généraliser sa théorie de la rente différentielle II à tous les secteurs de l'industrie.

« La valeur échangeable d'une denrée quelconque, qu'elle soit le produit d'une manufacture, d'une mine ou de la terre, n'est jamais réglée par la plus petite somme de travail nécessaire pour sa production dans les circonstances extrêmement favorables, et qui constituent une sorte de privilège. Cette valeur dépend au contraire de la plus grande quantité de travail industriel que sont forcés d’employer ceux qui n'ont point de pareilles facilités et ceux qui, pour produire, ont à lutter contre les circonstances les plus défavorables, celles sous l'influence desquelles il est plus difficile d'obtenir la quantité nécessaire de produits. » (Ricardo. Principes de l'économie politique, p.50)

Si nous combinons la rente différentielle II et la rente différentielle I, on peut obtenir un prix de production en baisse dans le cas où le taux de productivité des capitaux additionnels reste constant ou baisse. Ces deux cas supposent l'élimination du terrain A, les meilleurs terrains B,C et D suffisant à satisfaire la demande sociale.

Supposons, par exemple, le tableau suivant :

 

- TABLEAU VII -

 

Type

ha

Capital avancé

Profit

Prix de production

Produit total

A

1

100+100 = 200

50

250

25 + 20 = 45

B

1

100+100 = 200

50

250

30 + 25 = 55

C

1

100+100 = 200

50

250

35 + 30 = 65

D

1

100+100 = 200

50

250

40 + 35 = 75

 

Sur tous les terrains, le rendement des capitaux additionnels est en baisse et si le terrain A continue d'être nécessaire pour satisfaire le besoin social, le prix de production devrait s'élever. Supposons, cependant que la demande sociale de blé ne s'élève plus désormais qu’à 195 quintaux. Dans ce cas, le terrain A n'est plus mis en culture, et c'est le terrain B qui se trouve être désormais le plus mauvais terrain. C'est sur celui-ci que se forme le prix de production régulateur du prix de marché. Nous obtenons alors la situation suivante :

 

- TABLEAU VIII -

 

Type

ha

Capital avancé

Profit

Prix de production

Prix unité

Produit total

Rente

 

Taux de surprofit

Q

F

B

1

100+100 = 200

50

250

4,54

55

250

0

0

C

1

100+100 = 200

50

250

4,54

65

295,4

45,4

22,7 %

D

1

100+100 = 200

50

250

4,54

75

340,9

90,9

45,4 %

 

Le prix de production baisse et passe de 5 F à 4,54 F alors que le rendement des capitaux additionnels baisse. Ce cas montre bien qu'en combinant la rente différentielle I avec la rente différentielle II, on peut obtenir une baisse du prix de production même si les rendements sont décroissants et a fortiori s'ils sont constants.

Lors des luttes paysannes des années 1960 on pouvait lire ce type de revendications : "en 1920 on pouvait acheter une lessiveuse pour le prix d'un sac de blé, en 1960, il en faut trois sacs". Du point de vue de la théorie communiste, cela signifie simplement que les prix relatifs du blé ont baissé par rapport à ceux des produits manufacturés. En d'autres termes, durant le XXème siècle l'agriculture a comblé une partie de son retard sur l'industrie [lxiv]

(Une étude plus détaillée de ce phénomène montrerait que c'est surtout à partir de 1945 et plus encore avec la perte des colonies et de l'Algérie en 1962 que s'effectue ce rattrapage). Cela signifie que la valeur du blé a baissé relativement plus que celle des produits industriels. Cette baisse est engendrée en premier lieu par l'apparition de rendements croissants sous l'effet de l'accumulation du capital dans l'agriculture. (Tandis que les rendements étaient d'environ 10 quintaux à l'hectare en moyenne dans les années 1890, le rendement moyen à l'hectare dépassait 40 quintaux en 1975).

D'un autre coté, comme nous l'avons vu plus haut, la quantité de terre consacrée à la production de blé passe en France de 7 150 000 ha en 1892 à 6 500 000 en 1912-14, 5 200 000 en 1920-29 et à 4 000 000 ha en 1969-71. Par conséquent, il y a eu réduction des terres cultivées en blé et la production s'est concentrée sur les meilleures terres, tandis que la situation de celles-ci s'est améliorée (création de marchés locaux, progrès dans les moyens de transport et de communication). L'écart relatif entre les terres diminue et ce facteur favorise la baisse de la rente foncière que, d'un autre coté, l'accumulation du capital tend à faire augmenter.

En effet, si nous nous plaçons dans le cas où la hiérarchie des terres ne subit pas de modification, c'est-à-dire que le rendement des capitaux additionnels a le même taux d'accroissement sur tous les types de terrains, si bien que l'écart relatif entre eux n'est pas modifié, que les rendements soient croissants ou décroissants, la rente totale sera la même quel que soit le type de rendement pour un même capital additionnel sur chaque terrain. Elle augmentera dans la même proportion que le prix de la production agricole sur le plus mauvais terrain, ou que l'accumulation du capital, si nous supposons un taux de profit constant.

Nous avons vu, lorsque nous avons étudié l'hypothèse des prix de production constants, que, la rente ayant doublé, l'écart relatif entre les terres demeurait inchangé. L'augmentation de la rente est alors strictement proportionnelle à l'augmentation de la valeur de la production agricole sur le plus mauvais terrain.

Mais ce phénomène est tout aussi vrai lorsque la productivité des capitaux additionnels est croissante ou décroissante. La rente différentielle I ou II est fonction, non du rendement absolu, mais de la différence de rendement entre les divers terrains.

« Les rentes ne se comportent pas comme les degrés de fertilité, mais comme les différences de fertilité, calculées à partir du terrain sans rente qui est pris comme point zéro. » (Engels Capital III,6 ES t.8 p.102)

Dans notre tableau de départ (Tableau I), les rentes sont dans le rapport 0, 1, 2, 3, tandis que le degré de fertilité est dans le rapport 1 ; 1,2 ; 1,4 ; 1,6 (soit 25/25 ; 30/25 ; 35/25 ; 40/25).

Dans le cas d'une productivité constante des capitaux additionnels le degré de fertilité augmente proportionnellement sur chaque terrain en fonction de l'augmentation du capital. Le capital a doublé, la fertilité absolue a doublé également. Les différences entre les terrains restent dans le rapport 1, 2, 3 mais l'écart absolu a doublé; et comme le prix de production reste constant, le montant total de la rente double.

Si l'écart relatif entre les degrés de fertilité s'accroît, que ce soit sous l'action de l'accumulation du capital ou par le jeu de la rente différentielle I, c'est-à-dire en ajoutant des terrains d'une fertilité moindre, la rente différentielle augmente plus que proportionnellement à l’augmentation de la valeur de la production agricole sur le plus mauvais terrain.

Si l'écart relatif entre les divers terrains (pour un capital égal) se rétrécit, que ce soit par l'effet des investissements successifs qui rapprochent certains terrains ou par l'élimination des terrains les plus mauvais, la rente différentielle augmente moins que proportionnellement à la valeur de la production agricole sur le terrain le plus mauvais (la rente peut même baisser par le jeu de la combinaison entre rentes différentielles I et II).

Si la somme indiquant les divers degrés de fertilité : 1 ; 1,2 ; 1,4 ; 1,6 ; soit : 1 + 1,2 + 1,4 + 1,6 = 5,2 augmentait, il y aurait augmentation de l'écart relatif entre les fertilités et donc augmentation plus que proportionnelle de la rente (dans le strict cadre de la rente différentielle II, c'est-à-dire sans ajouter ou retrancher de nouveaux terrains, et pour des capitaux égaux sur chaque type de terrain de superficie identique).

Il y aurait diminution de l'écart relatif entre les terrains si cette somme diminuait. Enfin, l'écart reste constant si cette somme reste identique, ce qui n'exclut d'ailleurs pas des bouleversements dans la hiérarchie des terrains, ni des modifications partielles. Dans ce cas, sur les terrains considérés, la rente augmenterait relativement plus ou moins que la valeur de la production sur le plus mauvais terrain, mais la rente totale et le prix général de la terre augmenteraient dans la même proportion.

14.2.3                    3°cas : Prix de production en hausse

Le cas où le prix de production est en hausse est un cas très important. Pour le capital, les conséquences d'une hausse des prix de production sont très néfastes puisqu'elles amènent une baisse du taux d'exploitation d'une part et d'autre part du taux de profit, en raison même de la baisse du taux d'exploitation, mais aussi en raison de la hausse des éléments du capital constant.

On a souvent tendance à considérer (à tort) que l'agriculture fait partie du secteur II (secteur des moyens de consommation individuels), alors que pour la plus grande partie de sa production, l’agriculture rentre dans le secteur I (secteur des moyens de production) en fournissant des matières premières qui vont être transformées par des industries (en général celles du secteur II). Il en va ainsi du houblon pour la bière, du coton pour l'industrie textile, du blé pour les minoteries et les boulangeries et pour l'alimentation des animaux qui passent par des abattoirs industriels avant d'arriver sur la table du consommateur, ou qui fournissent le lait. Dans l'ensemble, les diverses industries alimentaires dépendent de l'agriculture comme secteur fournissant des moyens de production.

Si nous nous situons comme à l'habitude, dans le strict cadre de la rente différentielle II c'est-à-dire en considérant des investissements de capitaux successifs de même grandeur sur chaque terrain ayant la même superficie, nous aurons, par rapport à notre situation de départ, le tableau suivant :

 

- TABLEAU IX -

 

Type

ha

Capital avancé

Profit

Prix de production

Prix unité

Produit total

Rente

 

Q

F

 

A

1

100+100 = 200

50

250

5,55

25 + 20 = 45

250

0

B

1

100+100 = 200

50

250

5,55

30 + 25 = 55

305,4

55,4

C

1

100+100 = 200

50

250

5,55

35 + 30 = 65

361,2

111,2

D

1

100+100 = 200

50

250

5,55

40 + 35 = 75

416,7

166,7

Total

4

800

200

1000

5,55

240

1333,3

333,3

 

L'écart relatif entre les terrains s'est accentué ; il était dans le rapport : 1 ; 1,2 ; 1,4; 1,6 ; il est désormais dans le rapport : 1 ; 1,22 ; 1,44 ; 1,66.

La différence entre les produits a doublé ; elle passe de 30 quintaux à 60 quintaux. Comme le prix de production .s'élève sous l’effet de la productivité décroissante du capital, la rente totale fait plus que doubler ; elle passe de 150 F à 333,3 F.

Le prix de production régulateur se forme toujours sur le terrain A, terrain le plus mauvais. Auparavant, un capital de 125 F entraînait la création d'un produit de 25 quintaux, soit un prix de production de 5 F par quintal. Désormais, il faut un capital de 250 F pour produire 45 quintaux de blé, dont le prix s'élève à 5,55 F. le quintal.

Si, maintenant, nous combinons la rente différentielle I avec la rente différentielle II, nous pouvons obtenir un prix de production en hausse, alors que la productivité des capitaux est constante, voire même croissante. Cela suppose qu'un nouveau terrain plus mauvais que le terrain A ait été mis en culture et que c'est sur ce terrain que se forme désormais le prix de production régulateur du prix de marché.

Même si la productivité des capitaux est en hausse, si cette hausse est insuffisante pour amener la production du terrain A', plus mauvais que A, au niveau de l'ancien prix de production régulateur qui se formait sur le terrain A, on a hausse du prix de production régulateur tout en ayant hausse de productivité du capital additionnel. A fortiori, si la productivité reste constante, le prix de production augmentera,

L'histoire récente a illustré avec force ce cas de la théorie de la rente foncière -c'est-à-dire le cas d'une hausse du prix de production[lxv] avec la hausse des prix du pétrole.

15.   Pétrole et rente différentielle

Les matières premières, nous l'avons souligné dans le texte consacré aux deux phases de la production capitaliste, dans les thèses consacrées à l'impérialisme, jouent un rôle extrêmement important dans l'accumulation du capital et la détermination du taux de profit : "Toutes circonstances égales d'ailleurs, le taux de profit est en raison inverse du taux des matières premières." (Marx, p.925 Pléiade t.II)

En effet, comme le note Marx :

« La masse et la valeur des machines employées augmentent avec le développement de la productivité du travail, mais non dans la même proportion qu'elle, c'est-à-dire non pas en raison de la multiplication du produit fourni par ces machines... Dans la mesure ou se développe la productivité du travail, la valeur de la matière première constitue un élément sans cesse croissant de la valeur du produit marchandise; et cela non seulement parce qu'elle entre en totalité dans cette valeur, mais parce que dans chaque partie aliquote du produit total, la partie représentant l'usure des machines, et celle qui est fournie par le travail nouvellement ajouté sont toutes deux en diminution constante. Par suite de cette tendance à la baisse, il y a augmentation proportionnelle de l'autre partie de la valeur qui représente la matière première à moins que cette augmentation ne soit annulée par une diminution proportionnelle de la valeur de la matière première, diminution due à la productivité croissante du travail employé pour produire cette matière première. » (id. p.923)

Avec le développement de la production capitaliste, le prix des matières premières revêt une importance croissante. Il y a quelques années, Nigel Harris, l'un des théoriciens du groupe anglais International Socialism, issu du trotskisme, en 1947, en Grande-Bretagne ( tout comme Socialisme ou Barbarie en France, dont on connaît la trajectoire contre-révolutionnaire), pourfendait la théorie communiste de l'impérialisme en déclarant que désormais l'impérialisme ne dépendait plus tellement des matières premières, la valeur de celles-ci ne représentant qu'une partie des importations (Dans le même texte, on avait également une prévision rigoureuse selon laquelle les pays producteurs de pétrole ne parviendraient jamais à s'unir pour imposer leurs prix aux pays importateurs )

Et d'enterrer Marx et Lénine sous les applaudissements de tous les chercheurs de nouveautés et les partisans du dépassement du programme communiste. (Il est d'ailleurs significatif que l'édition française de "L'impérialisme aujourd'hui" de Harris, ait été l’œuvre de rescapés de SouB).

Une telle argumentation ne fait que démontrer le poids avec lequel l'impérialisme mondial a pu et peut peser sur les prix des matières premières et limiter leur renchérissement. Si on la poussait jusqu'à l'absurde, cela reviendrait à dire que si l'impérialisme obtenait gratuitement les matières premières, il n'en dépendrait plus du tout. Autant dire que l'humanité pourrait se passer du soleil étant donné qu'il ne représente aucune dépense dans les postes de la balance commerciale. En fait, si l'on en croit "Le Monde", la dépendance de la France « en ce qui concerne son approvisionnement en matières premières apparaît évidente à la lecture de certains postes de sa balance commerciale : le pétrole naturellement, mais aussi le cuivre, par exemple, qui a coûté 1,7 milliard d'importations en 1978. Mais la France est également dépendante de l'extérieur pour une série de matières dont le poids sur la balance commerciale n'est pas nécessairement très élevé, mais qui revêtent un caractère stratégique marqué et sont importés en totalité : citons le manganèse, nécessaire à la production d'acier ordinaire et à la métallurgie des alliages d'aluminium; le silicium indispensable à l'industrie électronique; le platine catalyseur pour l'industrie pétrochimique et agent de la lutte contre la pollution (pots d’échappement des automobiles); le chrome, irremplaçable pour la production des aciers inoxydables; le vanadium employé pour le gainage des barres de combustible nucléaire et l’élaboration des aciers de coupe.

N'oublions pas le molybdène utilisé pour la fabrication d'aciers spéciaux destinés aux industries d'armement (tuyères de réacteurs, pièces de guidage pour fusées) de même que le cobalt qui a les mêmes usages; l’éponge de titane absolument indispensable à l'industrie aéronautique et le zirconium, composant indispensable de la partie combustible des réacteurs nucléaires. Toute rupture d'approvisionnement sur les matières premières peut avoir des conséquences graves, jusqu'à affecter des filières de production complètes, que ce soit au niveau des prix ou à celui des quantités. » (Le Monde - Bilan économique et social 1980)

Parmi ces matières premières, le pétrole, étant donné son rôle dans la production de l'énergie et de nombreux produits industriels a une importance toute particulière, soulignée par l'histoire récente.

Tout comme pour le blé, c'est le temps de travail social nécessaire pour produire le pétrole dans le cadre des gisements les moins productifs et les plus mal situés qui détermine le prix de production régulateur du prix de marché. Ce processus s'effectue au niveau d'une nation. Par contre sur le plan international, nous l'avons vu brièvement dans le texte sur les deux phases, il y a péréquation des valeurs nationales ou plutôt des prix de production nationaux en un prix de production international. Celui-ci étant égal à la moyenne des prix de production. Il faut cependant prendre garde au fait qu'une heure de travail productif dans un pays capitaliste plus développé représente plus de valeur qu'une heure de travail dans un pays capitaliste moins développé- Le jeu contradictoire des différences de fertilité des gisements (ou des terrains) peut compenser ou amplifier les différences dans la hiérarchie des forces productives, c'est ce que notait Marx à propos de la concurrence entre l'Angleterre et la Russie pour les produits agricoles.

« Cela ressort du fait que des pays comme la Russie etc. peuvent concurrencer efficacement l'Angleterre en ce qui concerne les produits agricoles. La moindre valeur de l’argent dans les pays riches (c'est-à-dire le coût relativement moindre de sa production pour les pays riches) ne pèse en l'occurrence nullement dans la balance. Car il s'agit justement de se demander pourquoi elle n'affecte nullement les produits industriels dans leur concurrence avec les pays pauvres, alors qu'elle affecte leurs produits agricoles. » (Marx. Théories sur la plus-value t.2 p.13)

Durant toute une période qui va jusqu'en 1950 les cartels de pétrole s'appropriaient le profit moyen et pouvaient même réaliser des profits extra dans la mesure où ils déterminaient entièrement le marché, contrôlant le volume et les prix de la production. Ils obtenaient, en outre, la plus grande partie de la rente différentielle, une part très faible de celle-ci revenant aux bourgeoisies nationales des pays producteurs.[lxvi]

En ce qui concerne l'existence d'une rente absolue - théorie que nous étudierons ultérieurement - rappelons que si au niveau de l’exploration, du transport, du raffinage ou de la distribution, la composition organique du capital est très élevée, et exige d'énormes masses de capitaux, il n'en va pas de même au niveau de la production. Son existence est de plus attestée par le fait que les sociétés payaient un loyer proportionnel à la surface de leurs concessions, même si ce loyer était relativement minime en comparaison des sommes obtenues par la fiscalité.

Garant de l'intérêt général du capital, l'Etat des pays impérialistes va tacher de limiter le pouvoir des sociétés pétrolières en les imposant et en créant des sociétés nationales dans le but d'obtenir le pétrole brut moins cher et d'assurer une plus grande indépendance dans l'approvisionnement.

Dans la mesure, où l'on parvenait à faire baisser les prix, et en cela l'impérialisme occidental fut aidé par l'impérialisme russe en quête d'exportations sur le marché mondial, on favorisait le taux de profit, et l'accumulation du capital total, la recherche du maximum de plus-value, même si l'on rognait les privilèges des sociétés pétrolières.

Durant toute cette période les prix de production diminuent, favorisant la généralisation de l'utilisation du pétrole comme source d'énergie.

C'est contre cette baisse que les pays exportateurs vont essayer de lutter dans la mesure où elle se traduit, pour eux, par une baisse de la partie de la rente différentielle qu'ils obtiennent en sus de la rente absolue. Dans le contexte de l'époque, il leur est impossible d'agir sur les prix aussi cherchent-ils à récupérer la rente différentielle par le biais de la fiscalité. (Mise en place d'une redevance 12,5% du prix affiché, et impôt sur les bénéfices 55% minimum). Cette fiscalité devient la norme pour tous les pays exportateurs à partir de 1972. Mais la plus grande part du profit et du surprofit revient encore à cette date à l’impérialisme.

Cette phase de baisse des prix va s'achever au début des années 70 et le renversement de tendance apparaît spectaculairement en 1973-1974, lorsque l'OPEP parvient à obtenir un quadruplement des prix du pétrole. Le retentissement est d'autant plus important: que cette hausse des prix intervient alors que la plus grave crise cyclique de l'après-guerre a déjà débutée aux Etats-Unis, et elle contribue à aggraver la crise mondiale dans la mesure où cette hausse accentue la baisse du taux de profit.

Cette conjonction d'événements fut l'occasion toute trouvée pour la bourgeoisie de désigner un bouc émissaire à la crise qui travaille la société capitaliste[lxvii] mais l’augmentation des prix du pétrole (les matières premières, en général, firent d'ailleurs un bond, les prix des matières premières importées en France augmentant de 13% en 1972 et de 50% en 1973 avant l'enchérissement du pétrole), bien que contribuant à aggraver la crise, ne fut pas à l'origine de celle-ci et ne fut pas non plus la cause de l'accélération de la hausse des prix, celle-ci ayant débuté bien avant. En tout état de cause, la « crise du pétrole » a été partout une arme de choix aux mains de la bourgeoisie pour faire porter le poids de la crise sur la classe ouvrière, à grand renfort de plans d'austérité et de consignes d' économie.

Il n'en demeure pas moins que cette hausse qui signifie que les gisements deviennent moins productifs et donc qu'il est nécessaire, dans le cadre des plus mauvais gisements, de dépenser un temps de travail social moyen plus important qu'auparavant pour produire un baril de pétrole, fut l'occasion pour la bourgeoisie des pays producteurs, de s'emparer de la totalité de la rente différentielle, laquelle, sous l'effet de la hausse des prix augmentait énormément. La bourgeoisie ne put s'emparer de la totalité de cette rente différentielle qu'en prenant le contrôle de la production et, du même coup, obtenait également le profit lié à la production du pétrole. Les positions de l'impérialisme n'étant guère affectées dans les autres domaines, exploration, raffinage, transport, distribution. D'autre part, cette nationalisation de la production, lorsqu'elle est intervenue ne constituait pas pour le capital mondial une mauvaise opération dans la mesure où elle libérait, en abolissant la rente absolue, les investissements dans la production de pétrole, investissements qui, avec les nouvelles conditions de production (le pétrole à produire étant plus difficile d'accès) exigent des capitaux volumineux avec une composition organique beaucoup plus élevée.

Si la propriété foncière entravait, dans une certaine mesure, ces investissements, la nationalisation les libère. Pour la bourgeoisie des pays producteurs, la perte de la rente absolue est largement compensée par l'obtention de la rente différentielle et du profit capitaliste. Pour l'impérialisme, une partie de ces coûteux investissements est abandonnée à la bourgeoisie des pays producteurs qui désormais prend à sa charge l'extraction d'un pétrole tendanciellement plus coûteux tandis que l'impérialisme engage ses capitaux dans de nouvelles sources d'énergie.

Cette hausse brutale du prix du pétrole a également révélé une fois de plus l'anarchie propre au mode de production capitaliste et son incapacité à gérer rationnellement les ressources de la planète. Tant que le pétrole a été à bas prix, on en a fait un usage sans retenue, et désormais, surpris par un renversement de tendance qui a bousculé toutes les prévisions sur les sources d'énergie, l'impérialisme tente à sa façon d'économiser ce qu'il a gaspillé sans compter (ce qui se traduit par de nouvelles anarchies). Tout ceci démontre une fois de plus que le MPC fait un gaspillage énorme de matières premières étant donné que son but n'est pas de satisfaire des besoins humains, mais d'extorquer le maximum de plus-value.

Jusque dans une certaine mesure cette hausse fut acceptée avec une certaine bienveillance par l'impérialisme américain. Celui-ci sachant qu'il allait devoir importer des quantités croissantes de pétrole, voyait dans l'augmentation de celui-ci un bon moyen de pouvoir exploiter un grand nombre de ressources naturelles (schistes bitumineux par exemple) dont il dispose, mais qu'il ne pouvait pas mettre en valeur, ces investissements ne pouvant être rentables tant que le prix du pétrole était celui d'avant 1973. Il ne s'agit en effet nullement d'un épuisement physique des ressources énergétiques de la planète mais de la rareté de celles-ci à un certain niveau de prix, et c’est la seule chose qui intéresse le capitaliste.

Cette hausse fut également une bonne occasion pour l'impérialisme américain de "punir" ses concurrents européens et japonais qui remettaient en partie en cause son monopole. Dans la mesure où la hausse aggravait la baisse du taux de profit et la crise chez ses concurrents. Bien entendu cette hausse affecte aussi l'économie américaine mais dans une bien moindre mesure. D'une part, la baisse du taux de profit est compensée, en partie, par l'augmentation des surprofits réalisés par les producteurs de pétrole nationaux (les Etats-Unis sont parmi les plus grands producteurs mondiaux), d'autre part, le pétrole importé par les Etats-Unis ne leur revient pas aussi cher que lon croit ; l'impérialisme américain étant le plus grand faux monnayeur de toute l'histoire universelle, il dispose en effet du privilège de battre monnaie pour le monde entier, et donc de pouvoir payer en partie son pétrole, en faisant fonctionner la planche à billet, avantage que n'ont pas, ou alors dans une mesure qui ne souffre pas de comparaison, les autres nations impérialistes.

La hausse du prix du pétrole n'est pas un phénomène purement contingent comme il s'en produit sous l'effet de modifications brutales dans les rapports de l'offre et de la demande mais à un caractère beaucoup plus profond impliquant des reconversions complètes de l'appareil industriel capitaliste. Il est alors ridicule d'affirmer comme le fait R.Victor dans la Revue Internationale N°I9 du CCI qu'il s'agit d'une gigantesque spéculation qui n'aurait pas de fondement réel dans la production.

Au passage, ce texte d'une profonde inanité nous montre que les connaissances qu'a le CCI des phénomènes de la production capitaliste ne dépasse guère celle que peut avoir un boutiquier de village. Dans la mesure où le prix du pétrole augmente, le taux de profit, toutes choses égales par ailleurs, baissera en relation; pour s'opposer à cette baisse, le capital s’efforce de faire jouer un certain nombre de contre tendances, qu'il n'est pas utile de détailler ici. Mr Victor lui, ne connaît que deux moyens, dont celui-ci : répercussion de l’augmentation des frais dans le prix de vente (o.p. cit. p.5). Or, d'une part, il est évident que, la valeur du capital constant augmentant, la valeur totale du produit, toutes choses égales par ailleurs, augmente, tout en signifiant une baisse du taux de profit. Et, d'autre part si l'on veut dire par là que l'on augmente les prix de manière à maintenir les taux de profit, cela peut avoir un sens pour le capitaliste individuel, mais cela n'en a aucun du point de vue du capital total, le prix de production étant égal à la valeur. Il faut être victime de l'illusion engendrée par la concurrence pour prôner une telle solution.

En outre, Mr Victor, pour montrer que la crise n'est pas celle du pétrole, prend l'exemple de la Grande-Bretagne "qui a réussi à éliminer le problème du pétrole grâce à l'exploitation de gisements propres." (p.5). Sous prétexte que la Grande-Bretagne n'a plus besoin d'importer du pétrole, grâce à ses gisements de la Mer du Nord, Mr Victor se figure qu'elle a maîtrisé le problème du coût du pétrole, alors que celui-ci représente une dépense de travail tout aussi importante que s'il était échangé au dehors. Pour justifier une telle affirmation, il aurait fallu pouvoir montrer que le prix de production du pétrole anglais est dérisoire en regard du prix mondial, permettant ainsi à l'Angleterre d'acquérir de grosses rentes différentielles. Or, il est peu probable qu'il en soit ainsi, les gisements pratiqués étant justement parmi les plus mal situés. De ce fait, il est peu probable que le "problème du pétrole" soit éliminé aussi facilement que le pense Mr Victor en Grande-Bretagne.

16.  Rente différentielle sur le plus mauvais terrain

Jusqu'à présent, nous avons analysé la rente différentielle II dans son cadre théorique le plus approprié. Sur des terrains de qualité différente et de superficie égale l'on investissait successivement des masses égales de capitaux (les remarques de Marx à propos de Ricardo, sur le cadre théorique de l'étude de la rente (cf. p.1316 Pléiade t.2) s'appliquent aussi bien à la rente différentielle I qu'à la rente différentielle II).

Nous devons maintenant considérer le cas où le capital est inégalement réparti sur les divers terrains et nous envisagerons principalement le cas très intéressant où, étant donné cette inégalité, une rente différentielle se manifeste sur le plus mauvais terrain.

Nous avons déjà vu que les capitaux qui sont plus productifs que la moyenne pouvaient obtenir un surprofit tandis que ceux qui sont moins productifs que la moyenne ne parvenaient pas à obtenir le taux de profit moyen. Comme nous l'avons rappelé, ce processus est tout aussi valable pour l'agriculture que pour l’industrie. Mais dans l’agriculture, le capitaliste n'est pas forcément assuré de s'emparer des surprofits, ceux-ci pouvant se métamorphoser en rente foncière sous l'action de la propriété foncière, ce qui permettra à la classe des propriétaires fonciers de s'engraisser.

La lutte pour l'obtention de ces surprofits forme l'enjeu de la lutte entre capitalistes et propriétaires fonciers et constitue l'un des facteurs les plus puissants du retard de l'agriculture sur l’industrie. Si les capitalistes ne sont pas assurés de pouvoir récupérer les surprofits qu'ils peuvent obtenir en introduisant de nouvelles méthodes de production, en bonifiant les terrains, en incorporant du capital fixe à la terre, ils seront tentés de différer leur investissement, l'accumulation du capital aura alors moins d'ampleur dans l'agriculture et celle-ci retardera sur l'industrie.

Cette lutte se manifeste notamment concrètement par la lutte sur la durée du bail. Plus celui-ci est court et plus le propriétaire foncier est assuré de pouvoir s'emparer des surprofits qui surgissent d'une bonification des terrains due à un capital fixe incorporé à la terre -drainages, fertilisants etc. Inversement, le capitaliste ne sera tenté de faire un investissement de longue durée que si la durée du bail est suffisamment grande pour qu'il puisse amortir son capital et récupérer les surprofits qu'il peut espérer du capital ainsi accumulé, dans la mesure où celui-ci permettrait une productivité du travail supérieure à la moyenne sociale déterminée.

Si pendant toute la durée du bail le capitaliste est libre de l’investissement (sauf clauses spéciales prévues au contrat) et s'il peut donc s'emparer des surprofits à l'échéance du bail, le capital incorporé dans la terre devient la propriété du propriétaire foncier. L'intérêt du propriétaire est donc de raccourcir la durée du bail au maximum tandis qu'à l'inverse le capitaliste cherche à l'allonger. Plus le rapport de forces est en faveur du propriétaire foncier, moins la classe des capitalistes est tentée de mettre en valeur la terre, l'accumulation du capital fixe nécessaire, de la terre-capital comme dit Marx, entraînerait trop de risques pour le capitaliste. Il s'ensuit un retard de l'agriculture d'autant plus important que le pouvoir des propriétaires fonciers est plus fort.

Un autre facteur - nous le verrons plus tard - pousse les propriétaires fonciers à entraver le développement de l'agriculture, c'est la rente absolue qu'ils peuvent obtenir sur tous les terrains et celle-ci est d'autant plus élevée que le retard entre l'agriculture et l'industrie est important. Par conséquent, la théorie de la rente différentielle II sur ce point s'articule avec celle de la rente absolue (ceci fera l'objet d'une étude plus approfondie plus loin).

En cherchant à s'emparer des surprofits, qu'ils convertissent en rente, et également du capital fixe incorporé à la terre, les propriétaires fonciers peuvent donc freiner le développement du capital, de l'accumulation du capital dans la sphère agricole. Bien entendu, pour ce qui est de la rente différentielle II, cela ne concerne que le capital incorporé à la terre (bâtiments, canalisations, drainages, engrais, fertilisants etc.). Un fermier qui achèterait, par exemple, une moissonneuse batteuse obtiendrait un surprofit par rapport aux autres capitalistes agricoles, mais à l'issu du bail le propriétaire foncier ne pourrait s approprier ni le capital ni les surprofits. La généralisation de ce type de progrès technique abaisserait le coût de production du blé et son prix de production. De cette manière, l'on augmenterait le taux de la plus-value relative tout en abaissant la rente foncière. Il est bien évident que ce type de machines ne fait que diminuer le temps de travail sans modifier en quoi que ce soit les rendements ou la qualité de la terre. La rente foncière est toujours identique en produit, mais elle baisse en argent.

« Les surprofits et leurs différents taux pour différentes fractions de capital sont formés de la même manière dans les deux cas. Et la rente n'est qu'une forme de ce surprofit qui constitue sa substance. Mais dans la deuxième méthode il y a, à coup sûr, des difficultés quant à la transformation du surprofit en rente, ce changement de forme qui implique le transfert des surprofits du fermier capitaliste au propriétaire du sol. C'est ce qui explique l'hostilité obstinée des fermiers anglais a toute statistique agricole officielle et leur lutte contre les propriétaires fonciers à propos de la détermination du rendement réel de leurs investissements (Morton). La rente est en effet fixée lorsque les terres sont affermées, et tant que dure le bail, le surprofit résultant des investissements successifs tombe dans la poche dû fermier. Aussi les fermiers mènent-ils la lutte pour des baux à long terme, tandis que les landlords usent de leur supériorité écrasante pour multiplier les baux résiliables chaque année (tenancies at will).

Par conséquent, il est évident que, si la loi de la formation des surprofits n'est modifiée en rien du fait que des capitaux égaux sont investis conjointement avec des résultats inégaux sur des terrains de superficie égale ou, successivement sur le même terrain, en revanche, la différence est considérable quant à la transformation des surprofits en rente foncière. La seconde méthode impose à cette transformation des limites à la fois plus étroites et plus incertaines. C'est pour cette raison que, dans les pays à culture intensive (par quoi, économiquement parlant, nous n'entendons rien d'autre que la concentration de capital sur le même terrain plutôt que sa répartition sur des terrains juxtaposés), le rôle du contrôleur des impôts devient important, difficile et compliqué, comme le montre Morton dans ses Resources of Estates. Si les amendements sont durables, la fertilité différentielle artificiellement accrue du sol coïncide, à l'expiration du bail, avec sa fertilité naturelle, et l'évaluation de la rente se rapporte à des terrains de fertilité différente. En revanche, dans la mesure où la formation du surprofit est déterminée par le montant du capital d'exploitation, le montant de la rente, pour une grandeur donnée de capital d'exploitation, est ajouté à la rente moyenne du pays et l'on veillera à ce que le nouveau fermier ait suffisamment de capitaux pour continuer la culture avec la même intensité. » (Marx. Capital III, 6 Pléiade 2 p.1336-37)

Reprenons notre tableau de base et supposons qu'une masse de capital égale à la précédente et d'un montant de 100 F soit accumulée seulement sur les meilleurs terrains, c'est-à-dire les terrains B, C et D. Supposons que la productivité du capital additionnel soit décroissante sur les terrains B et C et croissante sur le terrain D. Nous obtiendrions alors le tableau suivant :

 

- TABLEAU X -

 

Type

ha

Capital avancé

Profit

Prix de production

Prix unité

Produit total

Rente

 

Taux de surprofit

Q

F

A

1

100

19

119

5,73

25

143,2

24,2

24,2 %

B

1

100+100 = 200

52

252

5,73

30 + 22 = 52

297,8

45,8

22,9 %

C

1

100+100 = 200

52

252

5,73

35 +28 = 63

360,8

108,8

54,4 %

D

1

100+100 = 200

52

252

5,73

40 + 50  = 90

515,4

263,4

131,7 %

 

4

700

175

875

5,73

230

1317,2

442,2

63,1 %

 

Sur les terrains de type A, le capital total accumulé est inférieur à la moyenne sociale désormais nécessaire pour obtenir le taux de profit moyen. Le capital social moyen nécessaire est maintenant de 700/4 = 175. Sur les terrains B, C et D, le capital est supérieur à cette moyenne, et il obtient un taux de profit supérieur au taux de profit moyen : 26 %, alors que le taux de profit moyen est de 25 %. Par contre, sur le terrain A, le taux de profit tombe à 19% . La détermination du prix de production dans un tel cas, où nous n'avons pas la même masse globale de capital accumulée sur chaque type de terrain est un problème théorique extrêmement complexe.

Marx, dans ses brouillons du livre III, raisonne ainsi :

« Prenons le terrain B comme type des terres productrices de rente. L'investissement de capital additionnel requiert une hausse du prix de marché au-dessus du prix de production, régulateur jusque-là, de 3 £ par quarter, pour permettre une production supplémentaire d'un quarter sur B (un quarter peut aussi bien représenter un million de quarters, comme chaque acre un million d'acres). Il peut y avoir alors également un surproduit sur C et D, c'est-à-dire sur les terrains donnant une rente maxima, mais seulement avec un pouvoir décroissant de produire un surplus. Néanmoins, nous supposons que le quarter de B est nécessaire pour satisfaire la demande. Si ce quarter peut être produit à meilleur compte en ajoutant du capital en B au lieu de l'investir en A ou de recourir au terrain A’ qui ne peut produire le quarter qu'à 4 £ par exemple, alors que du capital additionnel en A permettrait la production d'un quarter à 3,75 £ ce serait alors le capital additionnel sur B qui réglerait le prix de marché. » (Capital III,6 ES t.8 p.124)

En suivant le raisonnement de Marx, le prix du quintal s'élèverait de 5 F à 5,73 F (126/22), c’est-à-dire le prix de production régulateur qui figure dans le tableau ci-dessus. Une rente différentielle apparaît sur le plus mauvais terrain. Le chiffre d’affaires réalisé par les fermiers des terrains de type A se monte à 143,3 F alors que le prix de production s’élève à 119 F. Les propriétaires fonciers des terrains de type A sont donc à même d’empocher une rente de 24,2 F.

Engels estimait que le calcul de Marx était inexact.

« Le calcul ici, n'est de nouveau pas tout à fait exact. Les 4,5 quarters de B coûtent au fermier : d'abord 9,5 £ de coût de production; ensuite 4,5 £ de rente, soit au total 14 £. Le. moyenne par quarter est de 3,1 £ et ce prix moyen de la production totale devient ainsi le prix régulateur de marché. La rente sur A s'élèverait alors à 0,1 £ au lieu de 0,5. La rente sur B resterait la même qu'auparavant, soit 4,5 £ : 4,5 quarters à 3,1 £ = 14 £. Déduction faite des 9,5 £ que la production a coûtées, il reste un surprofit de 4,5 £. Malgré cette modification des chiffres, l'exemple montre que le bon terrain déjà producteur de rente peut, grâce à la rente différentielle II, régler le prix, ce qui permet à tous les terrains de rapporter de la rente, même à ceux qui, jusque-là n'en produisaient pas. » ( in : Capital III, 6 ES t.8 p.126)

Ce qui choque Engels, c'est que Marx ne considère que le prix du produit du dernier investissement ce qui semble en contradiction avec la méthode qui veut que la valeur du produit soit déterminée par rapport à la totalité du capital investi.

D'autre part, il considère que la dernière fraction du capital avancée sur le terrain B ne rapporte pas de rente mais que la rente sur B est inchangée.

Si nous effectuons le calcul tel que le conçoit Engels, le prix de production pour les 52 quintaux du terrain B est de 252 ce qui met le prix de production du quintal à 4,84 F. Engels ajoute à ce prix la rente que le capitaliste paie au propriétaire sur la base de 5F. le quintal. Par conséquent, en admettant que la dernière fraction du capital avancé ne paie pas de rente le prix de production individuel s'élève à 4,84 F plus la rente autrefois payée soit 25 F. ce qui ramené au quintal élève le prix de production à 25/52 = 0,48 F, le prix de production étant donc d'environ 5,32 F. Si le raisonnement d'Engels est juste, il faut cependant tenir compte de la répercussion sur la rente de la hausse du prix de production. Aussi, si une rente de 25 F correspondait à un prix de production de 5 F l’hectare, il est bien évident que la hausse de ce prix de 5 F à 5,32 F entraîne une hausse de la rente foncière, laquelle influence à son tour le prix de production, qui influence la rente et ainsi de suite jusqu'à ce que le prix d'équilibre soit atteint.

En l'occurrence, sur le terrain B, un prix de 5,32 F aurait donné un chiffre d'affaires de 30 X 5,32 = 159,80 F et une rente de 159,6 - 126 = 33,8 F. Par conséquent, le coût de production total est de 252 + 33,8 = 285,8 F pour 52 quintaux, soit un coût de 5,49 F environ par quintal. Ce nouveau prix entraîne une nouvelle rente 38,8 et par suite un nouveau prix de production, 5,59, etc. et ainsi de suite jusqu’au prix d’équilibre. Or, ce prix d'équilibre correspond exactement au prix que Marx a calculé soit 5,72 F. Par conséquent, le raisonnement d'Engels conduit au résultat de Marx. Pour le raisonnement : voir Engels ; pour le résultat : voir Marx. Ce fainéant de Marx avait fait l'économie du raisonnement et était allé au résultat par un raccourci. Ce fainéant d'Engels avait fait l'économie du résultat, en laissant là son raisonnement.

A ce prix d'équilibre de 5,72 F correspond une rente de 45,8 F et un taux de rente de 22,9%, sur les terres B. Par contre, la rente s'élève à 24,2 sur le terrain A, 108,8 sur le terrain C et  263,4 sur les terres de type D. Soit une rente globale de 442,2 pour un taux moyen de rente de 63,1% environ.

Notons donc que, ici, le taux de rente est désormais plus élevé sur le terrain A que sur le terrain B, 24,2% contre 22,9%. Les propriétaires fonciers bénéficient du retard relatif des capitalistes de A par rapport aux capitalistes de B, C et D.

On mesure ici tout l'intérêt que possède la classe des propriétaire fonciers à freiner le développement capitaliste de l'agriculture. Les mauvais terrains se mettent à rapporter de la rente, et ici à un taux plus élevé que certains terrains pourtant de meilleure qualité (ici le terrain B). Le propriétaire foncier du terrain B a lui aussi intérêt à cet état de choses, sa rente ayant presque doublé, passant de 25 F à  45,8 F.

Les propriétaires fonciers possèdent donc un grand intérêt au retard de l'agriculture sur l'industrie. Faute de pouvoir empêcher totalement le développement de l'agriculture, les propriétaires fonciers tenteront de maintenir l'inégalité de son développement et la différence de son organisation vis-à-vis de l'industrie.

17.  Rente foncière et MPC en URSS

Les lois de la production capitaliste s'imposant à ses agents indépendamment de leur volonté, la loi de la valeur et, par conséquent, de la rente foncière règne en maître en URSS et dans les pays prétendus socialistes, malgré tout ce que peuvent dire les discours officiels à ce sujet.

Pour la théorie communiste, la rente foncière comme toutes les autres catégories du MPC ne possède pas de caractère éternel, mais ne sont que des catégories historiques, donc transitoires, qui devront forcément disparaître avec le MPC, dès l'avènement de la phase inférieure du communisme.

Pour les théoriciens "socialistes" de l'Est, il faut donc concilier la mystification selon laquelle le socialisme est réalisé en Russie et dans les pays satellites, avec la réalité de l'existence de l’argent, de la marchandise, du salariat et de la rente, toutes choses qui ont toujours servi infailliblement aux vrais communistes pour désigner l'existence du mode de production capitaliste.

Su le point précis de la rente foncière, la révision de la théorie communiste s'opère en lui substituant une théorie bourgeoise selon laquelle la rente foncière est une nécessité pour la répartition rationnelle des ressources, et n'est donc pas une catégorie historique destinée à disparaître avec l'avènement d'une société nouvelle supérieure : le communisme, mais correspond aux nécessités d'une organisation scientifique du développement des forces productives et conservera, par conséquent, toute l’éternité d'une catégorie rationnelle et nécessaire.

Tout ceci n'est que rejet catégorique de l'ensemble de la théorie communiste et de la manière dont elle décrit le développement capitaliste dans l'agriculture. Cela montre aussi comment la base matérielle de la société russe finit par favoriser l'apparition d'une conscience de soi-même plus adéquate à son être, c'est-à-dire le MPC pour la justification duquel l'utilisation frauduleuse et déformée de la théorie communiste recèle des contradictions logiques insurmontables. Le faux communisme se voit obligé de justifier les rapports d'exploitation sur lesquels il repose en réalité et que les prolétaires polonais viennent une nouvelle fois de révéler au grand jour, montrant que loin d'être anéanti, le prolétariat est toujours la seule force révolutionnaire capable d'abattre l'exploitation du travail salarié par le capital.

Dans leur constant effort théorique contre le prolétariat communiste, les idéologues du capitalisme russe n'ont pas forgé de toutes pièces de nouveaux arguments. Au contraire, ils puisent le principal de leurs attaques dans les théories que la bourgeoisie avait déjà forgées dans le même but, alors qu'elle était encore toute dégoûtante du sang des prolétaires insurgés de la Commune de Paris. Pour tenter de dompter le géant révolutionnaire, et terrorisée par ce qui venait de lui être révélé, la bourgeoisie n'hésita pas à renier tous les développements scientifiques de l'économie politique classique, accomplissant ainsi un des reculs théoriques les plus profonds jamais effectués dans l'histoire des sciences.

En se posant comme héritier de l'économie politique dite "néoclassique, branche dominante de l'économie vulgaire dont l'acte de naissance correspond à la révolution de 1871[lxviii], l'économiste russe Kantorovitch essaye, dans son livre "Calcul économique et utilisation des ressources rares", de justifier l'existence d'une créature fantastique : la rente différentielle "socialiste". (Notons d'ailleurs, pour l'anecdote, que la bourgeoisie mondiale qui doit chaque année accomplir la prouesse de dénicher un prix Nobel encore plus crétin que le précédent a fait cette fleur à Kantorovitch en 1975).

Kantorovitch suppose que la société désire produire 5000 quintaux de blé, 3500 quintaux de seigle, et 5000 quintaux d'avoine.

On dispose de trois types de terre, chacun de fertilité différente (riche, moyenne, pauvre). Les surfaces disponibles, les rendements en produits sur chaque type de terre, et les dépenses en temps de travail par hectare pour chaque produit se répartissent ainsi :

 

Terre

Ha

Culture

Rendement à l’hectare

Dépenses de travail / ha

Riche

100

Blé

Seigle

Avoine

30

25

28

10

8

7

Moyenne

200

Blé

Seigle

Avoine

20

20

26

10

8

7

Pauvre

300 et +

Blé

Seigle

Avoine

15

15

25

10

8

7

 

Donc, quel que soit le type de terres, il faut 10 heures de travail pour accomplir l'ensemble des opérations permettant la production de blé sur un hectare de terre. Il en faut 8 pour le seigle et 7 pour l'avoine.- Si l'on plante un hectare de terre riche en blé, l'on obtiendra 30 quintaux, contre 25 quintaux pour le seigle et 28 pour l'avoine.

De même, sur les terres de qualité moyenne (dont la société dispose de 200 ha), le rendement à l'hectare sera de 20 quintaux si l'on plante du blé, de 20 quintaux également pour le seigle, contre 26 quintaux pour l'avoine.

Enfin sur les terres pauvres dont le nombre est illimité, les rendements seraient de 15 quintaux pour le blé et le seigle, contre 25 quintaux pour l'avoine.

Quel est le plan d'ensemencement le plus rationnel ? Il s'agit d'obtenir la production désirée (5000 q de blé, 3500 q de seigle et 5000 q d'avoine) avec le moins de temps de travail possible. Pour obtenir ce résultat, on répartira les productions de la manière suivante : les terres riches seront utilisées pour produire du blé, par conséquent 100 hectares de terres riches seront ensemencées en blé pour pouvoir obtenir 100 x 30 = 3 000 q de blé.

Pour obtenir les 5 000 quintaux requis, il est nécessaire de mettre en culture des terres de qualité moyenne- Les 2 000 quintaux restant à produire nécessitent donc la mise en culture de 100 hectares de terres de fertilité moyenne avant un rendement de 20 quintaux à l'hectare.

Il reste 100 ha de terres de qualité moyenne à utiliser, que l'on va ensemencer en seigle, afin d'obtenir une production de 20 x 100 = 2 000 quintaux de seigle. Les 1 500 restant à produire pour atteindre le volume souhaité de 3 500 quintaux seront obtenus par la mise en culture de terres pauvres. On en utilise 100 hectares et les 1 500 quintaux de seigle supplémentaires sont ainsi produits (15 x 100).

Enfin, l'avoine est produite uniquement sur les terres pauvres, et pour produire les 5 000 quintaux voulus, on en ensemence 200 hectares (200 x 25 = 5 000)

Le temps de travail dépensé pour produire le blé est de 10 heures de travail par hectare quel que soit le type de terre. Or, on a ensemencé 100 hectares de terres riches et 100 hectares de terres moyennes soit un total de 200 hectares, ce qui nous donne un temps de travail total de 200 x 10 = 2 000 heures de travail pour produire le blé.

Pour le seigle, on utilise également 100 hectares (100 hectares de terre moyenne et 100 hectares de terre pauvre), et le temps de travail total dépensé est donc de 200 x 8 = 1 600 heures. Enfin, la production de l'avoine mobilise 200 hectares de terres pauvres soit une dépense de travail de 200 x 7 = 1 400 heures.

Le montant total du temps de travail dépensé pour la production agricole est alors de 2 000 + 1 600 + 1 400 = 5 000 heures de travail.

Pour justifier l'introduction de la rente, Kantorovitch avance 3 arguments :

1°/ Les coûts moyens obtenus ne correspondent pas aux "coûts moyens véritables". Le blé, dont le coût moyen devrait être 0,46 par quintal (10 + 10 + 10) / (30 + 20 + 15) soit 30/65 est de 0,4 (2 000 heures de travail pour 5 000 quintaux). Par contre, le coût moyen du seigle devrait être de 0,4 (8+8+8) / ( 25 + 20 + 15 ) soit 24/60, alors que le coût actuel est 0,45 (1 600 / 3 500). Alors que le blé est "théoriquement" plus cher que le seigle, c'est l’inverse qui se produit ici. Quant à l'avoine, son coût moyen est de 0,265 et son coût actuel de 0,28.

2°/ Une nouvelle technique qui serait introduite pour augmenter la production de blé de 2 quintaux par hectare sur les terres riches avec une dépense supplémentaire de travail de 10%, ne serait pas prise en considération dans le cadre de la répartition actuelle, alors que si l'on tient compte de la rente foncière, elle pourrait être introduite.

3°/ Si pour nourrir le bétail on avait à choisir entre le blé et le seigle, et que 1 quintal de blé soit équivalent à 1,1 q de seigle d'après les coûts actuels on aurait préféré cultiver du blé plutôt que du seigle, tandis qu'en tenant compte de la rente on aurait employé du seigle.

En introduisant la rente; Kantorovitch construit le tableau suivant :

 

Culture
Rendement
Dépense de travail

Total

Dépense par quintal

Total

 

 

Direct

Indirect

Direct

Indirect

Blé

I

II

1.1.1.1.1     III

30

20

15

10

10

10

9

2,67

-

19

 12,67

 10

0,333 0,5 0,667

0,3 0,133

-

0,633 0,633 0,667

Seigle

I

II

III

25

20

15

8

8

8

9

2,67

-

17

10,67

 8

0,32

0,4 0,533

0,36

0,133

-

0,680 0,533 0,533

Avoine

I

II

III

28

26

25

7

7

7

9

2,67

-

16

9,67

7

0,25 0,269 0,280

0,321 0,103

-

0,571 0,372 0,280

 

Kantorovitch détermine donc le prix du seigle à partir du plus mauvais terrain. Le seigle est cultivé sur les terres de fertilité moyenne et pauvre. Le coût de production sur les terres pauvres est de 0,533 (8/15) par quintal soit une dépense supplémentaire de 2,67 heures de travail (20 x 0,133) pour la culture d'un hectare. La dépense totale de travail est donc de 8 heures de travail direct plus 2,67 heures de travail indirect. Le prix de production du quintal de seigle est donc déterminé par celui du plus mauvais terrain, et égal à 0,533. La rente foncière par quintal s'élève à 0,133 sur les terres moyennes soit 2,67 heures par hectare.

Pour obtenir la rente foncière sur les terres fertiles, Kantorovitch procède à la même opération à partir de la culture présente sur les terres moyennes et riches c'est-à-dire à partir de la production de blé. Le prix de production individuel est de 0,5 heure par quintal sur les terres moyennes et de 0,333 heures par quintal sur les terres riches. Par conséquent, la rente différentielle entre les terres fertiles et moyennes est de 0,167 heure par quintal, et il s'y ajoute la rente différentielle entre les terres moyennes et pauvres soit 0,133. Par conséquent, la rente différentielle est de 0,3 heures par quintal soit 9 heures par hectare (30 x 0,3).

Par conséquent, la rente différentielle est de 9 heures par hectare sur les terres riches, de 2,67 heures par hectare sur les terres moyennes et de 0 h sur les terres pauvres. A partir de là, on peut déterminer l'ensemble des coûts sur les diverses terres en ajoutant au temps de travail direct le temps de travail indirect que représente la rente différentielle. Le prix de production du blé est alors de 0,633 sur les terres riches et moyennes et de 0,667 sur les terres pauvres. Le prix de production du seigle est de 0,533 sur les terres pauvres et moyennes et de 0,680 sur les terres riches. Enfin, le prix de production, de l'avoine est de 0,571 sur les terres riches, 0,372 sur les terres moyennes et 0,280 sur les terres pauvres.

On a donc intérêt à cultiver le blé sur les terres riches et moyennes, le seigle sur les terres moyennes et pauvres, le coût de production étant trop élevé sur les terres riches, et enfin, l'avoine sur les terres pauvres.

Reprenons les trois arguments de notre économiste :

1°/ Kantorovitch prétend ainsi avoir restauré la hiérarchie véritable des prix : l'avoine est la moins chère des céréales : 0,280, suivie du seigle : 0,533 puis du blé, qui redevient le plus cher : 0,633. Cependant désormais la production de blé coûte 5 000 x 0,633 = 3 165, celle de seigle 0,533 x 3 500 = 1 865,5 et celle d'avoine 5 000 x 0,280 = 1 400. La valeur de la production agricole est donc de 6430. Si l’on compare les prix obtenus par l'introduction de la rente aux prix moyens, tous sont plus élevés : 0,633 contre 0,46 pour le blé; 0,533 contre 0,4 pour le seigle et 0,28 contre 0,265 pour l'avoine. Il y a renchérissement général des prix agricoles. On pourrait peut-être penser que si la valeur absolue des céréales s'est élevée, la hiérarchie relative des coûts moyens est respectée. Il n'en est rien. Les coûts moyens étaient dans le rapport 30/65 (blé) / (24/60) (seigle) / (21/79) (avoine) soit 1,73 ; 1,50 ; et 1. La hiérarchie actuelle est de 2,26 (0,633/0,28) ; 1.90 ; 1. La hiérarchie des valeurs s'est creusée ce qui signifie que le blé et le seigle ont augmenté relativement plus que l'avoine, et le blé lui-même plus que le seigle. L'introduction de la rente implique un renchérissement général des produits agricoles, et ceci tout particulièrement pour les céréales les plus importantes (le blé et le seigle). La société paye ses produits agricoles trop cher : 6430 heures de travail au lieu de 5000. La différence de 1430 heures, qui sont 1430 heures de surtravail extorqué à l'ensemble de la classe ouvrière s'en va dans la poche de l'ennemi de. classe c'est-à-dire dans la poche de l'Etat capitaliste russe, ce qui lui permet de maintenir et de renforcer la domination du capital sur le prolétariat.

D'autre part, le calcul de Kantorovitch, s'il révèle le caractère catastrophique de l'emprise du capital sur l'agriculture, ne traduit pas parfaitement l'ampleur de l'irrationalité qui atteint l'organisation sociale lorsqu'elle est soumise à la rationalité capitaliste. Comme nous l'avons rappelé c'est le capital investi dans la culture de l'aliment de base c’est-à-dire le principal végétal entrant dans la nourriture du prolétariat qui permet de déterminer la rente foncière. C'est-à-dire que la rente des terres moyennes et fertiles est égale à la rente qu'aurait dû payer le capitaliste si on avait cultivé sur ces terres l'aliment de base, en l'occurrence le blé.

Par conséquent, la rente sur les terres moyennes n'est pas de 0,133 par quintal soit 2,67 heures par hectare mais 0,167 par quintal et 3,33 par hectare. C'est la culture du blé et non du seigle qui détermine la rente différentielle. En conséquence, le prix de production du blé est 0,667 c'est-à-dire le prix qu'il a sur le plus mauvais terrain. La différence entre le prix de production régulateur 0,667 et le prix de production individuel sur les terres riches et moyennes nous donne la rente par quintal : elle s'élève à 0,167 pour les terres moyennes et 0,334 pour les terres riches. Ce qui nous donne une rente à l’hectare de 3,33 (20 x 0,167) pour les terres moyennes, et 10 (30 x 0,334) pour les terres riches. En conséquence, le prix de production du seigle et de l'avoine sur les terres riches et moyennes est modifié.

On obtient le tableau suivant :

 

Culture
Rendement
Dépense de travail

Total

Dépense par quintal

Total

 

 

Direct

Indirect

Direct

Indirect

Blé

I

II

III

30

20

15

10

10

10

10

3,33

-

19

13,33

10

0,333 0,5 0,667

0,334 0,167

-

0,667 0,667

0,667

 

Seigle

I

II

III

25

20

15

8

8

8

10

3,33

-

18

11,33

8

0,32

0,4

0,533

0,40

0,167

-

0,720 0,567 0,533

Avoine

I

II

III

28

26

25

7

7

7

10

3,33

-

17

10,33

7

0,25 0,269 0,280

0,357 0,128

-

0,607 0,397 0,280

 

La répartition annuelle des cultures coûterait 5 000 x 0,667 = 3 333,33 pour le blé, 2 000 x 0,567 + 1 500 x 0,533 = 1 933,33 pour le seigle, et 0,280 x 5 000 = 1 400 pour l'avoine soit 6 666,66 pour l’ensemble de la production agricole. Afin de réduire ce coût, on aurait intérêt à abandonner la production de seigle sur les terres moyennes où elle revient à 0,567, pour l'effectuer sur les terres pauvres où le coût est 0,533. Dans ce cas, 100 hectares de terres moyennes resteraient en friches !

Au lieu d'utiliser 600 hectares de terre décomposés en 100 hectares de terres riches, 200 hectares de terre moyenne et 300 hectares de terres pauvres, on mettrait en culture 100 hectares de terre riche, 100 hectares de terre moyenne et 533,33 hectares de terres pauvres (300 pour l'avoine et 233,33 pour le seigle – 3 500 q / 15 -). Cette contradiction a dans la société bourgeoise une solution bien simple : les mauvais terrains se mettent à rapporter de la rente.

C'est ce que Marx notait à la suite de Marx et de Ramsay :

« Dans notre étude de la rente nous considérons comme déterminante la partie du capital agricole qui produit l'aliment de base végétal essentiel, c'est-à-dire l'aliment principal des peuples civilisés. L'un des mérites d'Adam Smith est d'avoir démontré que pour l'élevage, et en général, pour tous les capitaux investis dans le sol et qui ne sont pas consacrés à la production des aliments essentiels, comme le blé par exemple, la détermination du prix se fait tout à fait différemment. Voici comment ce prix est établi : le produit d'un terrain, disons une prairie artificielle utilisée pour l'élevage, mais qui pourrait aussi bien être transformée en terre arable d'une certaine qualité doit avoir un prix suffisamment élevé pour rapporter la même rente qu'un terrain à blé de même qualité. » (Marx T VIII ES p.15)

Un peu plus loin, Marx cite Smith :

« Une grande partie des terres cultivées doit être transformée pour permettre l'élevage et l'engrais de bétail dont le prix doit par conséquent être assez élevé pour payer non seulement le travail nécessaire à cet élevage, mais aussi la rente et le profit que propriétaires fonciers et fermiers auraient pu tirer de cette terre si elle avait été cultivée en blé. Le bétail élevé dans des tourbières les moins propices à la culture est vendu selon son poids et sa qualité, sur le même marché et au même prix que le bétail élevé sur les terrains les mieux cultivés. Les propriétaires des tourbières en profitent pour augmenter la rente sur leurs terres en proportion du prix du bétail. » (Smith. Richesse des nations, cité p.151 ES t.8)

Nous reviendrons sur les importantes conséquences de ceci. Pour l'instant, contentons-nous de souligner que, dans le cas que nous envisageons, cela se traduit par un nouveau renchérissement du prix des produits agricoles et de la rente, pour le plus grand bien de l'Etat capitaliste, et pour le plus grand mal d’une utilisation rationnelle des terres et de l'organisation de la production agricole.

Dans la mesure où les terres fertiles et moyennes pourraient être considérées comme des machines naturelles plus productives (cf. Marx Grundrisse, t.3 p.141) et que seules celles-ci sont utilisées pour la production du blé, le prix de celui-ci ne peut être que moins cher par rapport au prix moyen déterminé par l'utilisation des trois types de terrain. Par contre, dans le communisme inférieur, c'est-à-dire lorsque la société s'est débarrassée de l'esclavage salarié et de la valeur d'échange, le prix du blé est justement égal au temps de travail moyen, le blé est produit selon le temps de travail moyen fourni sur les terres moyennes et fertiles si seules des terres de ce type sont mises en culture, ou selon le temps de travail moyen fourni sur les terres fertiles, moyennes et pauvres si les trois types de terres sont ensemencées en blé. Dans le MPC, au contraire, si les trois types de terres sont utilisées pour la production agricole, ce sera toujours sur le plus mauvais terrain que se formera le prix de production, avec toutes les conséquences catastrophiques que cela implique pour le développement de l’agriculture.

3°/ La concentration des moyens de production sur un même terrain et donc l'apparition d'une culture intensive ayant une productivité additionnelle décroissante entraîne pour le coût du blé les conséquences suivantes :

Supposons qu'un accroissement de 2 quintaux entraîne une dépense de travail supplémentaire de 10%. Si l'on désire augmenter la production jusqu'à 5 200 quintaux, la société semble avoir deux possibilités pour assurer, la production souhaitée : tout d'abord utiliser une technique intensive.

Kantorovitch juge cela impossible dans la mesure où le coût marginal 1/2 = 0,5 est plus élevé que le coût des terres riches 0,333. Tandis que, si l'on utilise la rente, il n'y a pas de problème pour utiliser une technique intensive, 0,633 étant plus élevé que 0,5. En fait, si l'on se place dans la perspective théorique correcte, c'est-à-dire si l'on ne fait pas allégeance à la théorie bourgeoise du coût marginal comme le fait Kantorovitch, une hausse de 10% du temps de travail porterait la dépense de travail à 11 heures pour un rendement en augmentation de 2 quintaux à l'hectare, c'est-à-dire qu'il serait porté à 32 quintaux.

L'autre possibilité dont dispose la société sans rente, la société communiste, c'est de recourir à une extension des surfaces cultivées. Quel est le plan de production qui représente le moins de temps de travail dans une société communiste ?

La technique intensive implique une production de 3 200 quintaux de blé sur les terres riches dont le coût est de 1 100 heures. Les 2 000 quintaux restant à produire le sont sur les 100 hectares de terres moyennes pour une dépense de 1 000 heures de travail. Les dépenses pour le seigle et l'avoine sont identiques à celles du premier plan. Par conséquent, le coût total pour les 5 200 quintaux de blé, les 3 500 q de seigle et les 5 000 q d'avoine est de 5 100 heures de travail.

Si l'on recourt à une technique extensive, l'on continuera à produire 3 000 quintaux de blé sur les terres riches pour une dépense de 1 000 heures de travail. Les 2 200 quintaux de blé restant à produire nécessitent l'ensemencement de 110 hectares et un coût de 1 100 heures de travail. La société dispose encore de 90 hectares qu'elle consacre à la culture du seigle. 1 800 quintaux sont ainsi produits et le coût de cette production s'élève à 720 heures (90 x 8). Pour remplir le plan de production, il reste à produire 1 700 quintaux: avec un rendement de 15 quintaux à l'hectare, il faut cultiver 113,33 hectares de terres pauvres ce qui représente un coût de 906,33 ; enfin les 5 000 quintaux d'avoine impliquent l'utilisation de 200 hectares de terres pauvres et un coût de 1 400 heures de travail. Dans le cas de la technique extensive, le coût total de la production agricole est de 5126,66.

Par conséquent, et sans avoir besoin de prendre en considération une quelconque rente différentielle, la société peut utiliser une technique de production intensive, le plan de production qui l'utilise représentant une dépense de travail moindre que celui qui utilise la technique extensive (5 100 heures contre 5 126,33).

D'autre part le fait d'introduire la rente masque l'apparition d'un rendement décroissant. Ici, dans notre exemple, la société se rend compte du fait que le coût du blé est passé de 2 000 à 2 100 soit une augmentation de 5%, alors que la production n'augmente que de 4% (passant de 5 000 à 5 100). Dès lors, elle peut prendre les mesures qui s’avèrent nécessaires pour tenter de maîtriser ce phénomène. Tandis que chez Kantorovitch, on n'assiste à aucune variation du prix du blé, l'accroissement de la production étant identique à l'accroissement du coût.

3°/ Le dernier argument de Kantorovitch en faveur de l'usage de la rente foncière dans une société socialiste concerne la possibilité de substitution du seigle au blé pour nourrir les animaux.

Si, dans ce cadre, 1 quintal de blé équivaut à 1,1 q. de seigle, Kantorovitch prétend que l'on choisira le blé au lieu du seigle, le coût étant plus petit, tandis que si l'on introduit la rente le seigle sera plutôt retenu. En fait, il n'en est rien. La société se trouve devant deux plans de production, l'un utilisant le blé pour nourrir les animaux et l'autre employant le seigle pour le même but. Elle s'attachera donc à mettre en oeuvre celui qui représente la plus petite dépense de travail.

Si l'on doit consacrer 500 quintaux de blé à la nourriture des animaux, la société aura le choix entre les deux plans de consommation suivants : ou 5 000 q de blé et 3 500 q de seigle - plan dont le coût est 5 000 heures de travail - ou 4 500 quintaux de blé et 4 050 quintaux de seigle.

Quel est le coût de ce deuxième plan ?

Pour obtenir 4 500 quintaux de blé, on devra ensemencer 100 hectares de terres riches et 75 hectares de terres de fertilité moyenne ce qui représente une dépense de 1 750 heures de travail.

Pour les 4050 quintaux de seigle, la surface ensemencée est de 125 hectares de terres moyennes et 103,33 de terres pauvres soit une surface cultivée totale de 228,33 hectares sur lesquels l'on dépensera 1 826,66 heures de travail. La production d'avoine nécessitant toujours 1 400 heures de travail, le temps de travail total dépensé sera de 4976,66. Par conséquent, la société a intérêt à substituer le seigle au blé et, pour faire ce choix, n'a pas besoin de recourir à la rente foncière.

Enfin, il faut noter que lorsque Kantorovitch utilise la méthode d'évaluation des coûts en temps de travail, cela ne signifie pas pour autant que la société russe actuelle s'est émancipée de la loi de la valeur, ni que le planificateur ait la maîtrise de la valeur s'autovalorisant, c'est-à-dire du capital.

C'est comme si Monsieur Kantorovitch prenait la mer par gros temps sur une coquille de noix au gouvernail branlant : s'il est aussi bon marin qu'économiste, on peut penser qu'il ne réussira pas à affronter victorieusement la lame de fond qui l'engloutira, lui et son bateau.

Loin d'être maîtrisé avec autant de facilité que dans les schémas de Kantorovitch, le capital impose sa dictature à la société russe, et l'emporte bien plus loin que là où ses agents croient se rendre, c'est-à-dire vers la crise catastrophique et la guerre mondiale.

18.  Le programme communiste contre Ricardo et ses épigones

L'agriculture et la productivité du travail agricole occupent une place importante dans la théorie de Ricardo et tout particulièrement dans sa théorie de la baisse du taux de profit, qui est engendrée par l'accumulation du capital.

Mais si la baisse du taux de profit, dans la théorie communiste, surgit du développement contradictoire de la productivité du travail sur la base du mode de production capitaliste, elle provient chez Ricardo d'une baisse de la productivité du travail agricole.

Les fermiers, comme tous les capitalistes, avancent le capital et celui-ci obtient une masse de profit qui, rapportée au capital, détermine le taux de profit moyen de la société. Chez Ricardo, c'est le taux de profit de l’agriculture qui détermine le taux de profit de l'industrie. Tant que l'étendue de la population n'entraîne que la culture de terres de qualité égales, il n'y a pas de rente (Ricardo pense que l'on cultive d'abord les terres les plus fertiles). L'augmentation de la population exigeant la mise en culture de terres moins fertiles, les propriétaires de terres de qualité moyenne vont pouvoir empocher une rente différentielle. Le prix de production du blé est déterminé par le capital investi sur les plus mauvais terrains. En conséquence, les fermiers qui exploitent les terrains de qualité supérieure paient une rente à leurs propriétaires. Par conséquent, l'on mettra progressivement en culture des terres de plus en plus mauvaises et le prix du blé haussera, ainsi que la rente, cette hausse n'étant que temporairement palliée par des progrès dans l'agriculture.

Dans la mesure où le temps de travail social moyen nécessaire pour la production de blé augmente et que ce dernier joue un grand rôle dans l'alimentation des ouvriers, Ricardo considère que l'ouvrier reçoit un salaire correspondant à un minimum physiologique lui permettant de se reproduire.

Donc, même si l'ouvrier reçoit toujours la même quantité de blé, la plus-value relative va diminuer. Cependant, le processus de baisse du taux de profit général qui conduit à un état stationnaire dans lequel l'accumulation du capital est découragée étant donné la faiblesse du taux de profit, aboutit beaucoup plus rapidement dans la mesure où les propriétaires fonciers accaparent une part croissante de la plus-value - elle-même en diminution relative- sous l'effet de la hausse de la rente. En conséquence, le taux général de profit des capitalistes diminue encore plus rapidement. La société tend donc vers un état stationnaire dont l'arrivée peut être retardée (hormis par le développement et le progrès de l'agriculture) par l'intervention du commerce extérieur et une politique fiscale appropriée, faisant porter le poids de l’impôt sur la propriété foncière (Ricardo passe en revue toute une série d’impôts pour examiner leurs effets sur l'accumulation.)

Ricardo, nous l'avons déjà vu, ne traite la rente différentielle II que d'une manière très simple, sans montrer sa spécificité par rapport à la rente différentielle I, si bien qu'il commet des erreurs quant à la détermination du prix de production, en le calculant sur la base du coût marginal, et non du temps de travail social moyen, lorsqu'il s’applique sur le mauvais terrain.

Si, dans le cadre de la rente différentielle I, Ricardo n'envisage qu'un seul mouvement, celui qui va des terres les plus fertiles vers celles qui le sont moins, c'est-à-dire un mouvement de mise en culture progressive de terres toujours plus mauvaises, dans l'analyse de la rente différentielle II, il n'envisage que le seul cas de rendements décroissants, c'est-à-dire d'une productivité décroissante des capitaux additionnels et donc d'une hausse des prix de production.

Nous avons vu que Marx relativise entièrement cette position dans la mesure où la hausse des prix de production et les rendements décroissants des capitaux additionnels, ne sont qu'un cas particulier de la théorie de la rente différentielle II, laquelle admet un beaucoup plus grand nombre de cas et variantes. Dans sa polémique avec Boulgakov et le socialiste David, Lénine reprendra toute l’argumentation de Marx contre "la loi des rendements décroissants". Marx faisait remarquer que les investissements successifs dans la terre étaient loin de constituer un désavantage car :

« On peut faire fructifier des capitaux successifs parce que la terre agit elle-même comme instrument de production ce qui n'est pas le cas - ou tout au plus dans certaines limites- pour une usine où le terrain sert de fondement, d'emplacement, de base d'opération délimitée.

Pouvoir faire fructifier des investissements successifs de capital sans pour autant perdre le bénéfice des précédents, voilà l'avantage de la terre, avantage qui inclut en même temps la possibilité de différences dans le produit de ces investissements successifs. » (Marx . Capital III, 6 ES t.8 p.163)

De la même manière, pour ce qui est de la rente différentielle I, Marx insistera sur les nombreux cas qui président à la succession des terrains et de leur fertilité et situation.

Ricardo n'a pas découvert la théorie de la rente différentielle. Dans un de ses ouvrages, il cite d'ailleurs West et Malthus. Mais avant ceux-ci, le fermier écossais Anderson l'avait déjà exposée et si West ignorait probablement son travail, il n'en va pas de même de même de Malthus qui s'est empressé de le plagier.

Ce qui distingue Ricardo, c'est que son analyse de la rente est en relation avec sa théorie de la valeur :

« Il reste à considérer si l'appropriation des terres et la création subséquente de la rente peuvent causer quelques variations dans la valeur relative des denrées abstraction faite de la quantité de travail nécessaire pour les produire. » (Ricardo Principes de l'économie politique p.45)

Il s'agit, par conséquent, de montrer que la prise en compte de la rente foncière dans le paiement d'une somme en sus du profit moyen ne viole pas la loi de la valeur et donc ne s'explique pas par un prix de monopole.

Cependant, sur beaucoup d'autres points, Anderson donne une analyse plus riche, car, pour lui, le mouvement n'est pas uniquement ascensionnel comme chez Ricardo, West et Malthus. Il est double : descendant puis ascendant et admet la possibilité d'une amélioration durable de la terre.

Le lecteur attentif aura pu faire le parallèle entre la théorie de la baisse du taux de profit de Ricardo, et celle de Grossmann. Le premier explique cette baisse par une hausse de la rente, qui contribue à essouffler progressivement l'accumulation. Quant à Grossmann il l'explique par la hausse de la composition organique, la masse de plus-value finissant par être absorbée en totalité pour l'accumulation du capital constant additionnel.

Pour illustrer sa théorie, Grossmann a élaboré le tableau qui suit. Il reprend les schémas de Bauer -schémas qui avaient déjà servi à ce dernier dans sa polémique avec Rosa Luxembourg - et pousse leur logique jusqu'à y découvrir une contradiction flagrante : la plus-value totale est incapable d'assurer l'accumulation du capital.

 


TABLEAU DE GROSSMANN

 

Année

 

Capital Constant

Capital variable

Masse de la plus-value consommée

Capital constant suppl.

Capital variable suppl.

Valeur

% de la plus-value

Taux de profit

consommée

accumulée

1

200 000

100 000

75 000

20 000

5 000

400 000

75 %

25 %

33,3 %

2

220 000

105 000

77 750

22 000

5 250

430 000

74,05 %

25,95 %

32,6 %.

3

242 000

110 250

80 539

24 200

5 511

462 500

73,04 %

26,96 %

31,3 %

4

266 000

115 762

83 374

26 600

5 788

497 524

72,02 %

27,98 %

30,3 %

5

292 000

121 550

86 213

29 260

6 077

535 700

70,93 %

29,07 %

29,3 %

6

321 860

121 627

89 060

32 186

6 381

577 114

69,70 %

30,30 %

78,4 %

20

1 222 252

252 691

117 832

122 225

12 634

1 727 634

46,63 %

53,37 %

17,1 %

21

1 344 477

265 325

117 612

134 447

13 266

1 875 127

44,33 %

55,67 %

16,4 %

34

4 641 489

500 304

11 141

464 148

25 015

5 642 097

0,45 %

99,55 %

09,7 %

35

5 105 637

525 319

0

510 563

14 756

6 156 275

0

104,61 %

09,3 %


Sous l'effet de la hausse de la composition organique la classe capitaliste se voit progressivement obligée de consacrer une part croissante de la plus-value à l'accumulation, ce phénomène aboutissant au bout d'un certain nombre d'année (35 dans l'exemple de Grossmann) à la crise, la plus-value étant insuffisante pour que le capital puisse poursuivre l'accumulation sur les même bases.

Grossmann reprend donc à son compte les hypothèses de Bauer : croissance du capital constant de 10% chaque année, croissance du capital variable de 5% l’an et taux de plus-value constant par conséquent le taux de profit baisse. On peut remarquer dans le tableau que si les 3/4 de la plus-value sont consommés par les capitalistes lors de la première année (75000 / 100 000), cette proportion décroît régulièrement pour tomber à zéro autour de la 35 année.

A partir de la 25° année la consommation absolue des capitalistes diminue et à la 35° année, toute la plus-value doit être consacrée à l’accumulation et se révèle même insuffisante pour satisfaire celle-ci.

Nous avons déjà dénoncé le caractère ricardien d'une telle analyse qui considère l'accroissement du capital constant et du capital variable, et par conséquent leur accumulation, comme indépendant de la plus-value produite.

Grossmann est incapable de restituer la contradiction valorisation/dévalorisation (contradiction entre valeur d'usage et valeur d'échange dans son expression capitaliste). Pour lui la crise résulte d'une baisse progressive de la productivité du travail (à laquelle s'opposeraient des tendances contraires); c'est là la seule façon dont il envisage la dévalorisation, alors que pour le programme communiste, il s'agit de baisses périodiques absolues de la productivité du travail génératrices de crises catastrophiques d'autant plus vastes que le degré de développement des forces productives et de la productivité du travail est grand. De ce fait, Grossmann est absolument incapable de comprendre (contrairement à ce que Marx démontrait) la nécessité qu'a le capital de favoriser l'émergence d'une classe moyenne capable de consommer une part croissante de la plus-value.

Lorsque nous critiquons le tableau de Grossmann et l'utilisation qu'en fait la CWO, cela ne doit pas être confondu avec l'argument débile du CCI qui fait porter sa critique sur l'exemple lui-même et non sur la théorie. Leur objection se résume à ceci : que se passerait-il si au lieu de 10 % et 5 %dans l'exemple de Grossmann, on prenait 9 % et 4 %, 8 % et 3 % ou 3 % et 1% ? Outre le profond crétinisme de l'argument, on peut déduire de cette attitude que le CCI disserte sur ce qu’il n'a, non seulement jamais compris, mais encore pas lu du tout. Nous le savions déjà capable d'accomplir un travail de faussaire (cf. RI anc. série N°8 et sa critique ci-dessus), nous le découvrons maintenant distillant un dilettantisme imbécile qui ne se donne même pas la peine de prendre connaissance des positions qu'il prétend critiquer. Signalons au passage que leurs adversaires de la CWO qui sont, eux, partisans de Grossmann, n'ont guère fait plus d'efforts.

Grossmann, en effet, établit dans son livre une généralisation algébrique de son exemple, valable pour tous les cas particuliers. Si l'on reprenait les chiffres du CCI, l'effondrement du capital, selon le schéma de Grossmann, interviendrait au bout de respectivement 36, 39 et 143 ans, environ. Ainsi la "critique" du CCI laisse intacte la démonstration de Grossmann, et ne détruit aucunement sa conception de l'effondrement du MPC.

19.  Rente absolue et loi de la valeur

 Ricardo est incapable d'envisager l'effet économique de la propriété foncière. Dans la mesure où il confond profit et plus-value, il ne peut accepter l'existence d'une rente sur le plus mauvais terrain, c'est-à-dire d'une rente absolue. Pour lui, une telle rente violerait la loi de la valeur[lxix]. Comment une rente absolue peut-elle être payée aux propriétaires fonciers en sus du profit moyen alors que la loi de la valeur régit le mouvement général des prix de production ?[lxx]

La conviction de Ricardo pouvait être renforcée par le fait que les économistes qui mettaient en relief la possibilité d'une telle rente en venaient à théoriser des prix de monopoles pour les produits agricoles, prix de monopoles qui ne pouvaient que contredire la loi de la valeur puisque celle-ci n'admet leur existence que dune façon temporaire. Sismondi, qui niait l'égalisation des taux de profit objectait à Ricardo (tout comme Buchanan) le fait que les colons d'Amérique achetaient les terres nouvelles et donc payaient d'après lui une rente capitalisée sur des terres que la théorie de Ricardo considérait comme les plus mauvais terrains. Sismondi pense que quatre facteurs déterminent le fermage des terres :

1) L'équivalent du travail de la terre (ce qui n'est qu'un retour à la physiocratie).

2) Le prix de monopole que peut obtenir le propriétaire pour céder sa terre.

3) Une "mieux value" due aux différences de qualité entre les terres.

4) L'intérêt des capitaux que le propriétaire foncier prête aux fermiers.

La loi de la valeur était ici niée. Si l'analyse de la rente de Sismondi est moins avancée que celle de Ricardo, il n'en demeure pas moins que le problème de l'existence d'une rente absolue sur la base de la loi de la valeur reste entier. Marx ne pensait pas que l'exemple des colonies était une objection valable, le paiement pour l'achat des terres nouvelles étant assimilable à une patente. Toutefois, l'existence de la rente absolue était signalée par les praticiens et les statisticiens alors que les ricardiens s'efforçaient de la réfuter.

Dans la mesure où il ne comprenait pas la différence entre profit et plus-value, Ricardo était incapable de montrer la possibilité d'une telle rente sans remettre en cause la loi de la valeur. Contre lui, et toute l'économie politique, le parti communiste allait démontrer de manière éclatante cette possibilité. Ce faisant, il vouait aux gémonies la propriété foncière, en dévoilant le caractère catastrophique des effets économiques de cette dernière sur la production des matières premières agricoles ou industrielles vitales pour l’homme.

C'est dans une lettre à Engels, datée du 2 Août 1862, que Marx expose pour la première fois la solution de ce problème. Nous avons ici une excellente illustration de ce qu'il faut entendre par totalité organique lorsque nous parlons du programme communiste et de son invariance. Dès 1847, nous l'avons déjà vu, le programme communiste se dresse sur les ruines de l'économie politique bourgeoise et sur ce qui en constitue l'apogée, l'économie politique classique. Il en va de même pour la théorie de la rente, qui n'est pas, nous l'avons souligné, une simple reprise de celle de Ricardo. Cependant, cette théorie, tout en constituant déjà une explication suffisante, n'a pas épuisé tous ses développements, qui sont encore à l'état latent et méritent d'être continués, mais en restant toujours dans le cadre déjà défini au départ. Ces développements ultérieurs ne viennent pas contredire la totalité existante mais la renforcent, et dans ce sens l'enrichissent. Il ne s'agit pas de faits nouveaux que la théorie n'avait pas prévus et qui obligeraient à sa révision et donc à son abandon, il s'agit de faits que la théorie intègre dans le cours de son développement, se donnant ainsi une assise et une force d'autant plus grandes. Le programme communiste peut alors montrer l’effet économique de la propriété foncière sans remettre en cause ce qui est à la base du mode de production capitaliste : la loi de la valeur.

En montrant que la propriété foncière peut faire obstacle à l’égalisation des taux de profit, du fait du monopole de la terre, et donc en établissant la différence entre les prix de production et la valeur d'une marchandise, le parti communiste pouvait expliquer l'existence de la rente absolue. La théorie communiste de la valeur sortait grandie de cette bataille, en s'affirmant une nouvelle fois comme la seule capable de dénoncer et de prévoir le cours catastrophique du MPC, nécessitant une forme supérieure d’organisation sociale dans laquelle l'espèce humaine aurait reformé sa communauté : le communisme.

La théorie de la rente foncière absolue est également l'illustration parfaite de la dialectique entre base économique et superstructure telle que la comprend la conception matérialiste et dialectique de l'histoire. Celle-ci procède de la même manière que la dialectique entre l'être et la conscience, qui n'est pas autre chose que l'être conscient. La propriété foncière ne saurait être considérée comme quelque chose de "rapporté", comme un simple phénomène ou reflet de la base économique, mais au contraire comme faisant un tout - dans des époques historiques données[lxxi] - avec celle-ci. Il va de soi que la suppression de la rente foncière ne supprime pas le MPC, mais sa disparition ne saurait être ramenée à l'élimination d'un élément tandis que tout resterait identique par ailleurs. Que l'on procède ainsi dans un premier temps de l'analyse ne doit pas faire oublier les changements qualitatifs fondamentaux qu'implique l'abolition de la rente absolue, c'est-à-dire l'abolition du monopole de la propriété foncière.

Dans la mesure où la propriété foncière a le monopole de la terre, elle dresse une barrière devant le capital, elle met un obstacle à son libre investissement dans l'agriculture. De ce fait, la propriété foncière peut recevoir une partie de la plus-value sous forme de rente absolue. En empêchant la transformation de la valeur de la production agricole en prix de production, en mettant obstacle à la péréquation du taux de profit agricole et du taux de profit industriel, la propriété foncière est à même d'accaparer une rente absolue. Dans ce cas, la théorie révolutionnaire peut montrer que la rente absolue ne viole pas la loi de la valeur, mais repose sur elle, qu'elle n'est pas due, au sens strict, à un prix de monopole, c'est-à-dire à un prix qui ne serait déterminé que par le désir et la solvabilité des acheteurs (tel un vin de qualité exceptionnelle produit en quantité restreinte. Dans ce dernier cas une rente pourrait être versée au propriétaire, le prix de monopole créant la rente). Sans être donc un prix de monopole dans le sens défini plus haut, la rente absolue est cependant due au monopole de la propriété foncière et peut donc disparaître avec elle, il n'en va pas de même de la rente différentielle, qui existe tant que dure le MPC.

20.  Le programme communiste contre Rodbertus

Le programme communiste n'a jamais critiqué la science bourgeoise sans faire ressortir comment elle approchait, quand justement elle tendait à faire oeuvre scientifique, la solution, et comment elle n'y parvenait pas entièrement dans la mesure où il s'agit d'une connaissance aliénée, incapable de comprendre que le MPC est un mode de production historiquement déterminé, condamné à céder la place à une forme d'organisation communiste. La théorie de la rente de Rodbertus, tout en méritant une critique sévère, n'en contient pas moins une tendance juste.[lxxii] Rodbertus (1805-1875) était un gros propriétaire foncier poméranien, député et ministre de l'Instruction publique en Prusse dans les années 1848-50. Il était l'un des défenseurs du socialisme dEtat et c'est notamment dans une polémique avec Von Kirchmann ("Lettres sociales") qu'il exposera sa théorie de la rente, accusant plus tard (tout comme le feront ses épigones) Marx de l'avoir "pillé sans le nommer".

Au cours des années 1884-85 au sein du parti social-démocrate allemand, les idées de Rodbertus connurent un regain de faveur, notamment dans les cercles d'intellectuels petit-bourgeois réformistes tels C.Schramm. Ce dernier, selon une vieille méthode, attaque le "dogmatisme" de la théorie de Marx, à laquelle il préfère la théorie de Rodbertus et la tactique de Lassalle. La contre attaque des communistes fut immédiate, Kautsky répliquant dans la Neue Zeit, et Engels rédigeant une préface à l'édition allemande de "Misère de la philosophie" dans laquelle il démolit point par point la théorie de Rodbertus. D'emblée, Engels définit l'enjeu politique, et de la publication en Allemand du texte de 1847, et de sa propre préface :

« Le présent ouvrage (Misère de la philosophie -NDR) a pour l'Allemagne maintenant une importance que Marx n'a jamais prévue. Comment aurait-il pu savoir qu'en s'attaquant à Proudhon il frappait par là même l'idole des arrivistes d'aujourd'hui, Rodbertus qu'il ne connaissait même pas de nom." (Ed. Sociales p.26)

Quant aux exorbitantes prétentions de Rodbertus d'avoir été celui qui a inauguré la conception socialiste de la loi de la valeur, Engels les réduit à néant au moyen d'un bref exposé historique sur la formation de la théorie de la valeur.

Dans la mesure où toutes les conceptions socialistes de la valeur prennent pour base de départ la théorie de Ricardo, Rodbertus dans ses écrits de 1842, n'apporte rien de nouveau par rapport aux socialistes anglais tels que Bray, Hodgskins, Thompson, qui écrivaient dans les années 1820. Mais, pour un propriétaire foncier poméranien, vingt ans de retard constituent encore un score honorable. Engels juge même le travail de Rodbertus important, tout en précisant que "ce n'était une découverte que pour l'Allemagne".

Mais 40 ans plus tard, les partisans de Rodbertus ne font que reprendre les "nouveautés" des socialistes petit-bourgeois anglais, qui, pour avoir compris la nature de la valeur, n'en espéraient pas moins, de manière complètement utopique, pouvoir maîtriser celle-ci.

Ne comprenant pas la dialectique entre la valeur et les formes à travers lesquelles elle se réalise (cf. ci-dessus), ces socialistes souhaitent réaliser la loi de la valeur, en mesurant le prix de chaque marchandise directement par le travail qu'elle contient.

Engels relie historiquement l'apparition d'une telle conception théorique, à la ruine de la petite bourgeoisie, qui voit son travail constamment dévalorisé par le progrès des conditions de production de la grande industrie. Leur rêve est de faire reconnaître la détermination de la valeur par le temps de travail indépendamment des conditions sociales qui fondent cette détermination.

« Cette utopie a jeté des racines très profondes dans la pensée du petit bourgeois moderne -réel ou idéal- Ce qui le démontre, c'est qu'elle a déjà été, en 1831, systématiquement développée par John Gray, essayée pratiquement et répandue en Angleterre à cette époque, proclamée comme la vérité la plus récente en 1842, par Rodbertus en Allemagne et en 1846 par Proudhon en France, publiée encore en 1871 par Rodbertus comme solution de la question sociale et pour ainsi dire son testament social; et, en 1884, elle récolte l'adhésion de la clique qui s'efforce, sous le nom de Rodbertus, d'exploiter le socialisme d'Etat prussien. » (id. p.31)

Car si l'on peut mesurer l'incroyable prétention dont fait preuve Rodbertus en accusant Marx de l'avoir pillé, le ridicule de cette affirmation atteint toute son ampleur lorsque l'on se penche sur les moyens préconisés par Rodbertus pour réaliser son Utopie.

« Tous les grands utopistes de cette tendance, de Gray jusqu'à Proudhon, se tourmentent pour; élaborer des mesures sociales qui doivent atteindre ce but. Ils cherchent au moins à résoudre la question économique par des voies économiques, grâce à l'action du possesseur des marchandises qui les échange. Pour Rodbertus c'est bien plus simple. En bon Prussien, il en appelle à l'Etat. Un décret du pouvoir public ordonne la réforme." (idem, p.33)

Chez Rodbertus, c'est l'Etat qui fixe par décret la valeur des produits, et la quantité à produire, à une unité près des différentes marchandises, selon un système de comptabilité qui ne peut être que juste, car comme le fait remarquer Engels, c'est "M.X., l'employé supérieur de la caisse de la dette publique en Poméranie, qui a revu le calcul et l'a trouvé juste."

On comprend que, compte tenu du vieux fonds lassalléen qui continuait à influencer toute une partie du socialisme allemand, et de l'attirance pour un socialisme d'Etat à la Bismarck, Kautsky et Engels durent prendre la plume pour chasser le fantôme de Rodbertus des limbes du socialisme allemand. Par un simple rappel de la chronologie, Engels écrase la ridicule prétention de Rodbertus à avoir été "pillé" par Marx : ce dernier "ne connaissait de Rodbertus que les trois Sozialen Briefe[lxxiii]et celles-là mêmes en aucun cas avant 1858 ou 1859." (p.26). Et même sans connaître Rodbertus, Marx l'a critiqué à travers ses précurseurs : les socialistes anglais et Proudhon.

Pour conclure sur ce personnage, qui admet que les "dépenses improductives" de la société future incluront le profit et la rente qui subsisteront; qui suppose par hypothèse le maintien d'un taux de plus-value de 200%, à partir duquel on calculera la part qui revient à l'ouvrier, laissons parler Engels :

« Pour l'époque où parut Zur Erkenntniss etc. de Rodbertus, cétait un livre certainement important. Poursuivre la théorie de Ricardo dans cette direction était un commencement qui promettait. Si, pour lui et pour l'Allemagne seuls, c'était une nouveauté, son travail en somme arrive à la même hauteur que ceux des meilleurs de ses précurseurs anglais. Mais ce n'était qu'un commencement dont la théorie ne pouvait espérer un réel profit que par un travail ultérieur, fondamental, critique. Ce développement s'arrête pourtant là, parce que, dès le début, on dirige le développement de Ricardo dans l'autre sens, dans le sens de l'Utopie. C'est perdre, dès lors, la condition de toute critique - l'indépendance - Rodbertus travailla alors avec un but préconçu, il devient un économiste tendancieux. Une fois saisi par son Utopie, il s'est interdit toute possibilité de progrès scientifique. A partir de 1842 jusqu'à sa mort, il tourne dans le même cercle, reproduit les mêmes idées, déjà exprimées ou indiquées dans ses précédents ouvrages, se sent méconnu, se trouve pillé, alors qu'il n'y avait rien à piller, et se refuse enfin, non sans intention, à l'évidence qu'au fond il n'avait pourtant découvert que ce qui l'était déjà depuis longtemps." (idem, p.39)

Mais voyons plus en détail la théorie de la rente de Rodbertus.

Rodbertus pense que la valeur des marchandises est en proportion du travail dépensé à les produire. Il distingue deux grandes parties qui composent le revenu national : les produits bruts ou matières premières de l’agriculture,e t les produits manufacturés de l'industrie. On peut voir ici que les pseudo-marxistes qui prétendent que la distinction entre le secteur I des schémas de reproduction (secteur des moyens de production) et le secteur II (secteur des moyens de consommation) recouvre la distinction entre agriculture et industrie, sont beaucoup plus des adeptes de Rodbertus que des défenseurs de l'orthodoxie révolutionnaire. Une partie du produit social, que Rodbertus appelle la rente, et qui correspond à notre concept de plus-value, est soustraite aux ouvriers par le capital et la propriété privée du sol (la rente foncière n'est qu'une partie de la rente en général), cette part va d'ailleurs croissant avec le progrès de la productivité du travail, entraînant la baisse de la quote-part des salaires dans le revenu national. Rodbertus, qui de ce fait devient un des inspirateurs de la théorie de la sous-consommation voyait là la source des crises et il reprochera aux chefs du parti communiste d'avoir plagié cette théorie des crises.

Si, bien évidemment (cf. sur ce point dans notre étude sur la crise), Marx et Engels ne firent pas allégeance à une telle théorie[lxxiv] il n'en va pas de même du PCF, ni d'ailleurs du CCI. L'un voit ou voyait dans l'augmentation de la consommation populaire la panacée pour sortir la société de la crise[lxxv], et, toutes proportions gardées l'autre, vautré dans les délices de la décadence, célébrant les mânes de Rosa Luxembourg, colporte des théories sans queue ni tête sur fond d'absence de débouchés pour la plus-value. Pour Rodbertus, le paupérisme n'est pas dû à l'improductivité de l'agriculture comme le pensait von Kirchmann. Rodbertus lui reproche ce "fantôme imaginé par Ricardo". La conception de la division du travail qu'a Rodbertus est une conception linéaire. Les industries situées en aval du processus productif utilisent comme matières premières les industries situées en amont, ce qui sur le plan de l'ensemble de la société signifie que l'industrie utilise comme matières premières les produits primaires de l'agriculture, laquelle n'achète pas de matières premières. D'après Rodbertus, la rente se répartit proportionnellement au produit brut et manufacturé. Or, c'est la portion de rente rapportée au fond d'entreprise des industries de transformation et de transport qui détermine le taux de profit. Ce taux s'applique également à la sphère agricole laquelle n'incluant pas de matières premières dans son capital obtiendrait un taux plus élevé, l'excédent de profit, le profit spécial peut alors se transformer en rente foncière et être accaparé par le propriétaire du sol.

Toute la théorie de Rodbertus repose sur une erreur de calcul admissible chez un paysan poméranien de l'époque mais qu'aucun fermier capitaliste ne fait. Dans l'agriculture, les matières premières (semences, fourrages, ...) existent et seul un paysan arriéré peut commettre l'erreur de ne pas les compter dans le capital avancé, dans la mesure où il ne les achète pas car il les a produits lui-même. Déjà les physiocrates au début de la deuxième moitié du XVIII° siècle prenaient en compte les matières premières dans le tableau économique (avances annuelles). Si le paysan fait des avances en nature égales au 1/5 du capital total avancé, qui est égal à 150 F, un profit de 10% représentant donc 15 F porterait la valeur du produit brut à 165 F. Si ce paysan a avancé lui-même en nature 30 F et qu'il rapporte le profit aux 120 F qu'il a dépensés à l'extérieur de son exploitation, le taux de profit serait alors de 12 %. La différence entre les deux taux considérés pouvant être appropriée par le propriétaire foncier, celui-ci pourra obtenir 3 F. soit la différence entre un profit de 15 et un taux de profit de 10 % rapporté à 120 F. soit 12 F.

Cependant ce profit spécial n'existe que dans l'imagination du paysan arriéré et il s'évanouit dès lors qu'on a affaire à un fermier capitaliste; c'est uniquement parce que le paysan se trompe dans l'évaluation du capital avancé qu'il peut faire apparaître une rente.

Marx a mis en évidence 6 absurdités qui se dégagent de la théorie de Rodbertus.

1°/ Rodbertus suppose que la plus-value est proportionnelle à la valeur des marchandises qui la contiennent. Or, si les capitaux sont égaux, il peut y avoir un taux de plus-value différent ou un rapport entre le capital constant et le capital variable différent même si le taux de plus-value est le même. Deux marchandises, l'une d'une valeur de 100 et l'autre de 120 peuvent être le produit de deux capitaux de même valeur : 60 c + 20 v avec un taux de plus-value différent de 100% dans un cas et de 200% dans l'autre, ou le produit de capitaux de composition différente avec 60 c + 20 v et 40 c + 40 v, avec un taux de plus-value identique de 100 %. Dans chaque cas, il n'y a aucune proportionnalité entre la valeur et la plus-value 20/100 contre 40/120 soit 1/5 pour 1/3 dans les deux cas.

2°/ Rodbertus affirme que les marchandises se vendent à leur valeur et suppose, en même temps, l'existence d'un taux général de profit. Or, pour que celui-ci soit possible il faut que les valeurs des marchandises soient transformées en prix de production. En effet, avec la phase de soumission réelle du travail au capital s'impose la tendance à l'égalisation des taux de profit et la formation d'un taux général de profit si bien que les marchandises ne sont plus vendues à leur valeur mais à un prix de production distinct de la valeur et égal au coût de production + le profit moyen, qui rapporté au capital avancé est égal au taux général de profit qu'il contribue à former.

3°/ Rodbertus ne tient pas compte de la valeur des matières premières qui entrent dans la production agricole. Il est tout à fait faux de considérer qu'il n'existe pas de telles matières premières (semences, etc.) lesquelles entrent dans le capital constant avancé et sont évaluées en argent dès que l'agriculture est soumise à la production capitaliste, dès qu'elle produit de manière généralisée pour le marché et non pour sa propre consommation. Bien entendu, cette évaluation est réalisée par le fermier capitaliste aussi bien dans le cas où il achète des matières premières que dans celui où il les produit lui-même.

Si, à partir de là, on reprend l'hypothèse erronée de Rodbertus selon laquelle les plus-values sont proportionnelles aux valeurs, il ne sera pas possible de faire apparaître une différence qualitative entre le taux de profit de l’agriculture et celui de l'industrie. D'autre part, Rodbertus, tout en accordant à la production agricole le taux de profit moyen, ne la fait pas participer à l’établissement du taux général de profit, sans pour autant justifier son attitude alors qu'il s'agit pourtant d'une hypothèse vitale pour sa théorie. Sans cette différence entre le taux de profit industriel et le taux de profit agricole, et donc sans l'hypothèse que le taux de profit industriel détermine le taux de profit agricole, Rodbertus ne pourrait pas faire apparaître une rente foncière dans la sphère agricole, et donc fonder sa théorie.

4°/ Nous l'avons vu, Rodbertus affirme que la grandeur de la plus-value est proportionnelle à la valeur des marchandises. Si nous détaillons un peu mieux sa théorie, nous constatons qu'il fait dépendre la grandeur de la plus-value du travail immédiat auquel il ajoute le travail pour remplacer les machines usées. Non seulement il est faux que la grandeur de la plus-value dépende du capital fixe dépensé, car elle n'est issue que du travail vivant, mais de plus Rodbertus est illogique car, tout en cherchant à tenir compte du capital fixe, il essaye de retirer la valeur des matières premières pour déterminer la grandeur de la plus-value. Là aussi Rodbertus commet cette erreur pour pouvoir fonder son point de vue.

5°/ Si Rodbertus est conséquent avec lui-même quand il estime que pour l'industrie les matières premières doivent être prises en compte parce qu'elles sont fournies par une branche de production extérieure, il devrait du même coup admettre que dans l'agriculture il faut tenir compte des machines, des bâtiments etc. qui eux aussi proviennent d'une sphère productive extérieure à l'agriculture. Il devrait donc conclure que dans l'industrie n'entre que du salaire et des matières premières, le capital fixe étant produit par l'industrie, tandis que dans l'agriculture il ne faudrait compter que le salaire et le capital fixe, les matières premières étant le produit de l'agriculture.

6°/ Dernière inconséquence de Rodbertus : d'une part, il affirme que dans l'agriculture il n'y a pas de matières premières, ce qui est faux, et, d'autre part, il ne voit pas que par contre ce phénomène est bien réel pour certaines sphères industrielles comme l'industrie extractive ou l'industrie des transports.

21.  La rente absolue

Le seul intérêt de Rodbertus, c'est qu'il a pressenti la différence entre la plus-value et sa forme spéciale : le profit. Cependant il ne l'entrevoit qu'à l'occasion d'un problème bien déterminé : la rente foncière; aussi ne cherche-t-il pas à établir la loi générale qui lui aurait permis de donner une interprétation correcte de la rente.

Pour qu'une rente absolue apparaisse sans violer la loi de la valeur, il faudrait pouvoir montrer que dans l'agriculture la valeur est supérieure au prix de production et que le profit obtenu dans cette sphère, s'il était approprié par cette branche au lieu de participer à l'établissement du taux général de profit, dépasse ce taux et est à même de donner une rente.

Pour déterminer si le taux de profit d'une branche particulière est supérieur au taux général de profit, il faut -pour un taux de plus-value identique- (avec une même longueur de la journée de travail) prendre en compte quatre facteurs :

1°) Le rapport entre capital constant et capital variable.

2°) Le rapport entre capital fixe et capital circulant.

3°) Le rapport entre période de production et période de travail.

4°) Le rapport entre temps de production et temps de circulation .

Sur ces deux derniers points l'agriculture est défavorisée par rapport à l'industrie prise comme un tout.

« La différence entre le temps de production et le temps de travail est surtout manifeste dans l'agriculture. Dans nos climats tempérés le blé se récolte une fois l'an. La durée plus ou moins longue de la période de production (9 mois, en moyenne, pour les champs emblavés avant lhiver) dépend elle même de l'alternance des bonnes et des mauvaises années; on ne peut donc ni la prévoir ni la contrôler avec précision comme dans l'industrie proprement dite. »

Dans la mesure où la période de travail est limitée, l'agriculture capitaliste est relativement défavorisée quant à la masse de la plus-value qu'elle peut extraire de la clase ouvrière.

D'autre part, du fait de la durée relativement élevée du procès de production lié en général au cycle annuel des spéculations, les avances que doivent consentir les capitalistes sont relativement plus élevées, ils ne peuvent compter sur la réalisation de la plus-value qu'au bout d'un an au minimum si le produit est immédiatement vendu. Sous cet aspect l'agriculture est également défavorisée par rapport à la moyenne de l'industrie.

Si donc, sur tous ces plans, l'agriculture est désavantagée par rapport à l'industrie, il faut, pour qu'elle puisse avoir un taux de profit plus élevé que dans l'industrie, que la composition organique du capital y soit plus basse, de façon non seulement à compenser mais même à renverser le déséquilibre que les autres facteurs instituent. Si cette composition organique est plus basse cela ne provient pas tellement d'une différence dans la technique qui impliquerait de légères différences dans la composition valeur entre l'agriculture et l'industrie. Cette composition organique plus basse traduit plutôt un véritable retard de l’agriculture sur l'industrie, un retard du développement des forces productives dans la sphère agricole qui a pour conséquence un développement: moins grand de l’agriculture par rapport à l’industrie. Ce retard a des causes historiques, économiques et sociales.

« Dans l'ensemble il faut supposer que dans le mode de production primitif pré-capitaliste, l'agriculture est plus productive que l'industrie, parce que la nature y coopère, faisant office de machine et d'organisme alors que dans l'industrie les forces naturelles ne sont encore remplacées, à peu près exclusivement que par la force humaine (comme dans l'industrie artisanale etc.), dans la phase de développement impétueux de la production capitaliste, la productivité de l'industrie se développe de manière accélérée par rapport à l’agriculture, bien que son développement présuppose que dans l'agriculture, des variations importantes du rapport capital constant-capital variable se soient déjà produite c'est-à-dire qu'une masse de gens ait été chassée de l'agriculture. Ensuite, la productivité progresse dans les deux domaines, mais d'un pas inégal. Toutefois, à un certain apogée de l'industrie, la disproportion doit nécessairement diminuer, c'est-à-dire la productivité de l'agriculture augmenter plus vite que celle de l'industrie. Cela implique 1°) le remplacement du fermier paresseux par le business man, le capitaliste fermier, la transformation des cultivateurs en salariés purs et simples, la pratique de l'agriculture à une grande échelle donc avec concentration de capitaux 2°) mais surtout la base proprement scientifique de la grande industrie, la mécanique qui en un certain sens était achevée au 18° siècle. C'est seulement dans les dernières décennies plus précisément que se développent les sciences qui fournissent directement à un haut degré des bases spécifiques aussi bien a l'agriculture qu'à l'industrie, la chimie, la géologie, la physiologie. » (Marx. TSPL. t.2 pp.116-117. 1862)

Comme nous avons déjà eu l'occasion de le faire remarquer, avant le MPC, le prix des produits agricoles était relativement meilleur marché que celui des produits industriels dans la mesure où la terre joue le rôle d'une machine, et donc favorise le progrès de la productivité du travail. Avec la phase de soumission formelle du travail au capital, le mode de détermination du prix des produits agricoles change puisque c'est sur le plus mauvais terrain qu'il se forme, tandis qu'en concentrant les moyens de production, mais sans changement du procès de travail, la production industrielle connaît un saut qualitatif dans le niveau de la productivité du travail. Avec le développement de la phase de soumission réelle, alors que la propriété foncière est transformée par l'action du capital, l'écart se creuse entre l'agriculture et l'industrie, ce n'est que lorsque la soumission réelle est déjà bien implantée dans l’industrie que l'on peut envisager que l'agriculture puisse combler une partie de son retard. Ce retard n'est donc pas - bien au contraire - un des fondements de l'impérialisme, comme l'affirmait Lénine :

« Certes, si le capitalisme pouvait développer l'agriculture qui, aujourd'hui, retarde partout terriblement sur l'industrie, s'il pouvait élever le niveau de vie des masses populaires qui, en dépit d'un progrès technique vertigineux, demeurent partout grevées par la sous-alimentation et l'indigence, il ne saurait être question d'un excédent de capitaux. Les critiques petit-bourgeois du capitalisme servent à tout propos cet "argument". Mais alors le capitalisme ne serait pas le capitalisme, car l'inégalité de son développement et la sous-alimentation des masses sont les conditions et les prémisses fondamentales, inévitables, de ce mode de production. Tant que le capitalisme reste le capitalisme, l'excédent de capitaux est consacré, non pas à élever le niveau de vie des masses dans un pays donné, car il en résulterait une diminution des profits pour les capitalistes, mais à augmenter ces profits par l'exportation de capitaux à l'étranger, dans les pays sous-développés. Les profits y sont habituellement élevés, car les capitaux y sont peu nombreux, le prix de la terre relativement bas, les salaires de même, les matières premières à bon marché. Les possibilités d'exportation de capitaux proviennent de ce qu'un certain nombre de pays attardés sont d'ores et déjà entraînés dans l'engrenage du capitalisme mondial, que de grandes lignes de chemin de fer y ont été construites ou sont en voie de construction, que les conditions élémentaires du développement industriel s'y trouvent réunies etc. La nécessité de l'exportation des capitaux est due à la "maturité excessive" du capitalisme dans certains pays, où (l'agriculture étant arriérée et les masses misérables) les placements "avantageux" font défaut au capital." (Lénine. L'impérialisme. ES; p.86-87)

Ce n'est pas parce qu'ils ne peuvent pas être investis dans l’agriculture que les capitaux s'internationalisent. Durant le 20° siècle et tout particulièrement depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l'agriculture a été, en termes relatifs le plus important champ d'accumulation du capital, c'est celui qui a connu le progrès le plus rapide, assurant le rattrapage d'une partie du retard relatif de l'agriculture sur l'industrie. Cela s'est traduit, entre autres, par l'abaissement du prix relatif des produits agricoles par rapport aux prix industriels. Ce rattrapage ne signifie pas, pour autant, que désormais le prix des produits agricoles soit relativement inférieur au prix des produits agricoles, il signifie que l'écart relatif entre les deux est moindre.

La condamnation historique prononcée par le programme communiste à l’encontre du MPC est, de toutes façons, sans équivoque lorsqu'il fait sa démonstration en prenant en compte un même niveau de productivité entre l'agriculture et l'industrie. En supposant une stricte égalité dans le développement des forces productives de l'agriculture et de l'industrie, le programme communiste démontre que le prix des produits agricoles est relativement plus élevé que le prix des produits industriels dans la mesure où le prix des produits agricoles se forme sur la base des conditions de production les plus mauvaises alors qu'il se forme sur la base des conditions de production moyennes dans l'industrie.

Si, de plus, l'on fait intervenir l'existence de la propriété foncière (mais l'on peut envisager une production capitaliste sans propriété privée du sol) il n'est pas possible que l'agriculture soit au même niveau de productivité que l'industrie, la propriété foncière y fait obstacle et vit de la différence de productivité qu'elle contribue à créer. De ce fait, l'existence de la propriété foncière entraîne également un renchérissement des produits agricoles. Son abolition pourrait faciliter le développement du MPC dans l'agriculture et donc favoriser le rattrapage par rapport à l'industrie, mais il ne pourrait pas s'affranchir de la tare congénitale qui engendre la création d'un surprofit qui se transforme en rente différentielle.

En tout état de cause, il appartient à la statistique de mesurer l'écart relatif entre la composition organique du capital dans l’industrie et la composition organique du capital dans l'agriculture.

Si, en général, la statistique bourgeoise ne se montre pas particulièrement apte à mettre en lumière les phénomènes propres à la production capitaliste, il existe en outre un enjeu théorique considérable derrière le simple fait de constater l'existence ou non d'une composition organique plus basse dans l'agriculture, et cela fait qu'il est très difficile de se faire une idée précise du véritable écart. S'il est bien un domaine dans lequel la bourgeoisie et le révisionnisme luttent pied à pied contre le programme communiste, c'est bien celui de la question agraire, et cela a des répercussions toutes particulières dans le cadre de l'analyse statistique. L'on peut cependant parvenir à établir que la théorie communiste a bien raison lorsqu'elle affirme que la composition organique du capital est plus basse dans la sphère agricole que dans la sphère industrielle.[lxxvi] Lorsque nous disons "dans la sphère agricole", il faut pour être exact (et nous retrouvons là la théorie essentielle, que nous avons exposée et défendue plus haut, celle de l’aliment de base), considérer en fait la composition du capital non pas dans l'agriculture en général, mais dans la principale production végétale qui constitue l'aliment de base de la population : le blé en Europe, le riz en Asie, etc. De ce fait, il peut arriver que la composition organique du capital soit, par exemple, plus élevée dans l'élevage que dans bon nombre de branches de l'industrie, voire que l'agriculture dans son ensemble paraisse relativement plus proche de l'industrie du fait de la forte proportion de la production animale dans la production agricole totale par exemple; il n'en demeure pas moins que la composition organique dans le secteur de l'aliment de base est plus basse que dans l'industrie. Il s'ensuit un taux de profit plus élevé dans l'agriculture que dans l'industrie.

« Contre l'affirmation que le capital agricole met proportionnellement plus de travail vivant en oeuvre que le capital moyen non agricole, on pourrait invoquer le fait que, dans l’élevage à grande échelle, par exemple, la masse de la force de travail employée est très faible comparée au capital constant représenté par le bétail même. Cependant dans notre analyse de la rente nous considérons comme déterminante la partie du capital agricole qui produit la principale denrée végétale constituant la subsistance de base des peuples civilisés. L'un des mérites d'Adam Smith est précisément d'avoir démontré que le prix n'était pas du tout déterminé de la même façon dans l'élevage et en général, pour les investissements dans les terres qui ne produisent pas les subsistances essentielles (blé, etc.) - Ramsay a noté justement que, la rente de la terre à blé entrant dans la fixation du prix du bétail, ce prix est artificiellement accru par la rente, expression économique de la propriété foncière bref, par la propriété foncière. » (Marx. Capital p.1378 t.2 Oeuvres)

Cependant, même s'il est établi que la composition organique est plus basse dans l'agriculture que dans l'industrie, il n'en résulte pas pour autant nécessairement un surprofit. Pour que celui-ci puisse se constituer il faut qu'il n'y ait pas formation d'un taux général de profit, ou plus exactement que le secteur considéré ne participe pas à la formation du taux général de profit. Dans ce cas, il reste à établir quelle cause peut empêcher la transformation des valeurs en prix de production.

Il est bien entendu considéré que la composition organique plus basse dans l'agriculture n'est pas le fruit du hasard et, par conséquent, n'est pas susceptible d'être remise en cause d'un moment à l'autre, que ce soit par un renchérissement des matières premières ou tout autre facteur. Cette différence de composition organique indique une différence entre la productivité du travail agricole et la productivité du travail industriel, et donc exprime l'existence d'un retard de l'agriculture sur l'industrie.

La cause qui va permettre de créer un surprofit et de le convertir en rente, c'est l'action de la propriété foncière elle-même. C'est le monopole de la propriété foncière, en prenant pied sur la base économique que nous venons de décrire, et qu'elle contribue à créer, qui engendre la rente absolue. Pour le fermier capitaliste, l'obtention du profit moyen est un critère suffisant pour qu'il se décide à investir des capitaux sur un terrain. Par contre, le propriétaire foncier ne consentira à lui céder ce terrain que si le capitaliste lui paie une rente. En exigeant cette rente, la propriété foncière crée une barrière au libre investissement dans l’agriculture et met aussi un obstacle à sa pénétration. En entravant cette libre égalisation la propriété foncière favorise la vente des produits agricoles à un prix de marché qui oscille autour de la valeur des marchandises et non autour de leur prix de production tel qu'il devrait résulter s'il existait un libre investissement des capitaux dans l'agriculture, si le monopole de la propriété foncière ne mettait pas obstacle à l'égalisation des taux de profit et donc à la conversion des valeurs au prix de production. Nous pouvons ici faire la liaison entre la rente différentielle, et plus particulièrement la rente différentielle II, et la rente absolue. La. rente différentielle II suppose, nous l'avons vu, l'accumulation du capital sur un même terrain, la concentration du capital. S'il n'y avait pas propriété foncière de la terre, cette accumulation n'aurait aucune entrave, aucun obstacle n'étant dressé devant le libre investissement du capital dans l'agriculture.

La productivité du travail pourrait, si les conditions techniques étaient réunies progresser d'un même pas que dans l'industrie. Nous avons vu précédemment que les capitalistes et les propriétaires fonciers s'opposent sur la durée du bail. Pendant toute celle-ci le fermier peut investir le capital et cet investissement sera d'autant plus important que le capitaliste est sûr de pouvoir bénéficier pleinement de son investissement ; cela suppose qu'il obtienne un bail d'une durée la plus grande possible de telle manière qu'il puisse récupérer l'intégralité du capital fixe .qu’il pourrait incorporer à la terre. Pendant toute la durée du bail les capitalistes profitent de leur investissement et des surprofits qu'ils rapportent ; la propriété foncière ne pouvant pas s'en emparer. Par contre, le propriétaire foncier, s'il limite la durée du bail au temps le plus court possible, peut, à la fin du bail, récupérer le capital qui resterait investi dans la terre. En s'emparant de ce capital, le propriétaire foncier pourra augmenter la rente foncière en disposant d'un terrain bonifié. Si le rapport des forces est en faveur de la propriété foncière, la durée du bail sera courte et dissuadera les fermiers capitalistes d'entreprendre des travaux d'envergure pour bonifier le sol étant donnés qu'ils ne sont pas assurés de récupérer leur mise de fonds avant la fin du bail.

Nous avons vu dans le plus haut que la propriété foncière avait tout intérêt à ce que le développement du MPC soit inégal; elle a également tout intérêt à freiner le développement général du MPC dans la mesure où ce retard se traduit par une rente absolue dont l'importance sera en liaison avec le degré d'arriération de l'agriculture. En limitant la durée du bail le propriétaire foncier freine d'autant le développement du capital dans l'agriculture, il maintient aussi voire renforce la base économique qui lui permettra si les conditions du marché sont normales de s'approprier la rente absolue, tout en pouvant exiger une rente différentielle plus conséquente s’il est parvenu à accaparer une partie du capital investie dans et sur le sol.

Le monopole de la propriété foncière est donc à même de créer une rente en empêchant l'égalisation des taux de profit, en empêchant le capital de la sphère agricole de participer librement à la formation du taux général de profit. En favorisant, la vente des produits agricoles au-dessus de leur prix de production et donc à un prix de marché qui fluctue en fonction des conditions du marché autour de la valeur du produit, la propriété foncière peut accaparer une rente qu'elle a contribué à créer. Cette rente est égale à la différence entre la valeur du produit agricole et le prix de production (c'est-à-dire le coût de production + le profit moyen dont le taux est égal au taux de profit tel qu'il résulte dans l’industrie). Ce surprofit peut être transformé en rente absolue que s'approprie la propriété foncière.

« L'essence de la rente absolue consiste en ceci : pour un même taux de plus-value ou un même degré d'exploitation, des capitaux d'égale grandeur dans différents secteurs de la production procurent des masses différentes de plus-value suivant les différences dans leur composition moyenne. Dans l’industrie, il y a égalisation de ces différences de plus-value et formation d'un profit moyen uniformément réparti entre les divers capitaux comme entre autant de parties aliquotes du capital social. Dans l'agriculture ou dans l'industrie extractive, c'est-à-dire dans les productions qui ont besoin de fonds de terre, la propriété foncière empêche cette péréquation des capitaux investis dans le sol et capte une partie de la plus-value qui, autrement, entrerait dans le profit moyen issu de cette péréquation. La rente représente alors une partie de la valeur et plus spécialement de la valeur contenue dans les marchandises qui, au lieu de revenir à la classe capitaliste qui l'a extraite des ouvriers, est extraite des capitalistes par les propriétaires fonciers auxquels elle échoit exclusivement. Il est sous-entendu ici que le capital agricole met en oeuvre plus de travail qu'une fraction égale de capital non agricole. L'ampleur de l'écart, voire son existence tout court, dépend du développement de l'agriculture par rapport à l'industrie. Cette différence va nécessairement en diminuant à mesure que l'agriculture progresse, à moins que la proportion dans laquelle la partie variable du capital diminue par rapport à la partie constante ne soit, plus importante pour le capital industriel que pour le capital agricole. » (Marx. Capital Livre III 6, XXIII Pléiade t.2 p.1382)

Supposons que dans l'industrie le capital avancé se décompose ainsi 85 c + 15 v c'est-à-dire 85 de capital constant et 15 de capital variable. La composition organique c/v est égale à 85/15 = 5,6.

En admettant un taux de plus-value de 100% nous obtenons un prix de production de 85 + 15 + 15 = 115. Si, maintenant, nous considérons que le capital avancé dans l'agriculture est composé de 75 de capital constant et 25 de capital variable c'est-à-dire que la composition organique est de 3, la valeur du produit agricole sera pour un taux de plus-value de 100 % égale à 75 + 25 + 25 = 125. Si partout il y avait libre investissement du capital, si le monopole de la propriété foncière n'existait pas il y aurait formation, entre tous les secteurs, aussi bien de l'industrie que de l'agriculture, d'un taux général de profit qui, dans notre exemple, serait de 20 % ( 25 + 15 / 100 + 100 ). Dans ce cas le prix de production du produit industriel serait de 100 + 20 = 120 et celui du produit agricole également de 120. Chaque secteur obtiendrait un taux de profit moyen égal au taux général de profit et il y aurait une conversion générale des valeurs en prix de production. Par contre, lorsqu’existe le monopole de la propriété foncière, celui-ci empêche la péréquation des taux de profit et la plus-value produite dans l'agriculture ne participe pas à la formation du taux général de profit. Dans ce cas, le produit agricole se vend à sa valeur soit 125. Comme le taux général de profit est désormais de 15%, si le capitaliste de l'agriculture obtient ce taux de profit il reste un surprofit de 10 qui constitue la rente absolue qu'empoche le propriétaire foncier. Par conséquent, les capitalistes de l'industrie comme les capitalistes de l'agriculture obtiennent le taux de profit moyen qui, du fait de la non péréquation des taux de profit s'élève maintenant à 15% et est égal en valeur absolue à 15 tandis que les propriétaires fonciers accaparent une rente absolue de 10 % soit 10 en valeur absolue.

Sur le plus mauvais terrain le propriétaire foncier obtient la rente absolue et aucune rente différentielle. Sur le terrain de qualité supérieure les propriétaires fonciers obtiennent une rente égale à la rente absolue plus une rente différentielle qui croit avec la qualité des terres. L'on pourrait avoir ainsi le tableau suivant :

 

1

2

3       4

5

6

7

8

9

10

Terres

Sup.

Produit

Capital avancé

Profit total

Profit capital agric.

Rente totale

Rente absolue

Rente diff.

F

q

A

1

100

25

80

20

10

10

10

-

B

1

120

30

80

40

10

30

10

20

C

1

140

35

80

60

10

50

10

40

D

1

160

40

80

80

10

70

10

60

Total

4

520

130

320

200

40

160

40

120

 

Sur chaque terrain, du plus pauvre A au plus riche D, des masses égales de capital ont été investies, le profit sur le capital avancé est égal à 12,5 % soit 10. Ce taux est le taux général de profit qui s'établit dans la société. La sphère agricole du fait de la barrière que dresse la propriété foncière au libre investissement du capital ne participe pas à l'établissement de ce taux qui sinon serait plus élevé. La différence entre la valeur du produit agricole et le coût de production augmenté du profit moyen constitue la rente absolue qui s'élève, dans notre exemple, à 10. La rente différentielle n'existe pas sur le terrain A, le plus mauvais terrain, elle commence sur les terres de qualité supérieure B, C et D, et vient s'ajouter à la rente absolue pour constituer la rente globale que s'approprie le propriétaire foncier. La rente absolue est la même pour chaque terre dans la mesure où le capital avancé à l'hectare demeure le même. Par contre, la rente différentielle croît avec la qualité des terres. C'est sur le plus mauvais terrain que se détermine la valeur du produit agricole; sa valeur est de 100 F. pour un rendement de 25 quintaux à l'hectare. La valeur du quintal est donc de 4 F. Le produit s'élève donc à 30 quintaux et 120 F sur la terre B et 35 quintaux et 140 F sur la terre C, 40 quintaux et 160 F sur la terre la meilleure, la terre D.

Cette rente différentielle provient de la différence entre la valeur individuelle du produit agricole sur la terre considérée et la valeur sociale du produit agricole qui est déterminée sur la base des conditions de production les plus mauvaises en l'occurrence celles de la terre A. La rente absolue totale s'élève donc à 40 F, l'ensemble de la rente différentielle à 120 F., la rente globale s'élevant à 160 F.

22.  L'offensive révisionniste et bourgeoise contre le programme communiste

S'il est bien un domaine où la bourgeoisie n'a pas désarmé dans son combat acharné contre la théorie du prolétariat c'est bien celui de la question agraire. La lutte est à ce point aiguë que les représentants de la bourgeoisie se sentent suffisamment forts pour se battre pied à pied sur tous les points. Que ce soit la prétendue absence de progression du capitalisme dans l'agriculture, la prétendue absence de concentration et de centralisation du capital, la prétendue supériorité de la petite exploitation sur la grande, partout la lutte féroce pour abattre le programme communiste se poursuit. Le parti communiste, que ce soit par l'intermédiaire de Kautsky qui publia, en 1899, « La question agraire »[lxxvii], ou de Lénine, combattit le révisionnisme aussi bien des David ou des Boulgakov qui prétendaient réhabiliter des vieilleries théoriques comme la loi des rendements décroissants, ou un Martov qui cherchait à pourfendre la théorie de la rente absolue. 80 ans plus tard, alors que le rapport de forces général est complètement en défaveur du parti communiste, l'assaut bourgeois et révisionniste contre la théorie révolutionnaire se poursuit sans désemparer, la critique en coupe réglée des théories de Marx sur la rente constitue toujours l'un des exercices favoris des idéologues bourgeois, nourris de l'exploitation du prolétariat, afin de jeter une couche de terre toujours plus épaisse sur la tombe où est enterré le prolétariat révolutionnaire. Mais là où la bourgeoisie le croit mort ou du moins l'espère mort, le parti communiste le sait seulement en catalepsie et les convulsions grandissantes de la production capitaliste, en fissurant toujours plus le tombeau, finiront par réveiller et remettre au grand jour ce protagoniste essentiel du monde moderne.

22.1    Unicité de la rente absolue.

La théorie communiste de la rente absolue est particulièrement combattue par la contre-révolution. Rappelons que cette théorie n'a jamais été publiée du vivant de Marx et que ce n'est qu'après sa mort qu'Engels puis Kautsky ont édité l'un le livre III qui contient des développements sur la rente différentielle et un exposé sur la rente absolue l'autre le livre IV du capital, connu également sous le titre "Théorie sur la plus-value ou Histoire des doctrines économiques", qui constituent des brouillons dans lesquels Marx développe notamment les théories sur la rente absolue et sur la rente différentielle.

Marx, nous l'avons déjà dit, faisait souvent de petites erreurs de calcul, et dans les brouillons ce genre d'erreurs est particulièrement évident ; nous verrons dans notre étude sur les crises qu'il n'en faut pas plus au révisionnisme pour essayer de faire une brèche dans l'édifice théorique communiste.

Encore plus insidieuse et malhonnête est la démarche d'universitaires en mal de découvertes scientifiques, qui tentent de faire passer pour des considérations générales des conclusions tirées d'exemples très particuliers. Tel est le cas de Mr. H. Le Floch, encensé par ailleurs par notre "marxologue" Rubel, qui le considère comme un des plus éminents commentateurs de la théorie de la rente de Marx et qui déplore que la bourgeoisie ne puise pas assez d'arguments dans cette "oeuvre" qui s'abîme sur les rayons poussiéreux des bibliothèques. Notons, pour l'anecdote, que l'autre n'est pas chien, car lors de la publication d'une partie des oeuvres de Marx dans la Pléiade, notre universitaire a comme on dit renvoyé l'ascenseur, ou l'encensoir en célébrant dans les journaux l'édition Rubel, lequel n'a pourtant pas hésité à écarter le précieux travail d'Engels pour expliciter les brouillons de Marx sur la théorie de la rente (mais sans doute tous ces gens gagnent à ce que tout reste obscur).

Avant de commencer son analyse de la rente absolue, Marx prend soin de préciser que l'hypothèse de l'existence ou de la non-existence de celle-ci n'entache en rien les résultats de sa recherche sur la rente différentielle. Que la rente absolue soit ou non fondée théoriquement ne remet pas en soi en cause la théorie de la rente différentielle; elles constituent deux éléments indépendants quant à leur justification théorique et nous avons même vu que la théorie admet que l'une existe sans l'autre, plus précisément que la rente absolue peut disparaître tandis que se maintient toujours la rente différentielle. Pour bien fonder ce qu'il affirme, Marx fait, le raisonnement que nous exposons ci-dessous et qui tout en constituant un exemple très particulier parait revêtir la forme d'une démonstration de portée générale. Mais là où le militant communiste cherche, à partir d'un matériau semi-élaboré, à renforcer la totalité du programme communiste en y intégrant l'exemple particulier, le savant bourgeois cherche à découvrir des contradictions dans l’œuvre communiste et à défendre l'idéologie du capital. Le raisonnement de Marx est le suivant :

Si P est le prix de production réglant le prix de marché, il coïncide avec le prix de production individuel sur le terrain A. Sur B le prix de production est P. P’ est inférieur à P car le terrain B est supposé être de meilleure qualité.

Appelons d la différence entre P et P'. Celle-ci représente le surprofit du fermier exploitant le terrain B et pourra être convertie en rente foncière. Si P'' est le prix individuel de production sur le terrain C et que la différence entre P et P'' est égale à 2d, C représente la rente différentielle. Il en va de même sur D où le prix de production est P''' et où la différence entre P''' et P est égale à 3d et constitue la rente différentielle.

A partir du moment où l'on prend en considération la rente absolue, l'on ajoute un excédent r au prix de production, si bien que la valeur du produit agricole est égale à P + r et permet le paiement d'une rente absolue au propriétaire foncier. En ajoutant cet excédent à chacun des prix de production Marx obtient la valeur individuelle sur chaque terrain soit : P’ + r sur le terrain B, P’’ + r sur le terrain C et P’’’ + r sur le terrain D. Si, désormais, l'on recalcule la différence entre la valeur qui règle le prix de marché, celle du terrain A et les valeurs individuelles sur les autres terres l'on obtient le même différence que précédemment. Sur le terrain B la différence est égale à (P + r) - (P’’ + r) = 2d, et sur le terrain D à (P + r) - (P’’’ + r) = 3d

La rente différentielle semble donc identique avec ou sans l’existence de la rente absolue et Marx en conclut que "la rente différentielle resterait donc la même". Mais l'exemple de Marx repose sur des conditions particulières. Le prix de production individuel (P) se calcule en divisant le prix de production global sur chaque terrain par le nombre de quintaux produits par ceux-ci.

Par conséquent, en appelant K le prix de production total et Q le nombre de quintaux produits sur le terrain A, Q’ sur B, Q’’ sur C et Q’’’ sur D, on obtient P = K/Q ; P’ = K/Q’ ; P’’ = K/Q’’ ; et P’’’ = K/Q’’’.

Le prix de production global (K) est le même sur chaque terrain puisque pour étudier la rente différentielle il faut comparer des capitaux égaux sur des surfaces égales engendrant des produits inégaux. Si l'on ajoute au prix de production individuel un excédent r tel que le prix de production réglant le prix de marché devienne P + r, il faut ajouter au prix de production global un excédent R tel que P + r = K/Q + R/Q. Quant à P’, il ne s'accroîtra d'un excédent r que si K’/Q’ s'accroît d'un excédent R’/Q’.

r sera égal R/Q sur le terrain A et à R’/Q’ pour le terrain B.

De même, il sera égal à R’’/Q’’ sur le terrain C et à R’’’/Q’’’ sur le terrain D. Or, comme par définition Q, Q’, Q’’, Q’’’ sont différents, R, R, R’’, R’’’ sont également différents.

Par conséquent, là où nous avons un prix de production global identique et égal à K, nous obtenons maintenant un prix de production global différent égal à K + R sur le terrain A, à K + R’ sur le terrain B, K + R’’, sur le terrain C, etc.

En conséquence, il n'est pas possible d'effectuer une comparaison dans la mesure où nous avons à faire à des capitaux inégaux.

Si la rente différentielle demeure la même, c'est que nous avons à faire ici à un cas très particulier où tout se passe comme si un accroissement du capital se traduisait par des productivités qui décroissent au fur et à mesure que la qualité des terrains augmente. La rente demeure la même parce que la hiérarchie des fertilités relatives s'est resserrée tandis que la valeur du produit augmente, compensant exactement ce rétrécissement. Il est également bien clair qu'il s'agit d'un exemple particulier dans la mesure où Marx postule des différences de fertilité proportionnelles entre les terrains (d, 2d, 3d). En conséquence, on ne saurait donner à la remarque de Marx selon laquelle la rente différentielle demeurerait la même, la valeur d'un principe général.

Or, M. Le Floch, avec une outrecuidance sans limite, s'en empare comme d'une grande vérité pour en faire une machine de guerre contre la théorie de la rente et se livrer à des développements fantaisistes dont il a le secret.

M. Le Floch suppose trois terrains I, II, et III sur lesquels sont produits respectivement 10, 20 et 40 quintaux. Le prix de production régulateur du prix de marché s'élève à 10 200 F. Par conséquent, la rente différentielle est de 10 200 F sur le terrain II et se monte à 30 600 F sur le terrain III. Si l'on ajoute une rente absolue de 300 F, la valeur du produit agricole est désormais .de 10 500 F. Le capitaliste vendra 21 000 F. la récolte du terrain II et 42 000 F celle du terrain III. Le Floch s'empare alors des conclusions que Marx a tirées de son exemple très particulier et déclare la rente différentielle inchangée ; il peut ainsi délirer sur la théorie de la rente absolue en montrant que celle-ci varie en fonction de la fertilité (tout comme la rente différentielle).

Si l'on affirme que la rente différentielle s'élève comme précédemment à 10 200 F. sur le terrain II et 30 600 F. sur le terrain III, que la rente absolue est de 300 F et est identique sur chaque terrain, la valeur réalisée sur le terrain II devrait être de (10 200F + 300 F + 10 200 F) = 20700 F et de (10 200 F + 300 F + 20 700 F) = 41 100 F, sur le terrain le meilleur. Une telle perspective impliquerait des prix différents pour le blé suivant les terrains : 10 quintaux pour 10 500 F sur I soit 1 050 F le quintal, 20 quintaux pour 20 700 F sur II soit 1 035F le quintal et 40 quintaux pour 41 100 F soit 1027,5 F le quintal sur le terrain III. Or, il n'existe qu'un seul prix pour le blé qui est celui qui se forme sur le terrain le plus mauvais, le terrain I. De ce fait, il faut prendre en considération en plus de la rente absolue de base une rente absolue qui serait déterminée par les différences de fertilité.

Si sur le terrain A la rente absolue est bien égale à 300F, elle constitue ce que M. Le Floch appelle la rente absolue de base, mais pour obtenir la rente absolue réelle, il faut tenir compte des effets de la productivité. Ainsi, sur le terrain II, la valeur de la production sera de 1 050 x 20 = 21 000 F. La valeur du capital avancé augmentée du profit moyen est de 10 200 F, la rente différentielle de 10 200 F(elle demeure, d'après Le Floch, inchangée par rapport à la situation d'origine) et la rente absolue de base, 300 F. La différence entre la valeur de la production (21 000 F) et la somme des éléments que nous venons de détailler : 20 700 F ( 10 200 + 10 200 + 300 ), soit 300 constitue l'autre partie de la rente absolue, celle qui selon Le Floch varie en fonction de la fertilité du terrain et qui s'ajoute à la rente absolue de base pour constituer la rente absolue réelle, qui en l'occurrence s'élève à 600 F.

De même, sur le terrain III, la différence entre la valeur réalisée sur ce terrain (42 000 F) et la valeur des éléments déjà définis, 41 100 F (10 200 + 30 600 + 300 ), constitue la rente absolue soit 900 F, qui doit être ajoutée à la rente absolue de base. La rente absolue réelle serait alors de 1 200 F. sur le terrain III.

Sur chaque terrain la rente absolue réelle serait un multiple de la rente absolue de base et des indices de fertilité.

La fertilité relative des terrains est dans le rapport de 4 (40/10) par rapport au terrain I pour le terrain III, et de 2 pour le terrain II (20/10). Si la rente absolue de base est de 300 F, elle s'élève à 600 F (300 x 2 ) sur le terrain II et 1 200 F (300 x 4) sur le terrain III. Quant à la rente absolue totale elle se monterait à 300 + 600 + 1 200 = 2100 F.

Voilà où conduit la mauvaise foi de Le Floch, qui extrapole toute une théorie à partir d'un cas très particulier. Contrairement à ce que Le Floch affirme, Marx ne cherche pas à montrer que la rente différentielle demeure la même avec ou sans la rente absolue. Ce qu'il cherche à mettre en relief c'est que la loi de la rente différentielle est indépendante de l'existence ou de l'inexistence de la rente absolue.

Si, dans l'exemple que nous avons détaillé ci-dessus, Marx constate que la rente différentielle reste la même, il ajoute aussitôt après : " et obéirait à la même loi. Elle comprendrait non seulement un élément indépendant de cette loi et subirait un accroissement général, au même titre que le prix de production agricole. Il s'ensuit que la loi de la rente différentielle est indépendante de l'existence ou de l'inexistence d'une rente sur les terrains les moins fertiles et, mieux encore, que la seule façon de savoir la vraie nature de la rente différentielle est de supposer nulle la rente du terrain A." (Marx. Oeuvres T. 2 p.1360.)

Il faut donc avoir une certaine dose de culot pour prétendre que pour Marx la rente différentielle demeure la même alors qu'il dit justement deux lignes après sa première affirmation, qui est liée directement à l'exemple particulier qu'il a développé, que la rente différentielle augmente. Mais à quoi n'est pas résolu un universitaire pour pisser de la copie ayant un parfum de nouveauté?

Marx donc, après avoir développé un exemple très particulier, tire les conclusions générales et montre que la loi de la rente différentielle n'est pas remise en cause (c'est-à-dire que la rente différentielle sera toujours égale à la différence de produits de capitaux égaux placés sur des terrains de même superficie) et qu'elle augmente avec la valeur du produit agricole (toutes choses égales par ailleurs). Le prétendu excédent entre la rente absolue réelle et la rente absolue de base qui varierait en fonction de la fertilité des terrains n'est en fait que de la rente différentielle.

Cette évidence a tout de même été entrevue par le cerveau brumeux de Monsieur Le Floch mais avec un aplomb qui fait se demander si l’on a affaire à un cynique sans scrupule ou à un imbécile complet, il répond : "Il serait pourtant abusif d'appeler cette rente de la rente différentielle car la caractéristique essentielle de la rente est de ne naître que sur les terrains de qualité supérieure."

Or, où naît justement le fameux excédent sur la "rente absolue de base" sinon sur les terrains de qualité supérieure ? Il faut, tout de même, un singulier aplomb ou une grande légèreté pour utiliser un argument qui va strictement à l’encontre de ce que l'on affirme. Mais, Monsieur Le Floch n'en est pas à une contradiction près.

En fait, comme Marx le fait partout remarquer, la rente absolue demeure identique tant que le taux et la masse du profit du capital investi dans l'agriculture demeure identique et dans le même rapport relatif par rapport au taux de profit de l'industrie qui détermine le taux général de profit.

Dans Les "Théories sur la plus-value", Marx envisage pendant de nombreuses pages les diverses combinaisons entre la rente différentielle et la rente absolue, et en aucun cas il n'en vient à une conclusion qui s'approche d'une quelconque manière des élucubrations de Monsieur Le Floch, bien au contraire.

Dans un de ces exemples Marx suppose qu'on exploite des mines de charbon de 3 catégories I, II et III. Sur la mine I, on obtient une rente absolue de 10, sur II une rente totale (absolue + différentielle) de 20 et sur III une rente totale de 40. Le capital avancé (100) est le même dans chacune des mines ainsi que le prix de production (110). L'on obtiendrait ainsi le tableau suivant :

-TABLEAU A-

 

Catégorie .

Capital

Rente absolue

Tonnes prod.

Val. Marchande par Tonne

Val . indiv

Val. Tôt.

Rente différentielle.

I

II

III

100

100

100

10

10

10

60

65

75

2

2

2

2

1,8

1,6

120 130 150

0

10

30

Total

300

30

200

 

 

450

40

 

Le tonnage total produit est de 200 tonnes dont 60 tonnes pour la mine I, 65 tonnes pour la mine II et 75 tonnes pour la mine III. Le produit, du fait de l'existence de la propriété foncière, n’est pas vendu à son prix de production 110, mais à sa valeur de marché, laquelle se détermine sur la mine où les conditions de production sont les plus mauvaises, c'est-à-dire la mine I. La valeur de marché pour chaque tonne est donc de 2 F. La valeur totale sur chaque mine est alors de 120 F pour la mine I (60 x 2), 130 F pour la mine II (65 x 2) et 150 F pour la mine III (75 x 2). La rente absolue est de 10 et est identique sur chaque terrain dans la mesure où la composition et la masse du capital ainsi que le taux du profit y sont les mêmes.

Marx suppose ensuite qu'une nouvelle mine IV plus riche que les précédentes est mise en activité, la demande restant la même. De ce fait la mine I va cesser d'être exploitée et comme le tonnage de charbon produit dans la mine IV est de 92,5 la production de la mine II va être réduite de moitié. La nouvelle situation peut se résumer dans le tableau suivant :

 

-         TABLEAU B

 

Catégorie .

Capital

Rente absolue

Tonnes prod.

Val. Marchande par Tonne

Val . indiv

Val. Tôt.

Rente différentielle.

II

III

IV

50

100

100

5

10

10

32,5

75

92,5

1,8

1,8

1,8

1,8

1,6

1,3

60

138,4 170,8

0

18,4

50,8

Total

250

25

200

 

 

369,2

69,2

 

Marx ne tire en aucun cas, nous allons le voir, la conclusion que la rente absolue varie du fait que la hiérarchie des terres est bouleversée, et sur le tableau l'on peut constater qu'il en est bien ainsi.

Marx en tire donc une conclusion opposée aux grandes découvertes de M. Le Floch.

« Nous voyons d'abord que le montant de la rente absolue augmente ou diminue en proportion du capital investi dans l’agriculture, en proportion des masses totales de capital investi en I, II et III. Le taux de cette rente absolue puisqu'il est complètement indépendant de la différence provenant de la diversité des types de sol, qu'il provient au contraire de la différence entre valeur et prix de production, mais que cette différence est elle-même déterminée par la composition organique du capital investi dans l'agriculture, par le mode de production et non par le sol - est totalement indépendant de la grandeur des capitaux investis. Dans le II du tableau B, le montant de la rente absolue tombe à présent de 10 à 5 parce que le capital est tombé de 100 à 50 donc parce qu'on a retiré la moitié du capital." (Marx. TSPL p.300 t.2)

Ainsi, le taux de la rente absolue demeure strictement identique, dans la mesure où la différence entre le taux de profit agricole et le taux de profit de l’industrie et du commerce demeure constante. Par contre, la masse de la rente absolue baisse parce que la masse du capital investi dans l'agriculture diminue. La rente absolue est bien indépendante, toutes choses égales par ailleurs, de la fertilité plus ou moins grande des terrains sur lesquels le capital est investi, et les développements fallacieux de M. Le Floch sont sans fondement.

La rente absolue agricole est égale au taux de la rente absolue, que multiplie la masse du capital accumulée dans l'agriculture. (Nous supposons ici uniquement la culture de l'aliment de base). Dans notre exemple, la différence entre le taux de profit de l'agriculture et le taux de profit de l’industrie et du commerce est de 10 %. Ce taux constitue le taux de la rente absolue. Dans le tableau A, le capital engagé dans la production est de 300 F. et, par conséquent, la rente absolue s'élève en tout à 300 x 10 % = 30 F. Par contre, dans le tableau B, le capital avancé tombe à 250 F, le taux de la rente absolue demeure à 10%, par conséquent, la masse de la rente absolue est désormais de 250 x 10 % = 25 F.

Dans la France actuelle, l'on peut ainsi estimer que si le taux de la rente foncière absolue a baissé, dans la mesure où le taux de profit agricole s'est rapproché du taux de profit industriel, la masse de la rente absolue a peut-être elle-même augmentée, le capital investi dans l’agriculture ayant grossi de telle manière que la baisse du taux de la rente aurait été compensée. La part de la formation brute de capital fixe est passée de 10% de la valeur ajoutée brute en 1950 à 20% en 1970. Les consommations intermédiaires ont suivi aussi la même évolution : un triplement en 20 ans. Ce que la bourgeoisie appelle formation brute de capital fixe correspondrait à ce que nous appelons la reproduction du capital fixe usé et le capital fixe à accumuler. La valeur ajoutée brute correspondrait approximativement à notre c + v + pl. La formation brute de capital fixe (FBCF) recouvre donc une partie de c, peu ou prou la partie fixe du capital constant et la partie de la plus-value accumulée sous forme de capital fixe. Dans les années 70, l'achat de machines et de matériels agricoles représentait environ 65% de la FBCF. Dans la mesure où cette fraction du capital représente une part croissante de la valeur produite, que les consommations intermédiaires, que l'on peut assimiler à la partie circulante du capital constant augmentent également dans la même proportion, on peut en déduire que le capital constant occupe une part croissante dans la valeur de la production. Cela est l'indice d'une hausse de la composition organique et d'une baisse du taux de profit dans l'agriculture. Quand on sait que c'est dans l'agriculture qu'il y a eu la plus forte progression dans l'accumulation du capital fixe, l'on peut considérer que la différence entre le taux de profit agricole et le taux de profit industriel a diminuée et que, par conséquent, le taux de la rente absolue a baissé.

Par conséquent, il n'existe qu'une seule rente absolue et elle demeure identique sur les terrains qui ont des capitaux identiques indépendamment de leurs différences de fertilité.

Comme nous l'avons déjà fait remarquer, la critique de M. Le Floch illustre bien notre propos.

Il est de même intéressant de noter que malgré une diminution de la population active agricole, la valeur créée par personne a augmenté. Cette augmentation n'étant pas seulement imputable à la hausse du capital constant employé, elle montre à quel point l'intensité du travail et l'exploitation qui lui est concomitante s'est accrue.

Il n'existe donc qu'une seule rente absolue et elle est identique sur les terrains de même superficie ayant des capitaux identiques indépendamment de leur différence de fertilité.

Il y a une erreur à ne pas commettre lorsque l'on envisage l’effet économique de la propriété foncière et donc la création de la rente absolue, c'est d'envisager les choses uniquement sous l’angle quantitatif. Si une telle démarche est tout à fait justifiée pour illustrer l'approche théorique, il faut aussi replacer ces exemples dans le cadre général de la théorie. La rente absolue suppose l'action et donc l'existence de la propriété foncière, d'une superstructure qui agit sur la base économique de telle manière qu'elle crée un surprofit qui se transforme en rente absolue. Cette base économique suppose qu'il existe un retard de l'agriculture sur l'industrie, retard qui se traduit par une composition organique du capital plus basse dans l'agriculture. Par contre l'égalisation des taux de profit suppose justement que la propriété foncière n'existe plus, ce qui à son tour implique un bouleversement social qui ne saurait être résumé dans le passage d'une valeur P + r à un prix de production P.

Si l'on envisage l'introduction de la rente absolue que comme un ajout quantitatif on évite de considérer le rôle économique de la propriété foncière qui a des implications qualitatives importantes qui ne permettent pas de réduire la rente absolue à un simple excédent sur le prix de production. Il est donc nécessaire de prendre des précautions lorsqu'on veut comparer une situation où le prix de marché gravite autour du prix de production, ce qui suppose, par exemple, la nationalisation de la terre sur une base capitaliste et celle où ce prix gravite autour de la valeur. Dans ce dernier cas, il faut envisager l'hypothèse d'un retard de l’agriculture sur l’industrie et le rôle de la propriété foncière dans l'existence et le maintien de ce retard.

22.2    Réalité de la rente absolue.

22.2.1                    "Discontinuité" du jugement, intégralité du crétinisme.

Il existe une race particulièrement active de révisionnistes, c'est celle des exégètes découvreurs de contradictions au sein du programme communiste. Ce que Marx ferait d'un coté il s'ingénierait à le détruire d'un autre; ce que Marx affirme ici, il le réfuterait là, bref chaque proposition du programme communiste aurait une proposition inverse qui l'anéantirait. Nulle dialectique dans tout cela sinon l'existence de contradictions insurmontables permettant de terrasser le monstre révolutionnaire et sa théorie.

Bien entendu, la théorie de la rente absolue n'échappe pas à cette offensive à laquelle participent les apôtres inconditionnels du capital, les plus grands noms du marxisme vulgaire. Parmi les grands découvreurs de contradictions, il faut citer un homme que nous avons déjà rencontré et qui a fait d'innombrables disciples : Bortkiewickz qui dès le début du XX° siècle trouvait que la théorie de la transformation des valeurs en prix de production contenait des insuffisances méthodologiques et mathématiques et se proposait d'effectuer un nouveau calcul qui est à la base de toutes les interprétations et falsifications ricardiennes du programme communiste. Nous avons évoqué cet aspect de Bortkiewickz au début de ce texte. Nous avons d'ailleurs noté que même dans le camp révolutionnaire, au demeurant tout à fait indigent, certains avaient cédé (la CWO pour ne pas la nommer) au chant des sirènes ricardiennes pour applaudir et reprendre à leur compte les âneries de Bortkiewickz et Cie.

A force de battre la campagne, M.Bortkiewickz a fini par se retrouver aux champs, et se lance à l'assaut de la théorie de la rente absolue, dans un article consacré à la théorie de la rente de Rodbertus et la loi de la rente absolue de Marx, dans lequel il conclut au fiasco de la théorie de la rente absolue. Notre homme a, là aussi, creusé un sillon, et la mauvaise graine a levé avec l'engrais de la contre-révolution.

Parmi les disciples modernes, dont le plus gros contingent est fourni par le marxisme universitaire, l'on trouve des petits-bourgeois comme. K. Vergopoulos ("Le capitalisme et la question agraire") ou P.Ph.Rey ("Les alliances de classe").

Dans le chapitre du capital qu'il consacre à la rente absolue, Marx déclare :

« Puisque, selon notre hypothèse, la propriété foncière ne rapporte rien, si elle n'est pas affermée, qu'elle est, du point de vue économique, sans valeur, une faible hausse du prix de marché au-dessus du prix de production sera insuffisante pour jeter sur le marché ces nouvelles terres de la catégorie la moins fertile. » (Marx. Capital Livre III t.3 p.142)

Dans le même chapitre, Marx affirme également :

« Bien que la propriété foncière puisse faire monter le prix des produits agricoles au-dessus de leur prix de production, ce n'est pas elle, mais la situation générale du marché qui décide jusqu'à quel point le prix de marché dépassera le prix de production pour approcher de la valeur et dans quelle proportion donc la plus-value agricole produite en sus du profit moyen se convertira en rente ou entrera dans le système général de péréquation de la plus-value pour donner le profit moyen. » (Marx. Capital Livre.III t.3 p.148)

Bortkiewickz et son disciple Vergopoulos imaginent voir là l’autodestruction par Marx de sa théorie de la rente absolue. Dans leur rêve, ils croient découvrir deux thèses qui s'excluent mutuellement : Tout d'abord si la propriété foncière est capable de créer de la rente, elle doit être en même temps autorisée à la réaliser sur le marché, d'où une contradiction dont le programme communiste ne se relèverait pas. D'autre part, si sous l'effet du jeu du marché la rente peut baisser jusqu'à être annulée complètement, l'on peut se demander ce qu'est le "pouvoir" de la propriété foncière, telle est la deuxième objection de notre tandem.

Dans la même veine, P.Ph.Rey affirme : "l'objectif restreint, initialement visé, la rente absolue, semble ne pas avoir été atteint.

En effet, du raisonnement que nous avons cité découle ceci : si une « faible hausse du prix de marché au dessus du prix de production" suffit pour rejeter sur le marché les nouvelles terres, la rente perçue, la rente absolue, sera faible elle aussi. En fait cette rente sera non seulement faible, mais évanouissante (sic!), voisine de zéro : en effet la "propriété purement juridique de la terre" (souligné par Rey) est "du point de vue économique sans valeur". Elle n'est qu'un obstacle inconsistant en face du mode de production capitaliste puisque toute élévation du prix de marché au dessus du prix de production, si dérisoire soit-elle (c'est-à-dire - si l'on raisonne dans une hypothèse continuiste, ce que Marx, entraîné au calcul différentiel, faisait sans aucun doute - infiniment petite) doit amener le propriétaire foncier à la confier à un fermier capitaliste au lieu de la laisser en friche. Ainsi, pas plus que la théorie de Ricardo, la théorie de Marx n'arrive à rendre compte de l'existence constatée dans les faits (par les statisticiens) d'une rente foncière absolue, qui bien loin d'être infiniment petite est au contraire extrêmement lourde. Du moins, elle n'arrive pas à en rendre compte tant qu'elle poursuit, dans un cadre théorique nouveau, l'objectif de Ricardo : analyse de la rente foncière sans sortir du mode de production capitaliste." (P.PH.REY. Les alliances de classe p-45)

En fait, on peut se demander qui raisonne de manière continuiste sinon nos contradicteurs en chambre. Nos experts n'ont même pas remarqué que le problème qui est soulevé ce n'est pas celui de l'obtention d'une rente absolue par la propriété foncière en général, par la totalité des propriétaires fonciers, mais par les propriétaires fonciers des plus mauvais terrains.

La valeur de production de marché autour de laquelle gravite le prix de marché est déterminée par l'ensemble du capital accumulé placé dans les conditions de production les plus mauvaises s'il satisfait de manière durable la demande sociale. Il faut donc que ces terrains soient nécessaires pour satisfaire le besoin social.

Nous avons rappelé maintes fois que la théorie de Marx était distincte et opposée à celle de Ricardo, mais il est bien évident que l'on ne peut demander aux idéologues bourgeois de comprendre une telle différence, tous les coups de pied au cul du monde ne permettraient pas une telle adhésion. S'il est un domaine où les prix de marché fluctuent avec des écarts relativement importants autour de la valeur de production de marché c'est bien l'agriculture où le volume de production pour un capital avancé donné est particulièrement erratique. La mise en culture des terres étant laissée à l'initiative privée, les fluctuations du prix de marché ont tendance à motiver la mise en culture ou le retrait des terres suivant que les prix de marché sont en hausse ou en baisse. A travers ces fluctuations il existe une valeur de production de marché moyenne à laquelle correspond à un moment donné une demande sociale (nous avons parlé plus longuement de ces questions ci dessus). Si, à la suite d'une faible hausse du prix de marché, des terrains de qualité inférieure sont mis en culture, la valeur sociale ne se formera sur eux que s'ils participent de manière durable à la détermination du besoin social, dans ce cas le prix de marché s'élèvera durablement et oscillera autour de la nouvelle valeur, par la suite le propriétaire foncier pourra consolider son pouvoir et obtenir l'intégralité de la rente foncière absolue (sur son terrain) ce qui ne veut pas dire que les autres propriétaires fonciers n'obtiennent pas cette rente. A supposer que les propriétaires fonciers des terrains les plus mauvais n'obtiennent pas et ne parviennent jamais à obtenir la rente absolue ou du moins l'intégralité de celle-ci, cela signifie que la valeur sociale ne se forme pas sur ceux-ci mais sur les terrains de la qualité juste supérieure. Ce sont ces terres qui constituent la référence pour indiquer les conditions de production les plus mauvaises et le prix de marché oscille autour de la valeur de production de marché qui se forme sur la base de celles-ci. Les propriétaires fonciers de ces terres et ceux des terres de qualité supérieure peuvent obtenir la rente absolue.

L'ensemble du capital participe à la détermination de la valeur de production de marché régulatrice du prix de marché, laquelle se forme sur le plus mauvais terrain s'il satisfait la demande sociale. Si le terrain le plus mauvais ne fournit pas une part suffisante de la production les terrains immédiatement supérieurs deviendront les terrains sur lesquels se formera la valeur de marché. (Storch avait déjà montré ce fait cf. LIII. T3 p.49 ES). Les propriétaires des terrains les moins fertiles ne réaliseront la totalité de la rente absolue ou approximativement la totalité, que dans la condition où le prix de marché gravite autour de la valeur individuelle des marchandises produites sur ces terrains. Si nous reprenons l'exemple que nous avons développé dans le chapitre précédent, nous pouvons supposer, ce que fait Marx, un cas où la mine I, la mine la moins productive ne serait pas éliminée bien que la valeur de marché soit déterminée sur la base des conditions de production de la mine II pour laquelle l'on supposera également une situation inchangée, c'est-à-dire qu'au lieu de réduire sa production de moitié, comme nous l'avons admis précédemment, le capital avancé sur ce type de mine demeurera le même qu'auparavant. Dans ce cas, qui suppose avec la baisse de la valeur de marché désormais fixée sur la mine II, une forte extension de la demande, nous aurions le tableau suivant.

 

Catégorie .

Capital

Rente absolue

Tonnes produites

Valeur

marchande par tonne

Valeur . individuelle

Val. Totale

Rente différentielle.

I

II

III

IV

100

100

100

100

0,8

10

10

10

60

65

75

92,5

1,8

1,8

1,8

1,8

2

1,8

1,6

1,3

110,8

120

138,4

170,8

0

0

18,4

50,8

Total

400

30,85

292,5

 

 

540

69,2

 

Marx après avoir répété (n'est-ce pas M. Le Floch ?) que la rente absolue[lxxviii] est indépendante des différences de fertilité ajoute que la rente absolue :

« reste donc toujours la même dans le tableau quelles que soient les variations dans la fertilité des mines de charbon et donc dans la productivité du travail ... Quant à savoir si cette rente absolue est selon la diversité des degrés de fertilité toujours payée en totalité ou en partie seulement cela va apparaître dans la suite de l'analyse du tableau. » (Théories sur la plus-value p.310)

Comme on peut le constater dans le tableau ci-dessus, la baisse de la valeur de marché s'est traduite par une brusque extension de la demande qui permet encore à la mine A de rester en activité malgré la baisse du prix. Le capital est de 400 (100 F sur chaque mine). Le rapport entre l'industrie et l'agriculture ne s'est pas modifié et donc le taux de profit moyen est toujours de 10 %. Le taux de la rente absolue n'a pas changé, il est de 10% pour le capital qui participe à la détermination de la valeur de production de marché. Ce n'est pas le cas de la mine A qui fait ici uniquement l'appoint étant donné la forte augmentation de la demande. Sur les mines A,B,C et D les propriétaires obtiennent une rente absolue de 10 conforme au taux général de la rente, 10 %. Par contre, du fait de la baisse du prix de marché qui désormais gravite autour de la nouvelle valeur de marché, le propriétaire de la mine A ne peut obtenir la totalité de la rente absolue qui désormais s'élève à 0,8 soit une chute conséquente de 9,2 F alors que les autres propriétaires obtiennent la totalité de la rente absolue. Par conséquent, même si la plus mauvaise mine ne parvient pas à obtenir la totalité de la rente absolue, les propriétaires de mines de qualité supérieure peuvent, eux, se l'approprier. La conception du programme communiste va donc strictement à l’encontre des positions ricardiennes adoptées par Bortkiewicz et Cie.

L'ensemble des propriétaires ne recevront de la rente absolue que si tout le sol cultivable est affermé, or l'extension et la rétractation des terres cultivées est fonction de nombreux facteurs qui font que les capitalistes peuvent ici concurrencer les propriétaires fonciers et tout particulièrement ceux qui sont propriétaires des plus mauvais terrains lesquels ne peuvent pas toujours toucher la totalité de la rente absolue.

Si Marx réduit par avance à néant les objections ricardiennes d'un Bortkiewicz, l'on ne peut qu'admirer la capacité de M. Ernest Mandel à comprendre dialectiquement les phénomènes de la production capitaliste lorsqu'il affirme que Bortkiewicz aurait raison "logiquement" mais pas "historiquement". Ainsi la théorie n'expliquerait pas l'histoire et irait à son encontre; belle théorie que celle-ci, qui n'aurait d'autre intérêt que de permettre à M. Mandel d'écrire de nombreux ouvrages dans lesquels il démontre qu'il n'a pas compris un traître mot du programme communiste.

22.2.2                    Taux de profit agricole et taux de profit industriel.

Comme nous l'avons vu, pour que la rente absolue puisse exister, il faut que l'action de la propriété foncière intervienne sur une base économique (sur laquelle d'ailleurs cette propriété foncière n'est pas sans effet) dans laquelle le taux de profit agricole est supérieur au taux de profit industriel, la différence entre les deux taux constituant le taux de la rente absolue. Le raisonnement que peut faire un révisionniste est alors fort simple : si le taux de profit agricole ne se maintient pas de manière durable au-dessus du taux de profit industriel, alors adieu rente absolue !

On espère ainsi, en anéantissant une partie de la théorie révolutionnaire, en anéantir par la même occasion le but et terrasser ainsi le monstre révolutionnaire. En bon prototype de ces révisionnistes, nous trouvons une déjà vieille connaissance, M. Le Floch. Celui-ci reproche à Marx de ne considérer que la différence de composition organique entre l'agriculture et l’industrie, pour déterminer la rente absolue. Or, objecte Le Floch, le taux de profit ne dépend pas seulement de la composition organique, d'autres éléments interviennent, notamment la vitesse de rotation du capital variable dans la détermination de ce taux. Dans l'agriculture où le temps de production diffère profondément du temps de travail, la réalisation du capital est liée aux cycles naturels, le retour du capital variable entre les mains des capitalistes ainsi que les autres capitaux se fera au bout d'une période de temps plus grande que dans l'industrie, et cela pèse sur le taux de profit agricole qui de ce fait peut se retrouver plus bas que dans l'industrie. Par conséquent, conclut Le Floch, la théorie communiste de la rente absolue ne serait pas seulement conditionnée par la différence des compositions organiques. Elle serait de ce fait rendue fragile, la plus grande hauteur du taux de profit agricole par rapport au taux de profit industriel devenant parfaitement aléatoire. Si l'on tient compte de tous ces aspects, le taux de profit agricole peut aussi bien être au-dessus qu'au-dessous du taux de profit industriel et la rente absolue telle que la conçoit le programme communiste devient tout à fait hypothétique.

Là encore nous pouvons constater que M. Le Floch fait preuve d'une admirable mauvaise foi et se montre prêt à n'importe quelle falsification pour faire aboutir son point de vue. Nous avons rappelé que 4 facteurs influençaient le taux de profit, et Marx ne les ignorait pas.[lxxix]

Il a répertorié les facteurs qui agissaient à l’encontre d'une supériorité du taux de profit agricole sur le taux de profit industriel, aussi en conclut-il que la différence des taux de profit ne saurait être un phénomène épisodique facilement remis en cause, ne serait-ce que sous l'effet des fluctuations des prix des matières premières, mais un phénomène durable qui se traduit par un retard de l'agriculture sur l'industrie, une moindre productivité du travail agricole par rapport au travail industriel. Or, les facteurs qui viennent d'être mentionnés sont, indépendamment de l'existence de la propriété foncière, des facteurs défavorables au développement capitaliste de l'agriculture, la longueur de la période productive, la rotation plus longue du capital, l'instabilité des prix soumis aux aléas climatiques, sont des obstacles à la pénétration du capital dans l’agriculture et contribuent à fixer le retard de celle-ci par rapport à l'industrie. A cela s'ajoute le rôle de la propriété foncière qui dresse une barrière devant le libre investissement du capital dans la sphère agricole.

Le retard du développement des forces productives dans l'agriculture se traduit par une composition organique du capital plus élevée dans l'industrie, la part du capital variable étant plus grande dans l'agriculture, par contre la part du capital fixe dans le capital constant est plus faible. Si le taux de profit agricole est plus élevé, cela ne résulte pas de simples causes fortuites qui pourraient être éliminées du jour au lendemain, mais d'un retard qui s'exprime dans la différence des compositions organiques. Par conséquent, la différence entre les taux de profit n'est pas occasionnelle, elle provient de ce que la force productive du travail agricole est relativement plus faible que celle de l'industrie.

Ici encore, l'écart entre l'agriculture et l'industrie ne doit donc pas être envisagé seulement sous l'angle quantitatif mais aussi sous un angle qualitatif, celui d'un retard du développement des forces productives dans l'agriculture par rapport à l'industrie. Le taux de profit y est alors plus élevé, c'est pour cela que Marx pouvait conclure ainsi son aperçu sur les éléments qui influencent le taux de profit :

« Donc en ce sens même si pour les raisons indiquées la masse de la plus-value est relativement moindre qu'elle serait en employant le même nombre de personnes dans l’industrie -ce -dernier facteur étant d'ailleurs partiellement annulé à son tour par la baisse du salaire au-dessous du niveau moyen - le taux de profit peut être plus élevé que dans l'industrie. Hais s'il existe dans l'agriculture des facteurs...qui puissent augmenter le taux de profit non pas temporairement mais en moyenne par rapport à l’industrie, la seule existence des Landlords ferait que ce surprofit - au lieu d'entrer dans la péréquation du taux général de profit - se consoliderait et reviendrait au Landlord. » (TSPL t.II p.14)

Emporté par son élan, M. Le Floch qui sait que tout bon travail universitaire se mesure aussi au cubage de papier imprimé, s'empresse de reprocher à Marx de ne pas faire participer la plus-value agricole à la détermination du taux général de profit. Le taux de profit agricole subirait alors passivement l'évolution du taux de profit industriel et n'aurait pas d'influence sur le taux général de profit.

Cette attaque, outre son extrême faiblesse, est totalement dénuée de fondement. En fait, Le Floch est obligé de l'introduire en contrebande pour pouvoir édifier sa propre "théorie" qui, nous le verrons n'est qu'un amalgame de vieilleries que le programme communiste a depuis longtemps totalement réduites en poussière. Qui plus est, Le Floch vient se casser les dents sur l'un des points les plus solides de la théorie révolutionnaire.

Tout d'abord, il est totalement faux de dire qu'une modification du taux de profit agricole n'aurait pas d'influence sur le taux de profit général. En effet, une modification dans les prix des produits agricoles aurait des conséquences aussi bien sur la valeur de la force de travail et donc sur la plus-value, que sur la valeur du capital constant. Par conséquent, le taux de la plus-value et/ou la composition organique du capital seraient modifiés. Le taux de profit industriel n'est donc pas indépendant des changements qui interviennent dans le taux de profit agricole et les prix des produits agricoles. D'autre part, nous verrons plus tard qu'il faut prendre en compte l'influence que peut exercer sur le taux de profit industriel la rente des autres productions agricoles et donc là encore les deux sphères ne sont pas séparées, mais réagissent l'une sur l'autre.

Contre Ricardo qui pensait que c'était plutôt le taux de profit agricole le taux régulateur de l'industrie, Marx objecte que cela va à l’encontre de l'évolution historique. Ricardo raisonnait ainsi :

« Le produit du sol le moins bon est vendu à sa valeur et ne paie pas de rente. Nous voyons donc ici combien de valeur extra reste au capitaliste après déduction de la portion de valeur qui est un simple équivalent pour le travailleur. Et cette valeur extra est le profit. Cela repose sur l'hypothèse que prix de production et valeur sont identiques, donc que ce produit puisqu'il est vendu au prix de production est vendu à sa valeur. » (Marx. TSPL T.II p.557)

Marx poursuit :

« Historiquement et théoriquement c'est faux. J'ai montré que partout où existent production capitaliste et propriété foncière, le sol (ou la mine) de la catégorie la moins bonne ne peut pas payer la rente...Parce que justement cette valeur marchande couvre seulement son prix de production. Mais ce prix de production qu'est-ce qui la règle ? Le taux de profit du capital non agricole, dans la détermination duquel entre naturellement aussi le prix du blé, bien qu'évidemment ce dernier soit loin d'être seul à le déterminer. L'affirmation de Ricardo ne serait juste que si la valeur et le prix de production étaient identiques. Sur le plan historique aussi, qui voit apparaître la production capitaliste plus tard dans l'agriculture que dans la manufacture, c'est le profit industriel qui détermine le taux de profit agricole et non l'inverse. » (Marx. TSPL p.558 t.2)

De la même manière, dans le chapitre consacré à la désagrégation de l’école de Ricardo, dans les Théories sur la plus-value, Marx critique le disciple de Ricardo, J.S Mill qui reprenait la position selon laquelle le taux de profit agricole règle le taux des autres profits.

« Ce qui est foncièrement faux puisque la production capitaliste commence dans l'industrie et non pas dans l’agriculture et ne s'empare de cette dernière que peu à peu de sorte que c'est seulement avec les progrès de la production capitaliste que les profits agricoles s'alignent sur les profits industriels et c'est seulement par suite de cette égalisation - donc en présupposant un développement de l'agriculture tel que le capital selon le taux du profit se jette de l'industrie sur l'agriculture et vice et versa-il est également faux qu'à partir de ce moment les profits agricoles auraient une fonction régulatrice se substituant à l'influence réciproque des uns sur les autres -. » (Marx. TSPL t.II p.113)

La misérable critique de Le Floch n'a aucune consistance historique ni théorique, elle est seulement là pour justifier une théorie dont on pourra apprécier l'intérêt ultérieurement (dans notre prochain numéro sur la question agraire).

22.2.3                    Le minimum et le maximum.

Nos ennemis ne sont jamais à court d'arguments, quand ils en manquent, ils cherchent n'importe quel prétexte. Nous avons vu que M. Le Floch faisait partie de cette race de chercheurs. Revenons maintenant à Bortkiewicz. Celui-ci, poursuivant un peu dans la même veine que celle exposée au début de ce chapitre, continue d'attaquer le programme communiste.

Il est de ceux qui affirment que la rente absolue ne peut avoir de niveau d'équilibre, c'est-à-dire que le prix de marché des produits agricoles ne peut pas, de manière durable, avoir pour centre autour duquel il gravite, la valeur de ceux-ci. Cette situation, qui est due à l'action de la propriété foncière, qui, en empêchant le libre investissement des capitaux dans l'agriculture favorise la vente des produits agricoles autour de leur valeur est donc niée par Bortkiewicz et Cie. Pour eux, la rente absolue doit forcément tendre vers zéro. Si la concurrence des fermiers entre eux fait monter la rente absolue, la concurrence des propriétaires fonciers l'abaisse. « Si la rente ne dépendait que de la propriété foncière, elle aurait été ramenée, par suite de cette concurrence, à des niveaux vraiment insignifiants. Dans ce cas la propriété foncière aurait été non pas la cause de la rente, mais la cause de son effondrement. » (Vergopoulos. La question paysanne et le capitalisme p.93)

En fait, les propriétaires possèdent un avantage sur les fermiers : leur droit de propriété leur confère la possibilité de retenir leur terre, rien ne les empêchant de ne pas les mettre en culture.

« Même en Angleterre une grande partie du sol est soustraite artificiellement à l'agriculture, partant au marché en général pour faire monter la valeur de l'autre partie. » (Marx TSPL p.367)

Le capitaliste ne dispose pas du même moyen de pression, en retirant le capital de l'agriculture, l'effet obtenu serait l’inverse de celui recherché, le prix de marché s'élèverait rapidement si la demande reste la même. D'autre part, la concurrence que peuvent se faire les propriétaires fonciers n'est pas uniforme ; les terres dont ils disposent ne sont pas de la même fertilité et n'ont pas la même situation et, par conséquent, les propriétaires des plus mauvaises terres ne pèsent pas le même poids que ceux des terres de qualité supérieure. Par conséquent, même en réduisant leur rente absolue à zéro, les propriétaires des plus mauvais terrains ne parviendront pas nécessairement à supplanter les propriétaires des terrains de qualité supérieure. De ce fait, l'on peut expliquer que la rente absolue continue à se maintenir à un niveau substantiel tout en constatant l'abandon et l'isolement de certaines terres. La possibilité d'un usage multiple de la terre, aussi bien dans son usage agricole (production de céréales ou de bétail, de diverses céréales, etc.) que dans les rapports qui témoignent de l’antagonisme entre la ville et la campagne (possibilité de voir la rente se gonfler au contact des zones urbaines) favorisent également les propriétaires fonciers. Enfin, les caractéristiques des terrains relatives à la fertilité et à la situation ne sont pas figées et évoluent avec l'histoire et le développement des forces productives et modifient les rapports de concurrence entre les propriétaires fonciers. Aussi, les terres laissées à l'abandon retrouveront peut-être une utilisation qu’elles ont déjà connue, sinon elles ne peuvent trouver un emploi que dans l'urbanisation, une autre spécialisation agricole, elles peuvent encore être boisées ou gardées pour la chasse ou la fantaisie des propriétaires fonciers.

« Il n'y a rien de plus absurde que d'affirmer que le propriétaire foncier ne peut pas retirer ses acres du marché tout comme le capitaliste retire son capital d'une branche de production. La meilleure preuve en est la quantité de terre fertile qui, dans les pays les plus développés de l’Europe comme l'Angleterre, est en friche, la terre qui est soustraite à l'agriculture pour être placée dans la construction de chemins de fer ou d'immeubles ou qui est mise en réserve à cette fin, ou dont son Landlord fait un champ de tir ou une chasse comme en Haute Ecosse etc. La meilleure preuve : le vain combat des ouvriers anglais pour mettre la main sur les terres en friche." (Marx, p.351 T.II TSPL)

La répartition des terres entre les diverses utilisations du sol a évolué ainsi pour la France (Dans ce domaine également les statistiques ont à accueillir avec précautions.).

 

Catégories d'espace (en milliers d'ha);

1862

1929

1950

1972

Terres labourables

26 569

21 768

18 573

16 675

Cultures permanentes

2 823

2 573

2 710

2 323

Surface toujours en herbe.

8 567

10 890

12 279

13 883

Bois et forêts

9 317

10 406

11 202

14 279

Landes et friches

3 000

5 086

5 687

2 833

Territoires non agricoles

4 032

3 682

4 709

4 915

Surface totale

54 308

54405

55160

54908

 

L'on peut constater que près de 40% des terres -voire plus, rien ne dit finalement qu'il s'agit toujours des mêmes - autrefois terres labourables, donc plus de 10 millions d'hectares ont reçu une autre affectation; 5 millions d'hectares servent de pâturages, témoignant de l'accroissement de l'élevage. Cette part croissante de l'élevage (prévue par le programme communiste comme nous l'avons vu) a aussi une influence sur la culture des terres labourables, une partie toujours plus grande des céréales étant destinée à l'alimentation du bétail. 5 Millions d'hectares ont également été boisés, le territoire non agricole s'accroissant de moins de 1 million d'hectares[lxxx].

Dans le territoire non agricole, l'on peut distinguer (année 1973).

 

Bâti et à bâtir

   848 milliers ha

Usages industriels

   102 milliers ha

Voies de communication

   924 milliers ha

Espaces vert, Terrains d'agrément

   819 milliers ha

Autres

1 898 milliers ha

Total

4 591 milliers ha

 

Nous pouvons donc constater que les propriétaires fonciers ont pu convertir leurs terres, qu'une partie non négligeable reste en friches et donc que la propriété foncière a été capable de mettre en oeuvre son monopole en obtenant une rente absolue égale à la différence entre la valeur et le prix de production du produit agricole. Plus exactement, le monopole de la propriété foncière, de la propriété foncière modifiée par le mode de production capitaliste est venu empêcher que la valeur des produits agricoles à laquelle est vendue le produit dans les modes de production pré-capitalistes et au début du MPC ne se transforme en prix de production.

« La transformation des valeurs en prix de production nest que la conséquence et le résultat du développement de la production capitaliste. A l'origine (dans la moyenne des cas) les marchandises sont vendues à leur valeur. Dans l'agriculture, la propriété foncière empêche que l'on ne s'écarte de cette règle. »(Marx. TSPL p.387 t.2)

Si nous nous sommes débarrassés des critiques sur la limite minimum de la rente absolue, il existe un pendant symétrique que d'ailleurs les adversaires du programme communiste utilisent sans discernement avec pour seule logique celle d'abattre la théorie prolétarienne. Ils ont autant d'arguments pour affirmer à la fois qu'elle est obligée de tendre vers zéro et vers l'infini. En raisonnant très sommairement l'on pourrait penser que ces arguments, étant de sens opposés, s'annulent de manière à ce que le prix de marché des produits agricoles ait pour centre la valeur marchande. Pour les théoriciens bourgeois et révisionnistes l'objection est simple. Si la propriété foncière est à même de créer de la rente pourquoi s'arrêterait-elle à la valeur et ne ferait-elle pas monter les prix des produits agricoles au-dessus de celle-ci. Avec leur mauvaise foi habituelle ils font comme si Marx ne s'était pas posé la question et n'y avait pas répondu.

« On pourrait cependant poser la question suivante : si la propriété foncière confère le pouvoir de faire vendre le produit au-dessous de son prix de production, à sa valeur, pourquoi ne confère-t-elle pas aussi le pouvoir de le faire vendre au-dessus de sa valeur, donc à un prix de monopole quelconque ? Dans une petite île où il n'existerait pas de commerce extérieur de céréales, les grains, produits alimentaires, pourraient être vendus comme n'importe quel produit à un prix de monopole, c'est-à-dire à un prix limité seulement par l'état de la demande, c'est-à-dire de la demande solvable, et cette demande solvable est d'importance et d'extension très variables suivant le niveau du prix offert. » (Marx. TSPL t.II p.387)

Si, dans les pays les plus avancés, la propriété foncière doit pour partie rester en friche, le prix de la partie affermée pouvant ainsi augmenter, c'est que la tendance qui est contrecarrée n'est pas celle d'un prix de monopole par lequel la propriété foncière serait maîtresse du jeu. Comme nous l'avons vu, la forme historique spécifique de la propriété foncière que nous étudions surgit alors que les produits agricoles sont vendus à leur valeur; elle a alors le pouvoir non pas de faire vendre les produits agricoles au-dessus de leur valeur, mais d'empêcher que cette valeur se convertisse en prix de production. Le monopole de la propriété foncière a donc des limites évidentes.

« Il est limité par l'importance des capitaux additionnels investis dans les anciennes terres, par la concurrence des produits agricoles étrangers (dont l'importation est supposée libre) par celle des propriétaires fonciers entre eux et enfin par les besoins et la solvabilité des consommateurs. » (Marx. Capital. Oeuvres t.2 p.1369)

Supposons une situation exceptionnelle au cours de laquelle les rapports entre les classes soient modifiés de telle manière que les propriétaires fonciers puissent imposer une augmentation substantielle de la rente absolue. La rente serait alors au-dessus, et de manière durable, de celle qui résulte de la différence entre la valeur et le prix de production du produit agricole.

Si les conditions très particulières, et qui n'existent pas dans les pays capitalistes les plus développés, n'étaient pas réunies pour que le prix de marché s'élève et se maintienne durablement au-dessus de la valeur, alors c'est le taux de profit des capitalistes de l'agriculture qui serait abaissé, celui-ci ne pouvant que difficilement s'abstraire de la domination de la loi de la valeur. Le prix de marché des produits agricoles ne s'élèverait que de peu, le taux de profit baisserait en relation avec l’augmentation de la rente absolue. Le développement du capitalisme dans l'agriculture stagnerait jusqu'à ce que les nouveaux rapports entre la valeur et le prix de production du produit agricole soient conformes à la nouvelle rente absolue. Cette situation exige de sérieux bouleversements politiques et sociaux au cours desquels la classe des propriétaires fonciers aurait la suprématie dans l'Etat. Cette phase ne correspond donc pas à la tendance du MPC qui voit se développer la phase de soumission réelle du travail au capital. Elle suppose aussi une forte distinction entre les divers bénéficiaires de la plus-value alors qu'avec les progrès de l'accumulation capitaliste les différentes fractions industrielle, commerçante et financière de la bourgeoisie, ainsi que les propriétaires fonciers s'interpénètrent progressivement.

« Le mode de production capitaliste une fois présupposé, le capitaliste n'est pas seulement un agent nécessaire, mais l'agent dominant de la production. Par contre dans ce mode de production, le propriétaire foncier est tout à fait superflu. Tout ce qui est nécessaire pour lui est que le sol ne soit pas propriété commune, qu'il affronte la classe ouvrière comme condition de production ne lui appartenant pas et ce but est parfaitement atteint lorsqu'il devient propriété de l'Etat, donc lorsque c'est l'Etat qui perçoit la rente foncière. Le propriétaire foncier, agent essentiel de la production dans le monde antique et médiéval est dans le monde industriel une excroissance inutile. Le bourgeois radical tout en louchant d'un oeil vers la suppression de tous les autres impôts en arrive ainsi sur le plan théorique, à nier toute propriété privée du sol, dont il voudrait faire, sous la forme de propriété d'Etat, la propriété commune de la classe bourgeoise, du capital. Dans la pratique cependant, il n'en a pas le courage car la contestation d'une forme de propriété - d'une des formes de la propriété privée des conditions de travail - serait très risquée pour l'autre forme. En outre, le bourgeois lui-même a acquis de la fortune territoriale. » (MARX. TSPL T.II p.42)

Par conséquent, le bourgeois est devenu propriétaire foncier et le propriétaire foncier a pu devenir un bourgeois en investissant une partie des rentes dans l'industrie, le commerce ou la finance, les différences entre les deux classes s'estompent au fur et à mesure qu'elles s'interpénètrent. D'autre part, le mouvement de la production capitaliste, en séparant la propriété de la fonction du capital, tend à placer la bourgeoisie vis-à-vis du capital dans la même position que les propriétaires fonciers vis-à-vis de la terre. Ils deviennent sous cet aspect superflus avec le développement du MPC.

« Les capitalistes en tant que fonctionnaires du procès, qui simultanément accélère cette production sociale et par là le développement des forces productives, deviennent superflus dans la mesure même où par procuration de la société, ils s'adonnent à la jouissance et voient leur importance artificiellement gonflée, en tant que propriétaires de cette richesse sociale et personnes commandant le travail social. Il en va d'eux comme des féodaux dont les titres avec la montée de la société bourgeoise se transformaient en simples privilèges anachroniques et sans objet dans la mesure même où leurs services deviennent superflus, ce qui précipite leur perte. » (Marx. Capital Livre III t.2 p.367)

22.2.4                    La disparition de la rente absolue.

La possibilité dans un pays où domine la production capitaliste d'investir des capitaux sans payer de rente n’existe que dans un nombre de cas limités dont certains ne sont que des cas particuliers. Ce phénomène se produit si le propriétaire foncier et le capitaliste ne font qu'un. Dans ce cas, le propriétaire n'oppose pas de résistance à l'investissement du capital.

Le capitaliste « peut traiter la terre comme un simple élément naturel et se laisser guider exclusivement par le désir d'accroître son capital, par des considérations purement capitalistes. Ces cas existent en pratique, mais ce sont des exceptions. De même qu'elle suppose la séparation du capital actif et de la propriété foncière, l'agriculture capitaliste exclut généralement l'exploitation directe du sol par le propriétaire foncier. Il saute aux yeux qu'un tel cas est accidentel. » (Marx. Capital in. Oeuvres t.2 p.1363).

Ce n'est que si ce rapport très particulier entre capitalistes et propriétaires fonciers était intégralement généralisé que la propriété foncière ne serait pas un obstacle au libre investissement du capital. La rente absolue n'existerait pas[lxxxi] (l). Seule la rente différentielle existerait, mais sa manifestation n'apparaîtrait qu'avec la vente des terres dont "le prix n'est pas autre chose que la rente capitalisée. Sous cet angle le capitaliste propriétaire serait relativement désavantagé par rapport aux capitalistes des autres secteurs, puisqu'il lui faudrait avancer de quoi acheter la terre, cette partie du capital étant alors soustraite au capital productif. Ce capital mettrait donc en oeuvre relativement moins de capital productif, de capital dont la mise en oeuvre permet d'arracher au travail vivant le maximum de plus-value, l'autre partie immobilisée dans l'achat de la terre ne rapportant que l'équivalent d'un intérêt sous forme de rente. Même si la propriété privée de la terre est souvent le fait d'exploitants, cette forme n'est pas généralisée dans les pays capitalistes et la rente foncière absolue et différentielle s'y manifeste autrement que par le jeu du prix de la terre.

Mentionnons deux autres cas dont l'importance n'est pas la même.

1°/ La possibilité qu'une parcelle de qualité inférieure aux terrains sur la base desquels se forme la valeur de marché, soit affermée. Pour cette partie du terrain, le propriétaire foncier n'obtiendrait pas de rente. Ce cas d'espèce peut survenir lorsqu'une parcelle de terrain de mauvaise qualité est comprise dans un lot de terres plus important. Dans ce cas le propriétaire demande une rente globale qui ne tient pas compte de la parcelle contenue dans cet ensemble. Il s'agit là de cas tout à fait particuliers qui n'intéressent pas la théorie de la rente en général pour laquelle ce genre de spécificités ne rentre pas en compte.

2°/ Comme nous l'avons déjà fait remarquer, pendant toute la durée du bail la propriété foncière n'offre pas de résistance à l'investissement du capitaliste, il peut; ainsi s'approprier les surprofits éventuels.

Si, donc, la durée du bail est l'enjeu d'une lutte farouche entre les capitalistes et les propriétaires fonciers, elle a pour base l'existence de la rente absolue et différentielle. A l'issue du bail, le propriétaire foncier pourra fixer la rente en fonction du niveau général de la rente absolue, de la hauteur du capital éventuellement incorporé dans le sol, et du niveau de la rente différentielle atteint. S’il existe une liaison entre la rente différentielle II et la rente absolue, comme nous l'avons vu, elle suppose par définition l'existence de la rente absolue.

En dehors de ces cas, qui peuvent se développer sur la base d'une production capitaliste avancée et où la propriété foncière existe non seulement légalement, c'est-à-dire que le sol est possédé, mais est capable d'offrir une résistance au libre investissement du capital en ne lui cédant les terres que sous certaines conditions, deux éventualités sont à envisager, lors de la colonisation, où, bien que la possession du sol puisse exister, la propriété foncière n'offre pas de résistance à l'investissement du capital.

« L'existence de la rente foncière absolue ne présuppose pas seulement la propriété foncière, c'est la propriété foncière présupposée, c'est-à-dire la propriété foncière conditionnée et modifiée par l'action de la production capitaliste. Cette tautologie ne tranche en rien la question, puisque nous expliquons justement la fonction de la rente absolue par la résistance que la propriété foncière oppose dans l’agriculture à la péréquation capitaliste des valeurs des marchandises à des prix moyens. Si nous abolissons cette action de la propriété foncière - cette résistance, la résistance spécifique à laquelle se heurte la concurrence des capitaux dans ce champ d'actions, nous abolissons du même coup l'hypothèse selon laquelle il existe une rente foncière. » (Marx. TSPL t.II p.346)

De telles conditions peuvent exister dans les colonies ou lors de la colonisation. Parmi celles-ci, nous devons distinguer les colonies de peuplement, où des colons apportent avec eux les rapports de production capitalistes, ces rapports ont d’ailleurs du mal à se stabiliser dans la mesure où la grande étendue de terres encore libre gêne la fixation du rapport capital salariat, les ouvriers pouvant se transformer en petits cultivateurs, ce qu'ils firent. L'exemple typique est constitué par les Etats-Unis d'Amérique où la terre devenait formellement propriété privée, le gouvernement la distribuait pour une somme infime qui n'était pas assimilable à une rente absolue, mais plutôt à un impôt pour avoir le droit de s'installer comme cultivateur, bref cette somme devait être assimilée à une patente et non à une rente absolue. Cependant, à partir du moment où l'ensemble du territoire va être colonisé et où la terre est un monopole privé et devient limitée, où les rapports de production capitalistes e'étendent à l'agriculture, la rente absolue peut apparaître s'il existe une différence positive entre la valeur et le prix de production du produit agricole.

« La masse des colons cultivateurs, bien qu'ils apportent de la métropole des capitaux plus ou moins importants n'est pas une classe de capitalistes, pas plus que leur production n'est capitaliste. Ce sont plus ou moins des paysans travaillant eux mêmes qui ont en premier lieu pour tâche principale d'assurer leur propre entretien, leurs moyens de subsistance, … L'autre partie des colons, la plus faible, celle qui s'installe au bord de la mer, sur des fleuves navigables, forme des villes commerçantes. On ne saurait absolument pas encore parler ici de production capitaliste. Si celle-ci se constitue peu à peu, si bien que la vente de ses produits et le bénéfice qu'il retire de cette vente deviennent des éléments décisifs, pour le fermier qui travaille lui-même et possède le sol, la première forme de colonisation continue et subsiste, aussi longtemps que la terre existe dans son abondance élémentaire, face au capital et au travail, aussi longtemps donc qu'elle reste un champ d'action illimité, … Ici donc se contrecarrent deux sortes de circonstances essentielles : la production capitaliste n'existe pas encore en agriculture; deuxièmement bien que légale, la propriété foncière n'existe encore en fait que de façon sporadique, à proprement parler n'existe que la possession du sol. Ou encore bien que la propriété foncière existe légalement, elle est encore - vu le rapport élémentaire entre le sol et d'autre part le capital et le travail - incapable d'offrir une résistance au capital, de transformer l'agriculture en un champ d'action qui offre une résistance spécifique à l'investissement du capital à la différence de l'activité non agricole. » (Marx. TSPL t.2 p.14)

Dans une étude consacrée à l’évolution du capitalisme dans l'agriculture américaine où Lénine défend l'orthodoxie révolutionnaire. Il note que la colonisation du territoire n'est pas encore achevée et que le gouvernement distribue toujours des terres gratuitement sous formes de lots (homesteads) de 160 acres (- 65 ha). Si la rente absolue est désormais constituée aux Etats-Unis, un débat similaire existe dans l'un des pays neufs de l'Amérique Latine, le Brésil où les fractions modernistes du stalinisme soutiennent qu'il n'y a pas de rente absolue.

Nous reviendrons sur ce point dans notre prochain numéro consacré à la question agraire.

Dans le deuxième type de colonies, caractéristique de la domination coloniale et donc de la forme de domination du marché mondial propre à la phase de soumission formelle du travail au capital, le capitaliste et le propriétaire foncier sont identiques et par conséquent il n'y a pas d'obstacle au libre investissement du capital, et pas de rente absolue. Le mode de production capitaliste y est encore impur, l'on a affaire à des capitalistes qui exploitent par exemple du travail servile et le surtravail se convertit en plus-value sur le marché mondial vers lequel est orienté la production.

« Dans le deuxième type de colonies -plantations- de prime abord des formes de spéculation commerciale produisent pour le marché mondial, c'est la production capitaliste qui existe, bien que formellement seulement, puisque l'esclavage des noirs exclut tout travail salarié libre, donc la base de la production capitaliste. Mais ce sont des capitalistes qui font marcher leur affaire avec des esclaves noirs. Le mode de production qu'ils introduisent n'est pas issu de l'esclavage, mais est greffé sur lui. Dans ce cas, capitalistes et propriétaires fonciers ne font qu'un. Et l'existence élémentaire du sol face au capital et au travail n'offre pas de résistance à l'investissement du capital, ni donc à la concurrence des capitaux. Il ne se développe pas ici une classe de farmers différents des landlords. Tant que dure cette situation, rien ne s'oppose à ce que le prix de production règle la valeur marchande. » (Marx. TSPL t.2 p.348)

En dehors de ces cas, il découle logiquement de la théorie de la rente absolue que celle-ci n'existerait plus si le taux de profit de l'agriculture sous l'effet de la hausse de composition organique du capital agricole an venait à être du même niveau que celui de l'industrie. Dans ce cas, il ne serait pas possible de dégager un surprofit dans la mesure où la différence entre les taux serait nulle. Par conséquent, si l'agriculture venait à rattraper complètement l'industrie sur laquelle elle retarde, la rente absolue s'évanouirait. Si, sur le plan théorique, il n'y a pas d'objection à faire, il faut encore intégrer dans le raisonnement le rôle de la propriété foncière et donc prendre en compte non seulement l'évolution de la base économique qui, tendanciellement va bien dans le sens de l’amenuisement de l’écart relatif entre le développement des forces productives de l'agriculture et de l'industrie, mais aussi l'influence de cette superstructure sur la base économique elle-même, ce que ne font pas les critiques du programme communiste. Comment alors s'interprète la disparition de la rente absolue dans le cadre de la méthode dialectique ?

II faut d'une part bien se rappeler que l'existence de la rente différentielle est indépendante de celle de la rente absolue, laquelle procède d'un autre monopole que celui de la propriété de la terre, comme le soulignait Lénine.

« D'abord nous avons le monopole de l'exploitation (capitaliste) du sol. Ce monopole résulte de la limitation de la terre (et par suite il existe nécessairement dans toute société capitaliste). La conséquence de ce monopole est que le prix du blé est déterminé par les conditions de la production sur la plus mauvaise terre, et le surprofit fourni par le capital engagé dans les meilleures terres ou par la dépense la plus productive du capital forme la rente différentielle. Cette rente se forme donc tout à fait indépendamment de la propriété foncière privée, qui permet seulement au propriétaire foncier de la retirer au fermier. En second lieu, nous avons le monopole de la propriété foncière privée. Ce monopole n'a avec le précédent aucune liaison nécessaire, ni logique ni historique. Ce monopole n'a rien d'indispensable pour l'organisation capitaliste de l'agriculture. D'une part nous pouvons très bien concevoir une agriculture capitaliste sans propriété foncière privée, et beaucoup d'économistes bourgeois conséquents ont réclamé la nationalisation du sol. D'autre part, nous rencontrons réellement une organisation capitaliste de l'agriculture sans propriété foncière privée, par exemple, sur les terres appartenant à l'Etat ou aux communes. Voilà pourquoi il est absolument nécessaire de distinguer ces deux sortes de monopoles et par conséquent, il est nécessaire d'admettre, à coté de la rente différentielle, l'existence d'une rente absolue, qui est engendrée par la propriété foncière privée. » (Lénine. La question agraire et les critiques de Marx.)

La bourgeoisie radicale est disposée à s'attaquer au monopole de la propriété foncière en nationalisant la terre, ce qui permettrait de supprimer l'un des obstacles au développement capitaliste de l'agriculture et de permettre l'entretien de l'Etat, la rente différentielle se convertissant en impôt.

« Par conséquent, l'abolition de la propriété privée de la terre est la suppression du maximum possible en société bourgeoise de toutes les barrières qui s'opposent au libre emploi du capital dans l'agriculture et au libre passage du capital d'une branche de production dans l'autre. La liberté, l'ampleur et la rapidité du développement du capitalisme, la pleine liberté de la lutte de classes, l'élimination de tous les intermédiaires superflus, qui font ressembler l’agriculture à une industrie "aux cadences infernales", voilà ce qu'est la nationalisation de la terre sous le régime de la production capitaliste. » (Lénine. Le programme agraire de la social-démocratie).

Toutefois, la crainte des conséquences d'un tel acte contre ses propres rapports de propriété fait que la bourgeoisie hésite, louvoie, et renonce à une attaque trop radicale contre la propriété foncière, ce d'autant plus que, d'une part la propriété foncière se trouve modifiée sous l'action de la production capitaliste, et que d'autre part la bourgeoisie et la propriété foncière s' interpénètrent. De révolutionnaire, la bourgeoisie est devenue conservatrice. Elle se trouve alors incapable d'abattre le monopole de la propriété foncière et donc de faire disparaître la rente absolue. Il arrive donc une période dans le cours du MPC où la bourgeoisie se trouve incapable d'affronter de manière radicale la propriété foncière afin de se débarrasser de son monopole et de ses conséquences. Cependant, tandis qu'avec le développement du MPC, la bourgeoisie perd son caractère révolutionnaire, les conditions matérielles pour que l'agriculture puisse prendre son essor et s'industrialiser, elles, apparaissent. Ce n'est en effet, nous l'avons vu, que lorsque la phase de soumission réelle du travail au capital est déjà parachevée dans l’industrie que se développent les sciences grâce auxquelles une industrialisation de l'agriculture peut être sérieusement envisagée. A partir de là, la classe capitaliste dispose d'une nouvelle arme grâce à laquelle elle peut concurrencer la propriété foncière (par des investissements additionnels : rente différentielle II) et peut ainsi, au travers d'affrontements qui se déroulent sur des années réduire au moins relativement la rente absolue. Cependant, bien que réduite, la rente absolue subsiste tant que subsiste la propriété foncière. Tant qu'elle conserve son monopole, il n'y aura pas un rattrapage complet de l'agriculture par rapport à l'industrie [lxxxii]

Lénine avait compris cela, lui qui voyait la bourgeoisie russe incapable d'accomplir sa mission historique. Aussi pensait-il que pour faciliter le développement du MPC dans l'agriculture il fallait supprimer le monopole de la propriété foncière, ce qui aurait ipso facto pour conséquence de supprimer également la rente absolue. Mais pour parvenir à ce résultat, il savait qu'il ne fallait pas moins qu'une révolution.

23.  Monsieur Le Floch bouleverse la science

 

La longue liste des critiques faites à Marx par Le Floch navaient qu'un but : lui permettre après avoir mis à bas l’édifice théorique du programme communiste de reconstituer une théorie de la rente absolue bouleversant la théorie économique. Nous avons vu que pour parvenir à ce résultat dont nous pourrons mesurer la profondeur, notre auteur était prêt à toutes les vilenies.

Ici, il amalgame la rente différentielle et la rente absolue, là il déclare que le taux de profit agricole n'influence pas le taux de profit général (au mépris de toute évidence). Mais notre héros n'en a cure; qui veut la fin veut les moyens, fussent-ils les plus éhontés. Le voilà donc foulant aux pieds le communisme révolutionnaire qu'il croit avoir réduit à l'état de cadavre, et posant la première pierre d'un gigantesque édifice théorique, d'une de ces nouvelles Tour de Babel dont l'économie politique vulgaire a le secret. Au diable la théorie de la valeur, au diable toute analyse de la base économique, pour Monsieur Le Floch la rente absolue résultera du monopole de la propriété foncière et variera en fonction du rapport de forces entre les classes et autres circonstances. Cette rente absolue sera prélevée sur la plus-value totale, la masse restante de la plus-value se répartissant entre les capitalistes de l'industrie et de l'agriculture au prorata des capitaux respectivement engagés.

Pour illustrer sa conception, Le Floch prend l'exemple suivant : Capital (I) agricole : 4 900 000 c + 100 000 v = 5 000 000

Capital (II) industriel: 19 900 000 c + 100 000 v =20 000 000

Le capital industriel est donc quatre fois plus grand que le capital agricole et la composition organique du capital est de 4,9 dans l'agriculture contre 10,9 dans l'industrie.

La plus-value produite est de :300 000 pour I (capital agricole) et 1 000 000 pour II (capital industriel) soit un taux d'exploitation de 3 pour l'agriculture et de 10 pour l’industrie[lxxxiii]

Du même coup, Le Floch contredit, par son exemple, tout ce qu'il a affirmé à propos du taux de profit et du taux de plus-value mais voyons un peu plus loin. Le taux de profit dans l'agriculture s'élève à 300 000 / 5 000 000 soit 6 % tandis que le taux de profit de l’industrie est de 1 000 000 / 20 000 000 soit 5 %

Sur le plan du capital total, la masse de la plus-value sociale s'élève à 1 300 000 pour un capital total de 25 000 000. Le Floch suppose que le montant de la rente absolue s'élève à 100 000. La plus-value restant alors à la disposition des capitalistes se monte à 1 200 000 qui, répartis au prorata du capital avancé par rapport au capital total donne 240 000 pour le capital agricole et 900 000 pour le capital industriel. Le taux de profit général est de 1 200 000 / 25 000 000 soit 4,8 % et chaque fraction du capital, l'industrielle comme l'agricole obtient le même taux de profit moyen de 4,8 % soit une masse de profit de 240 000 dans l'agriculture où le capital avancé est de 5 000 000 et 960 000 dans l'industrie pour un capital 4 fois plus grand (20 000 000).

Comme le remarque lui-même Le Floch « cette conception fait dépendre non la rente du taux de profit, mais au contraire le taux de profit de la rente ». Il a ensuite le front d'ajouter que sa théorie de la rente absolue doit être rapprochée de la théorie du taux d'intérêt développée par Marx, dans le sens où il n'existerait pas de taux naturel de l’intérêt tout comme il n'existerait pas de taux naturel de la rente foncière. Encore aurait-il fallu préciser que chez Marx le taux de l'intérêt est cependant déterminé par le taux de profit général tout comme il en est issu, tandis que la théorie de Le Floch suppose le contraire.

Il ne faudrait d'ailleurs pas s'imaginer que la théorie de Marx de la rente sépare l’établissement du taux de la rente de celui du taux de profit ; nous verrons plus bas l’interaction entre les deux. La théorie de Le Floch renverse cependant toute la perspective du programme communiste en faisant de la rente absolue une valeur planant au-dessus de la société et d'où dérive le taux de profit, il nie la loi de la valeur, de même qu'il nie toute la dialectique dans la détermination conjointe du taux général de profit et de la rente, le taux de profit général étant donné par la masse totale de la plus-value incluant la rente.

Si nous reprenons l’exemple de Le Floch et nous le soumettons à la critique de la théorie révolutionnaire, on en déduit alors que le taux de profit dans l'industrie est de 5% tandis qu'il s'élève à 6% dans l'agriculture. S'il y avait péréquation entre les taux de profit, si la propriété foncière ne mettait pas obstacle à l'égalisation des taux de profit, le taux général de profit qui s'établirait à la suite de cette égalisation serait de 5,2 %, l'agriculture obtenant un profit de 260 000 tandis qu'il s'élèverait à 1 040 000 dans l'industrie.

Le monopole de la propriété foncière entravant la péréquation des taux de profit le capital investi dans l’agriculture ne participe pas librement à la détermination du taux général de profit. Le taux général de profit serait alors, dans notre exemple, de 5 %, la différence entre le taux de profit dans l'agriculture et le taux général de profit constituant le taux de la rente foncière lequel doit s'appliquer au capital investi dans l'agriculture.

Le capitaliste dans l’agriculture, tout comme dans les autres branches, obtient le profit moyen soit 5% de 5 000 000 = 250 000, la différence entre le taux de profit dans l’agriculture et le taux de profit moyen constitue la rente absolue qui s'élève à 50 000. La différence entre la plus-value effectivement produite dans la sphère agricole et la masse de profit correspondant au taux de profit moyen obtenu par les capitalistes dans l’agriculture peut être abandonnée au propriétaire foncier. Tandis que, dans la perspective de Marx, la loi de la valeur est respectée, dans la conception de Le Floch, le produit agricole est vendu à 5 000 000 + 240 000 + 100 000 = 5 340 000. Par conséquent, le prix des produits agricoles sera non seulement au-dessus du prix de production. mais encore au-dessus de la valeur (ici 5 300 000). Le Floch se situe, de ce fait, dans la tradition la plus faible (avec bien sûr, la vulgarité en plus) de l'économie politique classique, celle qui envisageait exclusivement les prix agricoles comme des prix de monopole (Sismondi, Buchanan, par exemple) rejetant, du même coup, toute théorie de la valeur.

Voyons dans quelles conditions s'établit une rente de monopole.

 

24.   La rente de monopole

24.1    Bases pour l'apparition d'une rente de monopole.

Jusque-là, nous avons examiné les rentes qui surgissent sur la stricte application de la loi de la valeur, dans les conditions particulières de la sphère agricole (ou des mines). La terre en tant que moyen de production qui n'est pas reproductible, et étant monopolisable, c'est sur la base des plus mauvais terrains que se forme le prix de production régulateur du prix de marché.

De ce fait, sur les terrains de qualité supérieure se forme un surprofit qui se transforme en rente différentielle sous l’action de la propriété foncière. La rente différentielle provient de la cherté du produit agricole, ce n'est pas elle qui le renchérit. Par contre, la propriété foncière ayant le monopole de la terre, elle peut imposer dans certaines conditions qu'une rente lui soit versée même sur les plus mauvais terrains. Ce phénomène ne contredit pas la loi de la valeur. La propriété foncière, en dressant une barrière au libre investissement du capital, empêche la péréquation des taux de profit entre l’agriculture et les autres secteurs.

Comme pour des raisons à la fois historiques et tenant à la nature de la production capitaliste dans l’agriculture ainsi qu'à l'action de la propriété foncière, l'agriculture retarde sur l'industrie, le taux de profit est plus élevé dans la sphère agricole que dans la moyenne des autres sphères; la différence entre les deux, appliquée au capital avancé dans l’agriculture, autrement dit la différence entre la valeur et le prix de production du produit agricole constitue; la rente absolue.

Cette rente résulte du monopole de la propriété foncière et donc peut disparaître avec lui, par exemple si la terre est nationalisée, ce qui ne change rien au caractère capitaliste de la société; par contre la rente différentielle subsiste tant que dure le MPC.

Dans la mesure où la rente absolue est due au monopole de- la propriété foncière et que c'est celui-ci qui entraîne un renchérissement des produits agricoles, nous pouvons dire avec Lénine que « cette rente comporte un élément du monopole, un élément du prix de monopole »(Lénine-. Programme agraire de la social-démocratie p. 313)

Lénine ne faisait que s'appuyer sur un commentaire de Marx sur Smith :

« Chez Smith, l’accent est mis nettement sur le fait que c'est la propriété, le propriétaire, qui exige la rente en tant que propriétaire. Et en tant que pure et simple émanation de la propriété, la rente est prix de monopole-, ce qui est parfaitement juste, étant donné que ce n'est que par l’intervention de la propriété que le produit paie plus que le coût de production, se vend à sa valeur. »

« La rente de la terre considérée comme le prix payé pour l’usage de la terre est donc naturellement un prix de monopole » (Smith. Richesse des nations. C’est effectivement un prix que seul le monopole de la propriété peut parvenir à imposer et qui se distingue par le fait qu'il est le prix de monopole, du prix des produits industriels » (Marx)

Cependant la rente différentielle, comme la rente absolue ne constituent pas des dérogations à la loi de la valeur mais reposent sur sa stricte application. C'est ce qui faisait dire à Marx que « ces deux formes de la rente sont les seules normales. » (T.2 p.148) Par conséquent, nous réserverons les concepts de rente de monopole et de prix de monopole aux cas qui font exception par rapport à l’application normale de la loi de la valeur.

« En dehors d'elles (de ces deux formes précitées NDR) la rente ne peut découler que d'un prix de monopole proprement dit que ne déterminent ni le prix de production, ni la valeur des marchandises, mais la demande et le pouvoir d'achat des clients. » (Le Capital L.III, t.VIII p. 148 Ed. sociales)

Quelles sont les marchandises qui peuvent être régies par un prix de monopole ?

« Quand nous parlons de prix de monopole, nous entendons par là un prix uniquement déterminé par le désir et le pouvoir d'achat des clients indépendamment du prix déterminé par le prix général de production et la valeur des produits. Le vin d'un vignoble d'une qualité exceptionnelle, mais dont la quantité est relativement restreinte se paie à un prix de monopole.

Grâce à ce prix dont l’excédent sur la valeur du produit est fixé par la seule richesse et la passion des amateurs de vins, le vigneron réalisera un surprofit considérable. » (idem. p.158)

Il s'agit donc des marchandises qui sortent du champ traditionnel de l'application de la loi de la valeur. Celle-ci nous dit que la valeur des marchandises est égale au temps de travail social moyen nécessaire pour les reproduire. Cette reproductibilité est pour un certain nombre de marchandises ou exclue (le tableau de l'artiste qui, par définition, est unique) ou limitée (dans les vins, la production d'un grand cru est limitée et ne peut pas être étendue si la demande s'élève).

Lorsque cette offre, par définition limitée, se conjugue à une demande importante[lxxxiv] qui n'a d'autre limite que le désir et le pouvoir d'achat des acheteurs, le prix de marché peut monter, et ce dans des proportions parfois considérables[lxxxv] au-dessus de la valeur ou du prix de production, constituant ainsi un prix de monopole pour la marchandise en question.

Prenons, par exemple, les premiers crus classés des vins de Bordeaux, où un classement en vigueur depuis 1855 définit la hiérarchie des rentes foncières.

Parmi les tous premiers crus du bordelais nous trouvons le Château Margaux, propriété de 65 hectares que M. Mentzelopoulos, patron de la chaîne Félix-Potin, entre autres, a acheté en 1976 pour 75 millions de Francs, ce qui fait que l'on peut estimer l'hectare à près d'un million de francs, en tenant compte des 250 000 bouteilles inclues dans la transaction. Une bouteille de ce vin ne se trouve pas dans le commerce à moins de 200 F pour les petites années, alors que le vin de table courant se vend à environ 5 F le litre soit 40 fois moins cher. Aussi ne faut-il pas s'étonner si le prix moyen de l'hectare de vigne d'appellation d'origine contrôlée s'élève à 18 500 F. dans le Val de Loire (valeur 1977), 40 000 F. pour le Corbières, 55 000 F. pour le Médoc, 110 000 F. pour l'Alsace, 150 000 F. dans le Beaujolais et 320 000 F. en Champagne.

24.2    Surprofit et rente de monopole.

Le surprofit se crée du fait d'une limitation de l’offre en réponse à une demande plue élevée. Le prix de marché qui s'établira restera durablement au-dessus du prix de production, cette différence constituant alors une rente de monopole.

« Ce surprofit, provenant dans ce cas d'un prix de monopole, se convertit en rente qui revient au propriétaire foncier par suite de son titre de propriété sur cette parcelle du globe dotée de si particulières qualités. Ici c'est par conséquent le prix de monopole qui crée la rente. Inversement, la rente créerait le prix de monopole, si les céréales étaient non seulement vendues à au-dessus de leur prix de production, mais au-dessus de leur valeur par suite de l'obstacle que la propriété foncière oppose à l'investissement de capitaux dans un terrain non cultivé-sans que cela lui rapporte de la rente. Le fait que seul le titre de propriété sur une partie du globe terrestre permette à quelques individus de s'approprier sous forme de tribut, une fraction du surtravail social, de plus en plus importante au fur et à mesure que la production se développe, ce fait est dissimulé parce que la rente capitaliste, c'est-à-dire ce tribut capitalisé apparaît comme le prix du terrain qui peut par conséquent se vendre comme n'importe quel autre article commercial. Aussi l'acheteur a l'impression qu'il ne reçoit pas gratuitement son droit à la rente, il ne voit pas qu'il l'a obtenu sans travail, sans risque et sans l'esprit d'entreprise du capital mais au contraire, il croit en avoir payé un équivalent." (Marx. Capital Livre III p.158)

Certains produits peuvent donc, dans certaines circonstances déterminées, échapper au cadre théorique général et peuvent donc voir leur prix de marché se maintenir durablement au-dessus du prix de production. Il ne s'agit pas d'un démenti à la loi de la valeur, mais d'une dérogation à cette loi. Les marchandises concernées ne répondent pas à tous les critères théoriques, ce qui justifie leur exclusion du champ d'application de la loi de la valeur. Mais cette rente de monopole n'existe que pour des cas bien précis de produits agricoles et elle ne s'étend pas à l’ensemble de ceux-ci, qui restent régis par la loi de la valeur- sur la base de laquelle peuvent exister aussi bien la rente différentielle que la rente absolue (ce que nient les ricardiens).

« Cette supposition (que le prix du produit agricole est un prix de monopole NDR) pour toute sphère de production où capital et travail sont librement employés, dont la production en ce qui concerne la masse du capital investi est soumise aux lois générales ne serait pas seulement une petitio principii (pétition de principe) elle serait aussi en contradiction directe avec les fondements de la science et de la production capitaliste car une telle supposition impliquerait, ce qu'il s'agit justement de démontrer, que, dans une sphère de production particulière, le prix des marchandises doit nécessairement donner un profit dépassant le taux de profit général, le profit moyen et qu'à cet effet (la marchandise) doit nécessairement se vendre au-dessus de sa valeur. Cela impliquerait donc que les produits agricoles échappent aux lois générales de la valeur des marchandises et de la production capitaliste. Et cela serait impliqué parce que le fait de rencontrer la rente à coté du profit crée cette apparence prima facie (à première vue). C'est donc absurde. » (Théories sur la plus-value p.32 T.2)

Voilà qui élimine une nouvelle fois les théories ineptes de M. Le Floch. L'examen des diverses sortes de rente nous a montré que l’existence des surprofits n'allait pas à l’encontre de la théorie des prix de production et de l’existence d'un taux de profit moyen. Le monopole et la concurrence ne sont pas antithétiques, pas plus que ne le sont le surprofit et le profit moyen. Il fallait la contre-révolution stalinienne et sa falsification systématique de la théorie pour faire admettre l'inverse, reprenant et poussant à leur comble les théories révisionnistes développées par un Hilferding, par exemple. Bien loin d'être une nouveauté remettant en cause la loi de la valeur, le développement des formes modernes du MPC a été complètement anticipé et décrit par la théorie communiste. Selon elle, le MPC parvient dans sa phase de maturité avec l’accession à la phase de soumission réelle du travail au capital, phase dans laquelle le procès de travail devient spécifiquement capitaliste tandis que le procès de valorisation tend à reposer sur la production de plus-value relative. Dans cette phase, loin d'avoir des difficultés à se frayer un chemin comme l'affirment les staliniens, la loi de la valeur domine la société avec une ampleur inégalée, les marchandises se vendant désormais à un coût de production auquel s'ajoute le profit moyen correspondant au taux général de profit qui s'établit dans la société.

Ci dessus, nous avons essayé de montrer que la péréquation des taux de profit s'accompagnait de l’affrontement de capitaux monopolisés, impliquant l'interpénétration des capitalistes de l'industrie, de la banque et du commerce; que la concurrence et le monopole, le profit moyen et le surprofit n'étaient pas des concepts qui s'excluaient mais qu'ils étaient des moments de la vie du capital et des phénomènes caractéristiques de sa phase la plus avancée et ultime, la phase de soumission réelle du travail au capital.

La théorie de la rente foncière est là pour rappeler comment justement naissent sur la stricte application de la loi de la valeur des formes permanentes de surprofit, qui peuvent se convertir en rente sous l'action de la propriété foncière tandis que dans l'industrie ces surprofits revêtent un caractère transitoire. La théorie communiste montre enfin, et nous l'avons évoqué, qu'il existe des exceptions par rapport à la théorie générale, exceptions pour lesquelles il peut exister un prix de monopole. L’ensemble des cas étant ainsi traité.

On comprend alors tout l'intérêt qu'a le réformisme capitaliste à prétendre que désormais tous les prix, y compris dans l'industrie sont des prix de monopole dictés par quelques entreprises qui, tout en s'affranchissant de la loi de la valeur, surexploitent l'ensemble de la nation. D'une part, une passerelle est ainsi jetée vers l'économie vulgaire pour laquelle la formation des prix résulte du conflit entre la rareté et l'utilité, entre l’offre et la demande; c'est-à-dire que nous nous retrouvons dans un cadre similaire à celui du prix de monopole. D'autre part, il est implicitement affirmé que les capitalistes peuvent se libérer de la domination sociale de la loi de la valeur et la dominer à leur tour.

De plus, si les capitalistes sont à même de disposer à leur guise de la loi de la valeur, que dire alors d'un état "socialiste" c'est-à-dire de l'état bourgeois repeint aux couleurs du réformisme bourgeois. Au diable, le communisme et sa destruction de l'économie marchande, du salariat et de l'argent, puisqu'il est tellement plus simple de contrôler la valeur et son mouvement et de le gérer dans le sens des intérêts de la nation. Au diable, la dictature du prolétariat puisqu'il n'est nul besoin d'abattre l'état bourgeois et de lui substituer un état prolétarien qui n'est déjà plus un Etat au sens bourgeois du terme; ni que le prolétariat exerce exclusivement le pouvoir politique; ni de tailler dans le vif de l'appareil répressif et des lois de la société bourgeoise; tout cela peut fort bien servir pour démystifier la loi de la valeur. Au diable, la terreur rouge puisqu'il n'est nul besoin d'intimider et de discipliner la classe capitaliste et les classes moyennes et de paralyser leurs velléités de résistance ou de révolte; ni de riposter au terrorisme blanc par la terreur rouge. Nul besoin de tout cela selon le réformisme car désormais la poignée de monopoleurs sera mise à la raison pacifiquement par le reste de la nation, de laquelle ils se sont d'ailleurs isolés.

En reniant le communisme révolutionnaire, le réformisme bourgeois et contre-révolutionnaire oublie que l'existence de prix de monopole ne modifie pas la masse de la plus-value créée. Par conséquent, les monopoles obtenus par la branche qui peut pratiquer un prix de monopole se déduisent de la plus-value globale, qui demeure identique sur le plan total. La théorie communiste ne nie pas que le prix de marché puisse s'élever au-dessus du prix de production, y compris dans l'industrie, ce qu'elle nie c'est que cette hausse puisse être durable et fixer ainsi l’existence de surprofits permanents. D'ailleurs, si nous mettons de côté l'essentiel, c'est-à-dire la tentative de transformer la théorie communiste de la valeur en théorie bourgeoise, si toutes les branches de la production vendaient leurs produits à un prix de monopole, tous les prix seraient au-dessus du prix de production et par conséquent, tous redeviendraient égaux au prix de production; le prix de monopole ne peut exister que parce que dans d'autres secteurs les marchandises se vendent à leur prix de production. La généralisation du prix de monopole est en même temps sa négation.

« Si la péréquation de la plus-value pour donner le profit moyen se heurte, dans les différentes sphères de production, à des monopoles artificiels ou naturels et plus spécialement au monopole de la propriété foncière, rendant possible l'établissement d'un prix de monopole, supérieur au prix de production et à la valeur des marchandises sur lesquelles agit le monopole, les limites fixées par la valeur des marchandises n'en seraient pas abolies pour autant.. Le prix de monopole transfèrerait seulement une partie du profit réalisé par les autres producteurs de marchandises sur les marchandises à prix de monopole. La répartition de la plus-value entre les différentes sphères particulières en subirait indirectement une perturbation localisée, mais la limite de la plus-value elle-même n'en serait pas modifiée. Les limites dans lesquelles le prix de monopole affecterait la normalisation des prix des marchandises seraient nettement définies et pourraient être exactement calculées. » (Marx.)

24.2.1                    Rente de monopole et rente foncière urbaine.

Ci dessus, nous avons illustré, à l’aide de la rente urbaine, l’influence de la situation sur la rente différentielle. Celle-ci contient également un élément de monopole dont l'importance se mesure à la frontière entre les terres à bâtir et les terres agricoles, lorsque la terre agricole se voit conférer la possibilité de servir de terrain à bâtir.

A la rente foncière déterminée par les terres agricoles vient s'ajouter un élément de prix de monopole conféré par la propriété foncière. 

« En ce qui concerne les terrains à bâtir, A.Smith a montré que leur rente, comme celle de tous les terrains non agricoles, est basée sur la rente agricole proprement dite. Cette rente représente plusieurs caractéristiques : l’influence prépondérante de la situation sur la rente différentielle (très importante par exemple pour les vignobles et les terrains à bâtir dans les grandes villes): secundo, elle fait apparaître à l’évidence la passivité complète du propriétaire dont toute l’activité consiste (notamment dans l’industrie extractive) à exploiter le progrès du développement social auquel il ne contribue en rien et, pour lequel, il ne risque rien, contrairement au capitaliste industriel ; enfin elle se caractérise par la prédominance dans beaucoup de cas du prix de monopole : spécialement dans l'exploitation scandaleuse de la misère et par le pouvoir immense de la propriété foncière qui lui permet, quand elle est concentrée entre les mêmes mains que le capital industriel, d'empêcher en fait des ouvriers en lutte pour leur salaire, pratiquement d'élire domicile sur terre. Une partie de la société exige de l’autre qu'elle lui paie dans ce cas un tribut pour avoir le droit d'habiter la terre : de même que la propriété foncière inclut, en général, le droit pour le propriétaire d'exploiter le globe, les entrailles de la terre, l'air, partant ce qui conditionne la conservation et le développement de la vie. » (Marx. Le Capital Livre III ES t.8 p.156-57)

Cette rente de monopole se voit parfaitement à la frontière entre les terres agricoles et les terres urbanisables. La rente urbaine s'enfle ensuite d'une rente différentielle dans laquelle la situation joue un rôle considérable. Ainsi à la rente urbaine déterminée par la rente des terres agricoles s'ajoute un mouvement de hausse des prix venant du centre des villes là où les terrains sont les plus chers.[lxxxvi]

Si nous prenons l'exemple du 13° arrondissement de Paris, l'un des quartiers où le prix du mètre carré est le moins cher, nous constatons qu'en 1975 (dernier recensement connu) à peine plus de la moitié (50,8%) des logements étaient considérés comme confortables, c'est-à-dire disposant d'un WC intérieur, du chauffage central et d'une baignoire ou d'une douche, tandis que 20% des logements n'avaient pas d'eau chaude. Mais l'affairisme bourgeois entreprend la "rénovation" de l'arrondissement, phénomène qui brasse rapidement les populations.

Si, en 1968, 80% des logements du 13° avaient été construits avant 1948, il n'en restait plus que 60% en 1975. Si, Paris se vide progressivement de ses habitants et tout particulièrement des classes ouvrières et des classes moyennes les plus pauvres, expulsées par la multiplication des bureaux et la hausse des loyers, et donc de la rente foncière, la population du 13° arrondissement augmente, en passant de 157 500 habitants en 1968 à 163 700 habitants en 1975. Cet accroissement de population a été rendu possible par la « rénovation » qui substitue des immeubles de grande hauteur aux constructions basses, comme disent les technocrates, des casernes aux cottages comme disait Engels, des cages à lapin aux maisons, comme dit l'homme de la rue, ainsi que par la récupération des friches industrielles, le nombre de logements est ainsi passé de 70 000 à 80 000 entre 1968 et 1975. Cependant sur 100 personnes habitant le 13° arrondissement en 1975, 58 seulement y étaient déjà en 1968, soit par rapport à une population de 163 700 habitants, 94 946 habitants. Par conséquent, par rapport à la population de 1968, c'est 157 500 – 94 946 soit environ 62 500 personnes qui ont quitté l'arrondissement, et près de 69 000 nouvelles personnes qui l'ont intégré. En tenant compte des mouvements naturels de population (naissances, décès) nous pouvons estimer grossièrement à plus de 50 000 personnes la population concernée dans les deux sens.

D'autre part nous savons qu'en 1968 les ouvriers représentaient 31,6 % de la population soit 49 770 personnes et n'en représentent plus que 23,5% en 1975 soit moins de 38 500 personnes. C'est-à-dire que plus de 11 000 ouvriers ont quitté l'arrondissement, tandis que les cadres qui représentaient 24,9% de la population en 1968, soit plus de 39 000 personnes, représentent, en 1975, 36,3 % de la population soit plus de 59 000 personnes ; par conséquent, un solde positif de plus de 20 000 personnes. Tout se passe comme si les cadres avaient non seulement remplacé les ouvriers, mais aussi plus que satisfait à l'accroissement de la population.

24.2.2                    Rente de monopole et prix de la force de travail.

« Si la marchandise à prix de monopole entrait dans la consommation de l’ouvrier, elle entraînerait l’augmentation du salaire et la diminution de la plus-value à condition que l'ouvrier continue à se faire payer la valeur de la force de travail. Elle pourrait abaisser le salaire au-dessous de la valeur de la force de travail, mais seulement tant que le salaire dépasse la limite du minimum vital. Dans ce cas le prix de monopole serait payé par un prélèvement opéré sur le salaire réel (c'est-à-dire la masse des valeurs d'usage que l’ouvrier recevrait en échange de la même masse de travail) et sur le profit des autres capitalistes. » (Marx)

Dans le MPC pleinement développé, le salaire, c'est-à-dire le prix de la force de travail est régulièrement inférieur à la valeur de la force de travail. Ceci est une nécessité pour le capital dans la mesure où il peut contrecarrer ainsi la baisse du taux de profit et cela est rendu possible par le développement d'une surpopulation relative qui exerce une pression sur les salaires qui permet de les abaisser au-dessous de la valeur de la force de travail.

Ce processus n'exclut nullement une hausse du salaire réel. La valeur de la force de travail renferme un élément historique et social qui fait que les bases de sa détermination se modifient et ce d'autant plus que la grande industrie est développée et que sont révolutionnées constamment, avec elles, les forces productives et donc les valeurs d'usage produites. Nous avons déjà décrit (cf. C ou C N°7) les raisons qui rendaient nécessaires et qui permettaient l'intégration des syndicats ainsi que le rôle de ceux-ci dans le processus qui aboutit à ce que le prix de la force de travail soit abaissé au-dessous de la valeur.

Cependant, même à ne considérer que le salaire nominal que reçoit la classe ouvrière, on apprécierait plus correctement les aspects de cette question en rappelant que le salaire nominal que fait ressortir la statistique bourgeoise peut-être AU-DESSUS de la valeur de la force de travail. Mais au-delà de l'apparence, il faut tenir compte des éléments qui gonflent ce salaire nominal et qui, une fois déduits, montrent que le salaire est bien au-dessous de la valeur de la force de travail. En effet, dans le salaire est incluse, par exemple, sous forme de rente pour le loyer ou d'impôts, une partie de la plus-value qui sera, par l'intermédiaire de l'ouvrier, versée au propriétaire foncier ou à l'Etat. Cette partie du salaire est loin d'être négligeable lorsqu'on sait que les impôts directs plus les impôts indirects atteignent sans doute, en moyenne près de deux mois de salaire (15% du salaire) et que le loyer représente une part non négligeable de celui-ci. Toutefois, dans la question qui nous préoccupe, il ne faut pas considérer la totalité du loyer, mais uniquement la partie représentant la rente du terrain et l'intérêt du capital, donc compte non tenu de l'amortissement de la valeur de la construction.

Si donc les impôts ou le loyer augmentent plus vite que le niveau des salaires, même si ce dernier laisse apparaître une hausse du salaire réel, il est nécessaire de le relativiser en fonction des aspects que nous venons de mentionner. Les chiffres dont on dispose confirment qu'en ce qui concerne les loyers (et dans ceux-ci la rente s'est gonflée considérablement) nous nous trouvons dans le cas le plus défavorable aux ouvriers.

Par exemple, de 1962 à 1970, le niveau général des prix s'est élevé de 39,8%, tandis que les loyers doublaient. Donc, même si les salaires réels ont augmenté durant cette période, il faut encore relativiser ce fait en tenant compte d'une hausse des loyers supérieure à la hausse générale des prix.

24.2.3                    Rente de monopole et communisme.

Si nous admettons qu'il puisse exister une rente de monopole basée sur la rareté d'un produit par rapport à une demande importante, on peut nous objecter que, par définition, de telles causes sont impossibles à éliminer et produiront toujours les mêmes effets. C'est ce que soutient Walras, un des pères de l'utilitarisme, qui voit même dans l'impossibilité de distribuer un très grand vin comme le Château Lafite à tout le monde, une preuve que le communisme est une utopie qui ne pourra jamais fonctionner, terrassée par la rente de monopole. On pourrait répondre que, de toutes façons, peu de prolétaires arrosent leur casse-croûte avec du Château Lafite, mais laissons là l’argument misérabiliste. Il s'agit du communisme, qui sera, dans sa phase supérieure, le règne de l’abondance, sauf, selon Walras, pour le Château Lafite et autres produits similaires.

Walras pose là un beau piège au communisme, mais il ignore combien celui-ci saura maîtriser la nature, en harmonie avec l'espèce humaine. Aujourd'hui, pour chaque pas que le MPC fait dans cette voie, il suscite mille causes de catastrophes sociales qui menacent de plus en plus l’espèce humaine. Mais, même ainsi, et sur la base de la logique capitaliste, il essaie -toujours dans le but d'extorquer toujours plus de plus-value, évidemment - de repousser les limites qu'il rencontre dans la nature.

Les éléments qui rentrent dans la composition d'un vin sont une subtile chimie unissant la composition des sols, l'exposition des terrains, les cépages et types de raisins, et enfin le savoir-faire multi-séculaire des vignerons et vinificateurs. Jusqu'à présent c'est la conjonction de tous ces éléments en quelques lieux privilégiés de l’écorce terrestre qui a permis la fabrication de produits d'une très grande qualité et d'une extrême rareté, qu'il est impossible de produire massivement.

Mais rien n'empêcherait demain, grâce aux ressources d'une science enfin devenue humaine - au sens que donne Marx à ce terme dans les manuscrits de 1844 - de recréer artificiellement la conjonction de ces éléments pour arriver à en tirer les mêmes produits. Il ne manque pas de sites favorables. D'ores et déjà le MPC s'est d'ailleurs attaqué à ce problème. Les américains produisent en Californie du vin de qualité. La firme Moët et Chandon, productrice de Champagne français y possède 500 hectares qui fournissent 200 000 caisses de Champagne chaque année. De même, le baron Rothschild, qui possède un des plus fameux crus bordelais, s'est associé à une famille de vignerons américains pour reproduire ce grand cru en Californie. Ses associés font valoir que le sol y est aussi favorable et le climat plus favorable qu'en France, et qu'ils sont à même d'assimiler la technique. Il leur manquait la tradition. Comme celle-ci s'achète également, comme toute chose, rien de plus facile que de se l'approprier à coups de dollars.[lxxxvii]

Et même, à supposer que le communisme ne puisse pas s'aider de la géographie pour acclimater ce genre de produits dans des lieux du globe aujourd'hui complètement négligés, il pourrait toujours faire appel aux ressources de la chimie (ce que font déjà d'ailleurs depuis longtemps les négociants du bordelais). Quand les capitalistes se mêlent d'effectuer de la synthèse d'aliments, c'est à coup sûr pour faire passer le goût de la merde qu'ils espèrent faire ingurgiter à l’espèce humaine. La volonté de réduire les coûts de reproduction de la force de travail ne connaît pas de limites! Mais rien n'empêchera le communisme de mettre la chimie et la science au service de ce sens martyrisé par la gastronomie moderne : le goût. En tant qu'il maîtrise et raffine la production de ses aliments, l'homme affirme son essence humaine, celle-là même qui est niée par le capital :

« Pour l’homme qui meurt de faim la nourriture n'existe pas sous sa forme humaine; seule compte son existence abstraite en tant que nourriture; elle pourrait se présenter devant lui sous sa forme la plus grossière et l'on ne saurait dire en quoi son activité nutritive se distinguerait de celle des animaux. » (Marx. Manuscrits de 1844)

« Tous ses sens sont morts, non seulement sous leur forme humaine, mais aussi non humaine, animale. On voit réapparaître les modes (et les instruments) les plus primitifs du travail humain; la meule des esclaves romains est devenue le mode de production et d'existence pour beaucoup d'ouvriers anglais. Dans cet état, les besoins de l'homme ne sont pas humains, et même les besoins animaux restent insatisfaits. L'Irlandais ne connaît plus qu'un seul besoin : manger - manger des pommes de terre et même des tubercules de la pire espèce. » (idem)

Un autre argument -que n'utilise pas Walras- qui pourrait être employé contre le communisme, concerne l'art : la promesse du communisme dans sa phase supérieure : à chacun selon ses besoins, ne pourrait être remplie en ce qui concerne l’art ; l’artiste produisant une oeuvre qui par définition est unique.

Ce faisant, on néglige le fait que "l'artiste" est précisément une créature surgie avec les sociétés de classe. C'est lorsque la division du travail permet de dégager, au niveau de la société un temps libre que des hommes ont pu se consacrer exclusivement à l'art. Et ce n'est encore que la société capitaliste développée qui achève de constituer l'art en tant que sphère autonome et séparée qui n'est pas libre car elle est soumise à la communauté du capital. Alors qu'au Moyen-Âge et dans la Renaissance l'artisan était à la fois savant, artiste et ouvrier, et que l'artiste possédait encore un savoir-faire artisanal (cf. Léonard de Vinci, Michel-Ange, etc.) le MPC développé a produit l’ouvrier déqualifié, le savant, l’ingénieur, et de l’autre coté l’artiste, dont la seule fonction sociale est de produire des oeuvres destinées à satisfaire les besoins artistiques de la société.

Toute une partie de l'art a été ôtée à l'ouvrier, incorporée à la production sous forme d'esthétique industrielle, et en tant que telle est accomplie par des travailleurs salariés. Quant à l'art qui fournit à l'ensemble de la société la satisfaction de ses besoins de jouissance esthétique, il est de plus en plus mystifié.

La tâche du communisme sera donc avant tout de favoriser la réappropriation par l'espèce humaine de ses capacités créatrices et artistiques. Le temps libre et l'abolition de la division du travail seront les moyens pour y parvenir.

« ...dans la société communiste, où chacun n'a pas une sphère d'activité exclusive, mais peut se perfectionner dans la branche qui lui plaît, la société réglemente la production générale, ce qui crée pour moi la possibilité de faire aujourd'hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l'après-midi, de pratiquer l’élevage le soir, de faire de la critique après le repas, selon mon bon plaisir, sans jamais devenir chasseur, pêcheur ou critique. » (Idéologie Allemande p.63)

Dans le communisme, la production des oeuvres d'art est donc bouleversée. Ce n'est plus une poignée d'individus qui incarne, grâce à la spécialisation, le niveau atteint par l'espèce dans la maîtrise artistique, mais tout homme qui disposera des moyens matériels et spirituels pour accéder à cette maîtrise et satisfaire ce besoin. L'argument de l'unicité de l’œuvre d’art concerne surtout leur diffusion, et surtout celle des chefs-d’œuvre que l’histoire nous a légués. Là encore, ce n’est pas le communisme, mais bien le mode de production capitaliste qui a commencé, dans le dernier quart du 19°siècle - c'est-à-dire avec le passage à la phase de soumission réelle du travail au capital- à concentrer dans les musées les plus grandes pièces artistiques de toute l'histoire de l'humanité. La bourgeoisie a donc été obligée de contredire la logique de la propriété privée individuelle. Ce faisant, elle crée la véritable culture universelle, en réunissant dans un même lieu, indépendamment de leur origine, des oeuvres aussi diverses qu'un sarcophage égyptien, une statue grecque, une peinture hollandaise, un tableau impressionniste etc. C'est aussi le MPC qui a transformé en lieux de pèlerinage touristique et marchand les pyramides d'Egypte, les vieilles cités italiennes, les temples hindous et les palais mauresques espagnols.

Quant aux arts qui sont nés sur la base même du capitalisme développé, comme la photo, le cinéma, la musique électro-acoustique, etc. ils intègrent dès le départ comme une composante essentielle la capacité d'être reproduits à l'infini. L'artiste (qu'on serait bien incapable d'identifier individuellement s'agissant par exemple, du cinéma), n'est plus l’unique détenteur de son produit, et seul le fétichisme inhérent à la signature, qui atteste l’authenticité et donc la valeur de l’œuvre, fait qu'on puisse maintenir la notion d’œuvre "originale", lorsqu'il s'agit par exemple d'une photo, ou de la maquette d'un disque.

Ces mêmes moyens ont été mis à la disposition de la diffusion des oeuvres d'art, la télévision et le cinéma permettent d'assister à des représentations théâtrales ou musicales; la photo déplace les oeuvres d'art dans l’espace et dans le temps, et même permet leur étude sous des angles que l’œil humain n'est, pas capable toujours de percevoir (photos de détails, agrandissements, éclairages, etc.)

Par conséquent, le MPC lui-même a commencé à saper les bases de l'unicité de l’œuvre d'art, en favorisant soit sa reproduction massive par des procédés techniques, soit l’émergence de nouvelles formes d'expression artistiques qui incluent en elles-mêmes la possibilité, voire même la nécessité d'être reproduites.

Le communisme aura pour tâche, non pas tant de pousser ce processus à son paroxysme, encore qu’il utilisera ces moyens pour favoriser la diffusion du patrimoine culturel de I'humanité, mais surtout de détruire la séparation de l'être humain d'avec son monde esthétique, aujourd'hui figé et glacé sous forme d'art, éloigné de la vie et vénal à l'extrême comme tout ce qui se fait dans un monde qui se présente comme "une immense accumulation de marchandises".

25.  La question du logement

25.1    Ville et campagne.

La séparation entre la ville et la campagne constitue l'une des bases historiques sans laquelle la société marchande et a fortiori le mode de production capitaliste ne pourrait exister.

« Toute division du travail développée qui s'entretient par l'intermédiaire de l'échange des marchandises a pour base fondamentale la séparation de la ville et de la campagne. On peut dire que l'histoire économique de la société roule sur le mouvement de cette antithèse. »(Marx. Capital Livre I, 4, XIV p.894 Pléiade T.2)

Un bref survol des principales étapes historiques de l'humanité permet de voir que l’antagonisme ville-campagne (qui n'a pas toujours existé et n'a donc rien de naturel) dépend étroitement de l’évolution des formes de la communauté humaine et de la progressive aliénation de celle-ci, et donc du mouvement d'autonomisation de la valeur.

A l'aube de l'humanité, lorsque celle-ci, constituée en petits groupes communautaires subvenant eux-mêmes à leurs besoins ne connaît ni division sociale du travail, ni division en classes, ni Etat, elle ne connaît pas non plus la ville, ni la campagne. Elle parcourt la nature sauvage en tribus nomades et y laisse une empreinte légère, à la mesure de ses capacités productives, qui sont fort limitées.

« Le village des peuples sauvages ou même nomades (regroupement de tentes ou encore de chariots sans siège fixe, qui devançaient les lubies des urbanistes modernes sur les habitations préfabriquées et les maisons sur roues) avait pour seul principe d'unification, dans le cadre d'un communisme primitif, les exigences de la défense contre tous les dangers extérieurs (bêtes féroces, peuples ennemis, pillards, phénomènes naturels etc.) qui auraient empêché une forme d'habitat plus dispersée. » (Il programma communista 4-12-1952 )

A ce stade, le groupe humain forme une étroite communauté face à la nature, avec laquelle d'ailleurs il n'a pas encore rompu le cordon ombilical, et son mode d'habitat, lui aussi communautaire, est fortement déterminé par cette situation.

La sédentarisation des peuples primitifs, et surtout le travail systématique de la terre (naissance de l'agriculture), introduisirent une lente transformation qui allait finir par dissoudre cette organisation communautaire.

Il surgit au sein des communautés une division du travail (tâches agricoles, artisanales et militaires), qui, en se développant, impose à l'individu jusqu'alors capable de se livrer aux différentes activités nécessaires au maintien de la communauté, une spécialisation qui, en se pétrifiant, finit par donner naissance à des castes, puis à des classes : paysans, artisans, soldats, prêtres etc.

« La plus grande division du travail matériel et intellectuel est la séparation de la ville et de la campagne. L'opposition entre la ville et la campagne fait son apparition avec le passage de la barbarie à la civilisation, de l'organisation tribale à l'Etat, du provincialisme à la nation, et elle persiste à travers toute l'histoire de la civilisation jusqu'à nos jours (...) L'existence de la ville implique du même coup la nécessité de l’administration, de la police, des impôts etc. en un mot la nécessité de l'organisation communale, partant, de la politique en général. C'est là qu'apparut pour la première fois la division de la population en deux grandes classes, division qui repose directement sur la division du travail et les instruments de production. » (Idéologie Allemande p.80)

Dans le monde antique, exemple de ce que la théorie communiste a appelé formes secondaires de production, deuxième grande étape de la communauté humaine, la division du travail a déjà conduit à la formation de cités.

« La seconde forme de la propriété est la propriété communale et propriété d'Etat qu'on rencontre dans l’Antiquité et qui provient surtout de la réunion de plusieurs tribus en une seule ville, par contrat ou par conquête, et dans laquelle l'esclavage subsiste. » (idem p.47)

« Comme base elle (la seconde forme NDR) ne suppose pas la campagne, mais la ville érigée déjà en siège (centre) des gens de la campagne (propriétaires fonciers). Les champs représentent le territoire de la ville; ce n'est pas un village, simple accessoire de la campagne. » (Formes précapitalistes. Grundrisse p.10)

La cité antique est le siège à la fois économique, politique (cité en grec se dit polis) et militaire du monde rural. La cité est le siège de l'Etat. La ville surgit, donc, tout comme l'Etat, avec la division de la société en classes. Les propriétaires fonciers, les latifundiaires qui constituent la classe dominante, résident dans la ville qui forme en quelque sorte le centre de chacune des républiques antiques. C'est pourquoi elles ont gardé dans l’histoire le nom des villes dont elles dépendent : Athènes. Sparte. Rome.

« L'histoire de l’Antiquité classique est celle de la cité, mais cette cité a pour base la propriété foncière et l’agriculture. »

« Dans l’antiquité, la cité, avec sa marche rurale, constitue l’ensemble économique. » (Formes précapitalistes, p.17 t

La campagne est donc constituée par les terrains ou s'effectue l'activité agricole de la cité tandis que l'activité artisanale nécessaire à la marche de la société est effectuée exclusivement en ville sur la base d'un artisanat à caractère encore largement artistique.

La décadence des formes antiques de production a entraîné un déclin des grandes cités et une ruralisation de la société, en même temps que celle-ci rajeunissait sous l’effet des invasions des peuples venus du Nord (Germains, etc.) qui amenaient avec eux leurs formes d'organisation communautaires encore vigoureuses.

Lorsqu'elles se fixèrent, les bandes germaniques possédaient déjà une organisation militaire où les fonctions s'étaient autonomisées ce qui avait permis le dégagement d'une classe de nobles possédant une suite, du travail de laquelle ils subsistaient.

« Dans le monde germanique, (l'ensemble économique est constitué par) l'habitation particulière qui n'est elle-même qu'un point dans la terre qui lui appartient : il n'y a pas concentration d'une foule de propriétaires car c'est la famille qui forme .une unité indépendante. » (Formes précapitalistes p.17)

« Dans la forme germanique, le paysan n'est pas un citoyen d'Etat, c'est-à-dire habitant de la ville, la base c'est l'habitation familiale, isolée et indépendante, garantie par l'association avec d'autres habitations semblables d'une même tribu; les assemblées convoquées à l’occasion des guerres, du culte et d'arbitrages juridiques etc. constituent cette garantie mutuelle. » (idem)

Léguée au Moyen-Âge européen, cette institution devint la demeure seigneuriale, centre du fief, qui accueillait le seigneur-propriétaire. Foncier et sa cour, et, qui fournissait. l’assistance militaire (forme prédominante du pouvoir- politique de cette époque) aux serfs du domaine et aux vassaux possesseurs de plus petits domaines. Cet ensemble de petites unités auto-suffisantes, disséminées à travers la campagne, donne au féodalisme son caractère morcelé. A cette époque, les villes remplissaient donc une fonction complètement indépendante des campagnes. Elles étaient le siège du commerce et de l’artisanat de métier (tandis que la campagne se suffisait à elle même pour la nourriture, l'habitat et le vêtement, grâce au filage et. au tissage du lin, de la laine, etc.)

« Le Moyen-Âge (période germanique) part de la campagne, centre de l’histoire, et se développe ensuite à travers l’opposition de la cité et de la campagne. »(Formes … p.16)

« Tandis que l'antiquité partait de la ville et de- son petit territoire, le Moyen-Âge partait de la campagne. » Idéologie Allemande, p. 48)

En effet, dans la mesure où chacun de ces termes, ville et campagne, s'insérait dans la division sociale du travail en accomplissant l’un et l’autre des fonctions séparées. il était normal qu'elles entrent en contact sur la base de cette séparation, et donc de manière antagonique.

Au départ simples nœuds de communication et centres de transit pour le faible volume de circulation marchande qui s’accomplissait à cette époque, les villes deviendront bientôt les éléments indispensables d'unification de cette société morcelée en unités indépendantes végétant sur elles même. Elles devinrent puissantes au fur et à mesure qu’elles accroissaient et monopolisaient le commerce, parfois à une échelle internationale, et centralisaient le plus puissant moyen de dissolution des antiques rapports sociaux : l’argent. Et cette fonction là était remplie par une nouvelle classe dont le terreau a été constitué par la ville, une classe typiquement urbaine : la bourgeoisie.

Cette séparation entre ville et campagne, une fois définitivement établie, devint la condition primordiale pour que se généralise l’échange et, à travers lui, les bases du développement capitaliste.

« La bourgeoisie des villes avait, en outre, une arme puissante contre la féodalité : l’argent. Dans l'économie féodale type du début du Moyen-Âge, il y avait à peine eu place pour l'argent. Le seigneur féodal tirait de ses serfs tout ce dont il avait besoin, soit sous la forme de travail, soit sous celle de produits finis; les femmes filaient et tissaient le lin et la laine et confectionnaient les vêtements ; les hommes cultivaient les champs; les enfants gardaient le bétail du seigneur, ramassaient pour lui les fruits de la forêt, les nids d'oiseaux, la litière; en outre, la famille entière avait encore à livrer du blé, des fruits, des oeufs, du beurre, du fromage, de la volaille, du jeune bétail, que sais-je encore; les prestations de guerre, elles aussi, étaient exigées en produits; le commerce, l’échange n'existaient pas, l'argent était superflu. L'Europe était ramenée à un niveau si bas, elle avait à tel point recommencé par le début, que l’argent avait alors beaucoup moins une fonction sociale, qu'une fonction purement politique; il servait à payer les impôts, et on l’acquérait essentiellement par pillage. » (Engels. Anti-Dühring p.436)

Entre les mains de la bourgeoisie, l'argent allait précisément devenir l'instrument révolutionnaire pour libérer les forces productives du carcan des limites locales de l’organisation féodale. Les villes devinrent le siège de la lutte contre la féodalité. En faisant alliance avec la royauté qui incarnait le centralisme naissant et l'unité nécessaire face au morcellement de la féodalité, la bourgeoisie créa une puissance politique et militaire qui, selon les paroles du Manifeste communiste, acheva de « soumettre la campagne et la ville. »

Le MPC s'est développé sur la base de cette opposition entre la ville et la campagne, et c'est cette dernière qui a été la première révolutionnée par la transformation des rapports sociaux, car tandis que les liens personnels à la campagne subissaient la terrible action dissolvante de l’argent, les métiers urbains, eux, restaient organisés selon les vieilles formes féodales des corporation, des guildes etc.

Le MPC proprement dit commence à se soumettre formellement le travail humain en s'emparant de l'artisanat rural (filage et tissage) et c'est en dehors des entraves féodales (corporations, guildes des villes, constitutions féodales des campagnes) que se développent les premières formes capitalistes d'exploitation du travail.

« En général, la manufacture commence à s'installer non pas dans les villes, mais à la campagne, dans les villages où n'existent pas de corporations, etc. Les métiers secondaires de la campagne représentent la large base de la manufacture, alors qu'à la ville les métiers exigent déjà un haut développement de la production pour se pratiquer sur la base du système de fabrique. » (Formes précapitalistes p.50)

« Aussi les manufactures nouvelles s'établirent-elles de préférence dans les ports de mer, centres d'exportation, ou aux endroits de l'intérieur situés hors du contrôle du régime municipal et de ses corps de métiers. De là, en Angleterre, lutte acharnée entre les vieilles villes privilégiées (corporate towns) et ces nouvelles pépinières d'industrie. Dans d'autres pays, en France, par exemple, celles-ci furent placées sous la protection spéciale des rois. » (Capital I, 8, XXXI Pléiade T.2 p.1212)

A partir de cette époque, la polarisation de la société entre ville et campagne se développa de plus en plus, d'une part parce que l’introduction des rapports capitalistes à la campagne exigeait l’expropriation de grandes masses d'hommes qui venaient gonfler la population des villes existantes, d'autre part parce que le principe de la manufacture finit par être étendu aux activités urbaines et permit l'emploi (au moins partiel) de ces masses d'hommes, entraînant à son tour la ruine des anciens métiers, éliminés par la concurrence.

Dans le MPC pleinement développé, on trouve donc poussé à son paroxysme l’antagonisme entre la campagne et la ville, à laquelle la première est soumise.

« A la place des villes nées naturellement, elle créa les grandes villes industrielles modernes qui ont poussé comme des champignons. Partout où elle pénétra, elle détruisit l'artisanat et, d'une façon générale, tous les stades antérieurs de l'industrie. Elle paracheva la victoire de la ville sur la campagne. » (L'idéologie Allemande p.90)

Ce faisant, le MPC a carrément produit deux espèces d'hommes, l’une uniquement tournée vers le travail de la terre et dont l’horizon borné est le village, et l’autre consacrée au travail industriel qui a perdu tout contact avec la nature vivante.

« La première grande division du travail elle-même, la séparation de la ville et de la campagne, a condamné la population rurale à des milliers d'années d'abêtissement et les citadins chacun à l’asservissement de son métier individuel. Elle a anéanti les bases du développement intellectuel des uns et du développement physique des autres. Si le paysan s'approprie le sol et le citadin son métier, le sol s'approprie tout autant le paysan, et le métier l'artisan. En divisant le travail, on divise aussi l’homme. » ( Engels. Anti-Dühring p. 320)

Avec le passage de la soumission réelle du travail au capital et le développement de la grande industrie, le capital a concentré dans les villes une immense cohorte de sans-réserve qui forme le prolétariat industriel moderne. En même temps, la centralisation et la complexification des fonctions politiques a achevé de faire des villes et surtout des grandes capitales le siège du pouvoir politique, et celles-ci se sont gonflées des fonctionnaires et des nouvelles classes moyennes qui accomplissent les fonctions indispensables au capital : circulation, comptabilité, etc.

Un rapide survol des principaux pays capitalistes développés montre l'hypertrophie de cette population urbaine par rapport à la population totale :

 

 

1965

1982

Etats-Unis

68 %

77 %

France

66 %

77,9 %

Allemagne de l’Ouest

79 %

84,7 %

Grande-Bretagne

86 %

90,8 %

Italie

62 %

69,3 %

Espagne

61 %

74,3 %

En ce qui concerne, plus particulièrement la France, l'évolution de la part de la population rurale a évolué comme suit en un siècle et demi

 

1846

75,6 %

1866

69,5 %

1906

57,9 %

1921

53,5 %

1962

38,3 %

1982

22,1 %

 

Quant aux pays de faible développement capitaliste où l’un des effets de l’impérialisme a été de détruire les rapports sociaux existants sans que ceci soit suivi d'un développement capitaliste à la hauteur des bouleversements effectués, on a assisté à un exode rural gigantesque qui a fait de villes champignons de véritables cancers dépourvus d'infrastructures suffisantes où des masses de déshérités subsistent de la mendicité, du vol et de la rapine (Mexico, Sao Paulo, Bombay, Manille, Lagos, Téhéran )

D'après un article paru dans Newsweek du 3 Oct. 1983, il y a 30 ans, 700 millions de personnes vivaient dans des villes. Il y en a aujourd'hui 1 800 millions, et il y en aura 3 milliards, soit la moitié de la population mondiale prévue, en l’an 2000. Les villes les plus importantes seront Mexico, avec 36 millions d'habitants, et Tokyo avec 24 millions. Enfin, l'explosion urbaine des pays arriérés ramènera Londres, qui occupait le deuxième rang mondial en 1050 avec 10 millions, au-delà de la 25è place dans le classement mondial.

Inutile de dire que de telles projections laissent froids les communistes qui espèrent bien que l’accumulation de toutes ces contradictions finira par provoquer la gigantesque explosion sociale qui balaiera la société capitaliste de la surface de ta terre.

25.2    La crise du logement.

Comme toutes les classes exploitées, la classe ouvrière est mal logée. Cet état de fait ne constitue pas, par conséquent, une caractéristique du prolétariat révolutionnaire. Il accompagne l’existence de la classe exploitée et ne pourra être résolu qu'avec sa libération et la destruction de la société de classe.

« La crise du logement ne réside pas dans le fait universel que la classe ouvrière est mal logée et vit dans des logis surpeuplés et malsains. Cette crise du logement là n'est pas une particularité du moment présent, elle n'est même pas un de ces maux qui soit propre au prolétariat moderne et le distinguerait des classes opprimées qui l’ont précédé; bien au contraire, toutes les classes opprimées de tous les temps en ont été à peu près également touchées. Pour mettre fin à cette crise du logement, il n'y a qu'un moyen : éliminer purement et simplement l'exploitation et l'oppression de la classe laborieuse par la classe dominante. » (Engels La question du logement )

La société bourgeoise connaît donc une crise permanente du logement et celle-ci s'aggrave régulièrement lorsque pour des raisons variées (par exemple lors du passage à la phase de soumission réelle du travail au capital, ou lors des périodes de reconstruction après les guerres impérialistes), se crée une pénurie de logements (absolue ou relative) en regard d'une population urbaine qui ne cesse de croître et qui peut s'accroître dans des proportions beaucoup plus rapide que ne le permet le rythme des constructions soumises à la loi du profit. Il s'ensuit une aggravation des conditions d'habitation, une énorme augmentation des loyers, un entassement accru des locataires. Ceci vaut pour l'Europe Occidentale, où même là une partie non négligeable de la population connaît des conditions d'habitation infra-humaines. Mais il ne faut pas oublier dans quelles conditions de dénuement absolu s'entassent dans des taudis immondes les masses de sans-réserve dans la périphérie de certaines villes sud-américaines. asiatiques ou africaines.

Les dépenses pour le logement entrant dans la détermination de la valeur de la force de travail, il est, donc dans l'intérêt général de la classe capitaliste que celles-ci soient le moins élevé possible afin d'extorquer au prolétariat le maximum de plus-value. De cet antagonisme fondamental découle une crise du logement qui revêt une plus ou moins grande acuité suivant les époques.

« En bon bourgeois, Monsieur Sax ne peut savoir qu'elle (la crise du logement NDR) est nécessairement produite par la forme bourgeoise de la société; une société ne peut exister sans crise du logement lorsque la grande masse des travailleurs ne dispose exclusivement que de son salaire, c'est-à-dire de la somme des moyens indispensables à sa subsistance et à sa reproduction, lorsque sans cesse de nouvelles améliorations mécaniques etc. retirent leur travail à des masses d'ouvriers, lorsque des crises industrielles violentes et cycliques déterminent, d'une part, l’existence d'une forte armée de réserve de chômeurs et d'autre part, jette momentanément à la rue la grande masse des travailleurs, lorsque ceux-ci sont entassés dans des grandes villes, et cela à un rythme plus rapide que celui de la construction de logements dans les circonstances actuelles, et que pour les plus ignobles taudis il se trouve toujours des locataires. Lorsqu'enfin le propriétaire d'une maison, en sa qualité de capitaliste, a non seulement le droit, mais aussi dans une certaine mesure, grâce à la concurrence, le devoir de tirer de sa maison, sans scrupules, les loyers les plus élevés. » (Engels. La question du logement).

Une modification, que ce soit une hausse ou une baisse, du loyer aurait à terme pour conséquence une modification, dans le même sens, des salaires. L'idéal de la petite bourgeoisie, qui assimile la lutte entre le locataire et le propriétaire à la lutte du prolétaire contre le capital et qui donc réclame de bas loyers, n'est donc pas le nôtre. Nous savons que la baisse des loyers se traduirait par la baisse des salaires. Pour autant que cette baisse soit due à une plus grande productivité dans l’industrie du bâtiment, si bien que le temps de travail pour produire des logements baisse, dans ce cas cette baisse serait source de plus-value relative pour l’ensemble de la classe capitaliste. Pour autant qu'il s'agisse d'une baisse de la rente foncière, elle impliquerait une modification de la répartition de la plus-value entre propriétaire foncier et capitaliste industriel. En cas de hausse de la rente foncière, ces deux derniers s'arrangent donc pour que le prolétaire en fasse les frais, celui-ci étant rejeté toujours plus loin du centre, les salaires ne montant pas en proportion de la rente foncière, l'ouvrier est obligé de s'éloigner vers la périphérie des villes, pour obtenir un logement compatible avec son salaire.

« L'extension des grandes villes modernes confère au terrain, dans certains quartiers, surtout ceux situés au centre, une valeur artificielle croissant parfois dans d'énormes proportions, les constructions qui y sont édifiées, au lieu de rehausser cette valeur, l'abaisseront plutôt, parce qu'elles ne répondent plus aux conditions nouvelles, on les démolit donc et on les remplace par d'autres. Ceci a lieu surtout pour les logements ouvriers qui sont situés au centre et dont le loyer, même dans les maisons surpeuplées ne peut jamais, ou du moins qu'avec une extrême lenteur dépasser un certain maximum. On les démolit et à leur place on construit des boutiques, des grands magasins, des bâtiments publics... » « ...Il en résulte que les travailleurs sont refoulés du centre vers la périphérie, que les logements ouvriers et d'une façon générale les petits appartements deviennent rares et chers et que souvent même ils sont introuvables. Car dans ces conditions, l'industrie du bâtiment, pour qui les appartements à loyer élevé offrent à la spéculation un champ beaucoup plus vaste, ne construira jamais qu'exceptionnellement des logements ouvriers. » (Idem, p.28)

Et pour autant que la bourgeoisie puisse en construire, cela signifie simplement que cette construction se révèle rentable pour le capital et constitue une sphère pour son activité et l’extraction de la plus-value. Le réformisme applaudit en général et envisage de telles constructions avec leur cortège de malfaçons et de délabrement accéléré, sur des terrains en général éloignés du centre[lxxxviii].

« Que nous prouvent tous ces exemples (construction de logements pour les ouvriers NDR) simplement que la construction de logements ouvriers même quand les lois de l'hygiène n'ont pas été foulées au pieds est rentable pour les capitalistes. Cela n'a jamais été nié, nous le savons tous depuis longtemps. Tout investissement de capitaux répondant à un besoin s'avère rentable lorsqu'il est exploité rationnellement. La question est justement de savoir pourquoi, malgré cela, persiste la crise du logement, pourquoi malgré cela, les capitalistes ne veillent pas à ce que les ouvriers aient des logements sains en nombre suffisants. Le capital, ceci est maintenant définitivement établi, ne veut pas abolir la pénurie de logements, même s'il le pouvait. » (idem.)

Nous pouvons alors mesurer la portée de la solution bourgeoise et petite-bourgeoise à la question du logement : la propriété privée du logement. Cette solution est tout d'abord une utopie réactionnaire qui veut nier ce qu'est justement le prolétariat, une classe de sans-réserve qui a perdu toute propriété et dont la force révolutionnaire réside dans cette perte. C'est parce qu'il est dépouillé de toute propriété que le prolétariat est à même d'accomplir une mission historique qui a une autre envergure et un autre horizon que la possession d'un logement misérable.

« Pour créer la classe révolutionnaire moderne du prolétariat, il était indispensable que fut tranché le cordon ombilical qui rattachait au sol le travailleur du passé, seul le prolétariat créé par la grande industrie moderne libérée de toutes les chaînes du passé, y compris de celles qui l’attachaient au sol, et concentré dans les grandes villes est en état d'accomplir la grande transformation sociale qui mettra fin à toute exploitation et domination de classe. » (id.)

Les jérémiades des petits-bourgeois ne sont donc pas prises en compte par le programme communiste qui lui, sait voir dans la misère le coté révolutionnaire.

Pour autant que ce phénomène a existé - et l’Allemagne en est un bon exemple, puisqu'une partie très importante du prolétariat était propriétaire d'un logement, d'un jardin ou d'un champ ou pouvait louer le jardin ou le champ dans de bonnes conditions- il a pu assurer à l'ouvrier une certaine stabilité dans la phase de soumission formelle voire au début de la phase de soumission réelle mais le développement de la grande industrie a ruiné ce refuge précaire, contrepartie d'une nullité politique certaine.

Par contre, désormais, alors qu'existe l’ouvrier moderne, la propriété du logement, devient, une utopie réactionnaire et pour autant qu'elle existe, elle forme une entrave certaine au développement et à la défense des conditions de vie de la classe ouvrière.

« Ce qui à une étape antérieure de l’histoire était la base d'un bien-être relatif pour les travailleurs - l’association de la petite culture et de l’industrie, la propriété d'une maison, d'un jardin et d'un champ, le logis assuré - tout cela devient, aujourd'hui, sous le règne de la grande industrie, non seulement la pire entrave pour le travailleur, mais aussi le plus grand des malheurs pour toute la classe ouvrière et le point de départ d'un abaissement sans précédent des salaires au-dessous de leur niveau normal. Ceci non seulement dans quelques branches de l’industrie et quelques régions mais dans le pays tout entier. » ( id.)

En effet, alors que l'une des caractéristiques de l’ouvrier moderne est la mobilité par rapport au lieu de travail, alors que la production capitaliste avec ses vicissitudes et ses bouleversements permanents tend à ballotter le prolétaire au gré de son mouvement, la propriété du logement crée un relatif obstacle à cette mobilité et, rend le prolétaire plus dépendant.

S'il veut continuer à habiter dans le logement dont il est propriétaire, il sera plus facilement soumis au joug du capital et, par conséquent, s'y pliera plus docilement, sans compter que sa propriété du logement est souvent grevée d'un lourd emprunt qui pèse sur sa capacité de lutte. Il sera donc plus à même d'accepter une baisse de salaire en contrepartie de sa stabilité géographique, et offrira une moindre résistance aux empiètements du capital. Ce faisant, c'est sur l’ensemble du prolétariat, dans la mesure où son unité est entamée, que va retomber le joug du capital, et la baisse du salaire atteint ainsi l'ensemble de la classe ouvrière.

D'autre part, cette propriété du logement qui se paye de concessions favorisant la baisse du salaire dans les phases d'expansion du MPC risque d'être réduite à néant avec la crise.

« Pour eux (les travailleurs NDR) la liberté de mouvement est la première condition vitale et la propriété privée ne peut être qu'une entrave. Procurez leur des maisons qui leur appartiennent, enchaînez les à nouveau à la glèbe et vous briserez leur force de résistance à l’abaissement des salaires par les fabricants. Un travailleur, pris isolément, peut à l’occasion vendre sa petite maison, mais on cas de grève sérieuse, ou de crise industrielle généralisée, toutes les maisons appartenant aux travailleurs touchés devraient, fatalement être mises en vente et, par conséquent, ne trouveraient pas d'acquéreurs ou alors il faudrait s'en défaire à un prix très inférieur à celui payé à l’achat, si elles trouvaient toutes des acheteurs, la grande réforme proposée par M.Sax (la propriété privée du logement. NDR) pour- résoudre la question du logement serait réduite à néant. » (id.)

Si nous supposons, cependant, que les ouvriers sont tous propriétaires de leur logement, la valeur de la force de travail pourrait descendre en relation avec les sommes économisées par rapport à la location.

Cependant, il n'est pas sûr que la location soit plus chère que la propriété du logement. Il nous reste justement à définir dans quels cas la location se révèle moins coûteuse que la propriété du logement, et donc dans quelle mesure elle est une meilleure solution du point de vue d'une production capitaliste toujours à la recherche du maximum de plus-value.

Nous avons donc vu :

que la solution que préconise la bourgeoisie et les classes moyennes à la question du logement tient dans un seul mot d'ordre : « propriété privée du logement ».

qu'une telle solution est une utopie dans le cadre des rapports de production capitaliste et ce d'autant plus qu'ils sont parvenus à maturité.

que tant que la société reposera sur l'exploitation du salariat, il ne saurait être question de propriété du logement pour la classe ouvrière, et lorsque cette société sera renversée, il s'agira de tout autre chose que de rendre chacun propriétaire de son logement.

que la propriété du logement s'oppose à la mobilité de la force de travail et donc, qu'outre le fait de forger une chaîne supplémentaire aux prolétaires, en brisant leur élan révolutionnaire, elle est le plus sûr moyen d'abaisser leur salaire. Elle l'abaisse en limitant la concurrence entre les capitalistes et peut l'abaisser en accroissant le poids des dépenses de logement dans le salaire et en tissant des liens de dépendance vis-à-vis du capital financier et de l'Etat (via le crédit) et donc du capital en général.

En effet, contrairement à l'idée reçue, le loyer (toutes choses égales par ailleurs) est moins cher que l'achat du logement, du moins dans certaines circonstances qu'il nous faut exposer ici.

De quoi se compose le loyer ?

Tout d'abord de la rente foncière que s'approprie le propriétaire pour louer quelques mètres carrés de terre afin que le prolétaire puisse reproduire sa force de travail, ensuite de l’amortissement de la valeur de la construction enfin[lxxxix]de l'intérêt sur le capital avancé, c'est-à-dire sur la valeur de la construction.

Supposons que la durée de vie du logement soit de n années et appelons A l’amortissement annuel de la valeur du logement.

Dans ce cas la valeur du logement sera égale à nA. Si nous supposons le taux d'intérêt i constant, la productivité du travail inchangée et la rente foncière R stable, nous pouvons connaître le loyer que paie l’ouvrier pendant, n années, nombre d'années au bout duquel la maison aura achevé sa durée de vie et donc sera à reconstruire.

Si la valeur du logement diminue d'une valeur égale à A chaque année, l'intérêt qui est égal à nAi la première année s'élève à (n ‑ l)Ai la deuxième année, pour être égal à Ai la dernière année. Pour l’ensemble de la vie du bâtiment la masse des intérêts versés s'élèvera donc à nAi + (n-l)Ai + …. + Ai soit n/2(n-1)Ai (intérêt pendant n années) soit n(A + R +[(n+1)/2]Ai).

Supposons maintenant que le prolétaire cherche à, et puisse, acheter un logement. Il emprunte à un taux d'intérêt i l'équivalent de la somme nécessaire pour acheter le terrain et le logement. Le capital requis a donc une valeur de R/i (la location du terrain étant censée rapporter une somme R correspondant au taux d'intérêt du marché, le prix du terrain est donc égal à R/i) + nA (valeur du logement).

Chaque année le prolétaire doit rembourser une fraction du capital emprunté (R/ni) + A (nous supposons que la durée de l’emprunt est égale à la durée de vie du logement ) plus les intérêts du capital emprunté. Ceux-ci s'élèvent à [(R/i) + nA] i la première année. La deuxième année le capital a diminué d’une valeur égale à (R/ni) + A, etc. si bien que la dernière année le montant des intérêts s'élève à [(R/ni) + A] i. Par conséquent, pour une durée de n années les intérêts à rembourser s'élèvent à n/2 (n +1) (R/ni + A) i

Le coût total pour l’achat du logement est alors de :

R/i + nA + n/2 (n+1) (R/ni +A) i

Dans quel cas, le coût pour l’achat du logement est-il supérieur à celui de la location ? Cela est vrai lorsque :

R/i + nA + n/2 (n+1) (R/ni +A) i > nR + nA + n/2 (n+1) Ai

 

Nous pouvons supprimer nA de chaque côté de l’inéquation, ce qui donne :

 

R/i + n/2 (n+1) (R/ni +A) i > nR + n/2 (n+1) Ai

 

Nous pouvons supprimer n/2 (n + 1) Ai de chaque côté de l'inéquation :

 

R/i + ((n+1)/2) R > nR

 

R [ (1/i) + (n+1)/2]> nR

 

R est différent de 0, nous pouvons donc diviser par R chaque côté de l'inéquation.

1/i + (n+1)/2 > n

Par conséquent i doit être > 2/n-1

Donc lorsque le taux d'intérêt est supérieur à 2/n-1 où n représente la durée de vie du logement l’achat se révèle plus cher que la location. Par exemple, si nous supposons que le temps pour que le logement devienne inhabitable est de 51 ans l’achat du logement se révélera plus cher que la location si le taux d'intérêt est supérieur à 4% (2/51-1)

Pour autant que la bourgeoisie désire créer une masse de propriétaires afin de renforcer sa domination et les attacher au char du capital, elle favorisera une politique de bas taux d'intérêt. Cette politique qui, dans les faits, favorise plus particulièrement les classes les plus riches, donc les classes moyennes et la bourgeoisie en leur donnant des garanties supplémentaires[xc]. Une telle politique dont le prototype moderne a pour nom épargne-logement, 1% patronal, prêts aidés, etc. fait qu'une partie de la plus-value sera mise à la disposition des classes moyennes et de la bourgeoisie.

Dans la mesure où la classe ouvrière épargne, la classe bourgeoise empruntera en partie cette épargne avec le soutien de l’Etat qui dépensera une partie de la plus-value pour favoriser la propriété du logement[xci]

Une telle politique a été d'autant plus facile et attrayante qu'avec la phase d'accumulation rapide qui a suivi la deuxième guerre impérialiste mondiale, la hausse de la rente et donc toute la spéculation qu'elle engendre[xcii] sans parler des possibilités offertes par l'héritage, ont rendu d'autant plus séduisante la propriété du logement.

Par conséquent, indépendamment du soutien de la bourgeoisie à la propriété, et si nous faisons abstraction des possibilités d'héritage, la location a tendance à se révéler moins chère que la propriété, ce d'autant plus que la durée de l'amortissement de la maison est grand. Le strict intérêt général de la production capitaliste pousse donc dans le sens de la location du logement, ce phénomène étant contrebalancé à certaines époques lorsque le taux d'intérêt tombe à un bas niveau et soutient de fait la politique volontaire de la bourgeoisie (aide à la propriété, droits de succession etc.) afin de recréer une classe de propriétaires avec d'autant plus de succès que ceux-ci ne sont pas des prolétaires .

L'ultime mot de la bourgeoisie en matière de politique du logement sera alors de déplacer les quartiers ouvriers et les taudis qui renaîtront plus loin. Politique qu'Engels recouvrait du nom d'Haussmann :

« J'entends par Haussmann la pratique qui s'est généralisée d'ouvrir des brèches dans les arrondissements ouvriers, surtout dans ceux situés au centre de nos grandes villes que ceci réponde à un souci de la santé publique, à un désir d'embellissement, à une demande de grands locaux commerciaux dans le centre ou aux exigences de la circulation - pose d'installations ferroviaires, rues, etc. – Quel qu'en soit le motif, le résultat est partout le même : les ruelles et les impasses les plus scandaleuses disparaissent et la bourgeoisie se gonfle de cet immense succès - mais ruelles et impasses ressurgissent aussitôt ailleurs et souvent dans le voisinage immédiat." (Question du logement p.88)

De Haussmann à Chirac il n'y a qu'un pas ; aussi apprenons-nous par le journal de "La ville de Paris" de Novembre 83, que le quartier de la Goutte d'Or, dans le XVIII° arrondissement, quartier célèbre par sa vétusté et son insalubrité va être "rénové".

Lors du recensement de 1982 près de 2 logements sur 3 étaient constitués d'appartements exigus de moins de trois pièces, quant au "confort" et au surpeuplement, les chiffres suivants sont édifiants :

 

 

Périmètre d'intervention de la Goutte d'Or.

XVIII° arrondissement

Propriétaires de résidence principale

19%

28%

Résidences principales équipées d'eau froide seulement

35%

16%

Résidences principales sans baignoire ni douches

54%

28%

Résidences principales sans WC

56%

25%

Résidences principales d’une pièce

43%

27%

Résidences principales surpeuplées

62%

41%

 

De cette opération de « rénovation » on peut attendre :

1°) Le départ d'une partie de la population qui ne pourra être relogée dans la mesure où l’on reconstruira moins de logements

2°) Le départ d'une autre partie de la population qui sera chassée par la hausse des loyers qui ne manquera pas de se produire avec la « rénovation »; et pour attirer les classes moyennes, on a prévu de les « sécuriser » en implantant un commissariat tout en leur offrant l'implantation de commerces, une crèche, une école maternelle et une salle de sport. La population totale du quartier diminuera donc et sa composition sociale sera bouleversée de manière encore plus radicale.

Mais le problème du logement ne sera pas pour autant résolu pour les ouvriers refoulés alors vers la banlieue ou des quartiers encore déshérités, tandis que les sociologues dénonceront l’univers de béton, le stress des barres, les HLM délabrés et les ghettos de banlieue où inévitablement sont concentrées les classes les plus pauvres et au premier rang de celles-ci la classe ouvrière.

25.3    La solution communiste de la question du logement.

La bourgeoisie échoue donc dans la résolution de la question du logement lorsqu'elle propose la propriété privée du logement comme panacée de tous les maux que subit le prolétaire en matière d'habitation. Cette solution échoue devant l’antagonisme entre la ville et la campagne que le MPC a poussé à son paroxysme.

Le déséquilibre croissant entre la population urbaine et la population rurale, le gonflement de la rente urbaine et son accroissement relatif par rapport à la rente agricole, la congestion des transports, la pollution de la terre, de l'air et de l'eau, le dérèglement du métabolisme entre l'homme et la nature, l'isolement et le développement particulièrement étroit du travailleur rural. l’entassement et l’étiolement physique du travailleur urbain etc., etc. sont parmi les manifestations les plus visibles de l’acuité de cet antagonisme.

« On (Mr Sax ) avoue donc que la solution bourgeoise de la question du logement a fait faillite, elle s'est heurtée à l’opposition entre la ville et la campagne. Et nous voici arrivés au cœur même de la question, elle ne pourra être résolue que si la société est assez profondément transformée pour qu'elle puisse s'attaquer à la suppression de cette opposition, poussée à l’extrême dans la société capitaliste d'aujourd'hui. Bien éloignée de pouvoir supprimer cette opposition, elle la rend au contraire chaque jour plus aiguë. » (Engels, la question du logement)

Par conséquent, la résolution communiste de la question du logement s'inscrit dans celle plus vaste de l'abolition de l'antagonisme entre la ville et la campagne. Le programme communiste a toujours insisté sur cette nécessité; aussi parmi les mesures préconisées par le manifeste communiste pour favoriser le passage de la société capitaliste à la société communiste, la mesure N°9 précise : « Combinaison de l'exploitation agricole et industrielle, mesures tendant à faire disparaître graduellement la différence entre la ville et la campagne. »

Jamais le déséquilibre entre l'espèce et son milieu naturel n'a été aussi grand qu'à l'époque actuelle, car les grandes villes perturbent complètement le cycle organique de l’homme et de la nature.

« Avec la prépondérance toujours croissante de la population des villes qu'elle agglomère dans de grands centres, la production capitaliste d'une part accumule la force motrice historique de la société; d'autre part elle détruit non seulement la santé physique des ouvriers urbains et la vie intellectuelle des travailleurs rustiques, mais trouble encore les échanges organiques entre l'homme et la terre, en rendant de plus en plus difficile la restitution de ses éléments de fertilité, des ingrédients chimiques qui lui sont enlevés et usés sous forme d'aliments, de vêtements etc. Mais en bouleversant les conditions dans lesquelles une société arriérée accomplit presque spontanément ces échanges, elle force de les rétablir d'une manière systématique, sous une forme appropriée au développement humain intégral et comme loi régulatrice de la production sociale. » (Marx. Tome 1 p.998)

La science bourgeoise, en la personne d'un Liebig s'était parfaitement rendue compte de l’absurdité qui consiste à rejeter à la mer des tonnes d'excréments produites chaque jour par une grande ville, tandis que d'un autre coté on empoisonne la terre en lui ôtant ses ressorts organiques.

La révolution communiste qui devra éliminer toutes les bases du MPC proclame donc tout à fait légitimement la nécessité d'abolir la séparation entre la ville et la campagne.

Abolition de la séparation entre la ville et la campagne ! Beaucoup ânonnent cette mesure révolutionnaire, sans préciser ce qu'elle signifie réellement : Destruction des grandes villes !

« La suppression de l'opposition de la ville et de la campagne n'est donc pas seulement possible. Elle est devenue une nécessité directe de la production industrielle elle-même, comme elle est également devenue une nécessité de la production agricole et, par-dessus le marché de l’hygiène publique. Ce n'est que par la fusion de la ville et de la campagne que l'on peut éliminer l'intoxication actuelle de l'air de l'eau et du sol; elle seule peut amener les masses qui aujourd'hui languissent dans les villes au point où leur fumier servira à produire des plantes; au lieu de produire des maladies (...)

La suppression de la séparation de la ville et de la campagne n'est donc pas une utopie, même en tant qu'elle a pour condition la répartition la plus égale possible de la grande industrie à travers tout le pays. Certes, la civilisation nous a laissé, avec les grandes villes, un héritage qu'il faudra beaucoup de temps et de peine pour éliminer. Mais il faudra les éliminer et elles le seront, même si c'est un processus de longue durée. Quelles que soient les destinées réservées à l'Empire allemand de nation prussienne, Bismarck peut descendre au cercueil avec la fière conscience que son souhait le plus cher sera sûrement exaucé : le déclin des grandes villes. » (Engels : Anti-Dühring p. 3. ES)

Commentant ce passage. Monsieur- Henri Lefèbvre qui a le don d’écrire sur tout et n'importe quoi, craint qu'Engels n'ait pas bien mesuré le danger de "ruralisation" de la société qu'implique selon lui une telle mesure (cf. Engels et l'utopie, in. Le droit à la ville). Monsieur Lefèbvre écrit des volumes entiers sur la "pensée marxiste" et la ville, et il n'a pas saisi le premier mot de la dialectique qu'il prétend nous exposer. En bon citadin, il craint que la disparition des villes ne provoque une ruralisation de la société. S'il était un philosophe paysan, il craindrait sans doute que l'abolition de la campagne ne signifie une urbanisation de la société. Prisonnier d'une de ces antinomies que la société capitaliste a si bien su renforcer, Mr Lefèbvre pense un des termes de cette antinomie, en excluant l'autre de son raisonnement. Il ne comprend pas que pour le communisme il s'agit d'éliminer et la ville et la campagne, et donc l'antinomie qui en découle. Il s'agit de réconcilier l'espèce avec elle-même, de la réunifier et plus généralement de la réconcilier avec la nature, dont elle forme une partie. Ne connaissant plus ni division sociale du travail, ni division en classes, ni échange, ni Etat, la société communiste future, qui recensera les besoins de l'espèce et sera capable d'orienter la production vers la satisfaction de ces besoins sera à même d'organiser la répartition harmonieuse de l'espèce sur toute la croûte terrestre. Aller plus loin dans la description des formes de vie et d'habitat de cette société serait faire de l’utopie. Ce qui est certain, c'est que l’augmentation dans un premier temps de la population active dans l'agriculture permettra un début de décongestionnement des villes ; que l’on mettra en place également des mesures permettant de combiner activité agricole et activité industrielle, d'où un nouveau transfert de population. Pour toute cette nouvelle population, une nouvelle forme d'habitat sera possible et l'industrie de la construction, qui elle aussi aura besoin de beaucoup plus de bras sera ici particulièrement active, bâtissant des habitations nouvelles, mais aussi les infrastructures collectives et individuelles que ne manqueront pas de susciter les nouvelles formes de vie.

Nous ne tomberons pas ici dans le travers des utopistes qui dessinaient par avance le plan de la nouvelle organisation. Il est toutefois certain que les modifications qui ne manqueront pas d'intervenir dans la famille, dans le mode de consommation (création de restaurants, laveries, etc.) et de distribution des produits, ainsi que la libération de l'esthétique de la dictature du capital, auront des conséquences sur l’organisation de l’espace et l’architecture des habitations.

Il est certain aussi que les zones d'habitation de demain, relativement petites par rapport à l’époque actuelle, se multiplieront à la surface de la terre, reliées entre elles par un puisant réseau de communication et de transport. Monsieur Lefèbvre, qui raisonne par rapport à l'horizon borné du village craint que la société s'appauvrisse d'une telle organisation. Or, au contraire, celle-ci permettra le surgissement de l’homme total de la société communiste, homme dont l’hyper-développement de certaines de ses facultés ne sera pas obtenu grâce à l’étiolement de ses autres facultés, comme cela se passe aujourd'hui.

Cette "nouvelle race de producteurs" dont parle Engels, formera une force productive telle qu'elle compensera aisément la hausse des coûts de production due à la déconcentration des unités de production et des zones d'habitation, qui est déjà d'ailleurs une réalité croissante, du fait de l'internationalisation du capital.

« L'industrie capitaliste s'est déjà rendue relativement indépendante des barrières locales que constituaient les lieux de production de ses matières premières. Dans sa grande masse, l'industrie textile travaille des matières premières importées. Les minerais de fer espagnols sont travaillés en Angleterre et en Allemagne, les minerais de cuivre d'Espagne et d'Amérique du Sud en Angleterre. Tout bassin charbonnier fournit de combustible une périphérie industrielle qui, d'année en année, croît bien au-delà des limites de ce bassin. Sur toute la côte d'Europe, les machines à vapeur sont actionnées avec du charbon anglais, parfois allemand et belge. La société libérée des barrières de la production capitaliste peut aller bien plus loin encore. En produisant une race de producteurs développés dans tous les sens, qui comprendront les bases scientifiques de l’ensemble de la production industrielle et dont chacun aura parcouru dans la pratique toute une série de branches de production d'un bout à l’autre, elle créera une nouvelle force productive compensant très largement le travail de transport des matières premières ou des combustibles tirés de grandes distances. » (Engels. Anti-Dühring p.334)

Tout en commençant cette tâche de longue haleine qui verra la fin de l'antagonisme entre la ville et la campagne, l'émergence de formes de vie supérieures pour l'humanité libérée, la dictature du prolétariat pourra et devra soulager- immédiatement le sort du prolétariat, certes nous l’avons vu, en entamant une planification démographique liée aux modifications de l'activité productive (extension des terres cultivées, accroissement de la force de travail liée à l'activité agricole, etc.) mais aussi en prenant des mesures contre la bourgeoisie, en l'expulsant d'une partie de ses habitations de luxe, et en réquisitionnant l’autre,[xciii]en occupant une partie des logements vides, en redistribuant certains logements, il pourra être mis fin aux problèmes les plus évidents. De même, on arrêtera la construction dans les grandes villes, et en même temps que seront mises en oeuvre des mesures visant à la dépollution de l'air, de l'eau et de la terre, parmi lesquelles l'arrêt de la circulation automobile dans les grandes villes.

« La suppression de l'opposition entre la ville et la campagne n'est pas plus une utopie que la suppression de l'antagonisme entre capitalistes et salariés. Elle devient chaque jour davantage une exigence pratique de la production industrielle comme de la production agricole. Personne ne l'a réclamée avec plus de force que Liebig dans ses ouvrages sur la chimie agricole dans lesquels il demande en premier et constamment que l’homme rende à la terre ce qu'il reçoit d'elle et où il démontre que seule l'existence des villes, notamment des grandes villes, y met obstacle. Quand on voit qu'ici, à Londres notamment, on jette journellement à la mer, à énormes frais, une plus grande quantité d'engrais naturels que n'en peut produire tout le royaume de Saxe et quelles formidables installations sont nécessaires pour empêcher que ces engrais n'empoisonnent tout Londres, alors l'utopie que serait la suppression de l'opposition entre la ville et la campagne .se trouve avoir une base merveilleusement pratique. Berlin, lui-même, relativement, peu important, étouffe dans ses propres ordures depuis au moins trente ans. D'autre part, c'est une pure utopie de vouloir, comme Proudhon, bouleverser l’actuelle société bourgeoise en conservant le paysan tel qu'il est. L'abolition du mode de production capitaliste étant supposée réalisée, seules une répartition aussi égale que possible de la population dans tous le pays et une étroite association des productions agricole et industrielle, avec l’extension des moyens de communication rendue alors nécessaire, sont en mesure de tirer la population rurale de l'isolement et de l'abrutissement dans lesquels elle végète, presque sans changement depuis des millénaires. » (Engels)

26.  Le prix de la terre

Nous avons vu que la théorie communiste de la question agraire nous permettait de résoudre les manifestations les plus complexes de la loi de la valeur, qu'elle offrait une théorie complète du profit et du surprofit sous tous ses aspects. Nous avons donc vu comment se formaient les surprofits dans l'industrie avec la formation du prix de production et l'égalisation du taux de profit moyen, comment ces surprofits pouvaient acquérir un caractère permanent dans l'agriculture et se convertir en rente foncière sous l’action de la propriété foncière, comment sans violer la loi de la valeur le capitaliste pouvait payer une rente foncière au propriétaire indépendamment de la qualité des terres, comment enfin pour quelques exceptions se formait un prix de marché correspondant à un prix de monopole. L'étude de la question agraire nous permet également de résoudre un problème qui semble contredire la loi de la valeur : comment certaines valeurs d'usage qui ne sont pas le produit du travail humain, par exemple la terre, peuvent-elles avoir un prix, alors qu'elles n'ont pas à proprement parler de valeur ?

« Lorsqu'on étudie les aspects de la rente foncière, c'est-à-dire le fermage payé au propriétaire foncier sous le nom de rente foncière pour l’utilisation du sol soit pour la production soit pour la consommation, il faut encore retenir ceci : le prix d'objets n'ayant en soi aucune valeur, c'est-à-dire n'étant pas le produit du travail comme par exemple la terre, ou du moins ne pouvant pas être reproduits par le travail comme les antiquités, les chefs d’œuvre de certains artistes etc. peut-être déterminé par des combinaisons très fortuites. Pour vendre un objet, il suffit qu'il soit monopolisable et aliénable. »(Marx)

26.1    Petty et le prix de la terre.

Le premier auteur classique qui ait posé clairement le problème du prix de la terre est Sir William Petty, un des grands auteurs de l’économie politique classique, le fondateur de la branche anglaise de celle-ci, et que Marx qualifie souvent de "génial".

Chez Petty, la valeur des marchandises est proportionnelle aux quantités de travail qu'elles contiennent. La "valeur du travail" dans le langage de Petty, ce que le programme communiste traduit, et cette simple traduction est en même temps une révolution, une critique radicale de l'économie politique, par "valeur de la force de travail" est déterminée par l'importance des subsistances nécessaires à l'ouvrier pour vivre, c'est-à-dire pour reproduire sa force de travail .

Deux facteurs influencent- le prix de la force de travail :

1°) La fertilité naturelle des terres.

2°) Le climat, dans la mesure où il modifie les besoins.

Comme tous les auteurs proches de l’époque féodale, caractéristique qu'il partage avec les physiocrates par exemple, Petty ne voit la plus-value que sous la forme de la rente foncière. L'intérêt est pour lui dérivé de la rente foncière.

Petty qui considère que la terre et le travail sont les deux facteurs créateurs de la richesse, estime que le problème économique le plus important est d'établir une parité entre le prix du sol et le travail . Si celle-ci était déterminée il serait possible d'évaluer toute marchandise dans l’un ou l’autre des facteurs source de la richesse.

Petty connaît l’existence de la rente différentielle, il l'a même mieux analysée que Smith qui écrira après lui. Petty considère que cette rente différentielle est fonction de la localisation et de la fertilité des sols, et il note que les propriétaires fonciers s'opposent au progrès de l'accumulation capitaliste dans l'agriculture .

Dans sa recherche. Petty est amené à se poser le problème du prix de la terre. A la différence du programme communiste qui considère que la rente comme l'intérêt ne sont qu'une partie de la plus-value, Petty ne peut calculer la capitalisation de la rente foncière à l’aide du taux d'intérêt étant donné que l’intérêt 'est dérivé de la rente, assimilé à la plus-value totale. L'intérêt ne constituant qu'une forme secondaire, c'est du prix de la terre qu'il est déduit et il ne peut alors servir -Petty est cohérent avec sa conception - à calculer celui-ci. Cependant, et c'est un des grands mérites de Petty, le prix du sol est bien égal à la rente foncière capitalisée, c'est-à-dire à la somme des rentes foncières anticipées sur plusieurs années. La voie du taux d'intérêt lui étant coupée, il doit se tirer d'embarras autrement. Petty considère alors le temps que vivent ensemble 3 générations d'hommes, c'est-à-dire le temps que cohabitent le grand-père, le père et le fils. Petty estime ce temps à 21 ans. Le prix de la terre sera donc égal à 21 années de rente foncière.

Petty donc, à l’aube de la science économique, montre que le prix de la terre est égal à la rente capitalisée et que la rente en tant qu'elle représente la plus-value est issue du travail. Au crépuscule de la science économique, désormais en pleine débâcle, il est bien certain que de tels résultats ne sont plus admis que par le programme communiste. La bourgeoisie ayant renoncé à toute autre conception que celles qui se consacrent à son apologie vulgaire.

26.2    Le programme communiste et le prix de la terre.

Le prix de la terre est égal à la rente capitalisée. Pour calculer cette capitalisation, c'est-à-dire pour déterminer le nombre d'années nécessaires pour calculer la somme des rentes foncières égale au prix de la terre, Marx prend en compte le taux d'intérêt des investissements à long terme. Le propriétaire foncier qui achète un terrain cherchera à obtenir de son capital le taux d'intérêt moyen qui prévaut sur le marché comme pour n'importe quel autre prêt à long terme.

Le prix de la terre est donc égal au rapport de la rente sur le taux d'intérêt R/i où R représente la rente annuelle et i le taux d'intérêt des prêts à long terme. Si nous supposons que la rente s'élève à 200 F par hectare et que le taux d'intérêt est de 5% le prix de la terre sera égal à 4000 F par hectare (200/5%). Tandis qu'aux yeux de l’économiste vulgaire, le terrain apparaîtra comme la source de la rente, la théorie révolutionnaire démontre que le rapport est inverse. L'évolution du prix des terres dépend donc des facteurs en présence : la rente et le taux d'intérêt.

Si la rente augmente, le taux d'intérêt demeurant identique, le prix des terres s'élève. Dans notre exemple, si nous supposons que la rente s'élève désormais à 300 F/ha pour un taux d'intérêt identique de 5%, le prix de la terre se monte à 6000F/ha.

De la même manière, pour une rente inchangée, si le taux d'intérêt baisse, le prix de la terre s'élève. Si, pour une rente de 200F/ha, le taux d'intérêt baisse de 5% à 3,33%, le prix de la terre augmente, passant de 4000 à 6000 F.

Inversement, une baisse de la rente, toutes choses égales par ailleurs, provoque une baisse du prix des terres et une hausse du taux d'intérêt, toutes choses égales par ailleurs, a le même effet.

Quelle a été l'évolution du prix de la terre en France ?

Le prix de la terre a atteint un maximum vers 1880 (en francs constants) puis ensuite a décru assez régulièrement jusqu'en 1939. Dans l’après-guerre, le prix de la terre a crû de nouveau avec régularité, si bien que de 1950 à 1977 le prix réel des terres agricoles a été multiplié par 3. Avec l’année 1978, le prix des terres agricoles a connu un nouveau maximum et depuis, le prix réel de la terre baisse, et de plus en plus, chaque année.

Ce phénomène est-il conjoncturel ou traduit-il un phénomène plus profond qui, si nous faisons abstraction du mouvement des taux d'intérêt bien qu'en légère hausse, pourrait se résumer ainsi : tendance à la baisse absolue de la rente foncière .

La bourgeoisie, chiffres à l'appui, s'est efforcée de nier, sur ce plan également, la théorie de la rente foncière en essayant de montrer que le prix de la terre pouvait difficilement s'expliquer par la capitalisation de la rente foncière.

« L'augmentation très importante du prix de la terre en France par rapport au pourcentage de variation annuelle des fermages accroît la faiblesse des prix de location en pourcentage du prix des terres et incite à ne pas (ou ne plus) définir- le prix de la terre par la capitalisation des rentes » (J.L.Vaillant La propriété foncière agricole, rentes et plus-values).

Comme le présente la bourgeoisie, le phénomène parait indéniable; par- exemple tandis que le prix courant de la terre triple entre 1950 et 1963. les revenus fonciers dans la même période n' augmentaient que de 65%, soit l’équivalent de la hausse des prix.

C'est-à-dire que tandis que le prix de la terre s'élevait en francs constants les revenus fonciers restaient stables. Rapporté au prix de la terre, le montant des fermages décroît donc et le taux obtenu est en dessous du taux d'intérêt à long terme.

Il faut tout d'abord remarquer que les statistiques agricoles et particulièrement celles du prix de la terre sont assez imprécises. Il s'agit d'une enquête "à dire d'experts" qui repose sur des estimations comportant une part d'appréciation subjective des personnalités ou services qualifiés consultés (notaires, experts fonciers, SAFER etc.). Des pondérations sont effectuées entre les prix recueillis dans plus de 700 régions agricoles concernant des parcelles de plus de 1 hectare, et vendues dans des conditions diverses. Lorsque les parcelles sont petites le prix est en général assez élevé, étant donné la demande de convenance qui s'exerce sur elles. Lorsqu'il s'agit de la vente d'une exploitation complète, le prix à l'hectare est en général moins élevé que pour les parcelles. La présence d'une forte couche de paysans parcellaires favorise une hausse du prix de la terre en accroissant relativement la demande par rapport à une offre limitée.

« Nous avons vu que, pour une rente foncière donnée, le prix de la terre dépend du taux d'intérêt. Si celui-ci est faible, le prix du terrain est élevé, et inversement. Par conséquent, la cherté du terrain devrait normalement aller de pair avec un faible taux d'intérêt, si bien que le cultivateur qui paie son terrain cher pourrait se procurer des fonds de roulement à des conditions de crédit favorables. Là où la propriété parcellaire prédomine, les choses se passent en réalité autrement. Tout d'abord, les lois générales du crédit supposent que des producteurs soient des capitalistes et elles ne s'appliquent donc pas aux paysans. En second lieu, dans les pays où la propriété parcellaire constitue la base de la société (nous faisons ici abstraction des colonies), la formation du capital, c'est-à-dire la reproduction sociale, est relativement faible; plus faible encore est celle du capital monétaire de prêt, au sens analysé plus haut, car elle suppose la concentration du capital et l’existence d'une classe de riches capitalistes oisifs (...). Enfin, le prix du sol augmente indépendamment ou en raison inverse du taux d'intérêt, dans une société où les producteurs doivent être, pour la plupart, les propriétaires du sol pour pouvoir vivre et investir leur capital, et où la demande de terres l’emporte sur l’offre. Le prix du sol est bien plus élevé lorsqu'il est vendu par parcelles que lorsqu’il l’est par grandes étendues, du fait que les petits acheteurs sont beaucoup plus nombreux que les grands (...) Pour- toutes ces raisons, le prix du sol augmente même si le taux d'intérêt est relativement élevé. Le paysan tire un intérêt relativement bas du capital investi dans l'achat du sol. mais celui qu’il doit payer de son côté à ses créanciers hypothécaires est à un taux usuraire. » (Marx. Capital III, 6 Pléiade t.II p.1421-22)

Enfin lorsqu'il s'agit de parcelles louées, elles se vendent en général avec une moins-value de l’ordre de 25 à 30%.

D'autre part, les estimations ne sont pas exemptes de l’influence de la rente urbaine sur les terres qui se trouvent à la frontière. Ce n'est donc pas, dans ce cas, la rente agricole proprement dite qui est seule prise en compte. Nous avons déjà longuement parlé de ce phénomène ci dessus. Rappelons que si en France les superficies agricoles vendues et utilisées à des activités non agricoles et qui voient, leur prix doubler, tripler et décupler ne représentent qu'une très faible partie du territoire agricole (moins de 0,2%) les surfaces atteintes par l'influence de la rente urbaine représentent 25% du territoire.

Ces facteurs semblent déjà montrer une surestimation du prix des terres. Si nous laissons de côté les imprécisions et le caractère subjectif de la statistique nous pouvons remarquer que les terres louées sont décotées de 25 à 30%. Ce qui relève d'autant le taux de rendement rente/prix de la terre, qui doit, correspondre au prix d'intérêt à long terme du marché. Cependant, quelles que soient les imprécisions dues à une homogénéisation des diverses estimations, le taux de progression demeure, et c'est aussi lui qu'il faut expliquer, quelle que soit, la hauteur du prix de la terre que nous retenons comme référence et que la statistique courante sur estime. L'influence de la rente urbaine sur la rente agricole et donc sur le prix des terres agricoles est lui, par contre, un facteur d'explication. D'une part, ce phénomène a une influence sur la hauteur du prix de la terre et conduit à sa surestimation, mais également il suffit que la rente urbaine ait gonflé plus rapidement que la rente agricole et ait étendu son champ d'influence pour expliquer, en partie, la progression plus rapide du prix de la terre agricole. Or, c'est bien dans ce sens qu’a joué l’évolution de la rente urbaine. De même que le prix de la terre est surestimé, le montant des rentes versées, lui, est sûrement sous-estime, on observe en effet des dépassements importants entre les fermages pratiqués sur le marché et les normes réglementaires fixées par la préfecture. Il est vrai cependant que les fermages incluent aussi souvent, des intérêts du capital, comme les bâtiments, par exemple.

Cependant, nous ne saurions considérer qu'avec ces seuls facteurs, même s'ils montrent que le prix de la terre et son évolution sont surestimés, tandis que les rentes sont sous-estimées. nous avons complètement expliqué le phénomène décrit plus haut.

Depuis la seconde guerre mondiale l'augmentation de la rente foncière a reposé sur l’augmentation aussi bien de la rente différentielle II que de la rente absolue.

Si nous supposons 4 terrains de fertilité différente sur lesquels une composition et une masse de capital identique est accumulée, nous pouvons remarquer que la rente différentielle va varier en fonction de la fertilité relative des terrains et que la rente absolue quant à elle va être identique pour chaque espèce de terre. Sur la terre I, la moins fertile, nous pouvons supposer la rente différentielle égale à 0 et la rente absolue égale à RA. La rente différentielle sur le terrain II, nous la supposons égale à RDII, sur le terrain III à RDIII et sur le terrain IV à RDIV.

Bien entendu, sur les terres II, III, IV la rente absolue est identique à celle de la terre I soit RA. Par conséquent, la rente foncière totale pour l’ensemble des terres sera égale à : 4 RA + RDII + RDIII + RDIV, donc la somme des rentes absolue plus la somme des rentes différentielles, sachant, que pour la terre I cette rente différentielle est nulle.

Si le taux de profit de l’agriculture a tendance à rattraper le taux de profit de l'industrie, le taux de la rente absolue a tendance à- baisser, par contre la masse de la rente absolue peut s'élever dans la mesure où le capital accumulé s'accroît et que cet accroissement permet de compenser et au-delà la baisse du taux de la rente. C'est ce qui s'est passé depuis 1945. En ce qui concerne la rente différentielle, l'extraordinaire accumulation de capital qui a eu lieu dans l'agriculture depuis la fin de la seconde guerre mondiale a favorisé l'augmentation de la rente différentielle II. Cette augmentation n'a toutefois pas été proportionnelle à l'accumulation du capital dans la mesure où une partie des terres, les moins fertiles et les plus mal situées, a été abandonnée.

La hiérarchie relative des fertilités s'est donc atténuée avec l'élimination des plus mauvais terrains et l'amélioration de leur localisation par rapport aux marchés. La rente différentielle I a donc été en diminuant et la valeur de marché, toutes choses égales par ailleurs, a elle aussi baissé. Par contre, la rente différentielle II a augmenté en relation avec l'augmentation de la valeur de la production agricole. Toutefois, si nous faisons abstraction de l’influence de la rente différentielle I (c'est-à-dire si nous najoutons ni ne retranchons de terrains) il est probable que sous l’effet des investissements successifs les terrains aient (pour un capital égal) vu leur hiérarchie se rétrécir.

Par conséquent, l’augmentation de la rente aura été moins que proportionnelle à l'augmentation de la valeur de la production agricole sur le plus mauvais terrain. Nous pouvons donc conclure à une hausse de la rente sous l'action d'une intense accumulation capitaliste, mais aussi à la baisse du taux de la rente qui touche aussi bien la rente absolue que la rente différentielle. Baisse du taux de la rente absolue étant donné que le taux de profit agricole s'est rapproché de celui de l'industrie. Baisse du taux de la rente différentielle sous l'effet conjugué de l’action de la rente différentielle I (élimination des plus mauvais terrains) et de la rente différentielle II (avec l'accumulation du capital et le rétrécissement de la hiérarchie relative de la fertilité des terres) Mais cette baisse du taux, étant donné l'énorme accroissement du capital accumulé dans l'agriculture, s'est accompagnée d'une augmentation de la rente foncière, laquelle a cependant été moins que proportionnelle à l’augmentation de la valeur de la production agricole sur les plus mauvais terrains pour la rente différentielle et moins que proportionnelle au capital accumulé pour la rente absolue.

De fait, certaines indications peuvent nous donner une idée des tendances enregistrées depuis la seconde guerre mondiale.

Par exemple, le capital fixe productif brut par tête qui doit correspondre grosso modo à notre capital fixe est passé pour la sphère agricole de 6 100 F en 1952 (valeur 1959) à 30 300 F, soit une croissance annuelle de 8,3%, la plus forte progression enregistrée dans l’ensemble de l’économie, mais, malgré cela, l’agriculture restait l’un des secteurs les plus attardés ; du dernier rang qu'elle occupait en 1952, elle était passée à l’avant-dernier, dépassant seulement le bâtiment. Donc, tandis que l’agriculture avait un capital fixe par tête de 30 300 F, il était de 53 000 F pour la moyenne de la société. Cela paraît montrer que la composition organique s'est considérablement élevée dans l’agriculture et qu’elle a progressé plus rapidement dans ce secteur que dans les autres, amorçant un rattrapage de l’agriculture par rapport a l’industrie, sans toutefois combler complètement le retard. Il est donc tout à fait probable que le taux de profit ait diminué dans l’agriculture et se soit rapproché du taux de profit de l’industrie.

Bien que la rente foncière soit égale à la somme de la rente absolue et de la rente différentielle, nous devons avoir une assez bonne indication de ce que le prix de la terre est égal à la rente capitalisée si celui-ci a augmenté moins rapidement que la valeur de la production agricole[xciv] et que le capital accumulé.

De 1970 à 1981, la valeur des livraisons passe de 64,5 milliards en francs courants à 198,9 milliards, soit une augmentation annuelle de 10,7% ; dans le même temps, le prix de la terre s'élevait de 7900 à 21300 soit une hausse annuelle de 9,4%. De la même manière, les consommations intermédiaires et la formation brute de capital fixe, qui doivent recouvrir plus ou moins bien notre capital constant ont triplé en francs constants à peu près en 20 ans (1949-1969/70) tandis que le prix des terres a triplé en 27 ans (1950-1977). En 1969 le prix de la terre n'avait fait que (si l’on ose dire) doubler.

De tous ces éléments nous pouvons donc déduire que le prix de la terre n'a pas suivi une évolution anormale par rapport à ce que l'on pourrait attendre d'un prix de la terre correspondant à la rente capitalisée. Cela est d'autant plus vrai, si nous prenons en compte la surestimation du prix que nous avons mis en évidence plus haut.

Nous pouvons conclure que, déduction faite des surestimations et sous-estimations déjà mentionnées, les propriétaires fonciers ne parviennent pas à convertir en rente foncière la totalité du surprofit qu'ils seraient en mesure d'obtenir.

A ce phénomène, nous pouvons donner deux explications qui résultent du rapport de forces favorables aux fermiers. La durée du bail est suffisamment longue et le droit de reprise suffisamment favorable au fermier pour lui garantir la récupération du capital constant qu'il aura investi dans la terre. Cette durée du bail le rend également à même de s'approprier les surprofits qui résultent des investissements successifs de capitaux (rente différentielle II). D'autre part, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la quantité de denrées fixant le montant du fermage ne peut être supérieure aux quantités représentant en 1939 le prix normal des baux dans la région considérée, même s'il existe des dérogations; et même si, au moins de 1946 à 1963, la jurisprudence a été favorable aux propriétaires fonciers, le rapport de forces favorable aux fermiers a entraîné le paiement de fermages inférieurs à la rente foncière. En limitant l’augmentation des fermages, en mettant en place une législation comportant des baux de longue durée, avec droit au renouvellement, et transmissibles aux descendants le capital a pu s'accumuler d'autant plus facilement dans l'agriculture avec pour conséquence la baisse du taux de la rente foncière. Cependant, pour n'être pas entièrement transformé en rente foncière le surprofit n'en existe pas moins, et la lutte sourde entre la propriété foncière et les capitalistes pour l’accaparement de ce surprofit a induit des phénomènes pervers, en marge de la légalité.

Nous avons vu d'une part que les rentes réellement versées étaient souvent en dépassement par rapport aux fermages réglementaires, mais lors de la reprise des terres s'est développée la pratique des « pas de portes » ou « coups de chapeaux », surtout dans les régions de grande culture. Ces pas de porte, qui varient du simple au double et peuvent atteindre 20 à 50% de la valeur de la terre montrent que les propriétaires qui obtiennent tout ou partie de ces pas de portes (l’autre partie va au fermier qui laisse l’exploitation et correspond au paiement du capital), récupèrent ainsi sous la forme capitalisée une partie du surprofit qui leur a échappé. Ces phénomènes se retrouvent dans 5 pays de l’OCDE qui justement ont introduit une limitation du niveau des fermages si bien que le loyer brut de la terre lorsqu'il est rapporté au prix de la terre est en dessous du taux d'intérêt à long terme. Outre le désavantage pour le fermier capitaliste qui se voit, par cette pratique, contraint de devoir payer une partie du prix de la terre et donc d'utiliser stérilement une partie du capital en avances foncières, réduisant d'autant le capital qu'il peut accumuler sur l'exploitation, nous pouvons constater que, bon gré mal gré, la loi de la valeur s'impose à la société et à ses agents.

D'autre part, il faut souligner, et Marx le notait déjà, que le taux d'intérêt est de toutes façons traditionnellement plus bas que la moyenne générale de l’industrie. C'est aussi une conséquence de l'opposition entre la ville et la campagne qui fait que le placement en terres agricoles ne se réalise pas avec la même aisance que l'achat d'actions.

A cela s'ajoute le fait que la terre est toujours apparue comme une valeur refuge, un placement sûr.

« Cette confusion de la rente foncière avec l’intérêt -forme qu'elle revêt pour l’acheteur de la terre- repose sur une méconnaissance totale de la nature de la rente foncière et conduit aux sophismes les plus étranges. Etant donné que, dans toutes les vieilles nations, la propriété foncière est considérée comme une forme particulièrement distinguée de la propriété et qu'en outre son acquisition passe pour un placement éminemment sûr, le taux d'intérêt auquel la rente foncière est achetée est en général plus bas que pour d'autres placements à long terme, si bien que l’acheteur de biens-fonds n'obtient par exemple, que 4% sur le prix d'achat, alors qu'ailleurs il aurait obtenu 5% pour le même capital; en d'autres termes, il débourse plus de capital pour la rente foncière qu'il ne l'aurait fait pour le même revenu annuel dans d'autres placements. » (Marx. Capital III, 6 note de la page 1294 Pléiade t.II)

Ce facteur du taux d'intérêt plus bas dans l'agriculture fausse le jugement en faisant considérer un taux bas de la rente foncière là où en fait le prix des terres est élevé.

Cependant, le développement du MPC va dans le sens d'une égalisation; ainsi apprenons nous par "Le Nouvel Economiste" que « Dans la voie du réalisme, les socialistes n'hésitent plus à reprendre à leur compte les idées de l’ancienne majorité. Ainsi M.Michel Rocard, a autorisé le Crédit Agricole à lancer dans les prochains jours la première SCPI (Société Civile de Placements Immobiliers) investie en parts de GFA (Groupements fonciers agricoles). Prévue dans la loi d'orientation agricole de 1980, cette possibilité n'avait jusqu'à présent pas été utilisée.

Pour faciliter le démarrage de ce nouveau produit - baptisé SEFA -Société d'Epargne Foncière Agricole - la banque verte va lui faire un apport de 300 millions de francs. Les souscriptions du public ne seront recueillies que dans un deuxième temps, en mars prochain. Destination de ces fonds : le financement de GFA nouveaux dans les zones de montagne et les départements de l’Ouest de la France, ainsi que le rachat de parts de groupements existant depuis au moins trois ans. » (Le Nouvel Economiste 7 Novembre 83).

Un autre exemple montre que le prix de la terre correspond bien à la rente capitalisée, c'est l’évolution du prix des prairies naturelles par rapport aux terres labourables. Le rapport entre le prix des prairies et les terres labourables a évolué comme suit :

-Rapport relatif du prix des prairies au prix des terres labourables -

 

1950

1,39

1953

1,35

1958

1,30

1960

1,24

1962

1,15

1963

1,12

1964

1,08

1965

1,05

1966

1,04

1967

1,03

1968

1,01

1969

0,98

 

La supériorité de l’ordre de 40% pour les prairies au début de l'après-guerre s'explique par le fait que le capital investi dans celles-ci, était plus important étant donné le meilleur aménagement dont elles bénéficiaient. Progressivement, avec le développement des engrais et des aménagements et amendements qui ont pu être faits au sol, le niveau relatif entre les types de terres s'est égalisé. D'autre part, les modification intervenues dans la nourriture des animaux (fourrages nécessitant une utilisation croissante des terres labourables à cet usage, création de prairies temporaires) ont entraîné le recul des prairies naturelles et pour autant qu'une partie a été convertie en terre labourable il s'est agi des meilleurs terres. La conjugaison de ces facteurs ayant entraîné une égalisation entre le prix des terres avec même un renversement de tendances puisque désormais les terres labourables sont, en général, légèrement plus chères que les prairies naturelles.

Nous pouvons alors revoir les grandes tendances historiques du prix de la terre. Jusque vers les années 1890 la production agricole a augmenté sans qu'il y ait véritable diminution des terres cultivées d'où une hausse de la rente foncière même si le taux de la rente descendait.

A partir de 1890 on a faible développement de la valeur de la production agricole et diminution des superficies cultivées. Il s'en est suivi une diminution de la rente foncière par hectare. A partir de 1945, accumulation très rapide du capital dans l'agriculture ; la productivité et l'intensité du travail augmentent, ainsi que la valeur de la production agricole. Nous avons déjà décrit les modifications intervenues avec l'accumulation du capital sur la rente absolue et la rente différentielle aussi celles-ci ont augmenté jusqu'à une période récente. Il est cependant vraisemblable que abstraction faite d'une hausse du taux de l'intérêt, et d'une baisse de la demande qui conjoncturellement expliquent la baisse du prix des terres, nous sommes entrés dans une phase de baisse tendancielle de la rente foncière et donc, toutes choses égales par ailleurs, du prix des terres.

Reprenons un tableau que nous avons déjà vu plus haut qui illustre la combinaison entre la rente absolue et la rente différentielle

 

1

2

3       4

5

6

7

8

9

10

Terres

Sup.

Produit

Capital avancé

Profit total

Profit capital agric.

Rente totale

Rente absolue

Rente diff.

F

q

A

1

100

25

80

20

10

10

10

-

B

1

120

30

80

40

10

30

10

20

C

1

140

35

80

60

10

50

10

40

D

1

160

40

80

80

10

70

10

60

Total

4

520

130

320

200

40

160

40

120

 

En supposant un taux d’intérêt de 10%, le prix des terres s’établirait ainsi :

 

A = 10/0,1 = 100 ; B = 30/0,1 = 300 ; C = 50/0,1 = 500 ; D = 70/0,1 = 700

 

Le prix total de la terre étant 1000, qui correspond à la rente totale capitalisée avec un taux d'intérêt de 10%. Dans le cas d'une évolution des rentes, comment va, toutes choses égales par ailleurs, se comporter l'écart relatif entre le prix des terres ?

Comme le prix des terres est capitalisé selon le même taux d'intérêt que nous supposons constant, il évoluera dans le même sens que la rente foncière. L'écart relatif du prix des terres est donc toutes choses égales par ailleurs, égal au rapport relatif entre les rentes foncières. Comme il s'agit de comparer des mouvements relatifs, la hauteur absolue des rentes et du capital accumulé n'a pas ici d'importance à condition que sur chaque terrain les augmentations soient proportionnelles.

Supposons aussi que le capital avancé sur chaque type de terre double, que la valeur de production de marché individuelle sur le plus mauvais terrain soit inchangée et que par conséquent le rendement à l'hectare double. Supposons également que la différence entre le taux de profit agricole et le taux de profit industriel soit moins grande si bien que le taux de la rente absolue baisse de 12,5 % à 10%. Le taux de profit des fermiers capitalistes sera alors de 15%. Supposons enfin que, pour les autres terrains, la variation des rendements ne soit pas proportionnelle au capital accumulé si bien que le tableau précédent pourrait prendre la forme suivante :

 

1

2

3       4

5

6

7

8

9

10

Terres

Sup.

Produit

Capital avancé

Profit total

Profit capital agric.

Rente totale

Rente absolue

Rente diff.

F

q

A

1

200

50

160

40

24

16

16

-

B

1

220

55

160

60

24

36

16

20

C

1

280

70

160

120

24

96

16

80

D

1

300

75

160

140

24

116

16

100

Total

4

1000

250

640

360

96

264

64

200

 

Si nous calculons le prix des terres, il est maintenant de 160 pour la terre A, 360 pour la terre B, 960 pour la terre C et 1160 pour la terre D, le montant total du prix des terres s’élevant à 2640. Le prix total et la rente ont donc augmenté de 65% tandis que le capital était multiplié par 2 et que la fertilité relative des terres qui était dans le rapport 1 (25/25) ; 1,2 (30/25) ; 1,4 (35/25) ; 1,6 (40/25) soit au total 5,2 est maintenant dans le rapport 1 (50/50) ; 1,1 (55/50) ; 1,4 (70/50) ; 1,5 (75/50) soit au total 5 ; la fertilité relative des terres s'est donc atténuée.

D'où, la valeur de production de marché individuelle étant inchangée, une hausse de la rente différentielle moins que proportionnelle à l'augmentation de la valeur de la production sur le plus mauvais terrain. La rente différentielle s'accroît en effet de 120 à 200 soit une augmentation de 2/3.

La rente absolue a également augmenté, mais également moins rapidement que le capital accumulé étant donné la baisse du taux de la rente absolue. Elle s'élève de 40 à 64, soit une augmentation de 60%.

Par contre, la hiérarchie du prix des terres et donc la hiérarchie des rentes s'est accentuée. Le prix des terres et les rentes étaient dans le rapport suivant : 1 (100/100) ; 3 (300/100) ; 5 (500/100) ; 7 (700/100) soit au total 16. Désormais, ce rapport devient 1 (160/160) ; 2,25 (360/100) ; 6 (960/160) ; 7,25 (1160/160) soit au total 16,5.

L'écart relatif dans le prix des terres s'est donc accru en liaison avec celui des rentes. Par conséquent, tout en enregistrant une diminution du taux de la rente absolue, un rapprochement dans la fertilité relative des terrains, qui se traduit par une moindre progression de la rente différentielle par rapport à celle de la valeur de la production sur les mauvais terrains, phénomènes qui ont pour conséquence un prix de la terre qui progresse dans la même proportion, la hiérarchie relative entre les prix des terres s'est globalement accentuée.

Si nous ramenons le prix de la terre à ces composantes, nous obtenons pour la terre A :

RA/i où RA est la rente absolue et i le taux d'intérêt

(RA + RDB)/i où RDB est la rente différentielle sur les terres de type B

(RA + RDC)/i où RDC est la rente différentielle sur les terres de type C

(RA + RDC)/i où RDC est la rente différentielle sur les terres de type D

Que devient donc la hiérarchie relative des terres ?

(RA/i)/(RA/i) = 1 pour A

[(RA + RDB)/i]/(RA/i) = (RA + RDB)/RA = 1 + RDB/RA pour B

[(RA + RDC)/i]/(RA/i) = (RA + RDC)/RA = 1 + RDC/RA pour C

[(RA + RDD)/i]/(RA/i) = (RA + RDD)/RA = 1 + RDD/RA pour D

Par conséquent, au total, nous avons :

1 + 1 +RDB/RA + 1 + RDC/RA + 1 + RDD/RA soit 4 + (RDB + RDC + RDD)/RA

Soit encore 4 + Total des rentes différentielles / Rente absolue, où de manière plus générale : le nombre d’unités concernées + Total des rentes différentielles / Rente absolue de l’unité de référence.

Dans nos exemples, cela donne 4 + 120/10 = 16 dans le premier cas et 4 + 200/16 = 16,5 dans le second cas.

La seule partie variable concerne le rapport entre la totalité des rentes différentielles et la rente absolue sur les mauvaises terres. Cependant le sens de la variation du rapport n'est pas affecté si nous prenons en compte la totalité de la rente absolue. Lorsque le rapport entre la rente différentielle et la rente absolue s'élève, l'écart relatif dans le prix des terres s'élève, leur hiérarchie s'accentue. Par contre, si le rapport entre la rente différentielle et la rente absolue s'abaisse la hiérarchie du prix des terres se tasse. Cette modification dans le rapport entre rente différentielle et rente absolue peut provenir de ce que la rente différentielle augmente plus vite que la rente absolue et inversement, de ce que la rente différentielle diminue moins rapidement que la rente absolue et inversement, ou de combinaisons intermédiaires, hausse de la rente différentielle baisse de la rente absolue et inversement.

Il est difficile de conclure quelque chose des statistiques fournies par la bourgeoisie, car si celles-ci (outre leurs limites que nous avons déjà signalées) affirment qu'il existe une tendance à ce que l'échelle des prix se resserre, il faut tenir compte du fait que le raisonnement se fait sur la base de capitaux investis à l'hectare qui diffèrent les uns des autres. Par conséquent, la réduction des écarts relatifs est peut-être due à ce que l’accumulation a progressé plus rapidement dans certaines zones[xcv].

S'il était cependant possible de conclure, il faudrait déduire de ces tendances que la rente absolue a, jusque dans une période récente, progressé plus rapidement que la rente différentielle, conclusion qui, on s'en doute, va à l’encontre de toutes les idées reçues en la matière.

26.3    Variations du prix de la terre

L'évolution du prix de la terre (si nous faisons abstraction de l'intérêt du capital qui peut être compris dans ce prix) est dépendante, toutes choses égales par ailleurs, de la rente foncière et du taux d'intérêt qui permet de calculer la capitalisation de la rente foncière, déterminant ainsi le prix de la terre qui n'est rien d'autre que la rente capitalisée. Sous l'impulsion de la variation de la rente et du taux d'intérêt et de leurs combinaisons réciproques nous permet de dégager 13 cas possibles.

 

 

Rente constante

Rente en baisse

Rente en hausse

Taux d’intérêt constant

100/0,1 = 1000

Prix de la terre constant

50/0,1 = 500

Prix de la terre en baisse

200/0,1 = 2000

Prix de la terre en hausse

Taux d’intérêt en baisse

100/0,05 = 2000

Prix de la terre

en hausse

1° Rente baisse

plus que l’intérêt

50/0,075 = 666,6

2° Intérêt baisse

autant

50/0,05 = 1000

3° Intérêt baisse

plus que rente

75/0,05 = 1500

200/0,05 = 4000

Prix de la terre

en hausse

Taux d’intérêt en hausse

100/0,2 = 500

Prix de la terre en baisse

50/0,2 = 250

Prix de la terre en baisse

1° rente hausse plus que l’intérêt

200/0,15 = 1333

2° Rente hausse autant l’intérêt

200/0,2 = 1000

3° Intérêt hausse plus que rente

150/0,2 = 750

 

Quand la rente est constante, le prix de la terre ne se modifie que si le taux d'intérêt évolue. Il baissera en cas de hausse du taux d'intérêt et s'élèvera en cas de baisse. En cas de baisse de la rente, le prix de la terre baisse sauf dans le cas particulier où la baisse du taux d'intérêt serait telle qu'elle viendrait à l’encontre de cette baisse de la rente.

Si la baisse du taux d'intérêt s'effectue dans la même proportion que la baisse de la rente, le prix de la terre demeure constant et si la baisse du taux d'intérêt est plus forte que la baisse de la rente, le prix de la terre peut même s'élever. En cas de hausse de la rente, le prix de la terre s'élève sauf si la hausse du taux d'intérêt est telle que cette hausse est contrecarrée. Si la hausse du taux d'intérêt est dans le même rapport que la hausse de la rente le prix de la terre demeure constant tandis qu'il va baisser si la hausse du taux d'intérêt est proportionnellement supérieure à la hausse de la rente.

En cas de baisse de la rente le prix de la terre baisse quand le taux d'intérêt est constant ou a fortiori en hausse. Il en va de même quand la rente baisse proportionnellement plus que l'intérêt. Par contre, lorsque cette baisse est proportionnellement identique le prix de la terre reste constant et il s'élève lorsque la baisse du taux d'intérêt est proportionnellement plus élevée que celle de la rente. Une expression mathématique de la rente par rapport au taux d'intérêt peut résumer l'ensemble des cas possibles et le résultat donner le sens de la variation du prix de la terre, en hausse, constant, et en baisse.

Soit la variation de la rente ΔR qui mesure la différence entre la nouvelle rente et l'ancienne (R1 - R). Si nous rapportons ΔR à R (l’ancienne rente), nous obtenons ΔR/R qui nous donne le taux de variation de la rente. Avec Δi/i nous avons le taux de variation du taux d'intérêt où Δi est égal à i1 – i, c'est-à-dire le nouveau taux d’intérêt moins l’ancien ou encore la variation du taux d'intérêt, et i représente l’ancien taux d'intérêt.

Si nous écrivons ΔR/R - Δi/i, suivant que le résultat sera positif, nul ou négatif, le prix de la terre augmentera, restera constant ou baissera. Par conséquent, le mouvement du prix de la terre suit le sens de ΔR/R - Δi/i.

Reprenons quelques cas pour illustrer notre propos. La rente est constante et l’intérêt en baisse.

Dans ce cas ΔR/R = 0 puisque la rente ne varie pas. Δi/i = -0,05/0,1 = -1/2. Donc, 0 – (-1/2) = + 1/2

Le prix de la terre s'élève puisque le résultat final est de signe positif.

La rente baisse, l’intérêt aussi .

1°) Cas où la rente baisse plus vite.

ΔR = - 50. ΔR/R = -50/100 = - 1/2

Δi = - 0,025. Δi/i = - 0,025/0,1 = - ¼

ΔR/R - Δi/i = (- 1/2) – (- ¼) = - ¼

Le résultat est de signe négatif, le prix de la terre diminue.

2°) Cas où la rente baisse aussi vite que le taux d'intérêt.

ΔR = - 50. ΔR/R = -50/100 = - ½

Δi/i = - 0,05/0,1 = - ½

ΔR/R - Δi/i = (-½) – (- ½) = 0

Le prix de la terre demeure constant.

3°) Cas où la rente baisse moins vite que le taux d'intérêt.

ΔR/R = -25/100 = - ¼

Δi/i = - 0,05/0,1 = - ½

ΔR/R - Δi/i = (-¼) – (- ½) = + ¼

Le résultat est de signe positif, le prix de la terre augmente.

L'application de la formule générale permet donc de déterminer en fonction des diverses variations le mouvement du prix de la terre. La tendance actuelle, nous en avons plus longuement parlé ailleurs, est à une baisse du prix de la terre, et du taux d'intérêt dont la cause, hormis les phénomènes conjoncturels, doit être recherchée dans la baisse tendancielle de la rente foncière. Il semblerait d'ailleurs que ce phénomène soit présent notamment en Allemagne, en Angleterre et aux Etats-Unis, ce qui montrerait une fois de plus l’interpénétration toujours plus forte des économies capitalistes nationales.

26.4    Les propriétaires fonciers à la recherche du fermage idéal

Dernièrement (cf. "Le Nouvel Economiste" du 17.05.85) les responsables du syndicat des propriétaires fonciers (Fédération Nationale de la Propriété Agricole) ont émis des projets audacieux pour déterminer le fermage.

Les lois actuelles sont dans l’ensemble favorables aux fermiers qui, par divers moyens peuvent espérer exploiter la terre pendant 27 ans (trois baux de neuf ans) sans que le propriétaire foncier puisse la reprendre, et, de cette façon, il lui est possible de réaliser des investissements d'autant plus important qu'il est susceptible de les récupérer.

Constatant cette situation défavorable, notamment pour l'obtention d'une rente absolue et d'une rente différentielle II, en tenant compte du phénomène qui veut que dans les pays où domine la propriété parcellaire, le taux d'intérêt est traditionnellement plus bas que dans l'ensemble de la société, nos propriétaires fonciers se sont mis à envisager une solution qui bouleverse l’économie politique. Que disent-ils ? Le placement étant peu rentable, et la durée des baux trop élevée pourquoi ne pas donner tout de suite la rente foncière pendant trente ans, c'est-à-dire peu ou prou la durée du bail que peut de fait obtenir un fermier, tout en conservant la propriété de la terre.

Dans notre théorie, cela s'appelle capitaliser la rente foncière avec un taux d1intérêt de 3,1/3%, soit un taux d1intérêt supérieur à celui actuellement retenu. Or, la rente capitalisée n'est autre que le prix de la terre. La proposition des propriétaires fonciers ne revient donc rien moins qu'à vendre la terre tout en en conservant la propriété ! Belle escroquerie, qui se double d'une assurance sur l'évolution de la rente foncière. En effet, nos propriétaires, qui sentent que nous sommes entrés dans une phase de baisse tendancielle de la rente foncière ne trouveront rien de mieux que d'empocher trente années de fermage au prix fort plutôt que de récupérer, chaque année une rente qui va en s'amenuisant. Il sera toujours temps trente ans après de revoir le problème. . .

Tout cela est dit sans ambages : « Actuellement un propriétaire donnant sa terre en bail à 500 F. l'hectare, sait que ce loyer sera actualisé chaque année sur des prix agricoles - blé, lait et viande essentiellement - qui vont stagner, voire diminuer. Il préférerait signer un contrat ferme, même sur trente ans, mais en encaisser tout de suite la totalité, soit 500 F l’hectare multiplié par le nombre d'hectares multiplié par trente et replacer ailleurs cet argent à 10 ou 12% »

Bien entendu, cette solution ob1ige le fermier à acheter la terre sans en devenir propriétaire. Il lui faut trouver 15 000 F par hectare qui seront autant de moins pour son capital d'exploitation. Considérons l’opération dans son ensemble.

Un propriétaire foncier qui achèterait une terre 20 000F s'empresserait de retirer de sa location 15 000 F sous la belle dénomination de "vente temporaire du droit d'usufruit". Ces 15 000 F placés à 12% lui rapporteraient 54 000 F sur trente ans (intérêts non cumulés). Pendant ce temps là, si la terre conserve sa valeur, il récupère au bout de trente ans une terre valant 20 000F qu'il avait en fait payé 5 000 F (20 000 F [prix d'achat] - 15 000 F [prix de location]) soit un gain de 15 000 francs qui se traduit par un capital accru : il se retrouve à la tête d'un capital de 35 000 F (20 000 F + 15 000 F); soit un gain total de 69 000 F (54 000 + 15 000) à comparer aux 72 000 F qu'il aurait obtenu en plaçant son capital à 12%.

Mais même si le prix de la terre venait à baisser, ce n'est que s'il venait à être divisé par plus de 4 que le propriétaire foncier verrait son capital écorné. Voilà tout de même une belle assurance contre l’évolution défavorable de la rente foncière.

Si les taux d'intérêt venaient à baisser, il aurait toujours l’espoir que cela compense la baisse de la rente et se traduise par une hausse du prix de la terre. Dans tous les cas, si le prix de la terre augmentait, l'affaire n'en serait que meilleure. Qui plus est, il se retrouverait à la fin propriétaire d'une terre qui d'ici là pourrait peut-être se transformer en terrain à bâtir et obtenir encore ici de substantielles plus-values.

Ces acrobaties théoriques qui reposent sur la différence des taux d'intérêt entre l'agriculture et l’industrie, et les difficultés qu'a la propriété foncière à récupérer l'intégralité de la rente, soulignent aussi la tendance qui pousse à l'unification des taux d'intérêt ; mais cette tendance est en même temps combattue par les propriétaires fonciers puisqu'elle abaisserait le prix des terres.

Si ce calcul est fait sur la rente effectivement perçue, on pousse alors à revaloriser les rentes, ce qui va à l’encontre des intérêts des fermiers capitalistes. Mais ces impasses poussent aussi les propriétaires fonciers à abandonner le placement dans des terres agricoles dont le prix a par ailleurs tendance à baisser, phénomène qui oblige les fermiers capitalistes à racheter la terre pour pouvoir l'exploiter et à diminuer d'autant le capital d'exploitation qu 'ils peuvent avancer.[xcvi]

27.  Le programme communiste et la théorie du capitalisme de monopole

L'examen successif de la rente différentielle, de la rente absolue et de la rente de monopole nous a montré que toutes les formes du surprofit étaient complètement enregistrées et théorisées par-le programme communiste.

En conséquence, il n'est nullement besoin de rejeter la loi de la valeur et de la formation d'un taux de profit moyen pour pouvoir expliquer l'existence de surprofits.

Une existence permanente dans certains secteurs comme l'agriculture permet la constitution d'une rente foncière par l'intermédiaire de la propriété foncière. D'une part, c'est sur la stricte base de la détermination d'un prix de production unique pour une même marchandise que surgissent des surprofits par rapport au profit moyen pour les entreprises les plus productives de la branche. D'autre part, l’influence de la propriété foncière, son intervention, a pu montrer comment une superstructure placée dans une situation de monopole peut, lorsque la base matérielle est favorable (base matérielle sur laquelle elle agit en retour) empêcher l'égalisation des taux de profit et accaparer la différence à son profit. Enfin, les conditions particulières de la production de certaines marchandises engendrent une rente de monopole en faisant monter le prix de marché régulièrement au-dessus du prix de production.

Toutes ces manifestations, ces diverses expressions qui reposent sur la domination générale de la loi de la valeur sur la société, montrent que la soi-disant apparition d'un capitalisme "monopoliste" non prévu par la théorie communiste est une absurdité.

Tout confirme au contraire que les perspectives révolutionnaires d'une périodisation du MPC en deux phases : la phase de soumission formelle du travail au capital puis la phase de soumission réelle du travail au capital reposant sur un procès de travail spécifiquement capitaliste avec un procès de valorisation reposant surtout sur l’extraction de plus-value relative, se sont révélées toujours plus juste (cf. CouC N°s 5,7,9). En conséquence, la caractéristique de lépoque moderne n'est pas l’apparition d'un mythique capital financier mais l’affirmation de la phase de soumission réelle du travail au capital.

C'est sur la base de la concurrence que se forment les monopoles, qui à leur tour engendrent la concurrence. Théoriser le développement du MPC comme capitalisme de monopole c'est occulter les mutations du procès de production et leur spécificité, c'est occulter le rapport capital/travail et les rapports d'exploitation pour leur substituer la vision d’une exploitation par les monopoles, c'est condamner le surprofit pour mieux réhabiliter le profit et l'exploitation du prolétariat. On voit donc quelle manne a pu trouver là le réformisme contre-révolutionnaire.

Dire, par contre, que la théorie communiste n'avait pas intégré et prévu les phénomènes liés au monopole est tout à fait faux. Dès son début, c'est-à-dire dès que la phase de soumission réelle s'instaure, ces phénomènes sont pris en compte ; eux seuls peuvent expliquer cette phase du MPC.

Tout d'abord, et ce quelle que soit la phase du MPC, les moyens de production, de consommation et l’argent sont le monopole exclusif de la classe capitaliste et affrontent le prolétaire qui ne dispose que de sa force de travail.

Quant à la classe des propriétaires fonciers, elle ne peut exister que parce qu'elle dispose du monopole de la terre qui, nous l’avons vu, est avec le travail une des sources de la richesse.

La théorie des prix de production elle-même suppose le monopole et l’interpénétration des différents capitaux (industriel, commercial et bancaire). Comme nous l'avons vu, c'est l’affrontement de capitaux égaux et donc monopolisés qui favorise l’égalisation des taux de profit.

Enfin, contre l’absurde théorie du capital financier, il est important de rappeler ici un des aspects de la théorie du taux d’intérêt et de la décomposition du profit moyen en intérêt et profit d'entreprise. Pour le communisme théorique, cette décomposition ne recouvre pas le capital de prêt, le capital prêté par le capital bancaire, et le capital propre de l’industriel, mais cette distinction est valable pour l’ensemble du capital avancé, qu'il s'agisse du capital prêté par le capital bancaire ou du capital qui est la propriété de l’industriel ou du commerçant. Le capitaliste de l’industrie décompose donc aussi son capital en intérêt et profit d’entreprise et le concept d'intérêt recouvre donc une réalité plus vaste que celle qui pourrait figurer dans la notion de frais financiers des entreprises, une partie du profit étant composée de cet intérêt.

Le capitaliste industriel se double donc d’un capitaliste bancaire, tout comme nous avons vu dans le N° 17 que le capitaliste bancaire cherche à obtenir le profit moyen et donc le profit d'entreprise pour son capital.

Une fois déduit de la plus-value totale la rente foncière et les impôts, il reste une masse de plus-value qui, rapportée au capital avancé de la société, forme le taux général de profit, et les masses de capitaux égaux produisant de la plus-value dans les conditions sociales moyennes tendent à obtenir un profit moyen égal à ce taux général de profit.

Le développement du crédit fait jouer aux banques un rôle croissant dans la société mais ce développement est justement une des caractéristiques de la nouvelle phase du MPC - phase dont l’ère moderne commence en 1830 en Angleterre-. Mettre en relief ces phénomènes comme déterminant le capitalisme moderne, qui plus est prétendre qu'ils datent de la fin du XIXè siècle, c'est renier la théorie de la valeur, c'est masquer la formidable croissance de l’exploitation du travail salarié qui a marqué le XXè siècle avec une augmentation gigantesque de l’intensité et de la productivité du travail. (cf. tableau en annexe I en fin de numéro).

Les théories du monopole et du capitalisme financier conduisent à nier l'exploitation en ne faisant pas du procès de production la clé de voûte du MPC ; elles conduisent évidemment à vouloir réfuter la théorie de la valeur : les prix de marché s'élevant prétendument au-dessus des prix de production, les monopoles contrôlant soi-disant les prix et les maîtrisant, ils peuvent alors dominer la loi de la valeur, dont la validité s'estompe.

On oublie que si tous les prix sont des prix de monopole, du même coup ils ne le sont plus. Si tout le monde vend 10% au-dessus du prix de production, le niveau général des prix augmente de 10% et la part relative de chacun demeure inchangée. Mais au-delà de ces stupidités, le mal est plus profond, car au-delà de cette conception se profile l'illusion de la possibilité de dominer la loi de la valeur. Pensez donc braves gens, voyez ces surprofits qui sucent le sang du peuple, regardez-les administrer leur prix, et plutôt que cette engeance, mettons l’Etat qui représentera le peuple et pour le plus grand bien de tous continueront à régner le salariat, le capital et toutes les catégories de la société bourgeoise.

De même que bourgeoisie et propriétaires fonciers se sont interpénétrés, les bourgeois étant devenus propriétaires fonciers et les propriétaires fonciers ayant investi dans l'industrie, le commerce ou la banque, de même les diverses composantes de la classe capitaliste y compris l’Etat se sont interpénétrées.

Nous avons alors affaire à une classe bourgeoise dont les diverses fractions sont a la fois liées et concurrentes, mais dont aucune en soi ne possède la suprématie sur les autres ce qui n'exclut pas (mais cela fait partie de l’étude plus détaillée de chaque société) que telle ou telle fraction puisse ici ou là imposer ses vues, que tel ou tel secteur de l’industrie ou du commerce joue un rôle plus marqué. Cela est non seulement possible mais même inévitable et cet aspect doit être analysé et intégré lors des études historiques plus concrètes. Marx montrait, par exemple, comment toute une fraction de la société anglaise liée au commerce avec la Russie avait pu influencer la politique anglaise dans un sens globalement défavorable à l’ensemble de la bourgeoisie.

Enfin quand nous parlons de la bourgeoisie, il faut aussi tenir compte de la séparation qui s'opère (et le crédit en est une des expressions) entre la propriété et la fonction du capital. La bourgeoisie propriétaire du capital est tendanciellement expulsée du procès de production et la fonction du capitaliste assurée par des employés salariés. La bourgeoisie ressemble alors de plus en plus à la classe des propriétaires fonciers en ce sens qu'elle vit uniquement des rentes que lui procurent les intérêts ou les dividendes des actions. Qui plus est cette propriété devient sociale et dans une certaine mesure la propriété bourgeoise est niée ; d’une part lorsque l’Etat supplée les capitalistes défaillants ou incapables d’avancer des masses de capitaux telles que c'est le capitaliste collectif : l’Etat qui doit assumer cette tâche ; d’autre part lorsque, par le jeu successif des croisements d'intérêt et des rachats, la propriété est elle-même transférée à d'autres sociétés (holdings, sociétés mères) dans lesquelles les diverses composantes du capital (industriel, commercial, bancaire et Etat) se retrouvent dans des combinaisons variées.

De là vient aussi le fait que tout en se concentrant et se centralisant toujours plus, le capital peut avoir sa propriété éclatée en des millions de propriétaires, dont l’immense majorité fait figure de gogos plumés lors de chaque grande crise industrielle.

28.  Le cours catastrophique du M.P.C.

28.1    Prix agricoles et prix industriels

Nous avons souvent dit au cours de ce travail que la question agraire était la pierre de touche de l’édifice théorique prolétarien, et tout particulièrement parce qu'on y voyait le mieux le caractère catastrophique que possède la forme de production capitaliste pour l'espèce humaine.

Dans le féodalisme, la terre joue, du fait des différences de productivité le rôle d'une "machine naturelle" et fournit à l’agriculture un avantage relatif que ne possède pas l'industrie où le procès de travail à cette époque ne connaît pas le machinisme. De ce fait le prix des produits agricoles y est relativement plus bas que celui des prix industriels.

« Dans tout le moyen-âge les produits agricoles étaient relativement à meilleur marché que les produits manufacturés; dans le temps moderne, ils sont en raison inverse. L'utilité des produits agricoles a-t-elle pour cela diminué depuis le Moyen-âge ? »(Misère de la philosophie p.72)

Ce phénomène s'inverse dans le MPC, rendant les produits de l’agriculture et de la terre en général d'autant plus inaccessibles aux hommes. Le rapport économique de l'homme avec la nature a atteint le sommet de la perversion, au point de menacer l'espèce humaine dans sa survie même.

L'analyse de la formation du prix de production dans l'agriculture et dans l’industrie nous a montré comment dans un cas le prix de production se forme sur la base des conditions de production moyennes sur le plus mauvais terrain ce qui est source d'un surprofit permanent qui se transforme en rente différentielle par l'intermédiaire de l'action de la propriété foncière, et comment dans l'autre cas la moyenne des diverses conditions de production détermine le prix de production régulateur du prix de marché; l'existence des surprofits pour les entreprises produisant avec une productivité supérieure à la moyenne leur permet d'obtenir temporairement un surprofit jusqu'à ce que les meilleures conditions de production deviennent la règle générale. Il s'ensuit que le prix des produits agricoles est relativement plus élevé que celui des produits industriels.

Prenons un exemple pour illustrer ce phénomène :

I       100 (c + v) + 40 (pl)   200 (unités produites)

II      100 (c + v) + 40 (pl)   180 (unités produites

III    100 (c + v) + 40 (pl)   160 (unités produites)

IV     100 (c + v) + 40 (pl)   140 (unités produites)

 


        400 (c + v) + 160 (pl) 680 (unités produites)

Nous supposons que nous avons affaire à 4 entreprises d'une même branche industrielle. Dans chacune il y a un capital avancé (c+v) de 100, la plus-value y est de 40; dans la colonne de droite du tableau figurent les unités produites dans chaque entreprise.

La formation du prix de production, selon les conditions moyennes de production, donne un prix de production individuel de 0,82 environ et la valeur de marché de l'ensemble de la production, c'est-à-dire des 680 unités produites sera de 560. Si maintenant nous admettons qu'il s'agit de produits agricoles, le prix de production est déterminé sur la base du plus mauvais terrain. Le prix de production régulateur du prix de marché est alors égal au prix de production qui s'établit sur la base des conditions de production de la ferme IV. Le prix de production individuel est égal à 1 et la valeur de marché de l'ensemble de la production se monte à 680. Par conséquent, sur la même base productive, la société paie 560 des produits industriels là où elle paie 680 pour des produits de la terre.

Elle paie, dans notre exemple, plus de 20% plus cher les produits agricoles que les produits industriels.

« Il s'agit de la détermination par le prix de marché tel qu'il s'impose sur la base du mode capitaliste de production, grâce à la concurrence laquelle engendre une fausse valeur sociale. Ce phénomène résulte de la loi de la valeur de marché à laquelle les produits du sol sont assujettis. La détermination de la valeur de marché des produits, donc des produits du sol aussi, est un acte social, même si son accomplissement social n'est ni conscient ni intentionnel, cet acte repose nécessairement sur la valeur d' échange du produit, il n'est pas fondé sur la terre et ses différences de fertilité. Si on imagine abolie la forme capitaliste de la société, et celle-ci organisée en association consciente et munie d'un plan, les 10 quarters (ici 680 unités NDR) représenteraient une quantité de temps de travail indépendant, égale à celle contenue dans les 240 shillings (ici 560 F NDR). La société ne paierait donc pas pour le produit du sol 2 fois 5 (ici 1,2 fois NDR) le temps de travail effectif qu'il contient; la base d'une classe de propriétaires fonciers s'en trouverait aussi supprimée. Et cela produirait exactement le même effet qu'une baisse équivalente des prix de ce produit par importation de l'étranger. S'il est juste d'affirmer - avec le mode actuel de production mais en supposant que la rente différentielle revienne à l'Etat - que le prix des produits du sol resterait constant - toutes choses égales par ailleurs, il est faux par contre de dire que la valeur des produits resterait constante si on remplaçait la production capitaliste par un système d'association. L'identité du prix de marché pour les marchandises de même espèce est la manière dont s'impose le caractère social de la valeur en régime capitaliste de production et de façon générale d'une production reposant sur l’échange de marchandises entre individus. Ce que la société, considérée comme consommateur, paie en trop pour les produits du sol, ce qui représente une perte pour la réalisation de son temps de travail dans la production agricole, constitue actuellement un gain pour une partie de la société : les propriétaires fonciers. » (Le capital Tome III ES p.81-82)

Ce mode de formation des prix, Marx le souligne, et la rente différentielle qui l'accompagne, ne disparaissent pas si la propriété foncière cesse d'exister, dans une société où se maintiendraient, par ailleurs, les catégories de la production capitaliste.

Dans ce cas, l'Etat, maître des terres, obtiendrait la rente différentielle et le rapport des hommes à la nature serait toujours aussi catastrophique. Staline se flattait d'avoir aboli la rente absolue (encore que celle-ci joue toujours un rôle sur le marché mondial), mais en reconnaissant l'existence de la rente différentielle, il affirmait du même coup la domination du capital sur l'économie russe. Nous avons vu que désormais les théoriciens du capitalisme russe, les économistes, en appellent à la nécessité de la rente différentielle pour une meilleure rationalité de l'économie. Loin d'y apporter autre chose que l'anarchie, et qu'une plus grande séparation de l'homme d'avec son corps inorganique, la nature, en renchérissant relativement les produits de la terre[xcvii], ces phénomènes témoignent de la soumission totale de l'économie russe à la loi de la valeur et de la nécessité pour ses idéologues de justifier le règne sans partage du capital.

Seul le communisme en instaurant une production planifiée des producteurs associés brisant le cercle infernal de la production capitaliste en mettant fin à l'exploitation du prolétaire et au martyre de la terre, en permettant un échange organique entre l'homme et la nature, éliminera les effets de la rente.

Si les effets que nous avons décrits sont valables tant que dure le mode de production capitaliste, un autre facteur vient aggraver le déséquilibre instauré par le capital dans le métabolisme de l'homme avec la nature, c'est la propriété foncière.

Bien que cette dernière puisse disparaître sans que le MPC soit pour autant aboli, elle existe dans la plupart des pays, et avec elle la rente foncière absolue. Dans une lettre à Engels où pour la première fois Marx expose, en même temps que la théorie des prix de production, la théorie de la rente absolue, il constate:

« tu verras que dans ma conception de la "rente absolue" la propriété foncière en fait (dans certaines circonstances historiques) renchérit le prix des produits bruts. Fait, du point de vue communiste, très utilisable. » (Lettres sur le capital ES p.124)

Comme nous l'avons vu, en prenant appui sur une base économique qui traduit un retard de l'agriculture par rapport au capital du reste de la société, ce qui se manifeste par un taux de profit plus élevé dans l'agriculture du fait notamment que la composition organique y est plus basse, la propriété foncière en empêchant l'égalisation du taux de profit agricole avec le taux de profit des autres secteurs, peut obtenir une rente absolue.

Supposons que dans l'agriculture le capital avancé soit de 60 c + 40 v + 40 pl soit 140, tandis que dans l'industrie il est de 80 c + 20 v + 20 pl soit 120. Si la péréquation des taux de profit intervenait, il se formerait un taux général de profit de 30% et chaque secteur obtiendrait un profit moyen de 30% ce qui donnerait, comme le capital avancé est le même dans chaque secteur un prix de production de 130. Au lieu de cela le prix de production est de 120 dans l'industrie, et dans l'agriculture, du fait de l'absence de péréquation la valeur de la production agricole se monte à 140. Par conséquent, au lieu de l'égalité dans le niveau général des prix, les prix des produits du sol sont renchéris sous l'influence de la propriété foncière qui empêche la péréquation des taux de profit. En empêchant cette péréquation la propriété foncière empoche la rente absolue dont le taux est égal à la différence entre le taux de profit non agricole et le taux de profit de l’agriculture. Dans notre exemple, ce taux de la rente absolue est de 20% et la rente absolue s'élève à 20. Dans notre exemple, les prix des produits du sol sont plus de 15% plus chers que les produits industriels. Cette simple démonstration quantitative suffit à démontrer le rôle particulièrement néfaste de la propriété foncière qui vient aggraver les conditions d'accès aux produits du sol et plus généralement à la nature (la terre elle-même devient d’autant plus chère que la rente est élevée) qui constitue le « corps inorganique » (de l’homme) dans la mesure où elle est 1°) son moyen de subsistance immédiat, 2°) la matière, l’objet et l’outil de son activité vitales." (Manuscrits de 1844)

Toutefois, nous l’avons déjà montré, outre cette démonstration quantitative, l’existence de la rente absolue suppose un retard qualitatif de l’agriculture sur l’industrie, retard qui se traduit par une productivité et une intensité du travail moindres dans l’agriculture et donc un prix relatif des produits plus cher.

Enfin, la présence de la rente de monopole indique également un renchérissement relatif de certains produits, pour lesquels il existe une demande qui fait face à l’offre limitée pour des raisons tenant à la nature particulière de ces produits. Pour quelques produits du sol vient donc s’ajouter à la rente absolue et différentielle une rente de monopole dont s’empare la propriété foncière .

Jusquici nous avons examiné les produits agricoles qui correspondent à l’aliment de base (blé en Europe, riz en Asie). Ces produits sont relativement renchéris par rapport aux produits de l’industrie. Mais cette démonstration faite, nous n'en avons pas fini avec le caractère catastrophique que la forme de production capitaliste possède pour la production des produits de la terre . Si l’aliment de base, par exemple, est relativement renchéri par rapport aux produits de l’industrie, les autres produits agricoles et notamment la viande sont en même temps renchéris par rapport à l’aliment de base. Nous allons examiner ces phénomènes en même temps que nous approfondirons les rapports réciproques entre le taux de profit de la société et le taux de profit agricole.

28.2    La détermination des prix agricoles dans les autres sphères.

Nous avons déjà eu l'occasion de souligner que la rente foncière n’est pas à la charge d’une seule fraction de la classe capitaliste, qu'il s'agisse de sa fraction agricole ou de sa fraction industrielle mais qu’elle retombe sur l’ensemble de la classe capitaliste; c'est-à-dire qu'elle est prélevée sur l’ensemble de la plus-value, ce qui occasionne une lutte entre capitalistes et propriétaires fonciers pour le partage de cette plus-value. Tout comme, les impôts, la rente foncière vient donc en déduction de la plus-value totale.

Nous appelons donc taux de profit général le rapport de la plus-value totale au capital avancé total. Par contre, nous appelons taux général de profit le rapport de la plus-value, une fois déduite la rente foncière au capital avancé total .

« Dans la société capitaliste, la plus-value, ou le surproduit, se répartit - si nous négligeons les fluctuations accidentelles dans cette répartition et ne considérons que sa loi régulatrice et ses limites normalisantes - parmi les capitalistes comme dividendes proportionnellement à la quote-part que chacun d'eux détient dans le capital social. La plus-value apparaît sous cette forme comme le profit moyen qui revient au capital et qui, à son tour, se divise en profit d'entreprise et en intérêt, deux catégories sous lesquelles il peut échoir à différentes sortes de capitalistes. Toutefois, cette appropriation et cette répartition de la plus-value -ou du surproduit- par le capital trouvent leur limite dans la propriété foncière. Tout comme le capitaliste actif tire du travailleur le surtravail, donc la plus-value et le surproduit, sous forme de profit, le propriétaire foncier reprend au capitaliste une partie de cette plus-value, de ce surproduit, sous forme de rente, d'après les lois précédemment analysées. Par conséquent, lorsque nous parlons du profit comme la part de la plus-value revenant au capital, nous avons en vue le profit moyen (égal au profit d'entreprise plus l'intérêt) qui est déjà limité par la déduction de la rente opérée sur le profit total (identique dans sa masse, à la plus-value totale) : la rente est supposée déduite. Le profit du capital (profit d'entreprise plus intérêt) et la rente foncière ne sont donc que des éléments particuliers de la plus-value, des catégories distinctes suivant qu'elle revient au capital ou à la propriété foncière, des rubriques qui ne changent rien à sa nature." (Capital livre III. Pléiade tome II pp.1425-26)

Les deux concepts du taux de profit, tels que nous venons de les définir sont bien entendu valables tels quels au niveau d'abstraction où nous nous situons jusqu'ici; mais leur définition est susceptible d'évoluer au fur et à mesure qu'ils nous serviront pour une analyse incluant d'autres aspects de la réalité (par exemple, rôle de l'Etat et des impôts; rôle des classes moyennes et des capitaux improductifs).

Dans le début du livre III, Marx assimile souvent taux de profit général et taux général de profit; jusqu'à ce niveau du livre III, la plus-value n'est pas décomposée en ses différents éléments et la classe capitaliste (y compris les propriétaires fonciers) est considérée comme un tout. Dans la distinction qui est faite par la suite, c'est-à-dire lorsque l'on tient compte de la déduction de la rente, l'on réintroduit la classe des propriétaires fonciers dont la base économique est justement la rente foncière. De ce fait, une distinction s'établit entre taux de profit général et taux général de profit et au sein même du profit entre profit d'entreprise et intérêt. Toutefois on ne peut considérer que l'analyse du taux de profit et de ses composantes s'arrête là. En effet, et ce sera l’objet de cette suite, la rente foncière a dans ses diverses composantes un statut et une influence particuliers, suivant qu'il s'agit de la rente différentielle ou de la rente absolue, suivant que la rente concerne l'aliment de base ou les autres secteurs de l'agriculture et, last but not least, suivant qu'existe ou non la propriété foncière et donc suivant qu'existe ou non la rente absolue.

De plus l'existence de l'Etat, dont la base économique est l’impôt, le rôle des capitaux improductifs (esquissé par Marx, par exemple, à propos du capital commercial) ont des conséquences aussi bien sur la masse de la plus-value retenue pour figurer au numérateur du taux de profit qui va servir de référence pour déterminer le profit moyen de chaque fraction de la classe capitaliste que sur la grandeur du capital avancé qu'il convient de placer au dénominateur du taux de profit. Nous reviendrons plus tard sur ces questions, la seule chose que nous ayons à considérer ici est que le taux de profit moyen n'est pas égal au taux de profit général mais au taux général de profit qui se calcule en déduisant la rente de la plus-value totale.

De ce fait également, rente et profit moyen sont en interaction réciproque : si le taux de profit moyen sert dans la détermination de la rente, la rente elle-même détermine le profit moyen. Il ne s'agit pas d'un cercle vicieux, mais d'une détermination conjointe. Ce simple fait montre à quel point est abstraite et ne repose en aucun cas sur les concepts de Marx, la discussion que mène le marxisme universitaire et d'autres fractions de l’économie politique sur la transformation des valeurs en prix de production chez Marx. On ne connaît le prix de production qu'avec la connaissance de la rente et de ce que nous avons dit sur la nécessaire évolution des définitions du taux général de profit; nous ajouterons qu'il faut également connaître l’impôt, le capital improductif, etc. Ce n'est que sur le plan du capital total que l’ensemble des valeurs de marché déterminées par le prix de production mais aussi par la rente, l’impôt, etc. correspondent à la valeur et dans cette conception prix de production et valeur relèvent du même plan conceptuel en ce sens qu'ils sont l’un et l’autre exprimés en argent et non pas l'un en temps de travail et l'autre en argent ou toute autre combinaison.

Supposons que le capital non agricole se décompose ainsi : 600 c + 400 v + 400 pl = 1400 (capital non agricole)

Admettons que le capital employé dans la branche produisant l’aliment de base se décompose en :

50 c + 50 v + 50 pl = 150 (Aliment de base - blé en Europe-)

Pour le reste de l’agriculture, que nous assimilons à l’élevage, nous supposons que le capital est constitué par :

90 c + 10 v + 10 pl = 110 (élevage)

Pour chaque secteur de l’agriculture, nous supposons que la quantité, la superficie des terres occupées est identique, ainsi que leur qualité (leur fertilité et leur situation).

La rente foncière qui est déterminée dans la branche de l’aliment de base, sera donc égale dans les deux secteurs. Si par exemple, la rente différentielle était égale à 20 dans le secteur de l'aliment de base, elle serait aussi de 20 dans l'élevage puisque, par hypothèse, les terres y sont égales en tous points.

Dans la mesure où la rente se détermine dans le secteur produisant l’aliment de base, rien n'empêche l’élevage d'avoir une composition organique du capital non seulement supérieure à celle de la branche productrice du blé mais aussi à la composition organique du capital non agricole.

« Contre l'affirmation que le capital agricole met proportionnellement plus de travail vivant en oeuvre que le capital moyen non agricole, on pourrait invoquer le fait que dans l'élevage à grande échelle, par exemple, la masse de la force de travail employée est, très faible, comparée au capital constant représenté par le bétail même. Cependant dans notre analyse de la rente, nous considérons comme déterminante la partie du capital agricole qui produit la principale denrée végétale, constituant la substance de base des peuples civilisés. L’un des mérites d’Adam Smith est précisément d’avoir démontré que le prix n’était pas du tout déterminé de la même façon dans l’élevage et, en général, pour les investissements dans des terres qui ne produisent pas des substances essentielles (le blé, etc.) » (Marx, Capital L.III, pléiade t.2 p.1369)

Par conséquent, comme le montre Marx à la suite de Smith, c'est dans le secteur de l'aliment de base (et nous avons déjà insisté sur son importance théorique) que se détermine la rente foncière qui servira de référence pour les autres productions agricoles. Dans l'élevage, du fait de l'importance du bétail[xcviii], la composition organique peut être supérieure à celle de la moyenne de la société mais cela nous l'avons vu n'empêche pas que la formation de la rente. Qui plus est il en découle une conséquence économique particulièrement importante, c'est que la rente vient renchérir les coûts de production de ce secteur. Alors que pour le blé la rente est élevée, ce n'est pas elle qui renchérit le prix, par contre dans l'élevage elle renchérit artificiellement le prix du bétail.

« Ramsay a noté justement que, la rente de la terre à blé entrant dans la fraction du prix du bétail, ce prix est artificiellement accru, par la rente, expression économique de la propriété foncière, bref, par la propriété foncière. » (idem p.1378)

Par conséquent, au capital dans la sphère de l'élevage, il faut ajouter la rente foncière. Le montant des coûts de production s'élève donc à c (capital constant) + v (capital variable) + avancé R (rente foncière) qui elle-même se décompose en RD (rente différentielle) et RA (rente absolue). Si nous reprenons notre exemple, nous avons 90 c + 10 v + 20 RD + RA = coût de production. La rente absolue nous est encore inconnue et nous allons essayer de la calculer.

La présence de la propriété foncière empêche la péréquation des taux de profit entre le capital agricole et non agricole. Le capital agricole ne vient donc pas participer à l’établissement du taux général de profit.

La plus-value du secteur de l'aliment de base n'entre pas dans la péréquation. De la différence entre le taux de profit dans ce secteur et le taux général de profit, nous obtenons le taux de la rente absolue. Ce taux de la rente rapporté au capital avancé dans la sphère de l’aliment de base nous donne le montant de la rente absolue.

Nous pouvons donc écrire une première équation selon laquelle la rente absolue = (Taux de profit agricole (aliment de base) - taux général de profit) x capital avancé dans le secteur de l’aliment de base.

Soit RA = [Plab / (Cab + Vab) – ρ] (Cab + Vab)

RA = rente absolue

Plab = Plus-value produite dans la branche de l'aliment de base.

Cab = capital constant dans la branche de l'aliment de base

Vab = capital variable dans la branche de l'aliment de base

ρ  = Taux général de profit.

La rente différentielle totale est égale à 40 (20 dans le secteur produisant le blé et 20 dans le secteur de l'élevage), elle vient en déduction de la plus-value.

De la plus-value il faut aussi retirer la plus-value absolue de l'élevage, ainsi que le profit moyen de ce secteur à l'exception toutefois de la plus-value produite dans cette branche. De ce point de vue, une partie de la plus-value produite dans l'agriculture influence indirectement le taux général de profit. Le niveau de la rente influence donc le taux général de profit mais le taux général de profit influence également le niveau de la rente.

Des éléments développés plus haut, nous obtenons une deuxième équation :

Taux général de profit = [Plus-value du capital non agricole - Rente différentielle totale - rente absolue de l'élevage - profit moyen de l'élevage + plus-value du secteur de l'élevage.] / Capital avancé dans la sphère non agricole

Soit ρ = [Plna – (RD + RA + ρ (Ce + Ve + RD + RA) - Ple)] / (Cna + Vna)

ρ = Taux général de profit.

Plna = Plus-value de la sphère non agricole.

RD = Rente différentielle de l'un ou l'autre des secteurs agricoles. La rente différentielle est supposée égale dans chacun d'eux.

RA = Rente absolue de l'un ou l'autre des secteurs agricoles. La rente absolue est supposée égale dans chacun d'eux

Ce = Capital constant dans l’élevage

Ve = capital variable dans l’élevage

Ple = Plus-value dans l’élevage

Cna = Capital constant dans la sphère non agricole

Vna = Capital variable dans la sphère non agricole

Dans notre exemple, nous connaissons la plus-value non agricole (400), la rente différentielle (20), le capital constant et le capital variable dans l'élevage (90 et 10), la plus-value dans l’élevage (10), le capital constant et le capital variable dans le secteur non agricole (600 et 400).

Dans la première équation présentée, nous connaissons le capital constant, le capital variable et la plus-value dans le secteur de l'aliment de base (50, 50 et 50). Nous connaissons, par conséquent, le taux de profit dans ce secteur (50/100).

Les seules inconnues sont la rente absolue et le taux général de profit qui se conditionnent réciproquement.

En remplaçant les inconnues par les valeurs que nous connaissons dans la première équation, on obtient :

RA = (0,5 – ρ) 100

Si nous faisons de même dans la deuxième équation, nous avons :

ρ = [400 – (2 x 20 + 10 + ρ (100+20+RA) – 10)] / 1000

Soit :

1000 ρ = 370 – [RA + RA ρ + 120 ρ]

D'où :

1120 ρ = 370 - RA (1 + ρ)

En remplaçant dans (4) la valeur de RA obtenue en (1), l’équation devient :

1120 ρ = 370 - 100 (0,5 – ρ) (1 + ρ)

Soit

1120 ρ = 370 - (50 - 100 ρ) (1 + ρ)

D'où

1120 ρ = 320 + 100 ρ2+ 50 ρ

Soit

100 ρ2 – 1070 ρ + 320

équation du deuxième degré dont la seule solution qui nous intéresse est égale à :

ρ = [1070 – (10702 – 4 x 320 x 100)1/2] / 200 soit 30,8%

Le taux général de profit s'élève à 30,8% environ. Comme le capital avancé est 1000, la plus-value réalisée dans la sphère non agricole s'élève à 308. Dans la sphère de l'aliment de base, les capitalistes obtiennent aussi le profit moyen pour le capital qu'ils ont avancé. Ce profit moyen s'élève à 30,8 le capital avancé étant de 100.

On peut alors en déduire le taux de la rente absolue et la rente absolue elle-même (19,2% et 19,2).

Par conséquent, les coûts de production dans le secteur de l’élevage se montent à 90 c + 10 v + 20 (RD) + 19,2 (RA) soit 139,2. C'est par rapport à ce coût de production que l'on calculera le profit moyen. Pour un taux général de profit de 30,8% la masse de profit réalisée pour un capital de 139,2 se monte à 42,8 environ.

Nous constatons ici un nouveau lien entre la rente absolue et la rente différentielle. Plus la rente différentielle est élevée plus la rente absolue, toutes choses égales par ailleurs, est élevée.

Cette influence de la hauteur relative de la rente différentielle par rapport à la rente absolue s'exerce de plusieurs manières. Directement, dans la mesure où elle est déduite de la plus-value totale. Dans ce cas, plus la rente différentielle est élevée plus le taux de profit sera bas et, par voie de conséquence, la différence entre le taux de profit du capital agricole (aliment de base) et le taux de profit du capital non agricole sera grande et donc le taux de la rente absolue sera d'autant plus élevé.

D'autre part, en intervenant dans le calcul du profit moyen de certains secteurs agricoles, la rente foncière (tant absolue que différentielle ) accroît le transfert éventuel de plus-value vers ces secteurs et, par conséquent, favorise un bas taux général de profit .

L'ensemble des capitalistes supporte le poids de la rente et tous sont également intéressés à sa diminution. Chaque capitaliste obtient le profit moyen pour son capital avancé même quand la propriété foncière existe et empêche l’égalisation des taux de profit entre le capital agricole et le capital non agricole. Chaque secteur joue cependant un rôle particulier (quand existe la propriété foncière) dans la détermination et le paiement de la rente. C'est la plus-value du secteur de l’aliment de base qui paye la rente absolue et c'est dans ce secteur qu'elle est déterminée. Plus la plus-value de ce secteur sera importante par rapport au profit moyen de ce même secteur, plus la rente absolue sera élevée. Dautre part, la rente absolue a une influence sur le taux général de profit. De ce point de vue la plus-value de la sphère de l’aliment de base a une influence non pas immédiate, mais médiate sur le taux général de profit. Par contre, la rente différentielle totale et la rente absolue de l’élevage sont supportées par la plus-value du capital non agricole mais la plus-value de l’élevage intervient de manière médiate dans la détermination du taux général de profit.

La plus-value du secteur agricole autre que l’aliment de base, si elle est plus importante que ne le fait penser la plus-value produite dans l’élevage, relève d'autant le taux de profit.

Supposons qu’au lieu de 90 c + 10 v + 10 pl, nous ayons un secteur agricole hors aliment de base ou la composition du capital soit 50 c + 50 v + 50 pl = 150. En l’occurrence elle est égale à la composition du capital dans la branche de l’aliment de base. Par rapport à l’équation finale obtenue plus haut en (8) seul change le dernier membre de cette équation. Ainsi au lieu de déduire 10 comme précédemment nous déduisons maintenant 50, ce qui revient à ajouter 40 au dernier membre de l’équation. Celle-ci devient donc :

100 ρ2 – 1070 ρ + 360

D'où un taux général de profit :

ρ = [1070 – (10702 – 4 x 360 x 100)1/2] / 200 soit 34,8%

La plus-value dans le secteur non agricole s'élève donc à 348 soit une augmentation de 40. La plus-value passe donc de 308 à 348. La rente absolue, elle, tombe de 19,2 à 15,2 soit une baisse de 4. Dans le secteur agricole hors aliment de base le capital devient donc 50 c + 50 v + 50 pl + 20 + 15,2 ce qui donne un profit moyen de 47. Du même coup, il est entièrement supporté par la plus-value de ce secteur qui prend même à sa charge une partie de la rente foncière. Le fait de déduire la plus-value pourrait faire penser qu'il s'agit d'un artifice comptable et que cette plus-value fait partie de la plus-value totale qui participe à la formation du taux général de profit, mais le fait notable c'est que le capital de ce secteur ne participe pas à la détermination du taux général de profit, en cela il suit le capital du reste de l’agriculture même si, comme toute la plus-value produite, celle de ces secteurs a une influence, que nous avons qualifiée de médiate à la différence de celle du secteur non agricole que nous pouvons qualifier d'immédiate, sur sa détermination.

Nous avons déjà vu les rapports entre rente différentielle et rente absolue. Nous pouvons constater ici que plus la composition organique du capital agricole hors aliment de base est élevée plus la propriété foncière est à même d'obtenir une rente foncière élevée. La propriété foncière aura donc tout intérêt à faciliter la divergence la plus importante possible entre la composition organique du capital dans la branche produisant l’aliment de base et la composition organique du capital dans les autres secteurs agricoles. Dans le secteur de l’aliment de base plus cette composition organique est basse et plus la rente absolue peut être élevée. Plus la composition organique du capital agricole hors aliment de base est élevée plus la rente absolue peut être importante. La diversité des productions qui était un élément favorable à la propriété foncière pour l’exercice de son monopole face aux fermiers capitalistes est en même temps un facteur d'accroissement de la rente. De ce point de vue, la propriété foncière ne s'opposerait pas au développement de l’élevage. Toutefois, il ne faut pas que cette hausse de la composition organique traduise un réel progrès du développement des forces productives dans l’agriculture ; ce qui se retournerait, à terme, contre la propriété foncière. Les terres étant transformables, une partie des progrès accomplis suivraient alors dans la sphère de l’aliment de base et saperaient la base matérielle qui permettait à la propriété foncière d'obtenir une importante rente absolue. De ce fait, les progrès de cette différenciation ont une limite, l’intérêt général de la propriété foncière étant de faire obstacle à un développement capitaliste qui se traduirait par une modernisation de l’agriculture.

Nous avons vu, à propos de la rente différentielle sur le plus mauvais terrain, qu'un développement inégal de l’accumulation pouvait favoriser la propriété foncière. Ici nous pouvons constater qu'un développement différencié des production peut avoir la même influence. Le développement de l’élevage s'inscrivant dans le cours de la société moderne, c'est-à-dire de la phase de soumission réelle du travail au capital (la consommation de viande par tête est un des indices les plus sûrs du développement capitaliste), la propriété foncière n'a pu que suivre ce mouvement avec intérêt.

Si la propriété foncière a tout intérêt à ce que la composition organique du secteur agricole hors aliment de base soit -dans les limites que nous avons évoquées- la plus élevée possible, elle a également intérêt à ce que cette production occupe une part d'autant plus importante dans la production agricole.

Supposons, en effet, une autre répartition du capital que celle envisagée précédemment.

Désormais, la production de l'aliment de base occupe seulement le quart des terres à usage agricole si bien que l’élevage en utilise les trois quarts.

En admettant que la composition du capital à l’hectare demeure la même pour l’ensemble de l’agriculture nous obtenons la répartition du capital suivante :

25 c + 25 v +25 pl = 75 aliment de base (blé)

135 c + 15 v + 15 pl = 165 élevage

La rente différentielle demeure inchangée, la qualité des terres étant supposée inchangée. Toutefois, sa répartition quantitative est modifiée puisque la production de blé n'occupe plus que le quart des terres ; la branche de l'aliment de base ne paiera que le quart de la rente soit 5 au lieu de 20 précédemment. Par contre, l’élevage paie la différence, la rente s'élevant désormais à 30 ce qui correspond bien aux 3/4 de la rente totale. Il en va de même, toutes choses égales par ailleurs, pour la rente absolue. Cependant, du fait de la modification de la répartition du capital entre les différentes branches agricoles, celle-ci, sur le plan global va évoluer.

Notons aussi que si la composition organique de chaque branche n'est pas modifiée, la composition organique du capital total de la société, elle, l'est du fait même du transfert de capital. Quelles sont les conséquences de ces modifications à la fois sur le taux de profit et sur la rente absolue ?

La résolution des équations avec les nouvelles données nous donne :

150 ρ2 – 1105 ρ + 300 = 0

Donc la solution qui nous intéresse est :

ρ = [1105 – (11052 – 4 x 300 x 150)1/2] / 300 soit 28,2%

Le taux de profit est désormais de 28,2% soit un taux de profit plus bas que le taux de profit antérieur. La rente absolue s'élève d'autant. Son taux atteint désormais 21,8%, et sa masse est de près de 11 dans le secteur de l'aliment de base, mais pour le quart des terres. La rente absolue totale s'élève donc à 44 environ, soit près de 6 de plus que celle qui correspondait à l’ancienne répartition du capital.

La propriété foncière est donc ici d'autant plus favorisée que la part relative du capital dans les secteurs comme l’élevage où la composition organique est pour des raisons techniques (et non sociales) plus élevée que la moyenne est plus importante dans l’ensemble du capital agissant dans la sphère agricole.

Nous pouvons voir donc qu'ici aussi la propriété foncière a tout intérêt à favoriser un certain type de production dans la limite, répétons-le, où cette répartition ne traduit pas du même coup un développement de l’agriculture capitaliste qui pourrait réduire à terme l'écart entre le taux de profit agricole et le taux de profit non agricole.

A la suite de la détermination du taux général de profit et de la rente foncière et donc de la formation des divers prix comment se situent l’un par rapport à l’autre les prix relatifs des diverses productions ?

Revenons à notre premier exemple.

Dans le secteur non agricole le prix de production s'élevant à 600 + 400 + 308 = 1308 soit pour un capital de 100, 130,8. Dans le secteur de l'aliment de base, le prix du blé s'élevait à 170 tandis que dans l’élevage ce prix était de 182. Par conséquent, si l'aliment de base a un prix relatif supérieur de près de 30% au prix des productions non agricoles, le prix des produits de l’élevage lui est supérieur de près de 40% à ce même prix. Ce qui est vrai de l'élevage l’est également des autres productions agricoles hors aliment de base. Si, donc, nous avons tiré de la théorie de la rente une première conclusion selon laquelle le prix des produits agricoles et de la terre en général sont relativement plus élevés que le prix des produits industriels manufacturés, nous pouvons déduire également de cette même théorie que les produits de l’élevage sont 7% plus chers que l’aliment de base. La forme de production capitaliste porte donc à son comble les difficultés pour l’obtention de divers aliments et matières premières particulièrement nécessaires à l’homme. La viande et dautres produits agricoles seront donc toujours chers dans le MPC et hors de portée du prolétaire, tandis que les besoins alimentaires seront toujours mal satisfaits.

L'une des tendances de l’agriculture capitaliste sera aussi de limiter l'utilisation du sol pour la production de viande (élevage hors sol) afin d'abaisser les prix.

Supposons maintenant une révolution bourgeoise radicale à la suite de laquelle la terre serait nationalisée. Si la propriété privée de la terre disparaît, cela ne signifie pas pour autant que le MPC a disparu.

Devenue propriété d'Etat, sur la base de la production capitaliste la terre n'est plus le monopole de la propriété foncière, les conditions superstructurelles pour l’existence de la rente absolue sont abolies et celle-ci disparaît. Il n'en va pas de même pour la rente différentielle qui subsiste tant que le MPC existe. Lénine, à la suite de Marx, avait très bien compris cet aspect de la théorie révolutionnaire et en faisait un des points saillants de la stratégie du prolétariat dans la perspective de la révolution démocratique bourgeoise radicale dirigée par le prolétariat en Russie. Les conclusions générales que nous en avons tirées quant au prix relatif des produits seraient-elles modifiées ?

Staline se flattait d'avoir aboli la rente absolue. Trotsky lui rétorquait justement que, de toutes façons, il en subissait l’influence à travers les lois du marché mondial auquel il était soumis et que le saint des saints : la rente différentielle n'avait pas disparue pour autant. Or, qui dit rente différentielle (et cela Trotsky non plus ne voulait pas l’admettre) dit domination du capital. Que l’Etat se baptise république socialiste ou autrement ne change rien à l'affaire.

Pour notre propos, il sera suffisant ici de nenvisager que les conséquences d'un tel bouleversement (la disparition de la rente absolue) sur le plan quantitatif.

Pour reprendre notre exemple traditionnel, nous avons la composition du capital suivante :

600 c + 400 v + 400 pl = 1400 Secteur non agricole.

50 c + 50 v + 50 pl = 150 Aliment de base

 90 c + 10 v + 10 pl = 110 Elevage

Nous supposons que dans le secteur de l'aliment de base, il existe 4 types de terrains sur chacun desquels est investi 1/4 du capital total et dont les rendements sont de 37,5 quintaux de blé sur le terrain le plus mauvais, le terrain I ; 40 quintaux pour 1e terrain de qualité supérieure (terrain II) ; 42,5 pour le terrain III et 50 pour le meilleur terrain (terrain IV).

La rente différentielle totale en nature est de 20 quintaux (50 - 37,5) + (42,5 - 37,5) + (40 - 37,5) et comme le prix du quintal était jusque-là de 1 (le capital investi est de 25 et le taux de profit de 50% soit une valeur de 37,5 pour 37,5 quintaux) la rente différentielle était égale à 20, résultat d'où nous sommes partis pour les calculs précédents.

Dans l'élevage, nous avons vu que la formation des prix, caractéristiques du MPC, était telle qu'il fallait ajouter aux coûts de production la rente déterminée par les terres produisant l'aliment de base .

La première conséquence importante, corollaire de la disparition du monopole de la propriété foncière et de la rente absolue, c'est que désormais la totalité du capital, que ce soit le capital du secteur non agricole ou le capital du secteur agricole, participe directement à l'établissement du taux général de profit. Il nous faut cependant déterminer simultanément la rente différentielle et le taux de profit. La totalité de la plus-value, 460 dans notre exemple, participe à la détermination du taux général de profit. Il faut retirer de cette plus-value la totalité de la rente différentielle, mais le montant de celle-ci dépend du taux de profit puisque c'est maintenant le prix de production sur le plus mauvais terrain et non plus la valeur qui détermine le prix du blé. La branche de l'aliment de base comme toutes les autres branches participe au processus d'égalisation des taux de profit et de formation du taux général de profit. De ce fait, le capital avancé et la plus-value produite dans ce secteur sont impliqués dans le calcul du taux général de profit. Pour calculer le taux de profit nous devons donc retirer de la plus-value totale la rente différentielle totale et rapporter cette masse de plus-value restante au capital avancé total sans oublier que dans celui-ci rentre la rente différentielle de l’élevage.

Taux de profit : ρ = (460 – 2RD) / (1000 + 100 + 100 + RD)

Par contre la rente différentielle est égale à la rente en nature que multiplie le prix de production du quintal soit :

RD = [25 (1 + ρ) 20] / 37,5 soit 40/3 (1 + ρ)

En remplaçant RD par 40/3 (1 + ρ) dans l'équation du taux de profit on obtient :

ρ = (460 – 80/3 (1 + ρ)) / (1000 + 100 + 100 + 40/3 (1 + ρ))

1200ρ + 40ρ/3 + 40ρ2/3 = 460 – 80/3 - 80ρ/3

1200ρ + 120ρ/3 + 40ρ2/3 = 460 – 80/3

1240ρ + 40ρ2/3 – 1300/3 = 0

40ρ2/3 + 1240ρ – 1300/3 = 0

La seule solution qui nous intéresse est égale à :

ρ = [-1240 – (12402 – 4 x 40/3 x 1300/3)1/2] / 80/3

où ρ = 34,8%. La rente différentielle s'élève, elle, à 18 environ. Le prix du produit non agricole s'élève donc à 1348 soit 134,8 pour 100 de capital avancé.

Dans la sphère de l’aliment de base, la valeur de marché est égale à 100 + 34,8 + 18 = 152,8 soit un prix relatif 13% plus élevé. Dans la branche de l'élevage, la valeur de marché s'élève à 118 + 41 soit 159. Le prix relatif y est donc plus élevé de 4% que dans l’aliment de base et de 17% par rapport au produit non agricole. Par conséquent même débarrassées de la propriété foncière, les conditions économiques particulières au MPC conduisent à ce que la viande[xcix] soit plus chère que le blé et que celui-ci soit lui-même relativement plus cher que les produits manufacturés. N’en déplaise à Staline, à ses mânes et à ses successeurs, même en Russie, la loi de la faim, la loi économique spécifique du MPC qui sépare comme jamais dans l'histoire l’homme de la nature et le condamne à mort tout en épuisant celle-ci, est aussi à l’œuvre.

Quiconque voudrait passer de la théorie à l'analyse statistique (exercice périlleux d'une part parce qu'il exige une bonne maîtrise de la théorie et une bonne maîtrise de la manière dont ces statistiques sont élaborées, et d'autre part parce que ces statistiques bourgeoises sont précisément élaborées sans tenir compte de la théorie communiste qu'elles s'efforcent plutôt de nier et d’ensevelir sous une avalanche de chiffres), qui donc voudrait examiner les faits s'apercevrait qu'en règle générale ils paraissent contredire complètement la théorie. Dans le jargon statistique, la «valeur ajoutée » est égale à la différence entre la valeur de la production et les consommations intermédiaires. Dans notre schéma cela signifie par exemple que la valeur ajoutée dans l’industrie est égale à 1308 - 600 = 708. Si nous supposons que chaque ouvrier a un salaire de 10, la valeur ajoutée par tête s'élève à 708/40 = 17,7. Dans l’agriculture, en ce qui concerne l’aliment de base nous obtenons : 150 - 50 = 100. Ici aussi, en supposant un salaire par ouvrier de 10, nous obtenons une valeur ajoutée par personne de 100/50 = 20. Dans l'élevage le résultat est 139,2 - 90 = 49,2 soit, rapporté à l’ouvrier, une valeur ajoutée de 49,2 par personne productive. Un coup d’œil rapide sur la statistique bourgeoise nous apprend qu'il en est strictement le contraire ; c'est-à-dire que la valeur ajoutée par tête est supérieure dans l'industrie. Ce phénomène est renforcé si on considère que la proportion d'improductifs est supérieure dans les secteurs non agricoles. Il ne s'agit pas d'un phénomène conjoncturel puisqu'il est multiséculaire et touche la plupart des pays.

Les staliniens ont de ce fait bonne mine à affirmer que cela provient d'une détérioration des "termes de l’échange" entre agriculture et industrie due à la politique des "grands monopoles" alors que ce phénomène se retrouve même du temps où lesdits monopoles navaient pas atteint le développement et l’influence que leur attribuent les staliniens.

En fait, il faut avoir des choses une vue toute autre.

L'analyse théorique qui est faite ici suppose un développement du capitalisme dans toutes les branches dindustrie et donc aussi dans l’agriculture. Il est supposé que toute la terre est exploitée par des ouvriers salariés dirigés par des fermiers capitalistes. Or, dans la plupart des pays capitalistes, le salariat ne représente encore qu'une minorité de la population active agricole et même si sa part dans la valeur de la production s'accroît, il n'en représente également qu'une minorité. Le retard qualitatif de l’agriculture sur l’industrie se traduit par l’existence d'une masse importante de paysans parcellaires soumis aux lois du marché capitaliste, qui produisent dans des conditions de productivité et d'intensité du travail inférieures à la moyenne sociale. Ils ne participent pas alors à la détermination de la valeur de la production bien qu'ils contribuent à une partie non négligeable de celle-ci et doivent travailler de longues heures pour obtenir un revenu souvent inférieur à celui des ouvriers de l’industrie les plus mal payés. Le carcan que constitue pour eux la propriété de la terre, souvent d'autant plus illusoire que le véritable propriétaire en est le capitaliste financier (crédit agricole) est alors le puissant motif qui les pousse à s'échiner jusqu'à ce que les conditions soient à ce point détériorées qu'ils n'ont plus d'autre choix, pour ceux qui doivent encore poursuivre une activité, que le salariat, ce qui signifie souvent l’exode rural. De ces conditions particulières, il résulte qu'une même quantité de travail productif ne crée pas la même valeur dans l’agriculture et dans l’industrie dans la mesure où dans l’agriculture le travail ne s'exerce pas dans des conditions de production conformes à la moyenne sociale et est donc dépouillé de la productivité et de l’intensité nécessaires pour être pris en compte au niveau social.

L'un des éléments de mesure du progrès de l’agriculture par rapport à l’industrie sera justement de voir si la part relative du travail fourni à la valeur créée se rapproche ou s’éloigne de l’industrie.

29.  Question agraire et dialectique de la nature

Tout au long de ce travail nous avons souligné l’importance primordiale de la question agraire pour la compréhension du fonctionnement des catégories fondamentales du MPC. Au-delà de cet aspect, l'étude de la question agraire concerne la sphère, vitale pour l’homme, des échanges organiques qu’il maintient avec la nature pour assurer sa propre existence et reproduction en tant qu'espèce. nous ne reprendrons pas ici les thèses classiques de la théorie communiste sur le rapport générique entre l’homme et la nature : nous les avons exposées, quoique brièvement plus haut. Ce que nous comptons aborder ici, c'est comment la théorie communiste résout la question "philosophique" de la connaissance qui s'établit sur la base de ce rapport entre l’homme et la nature, et rompt avec ses différentes représentations traditionnelles.

Sur le plan philosophique, comme l’avait rappelé à juste titre la Gauche Communiste d'Italie, la théorie communiste est un monisme, c'est-à-dire qu'elle ne reconnaît qu'un seul (mono) principe comme fondement de la réalité. Il peut très bien exister des monismes idéalistes, et le système Hégélien en est un, qui fait de l’Idée le fondement et le principe moteur de la réalité. Le communisme est un monisme matérialiste car il ne conçoit le monde et toute la réalité que comme le produit de l’activité matérielle des hommes.

Dans cette perspective, le monisme communiste ne reconnaît aucune "sphère supérieure", aucun autre principe (Dieu, la pensée, l’Idée etc.) qui pourrait expliquer l’existence des choses réelles ou leur saisie intellectuelle par l’espèce humaine. Mais en même temps la "matière" qui est à la base de cette conception n'est pas la matière abstraite de la science bourgeoise mais comme l’ont montré très tôt les "Thèses sur Feuerbach" la matière comme produit de l’activité sociale de l’homme.

« Le principal défaut de tout le matérialisme passé - y compris celui de Feuerbach - est que l’objet, la réalité, le monde sensible n’y sont saisis que sous la forme d’objet ou d’intuition, mais non en tant qu'activité humaine concrète, en tant que praxis, de façon non subjective. » (Thèse I)

Ainsi, dans l’étude du rapport de l’homme à la réalité qu'il trouve face à lui, le communisme privilégie d'emblée la praxis, le rapport pratique par lequel l’homme affirme le monde comme monde humain. De même l’homme se trouve face à la nature extérieure mais celle-ci ne lui est pas étrangère car il est lui même une partie de la nature. C'est pourquoi il considère tout ce qui ne forme pas directement son corps physique comme son corps inorganique (Marx). Le rapport qu'il noue avec la nature n'est donc pas une opposition figée (où l’homme, caractérisé par la pensée, incarnerait notamment l’élément "spirituel" par rapport à la nature matérielle) mais un rapport dialectique où sujet et objet sont unis.

Dans la mesure où il est une partie de la nature, et est soumis à son action et à ses lois, l’homme est un être naturel ; mais en même temps, dans la mesure où il cherche à agir sur la nature et, par suite, à la connaître, il agit comme sujet en humanisant la nature. De ce point de vue, la nature elle-même est également objet et sujet : objet de la praxis humaine car l’homme agit sur la nature pour la transformer en satisfaisant ces besoins ; sujet car avec l’apparition de l’homme comme être pensant la nature accède à la conscience de soi .

« A partir des premiers animaux se sont développés essentiellement par différentiation continue, les innombrables classes, ordres, familles, genres et espèces d'animaux, pour aboutir à la forme où le système nerveux atteint son développement le plus complet, celle des vertébrés, et à son tour, en fin de compte, au vertébré dans lequel la nature arrive à la conscience d'elle-même : l’homme. » (Engels Dialectique de la nature p.4l)

La médiation, le lien vivant qui unit l’homme à son corps inorganique, la nature, c'est la praxis, autrement dit l'activité générique de l’homme, aussi bien pratique que théorique, par laquelle i1 affirme sa nature d'être générique.

« L'homme est immédiatement un être naturel en tant qu’être naturel et être naturel vivant, il est doué de forces naturelles, de forces vitales ; il est un être naturel actif ; ces forces existent en lui sous la forme de dispositions et d'aptitudes, d'impulsions. D'autre part, en tant qu'être naturel, en chair et en os, sensible, objectif, il est un être souffrant, dépendant et limité, tout comme la plante et l'animal. Autrement dit les objets de ses impulsions existent en dehors de lui comme objets indépendants de lui ; mais ces objets sont objets de ses besoins ; ce sont des objets indispensables, essentiels, pour la manifestation et l'affirmation de ses forces essentielles. Dire que l'homme est un être en chair et en os, doué de forces naturelles, vivant, réel, sensible, objectif, c'est dire qu'il a pour objet de son être, de la manifestation de sa vie, des objets réels, sensibles, et qu'il ne peut manifester sa vie qu'en des objets réels, sensibles. Etre objectif, naturel, sensible, avoir un objet, une nature, un être sensible en dehors de soi-même; être soi-même objet, nature, être sensible pour un tiers sont des expressions identiques. » (Manuscrits de 1844. Ed. 10/18 p.282)

Par rapport à la nature, l'homme ne fait donc pas acte de connaissance abstraite mais au contraire la connaissance qu'il a de la nature, naît du rapport qui s'engage entre eux.

La praxis, l'activité générique de l'homme au moyen de laquelle il rend humaine la nature qui l'entoure, en même temps qu'il se naturalise, est donc le véritable foyer de la connaissance humaine. L'homme connaît parce qu'il rentre dans un rapport pratique avec le monde et qu'il forge une réalité correspondant à cette praxis humaine. Cette conception communiste se distingue tant de l'idéalisme métaphysique, dont le sommet est exprimé par Hegel, pour qui la réalité est un produit de l'Idée qui ne fait pas autre chose que se connaître elle-même, que du matérialisme vulgaire pour qui le monde est matériellement ordonné selon une rationalité achevée qui, en se reflétant dans le cerveau des hommes se dévoile à leur connaissance.

Ces deux systèmes, quoiqu'opposés, sont également inaptes à rendre compte de la manière dont s'établit la connaissance de la réalité car chacun d'eux laisse de coté la relation dialectique entre le sujet et l'objet, autrement dit le rapport pratique qui s'instaure entre l'homme et la réalité matérielle.

L'objet de la connaissance est tangible et réel et donc la connaissance humaine est matérialiste. Mais cet objet ne se laisse pas saisir en dehors du rapport actif qui transforme le monde réel en monde humain, en monde pour l’homme. A travers ce rapport actif, l'homme forge des modes de saisie de la réalité qui, transplantés dans la sphère théorique, lui permettent de comprendre la réalité et en retour d'agir sur elle. Cette notion de relation dialectique entre l'homme et la nature est essentielle. Le sujet ne connaît pas l'objet d'un simple point de vue extérieur, mais comme objet produit par le sujet. L'objet à connaître c'est l'objet transformé par le sujet.

La difficulté ici réside en ceci que l'objet possède en même temps, de toutes façons, une existence indépendante du sujet. Tonte remise en cause de ce principe mène à l'idéalisme. A l'inverse, faire du sujet un simple récepteur qui appréhende l'objet dans son immédiateté, c'est rester au niveau d'un matérialisme qui n'a pas intégré la dialectique.

En tant que saisie pratique du monde, la connaissance de l’objet par le sujet est une activité organisatrice. En d'autres termes, l’homme, du chaos apparent des faits dans la nature et dans l’histoire, tire des généralisations, des abstractions, des lois, etc., qui lui permettent de comprendre et d'agir. La pensée humaine en général obéit au processus suivant :

« (...) toute connaissance réelle, exhaustive, ne consiste qu'en ceci : nous élevons en pensée le singulier de la singularité à la particularité et de celle-ci à l'universalité, nous découvrons et constatons l’infini dans le fini, l’éternel dans le périssable. »[c] (Engels. Dialectique de la Nature p.236)

Ce processus se déroule grâce à toute une série d'instruments conceptuels comme l'analyse, l'abstraction, l’induction, etc. Ainsi, on abstrait de la nature des catégories ou concepts (la "matière" en est un par exemple) qui permettent de raisonner et d'intervenir pratiquement. Mais ces catégories ou concepts ne sont pas donnés immédiatement comme objets de la nature, ils sont abstraits comme objets pour l’homme, comme objets naturels pour l’homme.

On voit là que la connaissance de la nature ne peut pas être immédiate, car la catégorie ou la loi ne se présentent pas en tant que telles face à l’homme. Elles ne se laissent pas saisir simplement, elles sont dégagées du hasard apparent des faits pour servir d'instrument théorique et pratique à l’homme.

On voit aussi que l’être humain est capable d'universalisation c'est-à-dire que l’expérience immédiate (celle des sens) qui est à la base de toute connaissance n'est en même temps valable que si elle est dépassée dans un processus de généralisation qui est celui de la pensée même.

Si on répétait des millions de fois une expérience sans jamais en tirer des conclusions générales, il n'y aurait pas de développement de la connaissance (qui de toutes façons n'existe que comme connaissance d’espèce) possible .

Ce qui est vrai des processus particuliers de saisie de la réalité, à savoir qu'ils ont pour fonction de dégager de cette réalité les catégories générales qui n'apparaissent jamais comme telles immédiatement, est vrai aussi de la méthode d'ensemble de la connaissance.

La réalité brute n'est organisée selon aucune méthode qui se dévoilerait à la science lorsque celle-ci aurait atteint un certain degré de maturité. Au contraire, la méthode est un outil intellectuel humain, forgé pour s’approprier la réalité de manière rationnelle et saisir de manière adéquate les différents éléments qui la composent. Ainsi la méthode la plus apte à rendre compte de la complexité du monde réel et à dominer cette complexité est la méthode dialectique car elle appréhende la réalité dans son mouvement et le mouvement de la réalité. Engels donne cette définition de la dialectique : « science générale des lois du mouvement. »

« C'est donc de l’histoire de la nature et de celle de la société humaine que sont abstraites les lois de la dialectique. Elles ne sont précisément rien d'autre que les lois les plus générales de ces deux phases du développement historique ainsi que de la pensée elle-même. Elles se réduisent pour l’essentiel aux trois lois suivantes :

- la loi du passage de la quantité à la qualité et inversement ;

- la loi de l’interpénétration des contraires ;

- la loi de la négation de la négation. » (Dialectique de la nature p.69)

« Dans le présent ouvrage, la dialectique a été conçue comme la science des lois les plus universelles de tout mouvement. Cela inclut que ses lois doivent être valables aussi bien pour le mouvement dans la nature et dans l’ histoire humaine que pour le mouvement de la pensée. Une telle loi peut être reconnue dans deux de ces trois sphères et même dans trois sans que ce routinier de métaphysicien se rende compte que c'est une seule et même loi qu'il a reconnue. » (idem p.273)

Ainsi, selon notre explication, ce que l’on touche du doigt de manière tangible dans la réalité, c'est le mouvement « par opposition des contraires qui, par leur conflit constant et leur conversion finale l'un en l'autre ou en des formes supérieures, conditionnent précisément la vie de la nature. » (p.213) Par contre l’interprétation de ce mouvement, la dialectique, naît du rapport actif/pratique que l’homme entretient avec la nature. Dire, comme certains, que « la nature est elle-même dialectique » et que c'est pour cela que nous parvenons à connaître celle-ci dialectiquement, revient à dire, de manière plus générale, que l’objet contient déjà en soi sa propre méthode d'appréhension. Or, tout comme science et réalité ne coïncident pas, objet et méthode ne peuvent pas non plus coïncider car sinon, la méthode étant d'emblée fournie avec l'objet, on devrait se contenter purement et simplement de l’impression immédiate des sens pour atteindre la connaissance vraie. Or, précisément, la connaissance se fait par un détour, qui permet de dégager du chaos apparent des mouvements, des faits, des objets, etc., des règles générales, ou lois, lesquelles permettent à leur tour d'intervenir en connaissance de cause sur la réalité. [ci].

Les processus dappréhension de la réalité que l'on a tenté ici de décrire sommairement dans leur généralité, ne sont évidemment pas donnés d’emblée, car la pensée humaine elle-même est soumise à l’histoire et se développe différemment suivant les époques.

« La pensée théorique de chaque époque, donc aussi de la nôtre, est un produit historique qui prend en des temps différents une forme très différente et par là, un contenu très différent. La science de la pensée est donc, comme toute autre science, une science historique, la science du développement historique de la pensée humaine." (Engels. Préface de l’Anti-Dhuring.)

Avec le MPC et le développement universel des besoins qu'il suscite, la connaissance fait un bond formidable, qui se traduit par le développement de la science, forme que prend dans le MPC le "travail général" (cf. CouC N°7). Mais, en même temps, la réalité dans le MPC apparaît mystifiée et la connaissance bute sur un certain nombre d'obstacles inhérents à ce mode de production et qui ne disparaîtront qu'avec lui. De même, que sur le plan social, les rapports entre les hommes prennent l’aspect de rapports entre les choses, sur le plan naturel le rapport homme/nature ne se laisse pas saisir immédiatement et la science bourgeoise envisage l’étude de la nature sous un angle avant tout métaphysique. Ainsi, si la pensée bourgeoise parvient à fournir une vision matérialiste de la réalité, c'est un matérialisme qui reste pour l’essentiel métaphysique, abstrait, et a du mal à intégrer la dialectique.

Engels a montré, notamment dans "Dialectique de la Nature'' combien les besoins spécifiques du MPC avaient conduit la connaissance de la nature à effectuer des bonds gigantesques, avec un développement sans précédent des sciences naturelles. Mais, en même temps, il souligne combien la science bourgeoise est impuissante à intégrer le rapport pratique qui constitue le fondement de l’appropriation de la sphère naturelle par l’homme et, en même temps, de sa compréhension théorique de celle-ci.

« Jusqu'ici la science de la nature, et de même la philosophie, ont absolument négligé l’influence de l’activité de l’homme sur sa pensée. Elles ne connaissent d'un coté que la nature, de l’autre que la pensée. Or, c'est précisément la transformation de la nature par l’homme, et non la nature seule en tant que telle, qui est le fondement le plus essentiel et le plus direct de la pensée humaine, et l'intelligence de l'homme a grandi dans la mesure où il a appris à transformer la nature. C'est pourquoi, en soutenant que c'est exclusivement la nature qui agit sur l'homme, que ce sont exclusivement les conditions naturelles qui partout conditionnent son développement historique, la conception naturaliste de l'histoire - telle qu'elle se manifeste plus ou moins chez Draper et d'autres savants - est unilatérale et elle oublie que l'homme aussi réagit sur la nature, la transforme, se crée des conditions naturelles d'existence. » (Dialectique de la nature p.233)

D'une part, la science bourgeoise est donc incapable d'interpréter le rapport de l'homme à la nature dans un sens dialectique comme rapport social, pratique, humain; mais d'autre part, elle est même incapable de saisir dans toute leur profondeur et leur subtilité dialectique la réalité chaque fois que le mouvement s'y déploie dans toute sa complexité (cela est particulièrement frappant dès que l'on aborde les processus organiques). C'est pourquoi le développement des sciences de la nature dans le MPC suit une courbe descendante qui va de la maîtrise relative, à l'aube du MPC, des domaines de la mécanique et de la physique - et aussi par conséquent des mathématiques- à la difficulté de développer les sciences du vivant : chimie, biologie, etc. Plus la connaissance rend absolument nécessaire le recours à la méthode dialectique, et moins la science bourgeoise maîtrise les phénomènes qu'elle traite. C'est ainsi que, historiquement, la bourgeoisie a pu appliquer avec succès les premières sciences à l'industrie (mécanique, physique, etc.) tandis que les sciences applicables plutôt à la sphère agricole (chimie organique, biologie, géologie, etc.), où les phénomènes organiques jouent un rôle plus prononcé, prenaient un retard qui entraînait à son tour celui du développement de l'agriculture.

« On peut répondre à cette question très simplement qu'une partie des matières premières telles que la laine, la soie, le cuir sont produites par un processus organique animal, le coton, la toile etc. au terme d'un processus organique végétal et que la production capitaliste n'a pas réussi et ne réussira jamais (souligné par CouC) à contrôler ces processus comme elle contrôle des procès purement mécaniques ou des processus chimiques non organiques. » (Théories sur la plus-value p.432 tome III)

On voit donc que la pensée capitaliste est ici déclarée inapte à la saisie du qualitatif, à la compréhension des phénomènes organiques à l’œuvre dans là nature. Ce fait suffit à expliquer, en partie, le retard de l'agriculture sur l'industrie dans le MPC, comme le souligne par ailleurs Marx dans le "Capital".[cii]

« Sans même tenir compte d'autres circonstances économiques parfois décisives, le développement plus précoce et plus rapide des sciences mécaniques, et surtout de leurs applications, comparé à celui, beaucoup plus tardif et parfois tout récent, de la chimie, de la géologie et de la physiologie suffirait déjà à expliquer ce retard, particulièrement sensible dans l'agriculture » (Capital III p.1371 Pléiade tome II)

Or, plus les sciences naturelles se développent, plus elles abordent des domaines complexes où la simple pensée mécanique ou métaphysique ne suffit plus. C'est ainsi que le raisonnement dialectique s'est en partie imposé au travail des savants. Mais, comme le souligne Engels, ce n'est que l'application consciente de la méthode dialectique à l'étude des phénomènes naturels qui pourrait faire faire un bond sérieux à ces sciences. Or, à l'incapacité chronique de la pensée bourgeoise à raisonner sur le mode dialectique vient s'ajouter un refus idéologique d’utiliser cette méthode qui est entre-temps devenue l'apanage du prolétariat et de sa théorie révolutionnaire. De même que la théorie communiste a pu puiser dans le domaine des faits naturels pour démontrer la validité universelle de sa méthode ("la nature est le banc d'essai de la dialectique" Engels), de même l'interprétation des phénomènes naturels est devenu un enjeu dans la lutte que mène la bourgeoisie pour nier la validité du programme communiste. Au prix d'une formidable régression théorique et de crises dans les sciences naturelles, elle en est venue à nier le déterminisme, la dialectique, etc., dans la nature, pour mieux les nier dans l'histoire, là où, selon l'expression de la Gauche Communiste d'Italie elles ressortissent d'une "certitude armée" et où, selon ces mêmes lois dialectiques, son combat est d'ores et déjà perdu face au prolétariat.

La révolution communiste, et la réorganisation des forces productives qu'elle entraînera, permettra de bouleverser le secteur où l'homme puise toutes ses ressources- Mais ceci ne pourra pas se faire sans, qu'en même temps, il y ait révolution dans le mode de pensée et triomphe de la dialectique que le prolétariat a déjà su manier au cours de ses batailles théoriques avec la bourgeoisie. Dans la grande bataille de l'homme avec les forces naturelles, la dialectique, c'est-à-dire la compréhension du mouvement qui anime la nature et du rapport pratique qui l'unit à l'homme permettra de comprendre ces forces pour mieux les dominer.

« Lorsqu'on comprendra que l'industrie est la révélation exotérique des forces essentielles de l'homme, l'on comprendra également l'essence humaine de la nature ou l'essence naturelle de l’homme. Alors les sciences de la nature perdront leur orientation abstraitement matérielle ou plutôt idéaliste, et deviendront le fondement de la science humaine, de la même manière qu'elles sont d'ores et déjà devenues - quoique sous une forme aliénée - la base de la vie réellement humaine. » (Manuscrits de 1844 éd. 10/18 p.252)

« Un jour les sciences de la nature engloberont la science de l'homme, tout comme la science de l'homme englobera les sciences de la nature : il n'y aura plus qu'une seule science. » (idem p.255)

30.  MPC et pillage de la nature

La base du Mode de production capitaliste, c'est la valeur en procès. Le développement de ce mode de production prend l'aspect d'une course effrénée et permanente à la valorisation qui ne s' arrête que lorsque le système est entré en crise, pour repartir ensuite sur de nouvelles bases. Dans ces conditions le MPC néglige tout ce qui ne sert pas immédiatement son dessein : l'extorsion d'un maximum de plus-value. Ce mode de production est donc "immédiatiste" dans le sens où il ne se préoccupe pas - il en est d'ailleurs incapable - de prévoir ou de planifier, par exemple l'utilisation des ressources humaines et naturelles. Cet aspect intrinsèque du capital a été dénoncé par la théorie communiste pour qui, d'emblée, le mode de production capitaliste n'a pas à être aménagé mais détruit, pour faire place à l'association des producteurs et à la gestion du patrimoine commun de l'humanité par la communauté humaine.

« Dans l'agriculture comme dans la manufacture, la transformation capitaliste de la production semble n'être que le martyrologue du producteur, le moyen de travail que le moyen de dompter, d'exploiter et d'appauvrir le travailleur, la combinaison sociale du travail que l'oppression organisée de sa vitalité, de sa liberté et de son indépendance individuelles. La dissémination des travailleurs agricoles sur de plus grandes surfaces brise leur force de résistance, tandis que la concentration augmente celle des ouvriers urbains. Dans l'agriculture moderne, de même que dans l’industrie des villes, l'accroissement de productivité et le rendement supérieur du travail s'achètent au prix de la destruction et du tarissement de la force de travail. En outre, chaque progrès de l'agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l'art d'exploiter le travailleur, mais encore dans l'art de dépouiller le sol;chaque progrès dans l'art d'accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays, les Etats-Unis d'Amérique du Nord, par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce procès de destruction s'accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la Combinaison du processus de production sociale qu'en épuisant en même temps les deux sources d'où jaillit toute richesse :

LA TERRE ET LE TRAVAILLEUR." (Capital Livre 1,4 Pléiade t.l pp.998-999)

A lui seul le chapitre sur le cours catastrophique du MPC dans l'agriculture mériterait un volume, car les faits qui prouvent la justesse de la théorie ne manquent pas et le lecteur aura tous les jours l'occasion de s'en rendre compte rien qu'en ouvrant un journal.

Nous nous contenterons ici d'énumérer un certain nombre d'exemples des domaines où la mauvaise gestion de la part du capital, du patrimoine de l'espèce humaine, entraîne des conséquences désastreuses pour la survie de celle-ci.

L'agriculture, avec ses processus organiques, réclame une activité de longue haleine qui s'oppose à la logique capitaliste de la rentabilité à court terme. Si bien que, comme le faisait remarquer Marx

« La morale de l'histoire, que l'on pourrait du reste tirer d'autres observations concernant l’ agriculture, c'est que le système capitaliste répugne à une agriculture rationnelle, ou que l'agriculture rationnelle est incompatible avec le système capitaliste (bien que celui-ci favorise le développement technique), elle a donc besoin soit de la main du petit cultivateur qui vit de son propre travail, soit du contrôle des producteurs associés. » (Capital Livre III)

« Des chimistes agronomes franchement conservateurs, tels que Johnson, concèdent qu'une agriculture vraiment rationnelle rencontre partout les barrières insurmontables de la propriété privée. C'est ce que font également les auteurs, défenseurs ex professo du monopole de la propriété privée; aussi, par exemple, Charles Comte, dans les deux volumes de son ouvrage consacré à la défense de la propriété privée (Traité de la propriété 1834). Devant l’incompatibilité de la propriété avec une agronomie rationnelle, Johnson, Comte, etc., ont en vue une seule chose : la nécessité de cultiver le sol d'un pays dans sa totalité. Mais la dépendance où se trouve la culture des divers produits du sol à l’égard des fluctuations des prix de marché - entraînant des changements perpétuels de cette culture - et tout l’esprit de la production capitaliste orienté vers le gain immédiat sont en contradiction avec une agriculture qui a pour tâche de satisfaire les nécessités vitales et permanentes de générations d'hommes liées les unes aux autres. Un exemple frappant nous est fourni par les forêts, dont l'exploitation est quelquefois, et d'une manière limitée, menée dans l'intérêt général, quand elles ne sont pas propriété privée, mais soumises à l’administration de l'Etat.

Voici un des grands achèvements du système capitaliste : il transforme l’agriculture qui ne faisait que perpétuer jusqu'alors des procédés légués empiriquement et mécaniquement à la couche la moins évoluée de la société, en l’application consciente et scientifique de l’agronomie ; dans la mesure où une telle possibilité existe dans les conditions de la propriété privée. » (idem)

Un autre aspect de la contradiction qui existe entre les besoins mêmes d'une agriculture rationnelle et l'esprit de la production capitaliste, et qui se manifeste indépendamment de l’existence ou non de la propriété foncière, réside dans le fait que les rythmes de rotation dans l’agriculture sont relativement lents (puisque liés à des cycles organiques) par rapport à ceux qui en général existent dans l'industrie. Par définition le capital répugne à s'immobiliser sur de longues durées et donc à s’investir dans l’agriculture. une de ses préoccupations, lorsqu'il s'investit dans l’agriculture sera donc de tenter de raccourcir cette rotation sans s'inquiéter des effets secondaires que cela peut entraîner sur la société.

Ceci se voit très clairement, par exemple, dans l'utilisation qui est faite de la forêt. En effet, pour qu'un arbre atteigne la taille nécessaire pour la coupe il faut plusieurs dizaines d'années si bien que les générations d'hommes qui plantent des arbres le font pour les générations suivantes. Toutefois, entre les espèces feuillues et les résineux, il existe des différences substantielles puisque il faut 50 ans pour faire pousser les premiers et 30 ans pour les seconds.

La conséquence économique de cela est que le capital encourage la production et la plantation des seconds, détruisant éventuellement les équilibres qui ont pu exister. La forêt, en France, composée en majorité de feuillus se modifie sous l'effet des coupes et des reboisements au profit des résineux qui ont parfois l'inconvénient de moins retenir l'eau. Le boisement, le déboisement et le reboisement loin d'obéir à une politique rationnelle qui pourrait tenir compte de toutes les incidences obéit à l’anarchie capitaliste et est aggravée par l'existence de la propriété foncière qui entrave toute organisation rationnelle de la forêt.

Si en France le reboisement s'accompagne de la modification des espèces au profit des résineux étant donné la rotation plus rapide du capital, dans d'autres pays on assiste au massacre de la forêt. Le déboisement accéléré y a des conséquences catastrophiques, comme par- exemple en Inde.

« La pénurie de bois a fait monter les prix et, dans les villes, les classes les plus défavorisées doivent consacrer 1/5 de leurs revenus à acheter du bois pour faire la cuisine.

D'après une étude de la FAO, dans cette partie du monde, on détruit 5000 hectares de forêt chaque 24 heures; de ce fait en Asie du Sud-Est, 38% des zones forestières ont disparu depuis 1950. Les pays les plus atteints étant l'Inde et l'Indonésie qui perdent un million d'hectares de forêt chaque année. Pauvreté, démographie galopante, affairisme, on retrouve pratiquement les mêmes éléments dans chaque pays.

D'autant que les paysans ont l'habitude ancestrale de brûler les forêts pour planter, puis de cultiver la terre un an ou deux avant d'aller ailleurs et enfin de revenir à leur point de départ au bout de huit à 10 ans. En Inde, la destruction des forêts est particulièrement manifeste ; les rives du Gange, les pentes douces de l'Himalaya ont été dévastées au cours des 30 dernières années, ce qui a laissé le champ libre pour les avalanches et les inondations. Au Népal qui a perdu 25% de ses forêts depuis 20 ans les glissements de terrain se sont multipliés. » (Les Echos)

D'autre part, le morcellement de la propriété foncière (en France 30% de la forêt est du domaine public, le reste se partage entre 1.600.000 propriétaires. Sur ces 1.600.000 moins de 2% soit près de 19.000 propriétaires possèdent 40% de la superficie totale tandis que 95% possèdent moins de 10 hectares), rend impossible toute stratégie globale, par exemple dans la lutte contre les incendies. On a vu, par exemple, dans l’été 85, en France, que les négligences dans l'élagage des espèces mortes au cours du dur hiver précédent avaient contribué à faciliter la propagation des feux. Les petits propriétaires fonciers n'étaient pas disposés à débroussailler en déboursant 10.000 F par hectare.

Sur un autre plan, les petits propriétaires fonciers répugnent à investir de grosses sommes, notamment pour faire les éclaircies nécessaires à une bonne croissance des arbres, car ils ne peuvent en espérer qu'un revenu tardif, aléatoire, et qui plus est, d'autant plus faible que leur propriété est petite.

Ainsi, alors que le rôle de la forêt dans la régulation du climat, l'enrichissement du sol, la rétention de l'eau, la régénération de l'air, et l'équilibre de la société en général est fondamental, l’exploitation de la forêt se fait dans l'anarchie propre à la production capitaliste et menace la survie même des forêts et de l'espèce humaine (cf. par exemple, les conséquences prévisibles d'une destruction de la forêt amazonienne sur l'équilibre général de la planète : modification du climat, risque de catastrophes en série, etc.)

Le même phénomène se rencontre pour la production de viande où la longue durée de rotation s'oppose aux intérêts immédiats du capital.

« Même dans le Charolais, la tradition du boeuf de boucherie se perd. "Il faut 3 ans pour faire un boeuf d'une tonne, vendu 10 000 Francs. Et à la fin ça bouffe !" remarque un fermier berrichon. La rotation du capital est trop lente. Alors que en dix-huit mois un "baby" est prêt pour la boucherie. Et rapporte à l'éleveur entre 7000 et 8000 francs. Conséquence : le "baby-boeuf", cette viande "mi-veau - mi-boeuf", à la chair rosé, tendre et sans saveur se répand partout, dans les grandes et les petites surfaces comme dans les boucheries traditionnelles. » (Le Nouvel Economiste)

Ne parlons pas des veaux dont on favorise la croissance à grandes doses d’œstrogènes si bien que plus d'un médecin en déconseille la consommation par les enfants. Quant aux adultes, il faut supposer que la quantité de pesticides, de nitrates, de mercure, etc. qu'ils ont avalé à travers divers aliments les a mithridatisés. Ce serait une erreur, car, selon l’Organisation mondiale de la Santé, toutes les minutes un humain est empoisonné par les pesticides et, tous les ans, dix mille d'entre eux en meurent.

Nous avons déjà eu l’occasion de parler des difficultés de la science bourgeoise à dominer la nature, ce dautant plus que pour cela il faut maîtriser la méthode dialectique. Une étude récemment parue sur "La Santé des cultures" illustre bien cette incapacité congénitale :

« Selon Chabassou (]'auteur du livre NDR) toutes les maladies qui frappent aujourd'hui le blé étaient encore inconnues il y a vingt ans. Quant aux bestioles parasites elles n'ont jamais été aussi nombreuses dans les céréales et les oléagineux...L'arrosage à coup d'insecticide, affirme-t-il, accroît leur longévité, leur fécondité, leur appétit et leur capacité d'adaptation. De surcroît ces produits fragilisent les cultures en favorisant le formation, dans les plantes, de substances solubles dont ces bébêtes suceuses et pompeuses se régalent avec un plaisir d’autant plus grand qu'en vingt ans leur résistance aux insecticides a doublé... Cet effet boomerang qui a, si l'on ose dire, mis la puce à l'oreille à Chabassou, ne déplait pas, bien au contraire aux gros trusts de la chimie. Plus se multiplient les parasites, plus ces firmes créent de nouveaux produits pour les combattre. Rhône-Poulenc cherche aujourd'hui à fabriquer une mixture pour aider les plantes traitées contre les pucerons à lutter contre la prolifération, provoquée par le traitement, de ces mêmes pucerons. » (Le Canard enchaîné. 28.8.85)

Si le MPC menace la survie de l'espèce humaine en dégradant ses conditions de vie et en rendant relativement plus chères les subsistances nécessaires, il épuise également l’autre source de la richesse : la terre elle-même. Le capital est incapable de disposer convenablement de celle-ci car pour cela il faudrait une société capable de sortir du point de vue de l’intérêt immédiat, capable de ne pas se considérer comme propriétaire de la terre et donc de ne pas en disposer selon son bon vouloir mais au contraire de la considérer comme un des attributs de l’espèce dont on dispose pour la rendre bonifiée aux générations futures. Une société capable de dominer dialectiquement les sciences nécessaires à l’agriculture.

Or, dans le MPC, le métabolisme entre l1homme et la nature est comp1ètement perverti, la terre subit le joug du capital et s'épuise.

D'autre part, l’antagonisme entre la ville et la campagne, fondamental pour le développement du MPC (cf. ci dessus) engendre le déve1oppement de deux races d'hommes aussi limitées l'une que l'autre, et empêche par exemple une grande partie des déchets humains et des substances naturelles d'y retourner. En contrepartie une masse croissante d'engrais doit être déversée dans la terre dont les ressorts organiques sont toujours plus faibles. La terre minéralisée subit un long martyre.

Un autre aspect de la domination du capital réside dans la mercantilisation de toutes les ressources naturelles. Le domaine d'application de la rente foncière ne cesse de s'étendre puisqu'actuellement c'est au tour des océans d'être mis en coupe réglée par l’impérialisme mondial (zone des 200 milles, conférence sur l’Antarctique, exploitation des fonds sous-marins, etc.). Aujourd'hui, un Etat peut, par exemple, obtenir une rente par la location de zones de pêche qui lui appartiennent mais qu'il ne peut pas exploiter directement. Désormais, l’espace interstellaire lui-même est l’objet de la convoitise mercantile des Etats. On apprend, par exemple, que l'étroite bande circulaire autour de la terre, qui est destinée à la mise en orbite des satellites (un anneau de 75 km de section, qui est situé à 36 000 km de la terre) fait l’objet des convoitises de tous les impérialismes, petits ou grands, que compte la planète. Réunis à Genève, en Août 85, 140 pays ont discuté pour se répartir cet espace jusqu'à présent livré à une foire d'empoigne, et certains ont avancé l’idée de louer éventuellement la partie qu'ils n'utiliseraient pas, autrement dit d'obtenir une rente.

Une autre cause du retard de l’agriculture sur l’industrie réside dans le fait que, comme le notait Engels :

« la domination de la nature se pratique dans l’industrie sur une échelle tout autrement colossale que dans l’agriculture, laquelle est obligée d'obéir au temps qu'il fait, au lieu de commander au temps. » (Anti-Duhring p.204)

Or, le capital connaît par définition des limites dans la maîtrise du temps puisque, comme nous l'avons souligné dans le chapitre sur la dialectique, il a du mal à comprendre les phénomènes organiques. C’est ainsi que, alors même que le capital nous bluffe avec ses « réussites technologiques » (espace, industrie, télécommunications) il se trouve relativement démuni face à des phénomènes aussi courant que la pluie, le soleil, la grêle, etc. Aussi, même dans les pays développés, il ne se passe pas d'année sans que l'on ait à déplorer une sécheresse ou des inondations ou quelque autre catastrophe naturelle. (L'ampleur des effets causés par les phénomènes naturels montre bien à quel point les sols sont devenus fragiles et épuisés).

« Pour le moment nous établirons une loi économique et sociale de parallélisme entre l’efficacité croissante du capitalisme en matière d'exploitation du travail et de la vie des hommes, et son impuissance croissante en ce qui concerne la défense rationnelle contre le milieu naturel, au sens le plus large. » (Bordiga. Crue et rupture de la civilisation bourgeoise.)

En détruisant le capital et en remettant la gestion des forces productives aux producteurs associés en communauté mondiale, le prolétariat révolutionnaire permettra que l’espèce humaine, libérée de la division en classes, consacre toutes ses forces à la lutte contre les contraintes naturelles et à l’exploitation rationnelle des ressources de l’univers.

Jusque-là, la persistance de la civilisation bourgeoise et mercantile continuera de faire planer sur la survie de l’espèce une terrible menace. Communisme ou Civilisation ! est une autre forme d'indiquer l’enjeu de la terrible lutte engagée depuis déjà près de deux siècles : Communisme ou destruction de l’humanité.

31.  La révolution communiste et l’agriculture

Nous avons déjà eu l’occasion d1indiquer à propos du logement certains aspects de la révolution communiste dans la question agraire et les transformations profondes qu'elle impliquerait notamment dans l’antagonisme fondamental entre la ville et la campagne, l’abolition d'une certaine division du travail etc.

Répétons ici quelques enseignements fondamentaux du programme communiste.

Bien entendu la société communiste implique la disparition de l’inepte loi de la rente foncière dont nous avons vu les ravages aussi bien dans l’organisation de la cité que dans les campagnes. Cette disparition de la rente foncière ne vise pas seulement la rente absolue, nous avons vu que la disparition de cette dernière peut fort bien s'accommoder du maintien du MPC et que le passage de la terre entre les mains de l'Etat tant qu'il se situe sur la base du mode de production capitaliste ne modifie pas les rapports fondamentaux de la société bourgeoise. D'une part, le prolétariat y reste exploité par le capital par l’intermédiaire du système du salariat, d'autre part, si la rente absolue, la rente différentielle demeure et avec elle les fondements des souffrances que le MPC inflige au prolétaire et à la terre.

Dans un texte désormais classique : « Le programme révolutionnaire de la société communiste élimine toute forme de propriété de la terre, des installations productives et des produit s du travail », Bordiga commente remarquablement les textes de Marx et d'Engels.

« Le programme socialiste est incorrectement exprimé si l'on dit qu'il s'agit d'abolir la disposition de tel ou tel secteur des moyens rie production par une classe d'individus particuliers, une minorité d'oisifs, non producteurs. Le programme socialiste exige qu'aucune branche de la production ne reste entre les mains d'une seule classe, même si c'est celle des producteurs. Donc la terre ne reviendra pas aux associations de paysans, ni à la classe paysanne, mais à toute la société.

C’est la condamnation impitoyable de toutes les déformations immédiatistes, que nous pourchassons toujours et sans répit, même chez les prétendus révolutionnaires de gauche.

Ce théorème marxiste abat tout communalisme et syndicalisme comme toute théorie d'autogestion de l'entreprise, parce que ses programmes surannés, ruineusement vieillis "attribuent" les énergies indivisibles de la société à l'ensemble limité d'un groupe. » (p.50)

Bordiga plus bas cite Marx :

« La nationalisation de la terre opérera une transformation complète des rapports entre le travail et le capital, elle éliminera enfin toute la production capitaliste, dans l'industrie aussi bien que dans l'agriculture. C'est alors seulement que les différences et les privilèges de classe disparaîtront en même temps que la base économique sur laquelle ils reposent, et la société transformera alors en une association de "producteurs" (notons que les guillemets sont de Marx et il faut lire "une" souligné par Marx comme unique.) Vivre du travail d'autrui ne sera plus qu' un rapport du passé ! Il n'y aura plus alors ni gouvernement ni Etat en opposition à la société." (Manuscrits de 1844)

Mais la société n'est pas elle-même propriétaire de la terre, elle n'appartient pas à une seule génération de l'espèce humaine qui pourrait en disposer comme elle le jugerait bon. Fidèle à sa conception antidémocratique le programme communiste conclut :

« En nous plaçant du point de vue d'une organisation économique supérieure de la société, il sera tout aussi absurde de dire qu'un individu possède un titre de propriété sur une parcelle quelconque du globe terrestre que de dire qu'il possède un droit de propriété sur un autre homme. La société elle-même n'est pas propriétaire de la terre . Il n'y a que des usufruitiers qui doivent administrer en bons pères de famille afin de transmettre aux génération futures en bien amélioré ! »

Le communisme signifie donc la possibilité d'exploiter rationnellement les ressources de la nature en tenant compte des besoins de l'humanité à long terme, c'est-à-dire pour le compte des générations présentes et futures, et en profitant du travail de bonification réalisé par les générations passées. Le communisme est la connaissance d'un plan de vie pour l'espèce humaine.

32.  Annexes

32.1    Annexe I : Tableau de la hausse de la production par personne en France depuis 1810.

 

-------- = courbe de la production par personne occupée

          

         = courbe du nombre de population employée

 

 

 

Base 100 en 1810

 

 

 

 

 

 


32.2    Annexe II : La question agraire dans le plan de l’ « Economie » de Marx

Nous avons souvent rappelé que "Le capital" de Marx, lui-même inachevé, n'était que le premier volume d'une étude plus vaste que Marx appelle "l'Economie" et qui devait compter 5 autres grands volumes.

Dans l'avant-propos de l'Introduction à la Critique de l'Economie Politique, Marx cite les rubriques qu'il prévoit : "Capital, propriété foncière, travail salarié, Etat, commerce extérieur, marché mondial". L'ouvrage "Le capital" n'a constitué que le premier de ces 6 volumes. Bien entendu, l'illustre H.Grossmann que nous avons eu l'occasion de critiquer sur la plupart des points où il met à mal la théorie de Marx s'empressa de conclure de la lecture du "Capital" que Marx avait changé de plan et que le Capital constituait quelque chose d'achevé pour l'essentiel. Bien entendu, tout cela n'est qu'affabulation, Marx n'ayant jamais modifié le plan de 1859. Nous avons aussi souvent dit que l'une des tâches que devait se fixer le parti communiste était d'achever, agrémenté de plus de 120 ans de matériaux et de découvertes supplémentaires, cette "Economie".

Dans cette tâche immense, un premier travail, bien modeste il est vrai, consiste à recenser les points que Marx a ici ou là cités comme devant être traités dans les rubriques ultérieures. Nous donnons ici les citations qui se rapportent à la propriété foncière sans pour autant prétendre, loin de là, à l’exhaustivité.

 

« L'analyse des diverses formes historiques de la propriété foncière sort du cadre de cet ouvrage. Cette propriété ne nous intéresse ici que dans la mesure où une partie de la plus-value produite par le capital revient au propriétaire foncier. » (Capital Livre III tome III ES p.7 ou http ://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-III/kmcap3_36.htm dans une traduction différente)

 

« A. Smith a le grand mérite d'avoir expliqué comment la rente foncière d'un capital utilisé à produire d'autres produits agricoles : par exemple le lin, les plantes tinctoriales, l'élevage indépendant, etc. est déterminée par la rente que rapporte le capital investi dans la production de l’aliment de base. Effectivement, depuis Smith, on n'a pas progressé sur ce point. Ce n'est pas le lieu ici de mentionner les restrictions ou les compléments que nous aurions à formuler ; ces remarques ont leur place dans l'étude particulière sur la propriété foncière. Aussi lorsque celle-ci n'aura pas trait au sol destiné à la production de froment, nous n'en parlerons pas en détail : nous n'y reviendrons incidemment que pour illustrer notre raisonnement. » (Capital, Livre III, tome III, ES p.8 ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-III/kmcap3_36.htm dans une traduction différente)

 

« L'intérêt correspondant au capital incorporé au sol et aux améliorations que le sol en tant qu'instrument de production subit de ce fait peut constituer une partie de la rente que le fermier paie au propriétaire foncier[ciii], mais ne constitue pas la rente foncière proprement dite qui est payée pour l'utilisation du sol lui-même, qu'il soit dans son état naturel ou cultivé. Si l'on voulait faire une étude systématique de la propriété foncière, ce qui n'est pas dans notre propos, il faudrait traiter en détail de cette partie du revenu du propriétaire foncier. » (Capital, Livre III, tome III, ES p.11 ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-III/kmcap3_36.htm dans une traduction différente)

 

 « Il est important pour l’analyse scientifique de la rente foncière, c'est-à-dire de la forme spécifique et autonome que revêt la propriété foncière sur la base du mode capitaliste de production, de l’examiner dans sa forme pure, dépouillée de tout complément qui la falsifierait et en brouillerait la nature ; mais il est tout aussi important par ailleurs de connaître les éléments qui sont à la source de ces confusions, afin de bien comprendre les effets pratiques de la propriété foncière et même de parvenir à la connaissance d'une masse de faits qui, tout en étant en contradiction avec le concept et la nature de la rente foncière, apparaissent cependant comme des modes d'existence de celle-ci. » (Capital, Livre III, tome III, ES p.16 ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-III/kmcap3_36 .htm dans une traduction différente)

 

« Nous n'examinerons pas ici les cas où la rente foncière, qui est la forme de propriété foncière correspondant au mode capitaliste de production, existe formellement, sans qu'existe le mode capitaliste de production lui-même, sans que le fermier soit un capitaliste industriel ou que le mode d'exploitation agricole qu'il pratique soit capitaliste. » (Capital, Livre III, tome III, ES p.17  ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-III/kmcap3_36 .htm  dans une traduction différente)

 

« Nous ne parlerons pas non plus de cas exceptionnels où le propriétaire foncier, même dans les pays à production capitaliste, peut extorquer un fermage élevé, sans aucun rapport avec les produits du sol ; un exemple de ce cas est, dans les régions industrielles d'Angleterre, la location de petites parcelles de terre aux ouvriers d'usine, pour qu'ils en fassent de petits jardins, ou s'y livrent à une culture artisanale en dehors des heures de travail. (Reports of inspectors of factories.)» (Capital, Livre III, tome III, ES p.18 ; ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-III/kmcap3_36.htm dans une traduction différente)

 

« Nous parlerons de la rente agricole dans les pays à production capitaliste développée. » (Capital, Livre III, tome III, ES p.18 ; ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/ 1867/Capital-III/kmcap3_36.htm dans une traduction différente)

 

« Enfin, lorsqu'on étudie les aspects de la rente foncière, c'est-à-dire le fermage payé au propriétaire foncier sous le nom de rente foncière pour l’utilisation du sol, soit pour la production,  soit pour la consommation, il faut encore retenir ceci : le prix dobjets n'ayant en soi aucune valeur, c'est-à-dire nétant pas le produit du travail, comme par exemple la terre, ou, du moins, ne pouvant pas être reproduits par le travail comme les antiquités, les chefs-d’œuvre de certains artistes, etc., peut être déterminé par des combinaisons très fortuites. Pour vendre un objet, il suffit uniquement qu'il soit monopolisable et aliénable. » (Capital, Livre III, tome III, ES p.25 ; ou http://www. marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-III/kmcap3_36.htm dans une traduction différente)

 

Dans cet ouvrage, on aurait du trouver une étude complète de l'influence du prix du blé et des autres produits agricoles sur le taux de profit, ainsi que les rapports entre taux de profit agricole et industriel :

 

« (…) comme les céréales entrent dans la reproduction de la force de travail et qu'une fraction de chaque quarter doit remplacer du salaire et une autre du capital constant, la plus-value était donc plus élevée dans cette hypothèse, donc aussi le taux de profit, toutes choses égales d'ailleurs (la question du taux de profit reste à étudier à part et plus en détail). » (Capital, Livre III, tome III, ES p.44, ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-III/kmcap3_38.htm dans une traduction différente)

 

 «Dans la première série, il y aurait hausse de la rente avec l’augmentation du prix, mais le taux de profit baisserait. Cette baisse pourrait être stoppée complètement ou partiellement par des facteurs agissant en sens contraire ; plus tard il faudra préciser ce point. » (Capital, Livre III, tome III, ES p.45, ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-III/kmcap3_38.htm dans une traduction différente)

 

 « Il ne faut pas oublier que le taux général de profit n'est pas déterminé uniformément par la plus-value, dans toutes les sphères de production. Ce nest pas le profit agricole qui détermine le profit industriel mais inversement. Mais nous y reviendrons. » (Capital, Livre III, tome III, ES p.45, ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-III/kmcap3_38.htm dans une traduction différente)

 

Marx avait, sans doute, également prévu détudier le mouvement historique de la rente foncière (cf. Capital, Livre III, tome III, ES p.50 ou http://www.marxists.org/francais/marx/ works/1867/Capital-III/kmcap3_38.htm dans une traduction différente) en liaison avec l’évolution des prix des céréales, du mouvement des terres, de l’accumulation du capital (voir aussi Capital, Livre III, tome III, ES p.69 http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/ Capital-III/kmcap3_39.htm dans une traduction différente « Nous ne parlerons pas ici des bonifications permanentes grâce auxquelles un terrain inutilisable jusque-là devient utilisable. »)

 

Dans ce livre sur la propriété foncière aurait certainement figuré une analyse exhaustive des facteurs qui entraînent une différence dans la productivité sur les terrains. A ce chapitre figure la fertilité.

 

« Les deux causes générales, indépendantes du capital, de l’inégalité de ces résultats sont : 1) la fertilité (il faut, dans ce premier point, examiner tout ce qui a trait à la fertilité naturelle des terres, et tous les facteurs qu'elle implique) ; 2) La situation topographique des terres. Ce point est d'une importance décisive dans le cas des colonies et, d'une façon générale, pour l'ordre dans lequel des terrains peuvent être successivement cultivés. » (Capital, Livre III, tome III, ES p.41, ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-III/kmcap 3_38.htm dans une traduction différente)

 

« Mais (nous dit Marx), parmi ces causes il ne faut pas seulement compter les raisons générales (fertilité et situation), mais aussi :

1°) la répartition des impôts qui peut avoir un effet uniforme ou non, et c'est toujours le cas quand les impôts ne sont pas centralisés, en Angleterre par exemple, et quand ce n'est pas la rente qui est imposée, mais la terre ;

2°) les inégalités provenant d'un développement différent de l’agriculture dans les diverses parties d'un pays, cette branche d'industrie se nivelant plus difficilement que la manufacture, à cause de son caractère traditionaliste ; et

3°) l’inégalité qui préside à la répartition du capital entre les fermiers. Comme l’extension du mode capitaliste de production à l’agriculture, la transformation en salariés des paysans cultivant la terre eux-mêmes est effectivement la dernière conquête de ce mode de production, ces inégalités sont ici plus considérables que dans n’importe quelle autre branche d'industrie. » (Capital, Livre III, tome III, ES p.41, ou http://www.marxists.org/francais/ marx/works/1867/Capital-III/kmcap3_38.htm dans une traduction différente)

 

« Comme il s'agit ici seulement de développer la loi générale de la rente en guise d'illustration de ma théorie sur les valeurs et les coûts de production, - je ne donnerais un exposé détaillé de la rente foncière que si j'en venais à traiter ex professo de la propriété foncière - j'ai éliminé toutes les circonstances qui compliquent la chose : donc l’influence de la situation des mines ou des types de sol ; le degré différent de rendement des doses de capital employées dans la même mine ou le même type de sol ; le rapport entre les rentes que donnent diverses variétés de la même branche de production, par exemple les différentes branches de l'agriculture; le rapport entre les rentes que donnent des branches de production différentes mais de nature telle qu'on peut passer de l'une à l’autre, comme par exemple, lorsqu'on soustrait un terrain à l'agriculture pour l'utiliser à la construction d'immeubles. Tout ceci n'a pas sa place ici. » (Théories sur la plus-value, ES, T.2, p.312 ou http://www.marxists.org/archive/marx/works/ 1863/theories-surplus-value/ch12.htm#s2 en anglais)

 

« Nous n'examinerons pas ici l'intéressant exposé de Smith sur la manière dont la rente du principal produit alimentaire d'origine végétale domine toutes les autres rentes strictement agricoles (élevage du bétail, bois, végétaux commercialisés) parce que les modes de production sont interchangeables. » (Théories sur la plus-value, ES, T.2, p.401 ou http://www.marxists.org/archive/marx/works/1863/theories-surplus-value/ch14.htm#s1 en anglais)

 

« Il faudrait maintenant expliquer : 1) Le passage de la propriété féodale du sol à une autre, commerciale, la rente foncière réglée par la production capitaliste ou d'un autre coté, le passage de cette propriété féodale du sol à la propriété paysanne libre ; 2) Comment la rente foncière prend naissance dans les pays comme les Etats-Unis où le sol n'était, à l’origine, la propriété de personne et où, au moins formellement, c'est la forme bourgeoise de production qui. domine de prime abord ; 3) Les formes asiatiques de propriété du sol qui subsistent encore. Tout cela n'a pas sa place ici. » (Théories sur la plus-value, ES, T.2, p.39 ou http://www.marxists.org/archive/marx/works/1863/theories-surplus-value/ch08.htm#s1 en anglais)

 

« Il est possible - je réserve cela à une étude ultérieure qui ne fait pas l'objet de ce livre - que certaines sphères de production travaillent dans des conditions qui s'opposent à la réduction de leurs valeurs aux prix moyens au sens ci-dessus, qui ne permettent pas à la concurrence de remporter cette victoire ! Si tel était le cas, par exemple pour la rente agricole ou la rente minière (il y a des rentes qui, de manière absolue, ne s'expliquent que par un monopole, par exemple la rente de l'eau en Lombardie, (dans) certaines régions de l'Asie, ainsi que la rente immobilière dans la mesure où elle est une rente de la propriété du sol) il s'ensuivrait qu'alors que le produit de tous les capitaux industriels monterait ou baisserait jusqu'au prix moyen, celui de l’agriculture égale sa valeur qui serait supérieure au prix moyen. » (Théories sur la plus-value, ES, T.2, p.26 ou http://www.marxists.org/archive/marx/works/1863/theories-surplus-value/ch08.htm#s1 en anglais)

 

« Dans l'étude ultérieure du prix de la terre, nous ne tiendrons pas compte de toutes les fluctuations dues à la concurrence ni des spéculations foncières, ni même de la propriété foncière où la terre représente l'instrument principal des producteurs, ceux-ci étant par conséquent obligés de l'acheter à n'importe quel prix. » (Capital, Livre III, tome III, ES p.159 http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-III/kmcap3_45.htm dans une traduction différente)


32.3    Annexe III : Le capital et l’agriculture. (Extrait de Invariance N°6 -1969)

Le texte que nous reproduisons ci-après est extrait du N°6 d'Invariance ancienne série (1969) « Thèses de travail sur la révolution communiste ». Dans le plan original, il s'agit du chapitre 4-3 « Le capital et l'agriculture », sous-partie du chapitre 4 – « Le développement du capitalisme ».

Les thèses 4.3.1.1. à 4.3.1.12 sont reproduites telles quelles du travail de la Gauche sur la question agraire et sont parues dans "Il programma Communista" N°12-1954-

Les sous-chapitres 4-3-2 et 4-3-3 sont le résultat du travail effectué par Invariance.

Tous les points abordés dans ces thèses ont été commentés au cours de l’intégralité de notre travail sur la question agraire, aussi n'avons-nous pas jugé utile de modifier ces thèses que nous rééditons ici en annexe comme document théorique contribuant à la compréhension de la critique générale du MPC, particulièrement en ce qui concerne la théorie de la rente et la question agraire. Bien sûr, ces thèses seront rééditées étoffées et remaniées dans le cadre de notre reprise générale des "Thèses sur la révolution communiste" (cf. Introduction au N°11 de CouC).

4.3. Le Capital et l’agriculture.

Tant par sa nature que par l’histoire, le capital crée la propriété et la rente foncière modernes; son action dissout donc parallèlement les anciennes formes de la propriété foncière. La nouvelle forme surgit à la place de l’ancienne par suite de l'action du capital. En ce sens, le capital est père de l’agriculture moderne. Les rapports économiques de la propriété foncière moderne représentent un procès : rente foncière-capital- travail salarié (on peut l’inverser aussi : travail salarié - capital- rente foncière ; mais toujours c'est le capital qui est l’intermédiaire actif.) Nous avons ainsi la structure interne de la société moderne, le capital étant posé dans la totalité de ses rapports." (Marx. Grundrisse. t.I p.224)

4.3.1 Caractères généraux.

4.3.1.1 Nature et travail.

Contrethése 1. La nature met périodiquement à la disposition de la société humaine une masse de richesses. Celui qui contrôle une portion de terrain jouit de l’usage d'une partie d'un tel fruit.

Thèse 1 . Tout le complexe de biens d'usage dont dispose la société provient du travail humain. Dispose de biens, sans livraison correspondante de travail tout groupe social qui contrôle : a) les personnes des producteurs; b) le droit d'accéder à la terre des producteurs ; c) les instruments de travail indispensables aux producteurs, donc les produits.

4.3.1.2. Richesse et sur-travail.

Contrethèse 2. Terre, outillage de travail, argent sont accumulation de richesses, qu'elles proviennent de la nature ou du travail qui, sans s'épuiser, en engendrent périodiquement une quote-part dont il est possible de jouir (rente, profit, intérêt).

Thèse 2. Toute entrée, pour les classes qui ne s’adonnent pas à la production, dérive d'un sur-travail d'autres classes. Sur le produit engendré, les institutions politiques imposent seulement le prélèvement de la partie mineure, qui suffit à conserver et à faire reproduire la classe active.

Intérêt, rente, profit, ne sont que des parties de cet excédent ou surproduit, attribué à diverses couches sociales, en vertu des pouvoirs de l’ordre en vigueur.

4.3.1.3 Répartition du produit.

Contrethèse 3 (Formule trinitaire ). Le produit est formé grâce aux trois facteurs de la production : travail, propriété, capital. Il doit donc être réparti en trois parties : le salaire rémunère le travail, la rente la propriété foncière, le profit (et l’intérêt) le capital.

Thèse 3 Avant tout le produit contient un 4° élément : le quantum de matières premières et l’usure de l’outillage et des implantations qui doit être restauré à la fin du cycle et que les marxistes appellent capital constant. L'équation de l’économie bourgeoise classique est donc fausse : produit égale salaire plus profit plus rente. On doit donc répartir la "valeur ajoutée au produit" au cours d'un cycle productif donné. Une telle valeur dérive toute du travail employé.

Dans la forme capitaliste moderne, il y a trois classes en présence. Toute valeur engendrée dans la production découle du travail du prolétariat, et sur celle-ci s'opèrent trois prélèvements : salaire pour les ouvriers (séparés des instruments de travail et de la terre), profit pour les entrepreneurs capitalistes (qui disposent de capital mais non de terre) ; rente pour les propriétaires fonciers.

4.3.1.4 Patrimoine et capital.

Contrethèse 4 La rente foncière équivaut au fruit que retire celui qui possédait un capital-argent en l’ayant investi dans l’acquisition de la terre, de même qu'il aurait obtenu en l’ayant investi dans celle d'implantations productives ou en le prêtant contre intérêt.

Thèse 4. Le profit des diverses entreprises capitalistes tend à un nivellement et à un taux moyen, tant que n'intervient pas la rente. En ce cas, le produit assume sur le marché la valeur d’échange qui correspond à celui que le marxisme appelle prix de production : capital constant + capital variable et profit.

L'économie bourgeoise appelle coût de production la somme anticipée pour le capital constant et le capital variable.

L'économie marxiste appelle taux de profit, le rapport du profit à une telle somme avancée, elle appelle ensuite taux de plus-value le rapport du profit au capital variable ou dépense pour les salaires.

Ni l'une ni l’autre des grandeurs ne correspond au taux de bénéfice ou dividende, en général plus bas, que l’économie habituelle met en rapport au patrimoine de l’entreprise, patrimoine représentant la valeur des implantations productives, plus le capital monétaire de gestion, plus les immeubles s'il y en a.

Terre et capital monétaire et même valeur estimée des moyens de travail, dans la mesure où ils sont considérés comme des biens mercantiles et non comme des facteurs liés à la production et qu'ils demeurent inchangés après le cycle qui a réalisé le produit net, ne sont pas des investissements de capital productif mais sont des titres sociaux à faire des prélèvements sur le profit et sur le sur-travail ainsi que sur le sur-profit, quand il existe. Ils n'entrent pas dans le calcul de répartition du produit total vendu (le chiffre d'affaires pour les bourgeois) qui pour les marxistes se répartit entre capital total anticipé et profit.

4.3.1.5. Rente différentielle.

Contrethèse 5 La rente de la terre est d'autant plus élevée que l’est la valeur de marché de cette dernière. Cela résulte du droit de l'époque moderne qui laisse libre l'achat ou la vente de la terre ou d'investir ailleurs le prix selon les convenances.

Thèse 5 Tandis que l'intérêt est une partie du profit normal, le reste est "bénéfice d'entreprise" que l'entrepreneur cède à un prêteur quand il ne dispose pas lui-même du numéraire pour acquérir les matières premières et payer les salaires, avec ce qu'il recouvre lors de la vente du produit final; la rente surgit seulement quand il y a un sur-profit en regard du taux de profit social moyen lui-même.

Une exploitation agricole produit du surprofit par rapport à une autre quand la fertilité de la terre est telle qu'avec le même travail et la même avance de capital on récolte une plus grande quantité de denrées, que le marché absorbe au même prix général.

Cette différence, une fois remboursés les dépenses et le profit normal du fermier capitaliste, est versée au propriétaire et forme la rente différentielle.

4.3.1.6. Loi du terrain le plus mauvais.

Contrethèse 6 De même que pour les produits manufacturée, le prix dépend de l’offre et de la demande : il est élevé quand existe une plus grande de mande de consommation, il est bas quand existe une plus forte capacité de production.

Thèse 6. Les célèbres oscillations concurrentielles n'ont pas plus d'importance que de petites "modulations d'altitude" sur l'onde portante d'altitude stable : elles se compensent entre elles et ne produisent pas de transfert de richesse d'une classe sociale à l’autre, mais seulement profits et pertes épisodiques d'entreprises particulières. Pour les produits manufacturés de l'industrie moderne, le prix tend à s'établir autour de leur valeur d'échange, identique dans ce cas au prix de production, incluant le profit en raison du taux moyen.

Pour les produits agricoles le prix du marché s'établit d'après le prix de production particulier du terrain le moins fertile, qui arrive à compenser le seul profit moyen, outre les dépenses. Etant donné le rapport entre la population croissante et la terre cultivable limitée, tout le produit est établi au même prix, et là où, à dépense égale, il se trouve en quantité plus grande, et donc avec un prix de production particulier plus petit, apparaît le surprofit qui devient la rente.

4-3-1-7- Rente absolue.

Contrethèse 7 Etant donné qu'il n'y a de rente pour le propriétaire qu'à partir du moment où le produit rapporte, au prix du marché, quelque chose en plus du profit capitaliste normal, il n'y a pas de rente sur le plus mauvais terrain, régulateur du marché. Il ne serait cultivé que par le propriétaire lui-même, en tant qu'entrepreneur capitaliste (Ricardo).

Thèse 7 En plus des bons successifs du volume de la rente qui proviennent de la meilleure qualité des terrains, on trouve une rente absolue, propre au cas le plus défavorable. Cela est dû au fait que, pour les denrées alimentaires (blé = aliment de base) le prix de marché est supérieur même à la valeur, c'est-à-dire au prix de production dans les conditions les plus mauvaises, et ce, à partir du moment où la terre entière est occupée et gérée sous la forme de l’entreprise capitaliste (à partir donc du moment où la consommation directe des denrées par le cultivateur a été dépassée, et où tout entre comme marchandise dans le circuit mercantile.)

Le mode historique de production capitaliste, en se répandant, fait baisser le prix des objets manufacturés, et s'élever le prix des aliments.

4.3.2.8. Industrie et agriculture.

Contrethèse 8 Avec le progrès de la technique et l'investissement de capitaux plus importants dans l'agriculture, la masse des produits alimentaires pourra s'accroître jusqu'à faire baisser le coût...

sous contrethèse a): à condition de libéraliser les échanges et les investissements de capitaux...

sous contrethèse b): à condition qu'une division économique centrale calcule de façon opportune les volumes de capitaux à destiner aux différents secteurs, et règle les conditions du marché.

Thèse 8. Toute compensation entre les prix industriels et les prix agricoles est impossible dans l'économie capitaliste, de même qu'en général, entre la satisfaction des besoins en fonction des besoins en fonction de l'intérêt social; de même qu'elle est impossible dans la distribution de la richesse, du capital, du revenu.

La tendance d'une telle économie, toujours plus éloignée de l’équilibre, est liée non à la triple appropriation de sur-travail, mais au fait que la répartition du produit entre les différentes classes, dépend de l'existence d'un prix courant de marché égal pour les marchandises produites dans les conditions les plus diverses relativement aux efforts et aux résultats.

La composition organique toujours meilleure du capital industriel (niveau technologique élevé : des matières premières nombreuses transformées par un nombre toujours moindre d'ouvriers et d'heures de travail), détermine la baisse générale du taux de profit (tandis qu'avec la croissance du capital global, la masse de profit croît énormément) même avec un taux égal de plus-value (prélèvement égal de sur-travail).

Ce processus que le développement de la production rendit inéluctable, est bloqué dans l’agriculture, non seulement par le monopole privé de la terre, mais surtout par le nivellement mercantile de toute la masse produite apportée à l'échange, et par le rapport défavorable population terre.

L'attribution à l'Etat de toutes les rentes foncières, proposée depuis les débuts de l'industrialisation, n'éliminerait pas les causes de ce fait essentiel. Car cela consisterait à redistribuer le surprofit, qui allait aux propriétaires fonciers, entre les capitalistes auxquels l'Etat, selon la vieille thèse de Ricardo, ne réclamerait plus d'impôts sur les bénéfices.

4-3-1-9. Communisme et antimercantilisme.

Contrethèse 9 La compensation générale et la baisse du temps de travail social moyen, avec un niveau général élevé de la consommation, peut être obtenue, en plus de l'étatisation de la rente : a) en attribuant à l'Etat tout le profit des entreprises industrielles et agricoles; b) en laissant le profit aux associations autonomes de tous les travailleurs de chaque entreprise.

Thèse 9 Ces mesures ne sortent pas du cadre mercantile et donc capitaliste, étant donné que l'échange mercantile réglerait les rapports d'entreprise à entreprise, ou d'entreprise à Etat, d'entreprise à consommateur, ou de consommateur à Etat, ainsi que d'entreprise à travailleur. On aurait également un énorme travail social global avec une faible consommation sociale globale, et aucune compensation entre apports de travail et jouissances de consommation.

La destruction du despotisme de fabrique, de l'emprisonnement pour un temps de travail exagéré (qui technologiquement aujourd'hui devrait constituer une petite fraction du temps de travail de l'époque pré-capitaliste et du maximum physiologique) et la destruction de l'anarchie de la production (ou le gaspillage d'une grande partie du produit social sans qu'il soit transformé en consommation utile) constituent le programme communiste de la révolution prolétarienne. Il comporte les caractères suivants :

A. Abolition de l'administration de la production par les unités d'entreprises.

B. Abolition de la distribution par le moyen de l'échange mercantile et monétaire, tant pour les produits-marchandises que pour la force humaine de travail.

C. Plan social unique, mesuré d'après des quantités physiques et non d'après des équivalents économiques, de l'assignation aux différents secteurs productifs des forces de travail, des matières premières, des instruments, et de l'assignation des produits dans les secteurs de consommation.

Les formules qui affirment que le socialisme est la suppression de la plus-value et la restitution du produit intégral à chaque producteur sont totalement erronées.

Le socialisme, c'est l'abolition de toute valeur marchande et de tout travail forcé et payé, avec le don de sur-travail de chaque individu à la société, non à d'autres ni à lui-même.

4.3.1.1. Parcellisation et misère.

Contrethèse 10. Un remède aux grandes disparités de distribution de la richesse, reconnues par tous, se trouve dans la parcellisation de la terre en petites unités familiales dirigées par des fermiers, des colons, des paysans propriétaires libres.

Thèse 10. Dans l'agriculture, outre les salariés, les couches de la population laborieuse, dont la société capitaliste ne sera jamais épurée, sont des survivances de formes sociales passées. Le produit d'une telle production fragmentaire se maintient à un prix plus bas que celui fourni par l'agriculture pleinement capitaliste, seulement parce que ces travailleurs-entrepreneurs et même micro-propriétaires fonciers - à cause de difficultés naturelles et sociales et de la mauvaise technique - abandonnent une partie de la rente et du profit et souvent même du salaire (équivalent à celui d'un paysan sans terre) à la classe capitaliste et à l'Etat, aux consommateurs (cas où le prix est au-dessous et non au-dessus de la valeur)

De telles couches forment une classe - presqu'une caste d'opprimés arriérée vis-à-vis du monde moderne, incapable - dans la mesure où leurs révoltes à cause de la famine peuvent troubler le pouvoir bourgeois - de personnifier de nouvelles formes sociales révolutionnaires.

La révolution est la tâche des prolétaires de l’industrie et de la terre; la dictature révolutionnaire est la fonction seulement de ceux-ci.

4.3.1.11. Monopole et concurrence.

Contrethèse 11. La théorie marxiste de l’économie moderne, fondée sur les lois de la production en tant que détermination de la valeur du produit et de la plus-value, n'a pas pu rendre compte exactement des phénomènes récents du monopole et de l’impérialisme, étant donné que ses déductions partaient de l'hypothèse de l’existence de la pleine concurrence.

Thèse 11. La théorie fondée sur le calcul de la grandeur de la valeur et de ses fractions dans la production capitaliste s'opposa dès son apparition à celle bourgeoise de la concurrence. Elle la nia et la condamna, en dévoilant, dès ce moment-là, le caractère de monopole de classe de cette économie. Les phénomènes récents ont confirmé la doctrine et toutes ses prévisions. Leur présentation théorique et mathématique, même dans les secteurs industriels, s’accomplit sans aucune difficulté, grâce aux théorèmes rigoureux sur la rente. Ceux-ci furent appliqués -dès leur énonciation- non seulement à l'agriculture, mais à toutes les forces naturelles. Ils sont donc valables pour l'économie où il y a le moteur à vapeur, ou à essence, dont l’énergie est hydroélectrique, ou demain, nucléaire. Tout cela forme les bases actuelles ou prochaines, de surprofits et de monopoles, de revenus parasitaires, qui accusent le manque de compensation de la forme sociale capitaliste.

4.3.1.12. La science ennemie.

Contrethèse 12. Les doctrines fondées sur l’introduction de grandeurs mesurables dans la production, sur le passage de valeur de classe à classe, avec leurs prévisions sur les tendances d'un développement historique, sont des idéologies arbitraires, étant donné que dans le domaine économique, il n'y a pas de prévisions scientifiques possibles. La seule science possible est celle qui se fonde sur l’enregistrement des prix concrets, en suit les vicissitudes extrêmement complexes. Les économistes modernes, très postérieurs à Marx, les auteurs les plus connus, les professeurs les plus suivis et les plus illustres, s'en tiennent aux théories du prix.

Thèse 12. Les professeurs à la lanterne !

(i1 programma communista N°12 1954)

4.3.2. Agriculture et procès de valorisation du capital.

4.3.2.1. L'étude de la rente foncière et des lois économiques régissant l’agriculture capitaliste n'est pas une partie marginale de l’œuvre de Marx. Elle est pourtant trop souvent délaissée sous prétexte que l’agriculture occupe une place toujours moindre dans la production capitaliste. Pour certains il semble que cette étude ne soit importante que pour les pays accédant au capitalisme. Ils oublient que la rente foncière que Marx étudie est la rente foncière capitaliste. Mieux, celui-ci dit que « c'est la seule valeur que le capital crée à partir de lui-même. » On en est arrivé à ces erreurs parce que on a fragmenté l’œuvre de Marx et qu'on a voulu faire de celui-ci un théoricien uniquement de « l’économie industrielle ».

« Bref, le travail salarié dans sa totalité se développe grâce à l'action du capital sur la propriété foncière; enfin, lorsque cette dernière a pris une forme élaborée, le propriétaire foncier lui-même poursuit cette action. Il procède alors lui-même au nettoyage, selon le mot de Steuart c'est-à-dire qu'il débarrasse la campagne des bouches inutiles, arrache les enfants de la terre au sein maternel, où ils ont grandi, transformant ainsi l'agriculture qui, de par sa nature, apparaît comme source de subsistances immédiates en source de subsistances médiatisées et dépendantes des rapports sociaux.

Cette interdépendance doit se dégager d'abord dans toute sa pureté avant qu'on ne puisse penser à une véritable communauté sociale : toutes les conditions doivent découler de la société et ne plus être déterminées par la nature. » (Fondements t.I pp.224-25)

Sans une transformation totale des rapports de l'homme à la nature - ce qui implique que l'homme doive dépendre du capital qui devient élément médiateur entre l'homme et celle-ci - il ne peut y avoir une révolution sociale. Il ne suffit pas que l'agriculture produise pour le marché, il faut que le capital s'empare complètement d'elle.

4.3.2.2. En fait la théorie de la rente foncière est une pièce maîtresse de l’œuvre de Marx.

« Mais plus je me plonge dans cette ordure (l'économie politique NDR) plus je me convaincs que la réforme de l’ agriculture, donc également de cette merde de propriété qui se fonde sur elle est l'alpha et l'oméga du bouleversement futur. Sans quoi le père Malthus aurait raison. » (Lettre de Marx à Engels 03.04-1851)

Or, il est clair qu'avant de résoudre, il faut étudier comment le capital se comporte dans l’agriculture.

« C'est alors seulement que devient possible l'application de la science et le plein développement des forces productives. Il ne peut donc subsister de doute : dans sa forme classique, le travail salarié imprègne la société dans toute sa largeur et, comme fondement de l'activité sociale, se substitue à la terre à partir du moment où est créée la propriété foncière moderne, c'est-à-dire où la propriété foncière est produite en tant que valeur par le capital. C'est pourquoi la propriété foncière se ramène elle aussi au travail salarié. En un sens, c'est tout bonnement le transfert du travail salarié des villes à la campagne; autrement dit, la diffusion du travail salarié sur toute la surface de la société. » (Grundrisse t.I p.225)

4.3.2.3. Ainsi, c'est en s'emparant de la terre, en produisant la rente foncière que le capital peut arriver à se poser en tant que totalité .

« En créant la propriété foncière, le capital se remet donc à produire du travail salarié, qui est sa base productive générale. Le capital est issu de la circulation et implique donc le travail salarié : c'est alors qu'il se développe en une totalité, et pose la propriété foncière à la fois comme sa condition et son antagonisme. Mais il se révèle que, ce faisant, il crée uniquement le travail salarié comme sa base générale. Il faut donc le considérer à part. » (Ibid p.227)

4.3.2.4. Le développement du capital élimine le bourgeois et le propriétaire foncier en tant que personnages, mais les lois qu'ils représentaient sont généralisées. En particulier, en ce qui concerne la propriété foncière, elles prennent une extension considérable dans la construction puisque celle-ci est directement liée à la question de la rente des terrains à bâtir, base à la fois du renchérissement des loyers et de l'accroissement de la spéculation. D'autre part, étant donné que le capital est urbanisation de la campagne, ces lois trouvent un champ d'application plus ample.

4.3.2.5. Les erreurs d'interprétation de la question agraire dérivent du fait de la non compréhension du fondement de la critique de l'économie politique : la théorie de la valeur, de son surgissement à sa destruction. Le capital est un moment de la vie de celle-ci. Les économistes dirent qu'avec le capital, la loi de la valeur n'était plus opérante. Marx montra que le capital naissait sur la base de celle-ci, qu'il ne la détruisait pas, mais parvenait à la dominer : passage à la loi des prix de production (moment où il semble que ce soit le capital qui donne valeur aux produits). C'est d'ailleurs par l'intermédiaire de cette dernière que le capital arrive à dominer l'agriculture (cf. le livre IV du capital).

Le capital naît dans l'agriculture : capitalisme = révolution agraire. Mais ce n'est qu'à un certain stade de son développement qu'il parvient à l'assujettir à ses lois. Dès lors, la barrière, le monopole lié à la propriété privée n'est plus une barrière externe mais devient interne et est un moyen de valorisation. A ce moment-là le monopole a perdu le caractère qu'il avait dans la société féodale.

« Dans la vie pratique, on trouve non seulement la concurrence, le monopole et leur antagonisme, mais aussi leur synthèse, qui n'est pas une formule, mais un mouvement. Le monopole produit la concurrence, la concurrence produit le monopole. Les monopoles se font de la concurrence, les concurrents deviennent monopoleurs. Si les monopoleurs restreignent la concurrence entre eux par des associations partielles, la concurrence s'accroît parmi les ouvriers; et plus la concurrence devient effrénée entre les monopoleurs des différentes nations. La synthèse est telle que le monopole ne peut se maintenir qu'en passant continuellement par la lutte de la concurrence. » (Misère de la philosphie)

« Donc, le monopole moderne n'est pas une simple antithèse, c'est au contraire la vraie synthèse. » (Ibid). Il est la « négation de la négation ».

4.3.2.6. Le monopole, en faisant obstacle à la péréquation du taux de profit, limite la dévalorisation. Or le capital lutte contre cette dernière. Il est donc évident qu'au sein de la sphère industrielle un tel mouvement puisse se produite. Ceci est aussi valable pour - le protectionnisme qui est indissolublement lié au libre-échange comme le monopole à la concurrence. A l’origine, il est un obstacle à la valorisation du capital, puis il en devient une composante. C’est en fait un moyen d'ajouter de la valeur à des marchandises dévalorisées à cause de la productivité du travail.

4.3.2.7 La terre est devenue capital. Grâce au développement de la science (chimie, biochimie, pédologie, etc.) il est possible d'accélérer la production et donc d'arriver à diminuer le temps d'immobilisation du capital, sa dévalorisation. Réciproquement, le capital prend des caractères fonciers. Il y a par exemple, la mise en jachère du capital. Ceci se produit lorsqu'il y a trop de capital libéré du procès de production, et que celui-ci ne trouve pas, pour ainsi dire un « terrain » où s'incorporer. Lorsque le marché monétaire s'est constitué, ces capitaux devenus « flottants » sont susceptibles d’aller d’une zone à l’autre et de participer à la spéculation.

4.3.2.8. Le maintien d'entreprises marginales arrivant difficilement à produire au taux moyen de profit social, est un autre exemple de cette "agrarisation" du capital. Ceci se produit non seulement dans les pays peu évolués, mais aux E-U. En fait, c'est un moyen pour le capital, en tant que totalité, de récupérer du sur-travail. Tout se passe comme pour les paysans parcellaires.

« Une partie du sur-travail effectuée par les paysans qui travaillent dans les conditions les moins favorables est donnée gratuitement à la société et n'entre pas dans la fixation des prix de production ou dans la création de valeur en général. Ce prix moins élevé résulte par conséquent de la pauvreté des producteurs et nullement de la productivité de leur travail. » (Le capital t.8 p.185)

4.3.2.9. Le monopole reprend sa forme foncière, en capitalisme pleinement évolué. Pour le propriétaire foncier, il consistait dans le fait de posséder une partie de la terre cultivable; pour l’entreprise (non pour un homme) il réside dans le fait de détenir une part du capital social. D’où la concurrence que se font les entreprises afin de jouir d’une fraction toujours plus grande de celui-ci; d'où la tentative d’infléchir l’Etat, représentant de la communauté matérielle, dans le sens de leurs intérêts, c'est-à-dire : se faire octroyer des prêts. Avec ce qui est appelé le "complexe militaro-industriel", les E-U offrent la meilleure illustration .de ce qui précède. Ceci est logique, car, si l'Etat doit être géré comme une entreprise, celle-ci a besoin de l’Etat, surtout de l’armée, pour réaliser ses objectifs. Le langage militaire envahit le domaine économique.

4.3.2.10. Pour le capital l’unique richesse c'est la force de travail vivant, celle qui engendre la plus-value, car c'est grâce à elle qu'il s'accroît et vit. Pour que le capital domine pleinement il faut donc que tout devienne capital, que l’homme soit séparé de tout, dépouillé de tout, de telle sorte que s'il veut produire, manger, jouir, il doit accepter les conditions du capital : fournir le surtravail. Cependant l’accroissement de la production tend à diminuer, à réduire à zéro le temps de travail vivant inclus dans les marchandises : c'est la négation du capital. D'où alors la tendance à freiner le développement des forces productives et à trouver des moyens artificiels de valorisation qui condamnent l’homme à toujours travailler. Ce faisant un nouveau type de rente apparaît. Elle représente la valeur de la différence entre le temps de travail cristallisé dans le produit engendré par la production actuelle et le temps de travail qu’il renfermerait si réellement toutes les possibilités techniques étaient utilisées et le gaspillage détruit. Le capital est donc une entrave au progrès. Mais cette entrave se manifeste de façon aigue sous la forme d'une exploitation absurde : faire travailler inutilement les hommes.

4.3.3 Le capital et la destruction de la nature.

4.3.3.1 « Dans l’agriculture comme dans la manufacture, la transformation capitaliste de la production semble n'être que le martyrologue du producteur, le moyen de travail, que le moyen de dompter, d'exploiter et d'appauvrir le travailleur, la combinaison sociale du travail que l’oppression organisée de sa vitalité, de sa liberté et de son indépendance individuelles. La dissémination des travailleurs agricoles sur de grandes surfaces brise leur force de résistance, tandis que la concentration augmente celle des ouvriers urbains. Dans l’agriculture moderne, de même que dans l’industrie des villes, l’accroissement de la productivité et le rendement supérieur du travail s'achètent au prix de la destruction et du tarissement de la force de travail. En outre, chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d'accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays, les Etats-Unis du Nord de l’Amérique, par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce procès de destruction s'accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu'en épuisant en même temps les deux sources d'où jaillit toute richesse : La terre et le travailleur. » (Le capital t.2 pp.l8l-l82)

« La grande industrie et la grande agriculture exploitée industriellement agissent dans le même sens. Si, à l’origine, elles se distinguent parce que la première ravage et ruine davantage la force de travail, donc la force naturelle de l’homme, l’autre plus directement la force naturelle de la terre, elles finissent, en se développant, par se donner la main : le système industriel à la campagne finissant aussi par débiliter les ouvriers et l’industrie et le commerce, de leur coté, fournissent à l’agriculture les moyens d'épuiser la terre. » (Ibid. t.8 p.192)

Ces prévisions de Marx se vérifient quotidiennement à l’heure actuelle. Le développement du capital se présente comme une immense catastrophe naturelle : épuisement des sols, destruction de la faune et de la flore. Le capital est réification de l’homme et minéralisation de la nature.

4.3.3.2. La minéralisation de la nature s'effectue par :

a- le développement des villes. D’une part, il y a destruction des espaces verte qu'elles renfermaient, d'autre part, elles s' accroissent énormément, minéralisant toujours plus la campagne.

b- urbanisation de la campagne, c'est-à-dire qu'il va une construction tout à fait absurde de résidences secondaires, d’installation pour les loisirs : campings, motels, hôtels, sans compter différentes installations attractives, hauts-lieux de l'incrétinisation humaine.

c- le développement du réseau routier qui détruit toujours plus de bonnes terres pour permettre un moyen de transport anarchique. Le développement de l’industrie automobile implique cela, tant pour le déplacement des hommes que pour celui des marchandises. C'est ici une claire manifestation de l’antagonisme entre socialisation et privatisation. Le capital ne peut assurer son procès de valorisation qu'en privatisant, parce que cela permet une multiplication de la production.

d- développement anarchique des voies navigables, des ports, des aérodromes.

Sous le féodalisme, les terres de culture étaient transformées en terrain de chasse. La nature n’y était pas détruite. A l'heure actuelle, la société des loisirs met la nature en cage afin de la présenter aux hommes abrutis qui ne peuvent voir en elle que le reflet de leur asservissement.

4.3.3.3 Cette minéralisation s'accompagne d'une pollution toujours plus poussée de l'air et de l'eau. En ce qui concerne cette dernière, elle vient à manquer même dans les pays où le bilan hydrique fut toujours nettement positif. En est responsable non seulement l’industrie, qui a besoin de ce liquide pour le refroidissement de ses moteurs (de telle sorte que l'eau des rivières atteint parfois une température difficilement compatible avec la vie) mais l'économie domestique elle-même a été industrialisée à un point extrême. L'homme moderne devra payer l’air et l’eau, ce qui veut dire que pour avoir les éléments que la nature lui offrait gratuitement, il devra fournir un surcroît de travail. Le capitalisme ne diminue donc en aucune façon le temps de travail de l’homme, la peine de l’homme. En ce sens il est profondément religieux : il conserve et amplifie l’antique malédiction divine inscrite dans la genèse. L'homme ne pourra la détruire qu'en détruisant le capital.

Pour assurer l’approvisionnement en eau dans les concentrations urbaines il faut multiplier les barrages de retenues, en amont des villes bâties sur les rives d’un fleuve (Paris par exemple) ; ou bien aller chercher l'eau à des centaines de kilomètres. Or, dans le premier cas, ces barrages causent des catastrophes irréparables à la vie parce que les brusques variations de niveau que l'on doit y provoquer pour alimenter les villes détruisent, en particulier, les frayères, d'où la raréfaction du poisson dans beaucoup de rivières.

4.3.3.4 Les épigones du capital, les savants, proclament que tout mal peut être combattu. Ainsi, on peut apporter l'eau aux villes, on pourra étudier des systèmes pour combattre la pollution de l’atmosphère et de l'eau, on construira des navires spécialisés dans la destruction du pétrole répandu à la surface des mers. Cependant, ce qu 'ils oublient toujours, c'est que de cette façon on crée de nouvelles industries, de nouveaux moyens de valorisation du capital et, qu'en conséquence, on condamne toujours l’homme au travail forcé.

C'est pourquoi le mot d'ordre que certains lancèrent en Mai (les situationnistes par exemple), même s'il n'est pas rigoureusement correct du point de vue théorique, est hautement révolutionnaire : abolition du travail. Effectivement, il faut que l’humanité comprenne que son salut n'est pas dans un surcroît de travail (dans la réalisation d'un plein emploi stupide et avilissant), mais dans la destruction d'une société qui lui impose l'esclavage salarié producteur d'absurdités et de destructions.

4.3.3.5 Avec la minéralisation de la nature, l’homme devient un être toujours plus abstrait, sans racines, il n'est plus un être de la nature, mais un être du capital. C'est pourquoi il se conduit en prédateur vis-à-vis d'elle. La destruction de la nature est sa propre destruction. Il arrivera un moment où cette situation ne sera plus tolérable et l'humanité devra se révolter pour se récupérer et régénérer la terre-mère.

La création de réserves naturelles est une mise en cage qui précède le dépérissement total. On sait ce qu'il advint des hommes à qui on octroya un espace limité. D'autre part la science se targue d'avoir, avec l'écologie, trouvé un moyen de sauver la nature. Cette science présente, il est vrai, un aspect positif (il n'est que le complémentaire de l'autre, celui destructif). L'écologie tend à considérer les différentes espèces dans leur économie naturelle, c'est-à-dire dans leurs rapports réciproques avec le milieu, et entre elles, et ce, dans le temps ; ce qui inclut une étude génétique et évolutive. Dès lors se pose la nécessité d'une écologie humaine. Certains auteurs se rendent compte que les "primitifs" connaissaient une écologie.

Mais ce n'est pas une science - un produit séparé de l'activité totale de l'homme - qui peut apporter un remède à la dramatique situation où se trouve l'espèce humaine à l'heure actuelle. Seule une doctrine générale qui inclut en elle, en tant qu'élément déterminant de sa réalisation,une action fondamentale, la révolution peut présenter la solution. Cette doctrine c'est celle du prolétariat : le communisme.

« LE COMMUNISME EST LA CONNAISSANCE D'UN PLAN DE VIE POUR L'ESPECE HUMAINE. »(Prometeo II° série p.125)

 



[i] La reprise des ces concepts, s‘était appuyée notamment sur l’édition – récente en français, au début des années 1970 – du chapitre inédit du capital. Cet ouvrage insistait sur les notions de soumission formelle et soumission réelle du travail au capital. Elles avaient notamment été défendues par les artisans de la scission de 1966 du Pci. Rappelons que cette scission a abouti elle-même à la publication, des revues Invariance et Le Fil du Temps.

[ii] Terme qui est devenu une vulgate absurde destinée à expliquer tout et n’importe quoi et surtout à faire l’économie de la pensée

[iii] Par exemple cf. Capital L.I p.1196. La Pléiade

[iv] « Se borner à constater que la théorie révolutionnaire de Marx et Engels s'est abâtardie aux mains d'épigones et a été en partie abandonnées et croire qu'à ce marxisme appauvri et falsifié s'oppose la "doctrine pure" du marxisme de Marx-Engels, c'est une façon superficielle et erronée de concevoir l'essence théorique de la crise actuelle. En dernière analyse, il s'agit, dans la crise contemporaine du marxisme, bien davantage d'une crise de la théorie de Marx et Engels elle-même. La séparation idéologique et dogmatique de la " doctrine pure " d'avec le mouvement historique réel, jusque et y compris la poursuite du développement théorique, est elle-même une forme sous laquelle se manifeste cette crise. » Karl Korsch, La crise du marxisme. 1931.

[v] Tant dans l’idéologie allemande (1845) que dans les principes du communisme (1847), donc dès les origines du programme communiste, on trouve cette idée « De ce fait, l'antagonisme entre la ville et la campagne disparaîtra également. L'exercice de l'agriculture et de l'industrie par les mêmes hommes, au lieu d'être le fait de classes différentes, est une condition nécessaire de l'organisation communiste, ne serait-ce que pour des raisons tout à fait matérielles. La dispersion dans les villages de la population occupée à l'agriculture, à côté de la concentration de la population industrielle dans les villes, est un phénomène qui correspond à une étape de développement encore inférieure de l'agriculture et de l'industrie, un obstacle au progrès, qui se fait sentir dès maintenant. »

[vi] Il est vrai "qu'il est impossible à l'économie politique ordinaire de dire quoi que ce soit de raisonnable sur les limites de la production de luxe dans la perspective de la production capitaliste." (Marx)

[vii] Marx, Misère de la philosophie, Pléiade t.1, p.36 http://classiques.uqac.ca/classiques/Marx_karl/ misere_philo/Marx_Misere_philo.pdf p.39

[viii] "Le rapport de valeur est déjà expression de valeur" (Marx)

[ix] « La lecture du Capital et (s'il connaissait le russe) de l'ouvrage de Sieber aurait appris à M.Wagner ce qui me sépare de Ricardo qui, pour n'avoir considéré le travail qu'en tant que mesure de grandeur de la. valeur, n'a découvert aucune relation entre sa théorie de la valeur et la nature de la monnaie. » (Marx. Notes sur Wagner. Pléiade, t.2, p.1353)

[x] Par exemple, Paul Mattick écrit :

« Si Keynes portait un vif intérêt aux questions monétaires, c'est parce qu'il entendait veiller au bon fonctionnement du système capitaliste. En revanche Marx, cherchant à développer une théorie du développement du capital devait les négliger, au moins relativement. » (Marx et Keynes p. 40)

Mattick et ses disciples, genre C.W.O (Communist Workers Organisation-GB), ne voient pas la spécificité de la thèse révolutionnaire par rapport à la science bourgeoise. Ils ne voient pas du tout l'importance des formes de la valeur et en conséquence ignorent la théorie de la monnaie et tout ce qui s'ensuit crises, etc. La seule différence que Mattick et le CWO soulignent entre Ricardo et Marx c'est que Marx établirait correctement la différence entre la valeur du travail et la valeur de la force de travail. Certes, il s'agit là d'un aspect important, encore que l'on ne peut entièrement saisir celui-ci si l'on n'a pas compris que le salaire est la forme de la valeur de la force de travail.

Le CWO quant à lui, en arrive à dire (cf. Revolutionary Perspectives N°6 p. 9) que Marx n'a fait que pousser à leurs ultimes conséquences logiques les analyses des classiques, Smith et Ricardo. D'où leur incapacité à dépasser Ricardo, et à comprendre la théorie communiste de la valeur.

[xi]Quant aux économistes qui, comme Bailey, ont essayé de faire l'analyse des formes de la valeur, ils échouent également. D'une part, ils confondent la valeur avec ses formes, dautre part, ils ne voient, comme les autres, que l'aspect quantitatif.

[xii] Marx, Capital, I,17, Pléiade, p.1011 ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-16.htm

[xiii]Dans les Grundrisse, Marx ne distingue pas conceptuellement valeur d'échange et valeur. Ce n'est que dans le livre I du Capital que les concepts sont différenciés.

[xiv] Marx, Misère de la philosophie, Pléiade, t.1, p.43 ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/06/km18470615e.htm

[xv] Il faut ajouter que la valeur joue aussi un rôle dans les formes de production antérieures au MPC. Là aussi la valeur n’a pas qu’un caractère théorique.

[xvi] Ce « c+v » ne correspond pas au « c+v » de la valeur de la marchandise ; celui-ci est du capital dépensé en opposition au capital avancé. En effet les moyens de production, par exemple, ne transmettent qu'une partie de leur valeur au produit au cours du procès de production.

[xvii] Contrairement à ce qu'affirment les révisionnistes de Révolution Internationale, ce n'est pas dans la phase de jeunesse du Mode de Production Capitaliste que surviennent les crises cycliques. Celles-ci sont caractéristiques de la grande industrie, et donc de la phase de soumission réelle.

[xviii] Rien de plus drôle que l'explication de la baisse du taux de profit fournie par la CWO. Indépendamment du fait qu'ils confondent le taux de profit avec le rapport de la plus-value au capital dépensé, dans le N°6 de Révolutionnary Perspectives, on commence par nous expliquer (p.10) que c'est la concurrence qui oblige les capitalistes individuels à augmenter leur composition organique, ce qui entraînerait la baisse du taux de profit. Bien entendu, cette position smithienne a, depuis fort longtemps, été largement réfutée par Marx.

« Adam Smith expliquait la baisse du taux de profit par l'accroissement du capital dû à la concurrence que les capitaux se font entre eux. Sur ce point, Ricardo lui rétorquait que la concurrence peut réduire les profits à un niveau moyen dans les différentes branches des affaires, ou bien en égaliser le taux, mais qu'elle ne peut pas abaisser ce taux moyen. L'affirmation d'Adam Smith est juste en ce sens que c'est seulement dans la concurrence - dans l'action du capital sur le capital - que les tendances et les lois immanentes de celui-ci sont réalisées. Mais elle est fausse au sens où il l’entend, comme si la concurrence imposait au capital des lois venues de l'extérieur et qui ne lui sont pas propres. Pour que la concurrence puisse abaisser de façon durable le taux de profit moyen dans toutes les branches de l’industrie, il faudrait que l'on conserve une baisse générale et permanente ayant force de loi antérieurement et extérieurement à la concurrence. Celle-ci exécute les lois internes du capital, elle les rend impérieuses pour le capital individuel, mais ce n'est pas elle qui les forge : elle les réalise ». (Marx, Grundrisse, Pléiade, t.2, p.274-275)

Non seulement la CWO ne comprend pas la baisse tendancielle du taux de profit, mais même dans l'erreur, ils sont incohérents. Dans ce même article, consacré à la critique de Rosa Luxembourg, où ils s'en prennent à tout ce qui est juste et profond dans sa méthode, notamment d'ignorer la concurrence pour expliquer l'accumulation du capital total, et où on affirme p.10 que la concurrence entraîne la baisse du taux de profit, on affirme p.13, en citant Marx, que c'est la baisse du taux de profit qui entraîne la concurrence!! Dans le premier cas on reproche à Rosa Luxembourg d'ignorer la baisse du taux de profit parce qu'elle ne connaît pas la concurrence, et dans le second d'ignorer la concurrence parce qu'elle ne connaît pas la baisse du taux de profit. Voilà l'admirable dialectique dont fait preuve la CWO.

[xix]"C'est donc seulement le quantum de travail ou le temps de travail nécessaire, dans une société donnée, à la production d'un article qui en détermine la quantité de valeur, chaque marchandise particulière compte en général comme un exemplaire moyen de son espèce".(Marx)

[xx] Tout au long de ce texte, nous considérons la force productive du travail constante.

 

[xxi] Marx ne cesse de répéter tout cela par ailleurs :

« Dans la mesure où il n'est que l'expression monétaire de la valeur, le prix (ici Marx ne fait pas la distinction valeur de marché/prix de production NDR) a été appelé prix naturel par Adam Smith, prix nécessaire par les physiocrates français. (…)

Le prix du marché (Marx parlera plus tard de valeur de marché NDR) exprime seulement la quantité moyenne de travail social nécessaire, dans des conditions moyennes de production, pour fournir le marché d'une certaine provision d'un certain article. Il se calcule pour l’ensemble des marchandises d'une catégorie.

Jusqu'ici le prix de marché coïncide avec la valeur. En fait, les oscillations du prix de marché, qui tantôt s'élève au-dessus, tantôt retombe au-dessous de la valeur ou prix naturel, sont liées aux fluctuations de l'offre et de la demande. (…)

Il suffit de dire que si l’offre et la demande s'équilibrent, le prix des marchandises sur le marché correspond à leur prix naturel, c'est-à-dire à leurs valeurs, telles qu'elles sont déterminées par les quantités de travail nécessaires à leur production. » (Marx, Salaire, prix et plus-value, Pléiade, t.1 p.506-507 ou http://www.marxists.org/francais/marx/works/1865/06/km18650626g.htm dans une traduction différente)

[xxii] « Les fluctuations des prix de marché qui réduisent le prix moyen des marchandises, au cours d'une période donnée, non pas à la valeur de marché, mais plutôt à un prix de production de marché qui s'écarte nettement de cette valeur de marché. » (Marx)

[xxiii] Le CWO, pour qui deux insanités valent mieux qu'une, réussit le tour de force de défendre l'égalisation des taux de profit au niveau international tout en la rejetant au niveau national.

 

[xxiv] Notons que ceci est tout aussi valable dans le cas d’une branche qui se distinguerait non pas par une journée de travail plus longue, mais par une intensité plus grande

[xxv] Notons que d'un point de vue historique, le premier travail qui fait intervenir une notion input-output et le capital fixe date, non pas des années 60, c'est-à-dire à partir des ouvrages de Sraffa, mais que de telles conceptions infestent déjà "Socialisme ou Barbarie" (N°12-1953)

[xxvi] La différence entre l'homme et l'animal note Marx, est aussi que ce que l'animal "produit" ne se détache pas de lui. Il ne produit que son propre corps ou tout au plus un appendice à ce corps (un nid etc.) tandis que la production de l'homme "reste en dehors de lui", en tant qu'objet. Il faut élargir cela à la nature toute entière, non pas parce que l'homme est incapable de la maîtriser, mais justement parce qu'il la produit et s'affirme par là comme être universel

[xxvii] Par exemple, Bordiga a consacré un certain nombre d'articles de Battaglia Communista et Programma Communista à dénoncer la pseudo-fatalité des catastrophes naturelles et sociales et à montrer derrière celle ci, la seule fatalité du capital (cf. Espèce humaine et croûte terrestre. Ed. Payot)

[xxviii] Ainsi, dans le seul numéro du "Monde" daté du 12 Avril 1979 trouvons nous une série d'échos où sont mentionnés successivement : la catastrophe du "Bételgeuse", le pétrolier Français qui a explosé en tuant 51 personnes en janvier dernier; l'évacuation en catastrophe de 5 000 habitants d'une ville de Floride aux USA à la suite du déraillement d'un train chargé de produits chimiques hautement toxiques; la marée noire provoquée par la collision d'un pétrolier soviétique et qui menace les îles de l'archipel de Stockholm.

Et encore cette série banalement quotidienne ne laisse-t-elle entrevoir que la partie la plus spectaculaire de l'immense processus de dégradation de l'homme et de la nature opéré par le capital sous la forme de l'empoisonnement et du tarissement progressif de toutes les sources de vie.

[xxix] II revenait bien sûr à la sotte et écœurante société mercantile bourgeoise de vouloir attribuer un droit de propriété individuel sur cette expression sociale. Cela n'empêche pas que - même du point de vue du droit bourgeois -, toute invention finit par appartenir au domaine public et que nimporte qui peut appliquer les résultats de la physique de la chimie et des autres sciences à la production matérielle, même sans y rien comprendre : il suffit pour cela d'être entrepreneur et d'embaucher des ingénieurs et des techniciens (couches dont l'accroissement est un trait spécifique de la production capitaliste parvenu à la phase de soumission réelle). Dans tous ses aspects : production, reproduction, et incorporation à la production, la science est toujours un phénomène social.

[xxx] « Le capital peut être incorporé à la terre soit temporairement comme dans les amendements de nature chimique, les engrais, etc. soit de façon presque permanente comme dans le cas des canaux de drainage, ouvrages d'irrigation et de nivellement, bâtiments de ferme etc. J’ai désigné ailleurs par "terre-capital" ce capital incorporé au sol." (Capital L.III,6 Pléiade p.1290)

[xxxi] Si le passage de la valeur au prix de production est également un phénomène historique qui recoupe le passage de la phase de soumission formelle à la phase de soumission réelle du travail au capital, au sein de cette dernière c'est seulement sous l'aspect théorique que l'on peut les dissocier. Cette séparation est donc ici purement méthodologique et vise uniquement à faciliter l'exposition. Il faut aussi noter que les coûts de production sont modifiés

[xxxii] Ou même d'une nation. Dans le cadre de ce texte, nous n'avons pas envisagé l'application de la loi de la valeur au niveau international, ce que nous ferons dans un prochain numéro consacré à l'impérialisme.

[xxxiii] Que le PCF assène à longueur de journée de telles insanités contre-révolutionnaires n'a rien pour nous étonner : c'est sa fonction de s'opposer à la théorie du prolétariat, tout comme c'est notre tâche de défendre celle-ci, contre eux et contre tous ceux qui se mettent en travers du chemin du prolétariat. Mais il est beaucoup plus étonnant et affligeant de lire les mêmes âneries dans une revue se prétendant révolutionnaire comme celle du CCI :

"La production de valeurs d'échange sous la forme de la production généralisée de marchandises n'est pas un mécanisme d'échange égalitaire mais inégal, dont la réalité n'est autre chose que l'extorsion de valeur de la classe ouvrière (tout comme des capitalistes mineurs et des producteurs indépendants) avec comme but l’accumulation du capital, c'est-à-dire la restriction de la consommation (Ô ! Tougan-Baranowsky, voici tes émules !) afin de développer les moyens de production (!!!)".

(Revue Internationale N°16 p.10-nous soulignons une partie des âneries)

Voilà jusqu'où peut aller le crétinisme de ces apôtres de l'activisme! Et l'on voudrait après cela que nous ne nous acharnions pas sur le B-A BA de la théorie révolutionnaire alors que "l'avant-garde" du mouvement communiste ne sait même pas ce qu'est l'accumulation du capital ni l'exploitation de la classe qu'elle prétend défendre. Gageons que les associations de PME seront conviées à débattre gravement et démocratiquement de la "formation du parti", au cours d'une prochaine conférence internationale!

Nous pourrions laisser au CCI le bénéfice du doute d'une formulation malheureuse si parallèlement l'apologie des classes moyennes ne florissait de plus en plus dans les colonnes de "Révolution Internationale" (cf. n° 59 et 60). Ainsi sont saluées comme luttes "prolétariennes", les conflits des banques et des assurances etc. mises sur le même plan que les explosions ouvrières du Nord et de Lorraine, alors que les employés et techniciens ne peuvent lutter que sous l'étroite et ferme direction du prolétariat organisé en parti communiste, en se ralliant à son programme et à ses objectifs. Du manque de rigueur théorique au confusionnisme et à l'opportunisme, du démocratisme et du pacifisme à la collaboration de classes, il n'y a guère qu'un tout petit pas qui n'est pas loin d'être franchi.

[xxxiv] Jusque-là nous avons envisagé le cas des surprofits obtenus lorsque les marchandises étaient vendues à leur prix de production. Sur cette base, les différents rapports de force entre les fractions de la classe capitaliste, entraînent également l'établissement de surprofits. Par exemple, les principaux capitalistes d'une branche peuvent former une entente pour imposer des prix de marché supérieurs aux prix de production. Ou encore une entreprise particulière détenant temporairement un monopole peut imposer elle aussi ses prix de marché.

 

[xxxv] Sur ce terrain, la CWO subit la forte concurrence des âneries du CCI. Ceux-ci, renonçant à tout ce qu'il y avait de positif dans l’œuvre de Rosa Luxemburg, utilisent eux aussi la concurrence pour expliquer magiquement les contradictions du capital. Et encore trouvent-ils le moyen de reprocher à CWO de ne pas prendre en compte suffisamment cet élément, ce qui promet des débats épiques.

[xxxvi] "La loi de la concurrence est une des lois les plus secondaires dans la hiérarchie des lois capitalistes". (Bordiga)

[xxxvii] “Kautsky appelle ultra-impérialisme ce que Hobson a appelé, 13 ans avant lui, inter-impérialisme (...) Quelles que soient les bonnes intentions de la prêtraille anglaise, ou du doucereux Kautsky, la signification sociale objective, c'est-à-dire réelle, de sa '"théorie" est et ne peut être que de consoler les masses, dans un esprit éminemment réactionnaire, par l'espoir d'une paix permanente en régime capitaliste, en détournant leur attention des antagonismes aigus et des problèmes aigus de l'actualité, et en l'orientant vers les perspectives mensongères d'on ne sait quel futur "ultra-impérialisme" prétendument nouveau." (Lénine . L'impérialisme . p. 167-168)

[xxxviii] Si nous devions avoir des preuves supplémentaires de la dégénérescence d’Invariance, Nlle série, nous pourrions encore les trouver dans son intérêt pour le végétarisme (entre autres lubies)

[xxxix] Bien évidemment, la révolution communiste s'accompagnera d'une révolution alimentaire non moins radicale. De même, dans les mesures de transition de la dictature du prolétariat il faudra résoudre des mesures du type de celles que Lénine préconisait dans sa lettre aux conseils ouvriers Bavarois : "Avez-vous fixé une ration alimentaire plus importante pour les ouvriers que pour les bourgeois ?"

[xl] Nous disons faible degré non pas parce que nous condamnerions le cannibalisme au nom d'une morale civilisée (cette même civilisation qui fait vivre une partie de l'humanité grâce au surtravail de l'autre n'est-elle pas d'ailleurs la plus cannibale de toutes ?), mais parce que l'existence de l'anthropophagie implique un faible développement de la valeur d'échange et de la productivité du travail. La valeur d'usage joue encore un grand rôle aussi le prisonnier est-il mangé alors que lorsque la valeur d'échange se développe il est réduit à l'esclavage.

[xli] Pour le communisme théorique, l’alimentation carnée, survenue avec la maîtrise de la chasse et de la pêche, a marqué un progrès décisif dans l’histoire de l'humanité. « N'en déplaise à Mrs les végétariens, l'homme n' est pas devenu l'homme sans régime carné. »( de nourriture comestibles est un signe de son universalité.

[xlii]Le capitalisme est l'époque de l'alimentation céréalière, comme la barbarie supérieure - Guerre de Troie - était celle Engels). Il y a trouvé les substances nécessaires à son développement. Par ailleurs, Engels souligne le fait que la capacité de l'homme à s'adapter à tous les climats et à toutes les sources de l'alimentation exclusivement carnivore » (Bordiga)

[xliii] D'autre part, rien n'est dit sur les différentes sortes de viandes, les différents morceaux, etc.

[xliv] D'après Kautsky, « jusqu'au XVIè siècle, la forêt, le pâturage, l'eau et le poulailler fournissaient une nourriture animale abondante. La viande était l'aliment quotidien ordinaire des petites gens en Allemagne. Deux ou trois plats de viande dans la. journée n'étaient pour un journalier rien d'extraordinaire. ». La diminution de la consommation de viande a dû frapper plus que les autres classes, la classe ouvrière.

[xlv] Ce n'est certainement pas aux historiens bourgeois modernes que l'on pourra demander d'étudier honnêtement cette question. Comme tous les "hommes de science" ces savants universitaires sont principalement préoccupés de vilipender la théorie du prolétariat.

C'est pour abaisser le coût de reproduction de la force de travail que la bourgeoisie anglaise à réduit l'ouvrier Irlandais à l'état de mangeur exclusif de pomme de terre. Rappelons que la pomme de terre n'était rien d'autre, à l'origine, que de la nourriture à cochons et qu'il a fallu une solide dose d'opiniâtreté à la bourgeoisie pour faire accepter ce mets peu ragoûtant aux ouvriers qu'elle ne considère de toutes façons pas tellement plus haut que l'animal. Voici venir à la rescousse un de ces petits esprits plein de mépris pour la classe ouvrière, et celui ci fut d'ailleurs l'un des plus hystériques détracteurs de la Commune de Paris, allant jusqu'à traiter les magnifiques combattantes de la Commune de "guenons", nous voulons parler d'Alexandre Dumas fils qui écrit ceci : "La pomme de terre est réellement une nourriture et une nourriture saine, facile et peu dispendieuse. Son apprêt a cela d'agréable pour la classe laborieuse des ouvriers qu'il n'exige presque pas de soins ni de dépense." (Dictionnaire de cuisine).

Quoi de plus comique que le bourgeois Français si fier de sa cuisine et qui accompagne ses plats les plus fins avec ladite pomme de terre!

[xlvi] Par exemple, au Moyen-âge, le soldat de Charles VII, pour les 580 g de viande et 45 g de lard salé qu'il consomme, enfourne également 1,270 kg de pain et 2 litres de vin. Quant au soldat Egyptien du VI° siècle av JC, c'est 684 g de viande, 981 g de pain et plus de 2 litres de vin qu'il consomme (pauvre bidasse moderne !).

[xlvii] Avec la crise qui vient, redeviendra toujours plus actuel - même dans les orgueilleuses métropoles impérialistes- le cri du grand révolutionnaire Blanqui : "Qui a du fer a du pain". C'est seulement au prix d'une féroce lutte de classe et en imposant le triomphe de la révolution communiste internationale dans l'alternative guerre impérialiste ou révolution que le prolétariat assurera sa survie.

[xlviii] Encore que, comme tout marchand doive s'adapter au marché local, on a pu entendre en Irlande le serveur d'un restaurant chinois demander : "chips or rice ?"

[xlix] Sources : Bulletin de statistiques agricole et commercial, 1915 ; Revue internationale d’agriculture, 1930 ; Annuaire de la production, FAO, 1977. Nous avons pris les principaux pays, exceptés l’URSS par défaut de source (voir plus loin pour les dernières années). Les chiffres ont été arrondis. Il faut tenir compte des partitions politiques pour expliquer certains écarts, notamment dans le cas de l’Autriche et de la Hongrie. Pour les deux Allemagnes, La Grande-Bretagne et l’Irlande, nous avons réunis les chiffres.

[l] "Le capital peut être incorporé à la terre soit temporairement comme dans les amendements de nature chimique, les engrais, etc. soit de façon presque permanente, comme dans le cas des canaux de drainage, ouvrages d'irrigation et de nivellement, bâtiments de ferme, etc. J'ai désigné ailleurs par "terre-capital" ce capital incorporé au sol." (Capital Livre III. Pléiade t.2 p.1290)

[li] Par exemple : « Les sols s’épuisent par la pratique de la monoculture, l’utilisation excessive d’engrais et la pénétration des résidus de pesticides. Pour chaque livre de nourriture produite, environ 30 livres de terre et de surface sont complètement érodées par ces pratiques et par l’irrigation outrancière tandis que la composition chimique du sol restant se trouve altérée. Le service de la conservation des sols du département de l’agriculture (aux USA -NDR) en a conclu que si le pays devait maintenir sa production de récoltes au même niveau, il lui faudrait réduire annuellement de moitié les pertes actuelles du sol, ce qui représenterait 1,5 milliard de tonnes de terre à épargner » (Le Monde diplomatique. Mai 80. P.15)

[lii] Dans le "Moniteur des Travaux Publics" du 3/3/80, on pouvait lire: L'utilisation des ordures ménagères à des fins agricoles remonte à la plus haute antiquité. Jusqu'à la fabrication industrielle des engrais minéraux à N,P,K vers 1850, elle demeura l'une des principales sources de fertilisants. Depuis, les amendements organiques sont devenus indispensables pour maintenir et accroître la fertilité des sols, grâce à leur haute teneur en humus.

Il est nécessaire de rappeler quelles sont les actions principales de l'humus sur la terre avant de donner des conseils d'utilisation pratique qui découlent bien souvent des propriétés conférées au sol par les composts. Les substances humiques améliorent la structure des sols en favorisant la formation d'agrégats qui procurent une meilleure aération et un bon drainage. Elles accroissent la capacité de rétention de l'eau et favorisent, par suite de leur couleur noire, le réchauffement du sol par absorption du rayonnement solaire. L’humus augmente le pouvoir tampon et la capacité totale d'échange des éléments minéraux dans la terre. Il régularise la fourniture des substances nécessaires aux plantes. Il favorise la vitesse de germination et l’accroît. Il permet surtout une meilleure utilisation et assimilation des engrais, de ce fait il augmente les rendements des végétaux déjà à l'optimum de la fumure minérale. Enfin, dans l'agriculture moderne il joue le rôle de regénérateur des sols abusivement dégradés.

Comme 10% seulement du tonnage de résidus urbains produits en France sont compostés, on conçoit l'importance du gaspillage en fertilisant naturels. On calcule que la perte en azote est de l’ordre de 1,2 kg N/hab/an par l'absence de récupération des ordures ménagères et des boues de stations d épuration. Ce bilan sommaire pour la France [rentre que plus de 60.000 t/an d'azote et 60.000 t/an de phosphore environ sont gaspillés dans ces seuls déchets. Ceux-ci permettraient de fertiliser environ 500 000 ha d'où une perte financière de l'ordre de 250 millions de francs."

[liii] C'est d'ailleurs à l'ombre des cours malsaines que Balzac faisait pousser l’une des plus belles plantes de son oeuvre : celle du petit propriétaire foncier :

« Monsieur Molineux était un petit rentier grotesque, qui n'existe qu'à Paris, comme un certain lichen ne croit qu'en Islande. Cette comparaison est d'autant plus juste que cet homme appartenait à une nature mixte, à un règne animo-végétal qu'un nouveau Mercier pourrait composer des cryptogames qui poussent, fleurissent ou meurent sur, dans ou sous les murs plâtreux de différentes maisons étranges et malsaines où ces êtres viennent de préférence. Au premier aspect, cette plante humaine, ombellifère, vu la casquette bleue tubulée qui la couronnait, à tige entourée d un pantalon verdâtre, à racines bulbeuses enveloppées de chaussons en lisière, offrait une physionomie blanchâtre et plate qui certes ne trahissait rien de vénéneux. »(César Birotteau).

[liv] « Dans le voisinage des îles de Shetland, la mer est extraordinairement abondante en poissons, ce qui fait une grande partie de la subsistance des habitants; mais pour tirer parti du produit de la mer il faut avoir une habitation sur la terre voisine. La rente du propriétaire est en proportion, non de ce que le fermier peut tirer de la terre, mais de ce qu'il peut tirer de la terre et de la mer ensemble. » (Smith. Richesse des Nations 1, XI p.262)

[lv] Comme nous l'avons dit dans nos numéros 5 et 7 consacrés à la périodisation du MPC en deux phases, la phase de soumission formelle du travail au capital se caractérise par le fait que le capital s'empare d'un procès de travail qui lui préexiste. et qui subsiste avec ses caractéristiques propres aux formes de production antérieures. Cependant la production est déjà dirigée exclusivement vers la production de plus-value (absolue dans cette phase). C'est pourquoi Marx dit soumission formelle du travail au capital.

[lvi] "Si le produit brut, servant de matière première à l'industrie, à son niveau le plus bas, ne peut augmenter assez rapidement, on recourra à des produits de substitution pouvant être augmentés rapidement (le coton remplacera le lin, La laine la soie). Les pommes de terre se substitueront aux céréales dans les moyens de subsistance. Dans ce dernier cas, la productivité plus grande est obtenue par la production d'une substance de qualité inférieure, ayant moins de vertus énergétiques, bref d'un article comprenant des conditions organiques meilleur marché pour reproduire le travailleur". (Grundrisse)

[lvii] "Dans les fermes ou les bâtiments d'exploitation, où les clôtures, les cours d'eau, les communications etc. sont dans le meilleur ordre possible, le même nombre d'ouvriers et les bestiaux de labour produisent une bien plus grande récolte que dans un terrain tout aussi bon et aussi étendu mais qui ne sera pas pourvu des mêmes avantages. Dans les manufactures, le même nombre d'ouvriers à l'aide des meilleures machines possibles produira une bien plus grande quantité de produits que s'ils avaient des outils moins perfectionnés. " (Smith. "Richesse..)

[lviii] Nous avons vu dans le N°4 que les concepts de prix de production et prix de production de marché étaient identiques, Dans le chapitre sur la rente, Marx les appelle encore autrement (prix de production général)

[lix] Prix de production général et prix général de production en référence au taux général de profit : "Le prix général de production... contient ce facteur de régularisation le taux général de profit".

 

[lx] Poursuivant sa remise en cause des principes du mouvement communiste, le PCI (cf. Le prolétaire N°309) réaffirme le point de vue petit-bourgeois selon lequel le prolétariat doit réclamer de bas loyers. Une telle position ne peut que mener à engager des luttes interclassistes (loyers, transports, etc.) dans lesquelles le prolétariat se retrouve noyé.

[lxi] Il importe d'ailleurs de souligner ici le revers dialectique d'une telle situation : c'est aussi parce que des obstacles sociaux empêchent le capital de pénétrer dans l’agriculture,que le progrès de ces sciences est freiné. Lorsque, après la Commune de Paris, la bourgeoisie française entreprit de freiner artificiellement l'expansion du capital à la campagne pour maintenir une large couche de petits propriétaires, et estomper la violence de l'affrontement avec le prolétariat, elle porta en même temps un coup d'arrêt au développement des sciences organiques (chimie, etc.)

[lxii] Ceci est également lié, comme nous l'avons vu ci-dessus, à la généralisation de l'aliment de base végétal.

En effet, tant qu'il y a prédominance de l'élevage et de l'alimentation carnée, c'est-à-dire dans la période qui précède l'établissement de l'agriculture proprement dite et l'alimentation végétale, la force productive du sol n’est pas encore épuisée, (cf. Marx. Capital III,6 ES t.8 p.65).

La thèse communiste selon laquelle le MPC généralise l'alimentation végétale, n'est bien sûr pas acceptée par tous, à commencer par les nouvelles classes moyennes, nourries et gavées jusqu'à la gueule grâce à l'exploitation renforcée que subit le prolétariat. Parmi les apôtres de ces classes, les modernistes d'Invariance Nlle série, inquiets des progrès de leur hypertension et effarés par l'énorme coût économique et social de la production de viande dans le MPC (nous montrerons plus tard que le prix de la viande est toujours relativement plus cher que le prix du blé, ce dernier étant lui-même relativement supérieur à celui des produits manufacturés; un autre exemple des limites de l'agriculture et de l'incapacité du capital à nourrir l'humanité est fourni par le fait qu'un tiers de la production mondiale de céréales est utilisé pour nourrir le bétail des métropoles impérialistes; d'autre part, on compte que pour produire un kilo de protéine animale, il faut six kilos de protéines végétales.) Invariance donc, se propose de convertir la classe ouvrière au végétarisme, dans le but d'augmenter ainsi le taux d'exploitation, et de différer la colère des peuples affamés par l'impérialisme, tout en renforçant le statut des classes moyennes.

Or, comme nous l'avons montré, l'aliment de base végétal est caractéristique de la production capitaliste. Cette tendance n'est absolument pas contradictoire avec le fait que grâce au développement de la phase de soumission réelle du travail au capital, la production et la consommation de viande augmentent. Les chiffres de consommation de viande par tête, et par la classe ouvrière en particulier, constituent même un indice important du niveau de développement de la production capitaliste.

Marx avait fort bien prévu le développement de l'élevage avec les progrès de la production capitaliste, tout en montrant l'importance du rôle de l'aliment de base végétal. Ainsi, dans le passage suivant en supposant un grand progrès dans la productivité du travail, il conclut.

« Au sein de la classe productive elle-même, aurait augmenté le nombre d'intermédiaires commerciaux, mais surtout celui des personnes employées à la construction de machines, à celles des chemins de fer, dans les mines; en outre les travailleurs agricoles occupés à l'élevage, les travailleurs employés à la production de matières chimiques, minérales pour les engrais; aussi le nombre de cultivateurs qui cultivent des matières premières pour l'industrie augmente par rapport à ceux qui produisent des vivres et celui de ceux qui produisent des aliments pour le bétail augmente par rapport à ceux qui produisent des aliments pour les hommes. (Marx, Théories sur la plus-value t.I p.243)

Toutefois si, comme la théorie l'avait escompté, la consommation de viande chez les ouvriers des pays avancés a été en augmentation, il ne faut pourtant pas en faire, comme le font les classes moyennes salariées et Invariance Nlle série, un argument en faveur de la capacité du MPC à nourrir décemment ses esclaves salariés. Tout d'abord, il y aurait beaucoup à dire sur cette consommation de viande par les prolétaires, tant en ce qui concerne la quantité que la qualité. (Les chiffres que nous citions ci-dessus faisaient apparaître une plus grande consommation de charcuterie, volailles, lapin, chez les ouvriers, et une plus grande consommation de boeuf chez les bourgeois et les classes moyennes supérieures. (Les derniers chiffres disponibles montrent que de 1969 à 1981, la consommation de volaille a augmenté de 38% et celle de porc de 100% contre 19% pour le boeuf. Les éleveurs professionnels estiment que "l'avenir est au porc et au dindon", qui sont des viandes moins coûteuses et donc accessibles "à un pouvoir d'achat dont ils estiment la diminution prévisible" (Sic!) ("Le Journal du Dimanche 15.3.81).

Un autre fait qui permet de mesurer toutes les limites de la capacité du MPC à nourrir ses ouvriers, c'est le cas de la Pologne, 10ème puissance industrielle mondiale, où la hausse des prix de la viande et la pénurie ont provoqué tous les mouvements ouvriers de ces dernières années.

Si l'on se tourne maintenant vers le Brésil, pays modèle du "miracle" économique capitaliste, on s'aperçoit que le nombre de têtes de bétail augmente de 120 % entre 1950 et 1975, tandis que dans le même temps, la population s'est accrue de 105% et la superficie des pâturages de 82%-. Mais dans la même période, la population rurale ne s'est accrue que de 35%. Ainsi, à une urbanisation croissante correspond à la campagne une "bovinisation".

La consommation de viande de boeuf par personne est passée au Brésil pour la période 1968-76 dg 17,8 kg/an à 20,6 kg/an, soit une augmentation de 15,7%.

Au cours de la même période, aux Etats-Unis, la consommation de viande "per capita" a augmenté de 17,7%, passant de 49,8 kg/an à 58,6 kg/an. Mais qui, au Brésil, a bénéficié de cette hausse de consommation?

Certainement pas les ouvriers productifs, dont la consommation a diminué significativement et dont la grande majorité souffre de malnutrition chronique (tandis que de violentes bagarres se produisent pour obtenir des haricots, l'ordinaire de l'ouvrier brésilien est composé de rats et de soupe de papier journal). Certainement pas, non plus les paysans du Nordeste, qui au mois de Mars 81, accablés par l'exploitation des grands propriétaires fonciers, par la faim et par la sécheresse, se sont regroupés par milliers pour donner l'assaut aux entrepôts d'Etat.

Dans la mesure où les exportations de viande n'ont pas crûes de manière significative, on doit en conclure que ce sont les classes moyennes des villes qui ont consommé, non seulement la totalité de l'incrément per capital mais encore la quantité de viande non consommée par le prolétariat, soit la totalité de la baisse "per capita" de la consommation des ouvriers.

[lxiii] Par exemple, en France, en 1978, les exploitations de plus de 100 ha ont obtenu un revenu trois fois supérieur à la moyenne générale et plus de quatre fois supérieur à celui des exploitations de 5 à 10 ha.

[lxiv] Ce phénomène avait été parfaitement prévu par Marx :

« Dans l'ensemble il faut supposer que dans le mode de production agricole primitif, parce que la nature y coopère, faisant office de machine et d'organisme, alors que dans l’industrie les forces naturelles ne sont pas remplacées, à peu près exclusivement que par la force humaine (comme dans l'industrie artisanale etc.) dans la phase de développement impétueux de la production capitaliste la productivité de l'industrie se développe de manière accélérée par rapport à l'agriculture, mais bien que son développement présuppose que dans l'agriculture des variations importantes en rapport capital constant capital variable se soient déjà produites, c'est-à-dire qu'une masse de gens ait été chassée de l'agriculture. Ensuite la productivité progresse dans les deux domaines, mais d'un pas inégal. Toutefois, à un certain apogée de l'industrie, la disproportion doit nécessairement diminuer, c'est-à-dire la productivité augmenter plus vite que celle de l'industrie.

Cela implique 1°/ le remplacement du fermier paresseux par le businessman, le capitaliste fermier, la transformation des cultivateurs en salariés purs et simples, la pratique de l'agriculture à une grande échelle, donc avec concentration de capitaux; 2°/ mais surtout : la base proprement scientifique de la grande industrie, la mécanique qui en un certain sens était achevée au 18° siècle. C'est seulement au 19° siècle, dans les dernières décennies plus précisément, que se développent les sciences qui fournissent directement à un haut degré des bases spécifiques aussi bien à l’agriculture qu'à l'industrie, la chimie, la géologie, la physiologie. » (Marx. Théories sur la plus-value t.2 pp.II6-II7)

[lxv] C'est le seul cas prévu par la théorie de Ricardo. Contrairement à ce qu'affirme H. Le Floch, dans "L'économie politique agraire de K.Marx", la position de Marx dans « Misère de la Philosophie » n'est pas simplement reprise de Ricardo, et n'élimine pas purement et simplement la possibilité d'un progrès de la productivité - il en fait même la raison de la lutte entre propriétaires fonciers et capitalistes. Si la théorie de la rente foncière n'est pas alors (1847) intégralement développée (dans une lettre à Engels de 185I), Marx va pousser plus avant la réflexion), ses prémisses existent déjà dans « Misère de la Philosophie ». Marx y répondait à Proudhon :

« En quoi consiste, en général, toute amélioration, soit dans l'agriculture, soit dans la manufacture ? C'est à produire plus avec le même travail, c'est à produire autant, ou même plus avec moins de travail. Grâce à ces améliorations, le fermier est dispensé d'employer une plus grande quantité de travail pour un produit proportionnellement moindre. Il n'a pas besoin alors de recourir à des terrains inférieurs et des portions de capital appliquées successivement au même terrain, restent également productives. Donc ces améliorations, loin de faire hausser continuellement la rente, comme dit Mr Proudhon sont au contraire autant d'obstacles temporaires qui s'opposent à sa hausse.

Les propriétaires anglais du XVIIème siècle sentaient si bien cette vérité qu'ils s'opposèrent aux progrès de l'agriculture de crainte de voir diminuer leurs revenus. » (Marx. Misère de la philosophie. Pléiade t.1 p.28)

[lxvi] Hormis les Etats-Unis et l'URSS, les zones de consommation sont différentes des zones de production, le pétrole représentant la moitié des échanges qui se font par la voie maritime. Il existe deux grandes zones d'importation, l’Europe et le Japon mais depuis quelques années les Etats-Unis importent une part croissante de leur consommation.

[lxvii] Pour sa gouverne personnelle, le lecteur pourra jeter un oeil sur l'article de Lénine . « A propos de la « faim de pétrole » » (T.19 p.23). Parlant de l'époque où l'Amérique et la Russie étaient les principaux producteurs mondiaux, Lénine dénonce les arguments du ministre du commerce et de l'industrie russe qui faisait passer l’augmentation des prix du pétrole par plus de 6 en 10 ans en Russie, pour un phénomène lié à l'accroissement de la demande alors que pour une bonne part il s'agissait de manœuvres des cartels pétroliers.

[lxviii] L'économie vulgaire commence à se développer à partir de 1830, date qui marque l'apogée de la science économique bourgeoise. La lutte des classes qui commence à s'exacerber et l'émergence du programme communiste qui en est le produit vont accélérer cette régression.

[lxix] «Ricardo confond valeur et prix de production. Il croit donc que si une rente absolue existait (c'est-à-dire une rente indépendante de la fertilité des différentes catégories de sol) les produits agricoles seraient constamment vendus au-dessus de leur valeur, parce qu'étant vendus au-dessus de leur prix de production (capital avancé plus profit moyen). Ce qui renverserait la loi fondamentale. Il nie donc l'existence de la rente absolue et n'accepte que la rente différentielle." (Marx à Engels. 2 Août 1862)

[lxx] L'échange de marchandises à leur valeurs -ou approximativement à leurs valeurs - suppose par conséquent, un stade moins avancé que l'échange aux prix de production qui nécessite un niveau élevé du développement capitaliste.

De quelque manière que les prix des différentes marchandises soient fixés ou réglés initialement les uns par rapport aux autres, la loi de la valeur régit leur mouvement. Si le temps de travail nécessaire pour les produire diminue, les prix baissent, s'il s'accroît, les prix montent, toutes choses restant égales par ailleurs

[lxxi] Comme le soulignait Lénine : « La rente différentielle se forme inéluctablement en régime d'agriculture capitaliste, même si la propriété privée du sol est totalement abolie. Avec l'existence de la propriété foncière, c'est le possesseur de la terre qui recevra cette rente puisque la concurrence des capitaux obligera le fermier (le tenancier) à se contenter du profit moyen du capital. Si la propriété privée du sol se trouve abolie, c'est l'Etat qui recevra cette rente. Cette rente ne peut être supprimée tant qu'existe le mode de production capitaliste.

La rente absolue provient de la propriété privée de la terre. Cette rente comporte un élément du monopole, un élément de prix de monopole. La propriété privée de la terre gêne la libre concurrence, gêne l'égalisation du profit, la formation du profit moyen dans les entreprises agricoles et non agricoles. Et comme la technique est inférieure dans l’agriculture, comme la composition du capital s'y distingue par une plus grande part du capital variable par rapport au capital constant que dans l'industrie, la valeur individuelle du produit agricole est supérieure à la moyenne. Aussi, la propriété privée de la terre, qui entrave la libre égalisation du profit, tant dans les entreprises agricoles que non agricoles, permet de vendre le produit agricole non pas au prix supérieur de la production, mais à une valeur individuelle du produit encore plus élevée (car le prix de production est déterminé par le prix moyen du capital, tandis que la rente absolue ne permet pas à cette "moyenne" de se constituer, car elle fixe en tant que monopole une valeur individuelle plus élevée que la moyenne).

C'est ainsi que la rente différentielle est forcément propre à toute agriculture capitaliste. La rente absolue ne l'est pas. Elle n'existe qu'à la condition d'une propriété privée de la terre et d'un retard de l'agriculture apparu au cours de l'histoire et consacré par le monopole. »(Lénine. Programme agraire de la social-démocratie, in. Oeuvre t. XIII p.313)

[lxxii]« Sa tentative (à Rodbertus -NDR) de fonder une nouvelle théorie de la valeur est presque puérile, voire comique. En effet, selon lui en agriculture, on ne fait pas entrer les matières premières dans le calcul car comme il nous l'assure, le paysan allemand n'inclut pas dans ses propres frais les semences, le fourrage etc. Il ne tient pas compte de ces frais de production, autrement dit, il calcule faux. Par conséquent, en Angleterre, où le fermier calcule juste depuis plus de cent cinquante ans, il ne devrait pas exister de rente foncière du tout. Il ne faudrait donc pas conclure comme Rodbertus le fait, que le fermier payer une rente parce que son taux de profit est plus élevé que dans la manufacture, mais parce que, par suite d'un faux calcul, il se contente d'un taux de profit plus bas... Dans sa forme actuelle, la théorie de la rente de Rodbertus est certainement fausse, mais tout ce qu'on lui a opposé n'est que malentendu ou indique tout au plus que certains phénomènes ne s'accordent pas à première vue, avec la théorie de Ricardo. Or, ce n'est pas là un argument contre une théorie. En revanche les théories positives qu'on oppose à Ricardo sont mille fois plus erronées. Quelque puérile que soit la solution positive de Rodbertus, elle renferme pourtant une tendance juste. » (Marx. Théories sur la plus-value).

[lxxiii] Et donc pas son ouvrage principal paru en 1842 : "Zur Erkenntniss unserer staats-wirtschaftlichen Zustaende."

[lxxiv] Dans le livre II du Capital, Marx déclarait : « Dire que les marchandises sont invendables signifie simplement qu'elles n'ont pas trouvé d'acquéreurs capables de payer, donc de consommateurs solvables (que les marchandises soient achetées en vue de la consommation individuelle ou productive). Pour donner une apparence de justification plus profonde à cette tautologie, on prétend que la classe ouvrière reçoit une trop faible part de son propre produit et que l'on pourrait remédier à ce mal en lui accordant une plus grande part de ce produit, donc des salaires plus élevés. Mais il suffit de rappeler que les crises sont chaque fois préparées précisément par une période de hausse générale des salaires, où la classe ouvrière obtient effectivement une plus grande part de la fraction du produit annuel qui est destinée à la consommation. Du point de vue de ces chevaliers du "simple" bon sens, cette période devrait au contraire éloigner de la crise. Il semble donc que la production capitaliste implique des conditions qui ne dépendent point de la bonne ou de la mauvaise volonté, conditions qui ne permettent cette prospérité relative de la classe ouvrière que temporairement, et cela uniquement comme message d'une crise."

Et Engels d'ajouter en commentaire : "Avis aux éventuels adeptes

de la théorie des crises de Rodbertus".

[lxxv] Il tend désormais, depuis qu'il est au pouvoir, à se convertir de plus en plus à la "rigueur de gauche", distincte, bien sûr, de "l'austérité de droite".

[lxxvi] Selon une étude réalisée en 1972 et basée sur les statistiques des bénéfices industriels et commerciaux dans lesquelles sont reprises les entreprises agricoles les plus importantes, le capital avancé par actif est le suivant :

Culture : 37.000 F.

Production animale : 62.000 F.

Industrie : 51.000 F.

[lxxvii]Ouvrage dont Lénine disait : "Ce livre constitue après le livre III du Capital, l'événement le plus remarquable de la littérature économique moderne." (in. Oeuvres t.4 pp.105-163)

[lxxviii]« Cet excédent de la valeur sur le coût de production du produit total (...) constitue la rente. Elle est manifestement totalement indépendante des différences de productivité du travail, conséquences des différents degrés de fertilité naturelle des mines, des types de sol, bref de l'élément naturel dans lequel on a employé le capital, (...) car ces différents degrés de productivité du travail mis en oeuvre qui résultent des degrés différents de fertilité du facteur naturel n'empêchent pas le produit total d'avoir une valeur (supérieure au) coût de production (...) donc de présenter un excédent (...) de la valeur sur le coût de production. » (Théories sur la plus-value, t.2 pp.309-310)

[lxxix] Par exemple, « dans l’agriculture la prolongation du temps de travail -donc l'augmentation de la plus-value absolue - n'est admissible qu'à un faible degré. Dans l'agriculture on ne peut pas travailler à la lumière du gaz, etc. Certes en été, au printemps on peut se lever de bonne heure, mais ceci est compensé par les jours plus courts en hiver, lorsque, d'une façon générale, on ne peut exécuter qu'une masse de travail relativement faible. A cet égard la plus value est donc plus élevée dans l'industrie (**), lorsque la journée de travail n'est pas réglementée par contrainte législative. La longue période pendant laquelle le produit demeure dans le procès de production, sans qu'un travail y soit appliqué est une deuxième raison pour laquelle la masse de la plus-value créée dans l'agriculture est moins importante. » (Marx. TSPL T.II p.14)

(**) Cet aspect de la question se trouve aujourd'hui dépassé par la technique. En effet, on peut voir de nos jours travailler une fois la nuit tombée, l'électricité permettant désormais ce que ne permettait pas l'éclairage au gaz. Une nouvelle fraction de la classe ouvrière, en l'occurrence la partie déjà la plus défavorisée peut maintenant s'adonner pleinement aux joies du travail de nuit. L'autre limite qui faisait que l'agriculture était "désavantagée" dans la recherche de la plus-value absolue s'est renversée en sa faveur : la limitation légale de la durée du travail est en effet plus favorable du point de vue capitaliste à l'agriculture qu'à l’industrie. En outre, on pouvait lire dans l'Humanité du 3.9.76 qu'en matière d'amélioration des conditions de travail des ouvriers agricoles (conditions particulièrement aggravées par les conditions climatiques de l'année en question) : "la seule mesure intervenue a consisté dans l'envoi de la circulaire N°7068 du 5 Juillet 1976 invitant l'inspection des lois sociales en agriculture à faire connaître au patronat agricole les lacunes de la protection sociale des ouvriers agricoles et à dispenser largement les dérogations permettant au patronat de déplacer à sa guise les horaires de travail, y compris durant toute la nuit, et d'allonger pratiquement sans limite la durée du travail et même de supprimer le repos hebdomadaire. L'une des premières conséquences de cette circulaire a été la demande du président de l'Union des Syndicats de l'horticulture et des pépinières de la région parisienne, visant à obtenir une dérogation permanente visant à dépasser toute l'année la durée maximale hebdomadaire moyenne actuellement fixée à 50 h. pour les ouvriers agricoles contre 48 h. pour tous les autres secteurs d'activité; le motif particulièrement cynique invoqué étant limportance de la main d’œuvre étrangère dans les entreprises concernées, main d’œuvre qui souhaiterait faire le maximum d'heures dans un court laps de temps avant de repartir chez eux le plus longtemps possible" selon les propres termes de la demande." (L'Humanité. 3.9.1976)

[lxxx] Diverses estimations fixent entre 60 000 et 90 000 hectares la surface qui passe en France chaque année d'un usage agricole à un usage non agricole.

[lxxxi] Cependant une séparation entre les propriétaires et les capitalistes pourrait entraîner l'apparition d'une rente absolue si les conditions matérielles, c'est-à-dire un taux de profit plus élevé dans l'agriculture que dans l'industrie, étaient réunies

[lxxxii] A supposer que le MPC puisse s'affranchir des obstacles indépendants de la propriété foncière

[lxxxiii] Dans les exemples qu'il élabore, Monsieur Le Floch considère que le taux d'exploitation est plus élevé dans l'agriculture que dans l'industrie. Ce taux d'exploitation plus élevé proviendrait de ce que la valeur de la force de travail serait plus basse dans l’agriculture que dans l'industrie. La valeur créée pendant le même temps de travail étant la même, le taux d'exploitation serait en relation inverse de l'abaissement de la valeur de la force de travail.

Dans son étude de la rente absolue, Marx, quant à lui, dresse ses schémas avec comme hypothèse un taux d'exploitation égal entre l'agriculture et l'industrie. Tant, qu'il s'agit d'illustrer la théorie, cela n'a pas d'importance et facilite de beaucoup les calculs. De plus cette hypothèse est nécessaire lorsque, comme il le fait, il examine la différence entre une agriculture avec la propriété foncière, et une agriculture sans propriété foncière. Il examine toutefois cette différence en conservant la même base économique c'est-à-dire, en tenant compte, pour l'agriculture, de ce que la composition organique du capital y est plus basse. Tant qu'il s'agit d'illustrer la théorie, cela est tout à fait acceptable sur le plan méthodologique. Mais il ne faut pas oublier que l’existence de la rente absolue traduit un retard qualitatif de l’agriculture sur l’industrie, que la composition organique plus basse est l'indice d'un degré moins élevé, par rapport à l'industrie, de la force productive du travail. Réduire la théorie à l'exemple serait passer à coté de l'écart qualitatif qui existe entre l'agriculture et l'industrie, lequel se caractérise par le retard de l'agriculture sur l'industrie.

Si l'agriculture souffre d'un retard relatif par rapport à l’industrie, il est théoriquement pensable que le taux d'exploitation y soit moins élevé que dans l’industrie.

Cela ne provient pas tant de la valeur de la force de travail qui, abstraction faite de la différence entre travail simple et travail complexe est déterminée socialement, donc par le capital total et, par conséquent, elle tend à être la même dans toutes les branches, mais des conditions de la production dans la sphère agricole, qui font que cette force de travail engendre une productivité et une intensité du travail inférieures à la moyenne. Il s'ensuit que la valeur créée par ouvrier dans cette sphère est inférieure à la moyenne. Si la valeur de la force de travail est, par contre, peu ou prou égale à cette moyenne, le taux d'exploitation sera plus bas dans l'agriculture que dans l'industrie. ce. bien sûr, pour une même durée du temps de travail.

Le Floch, en fait, confond la valeur de la force de travail et son prix, car il est bien évident que pour compenser les difficultés qu'il a à dégager une masse de plus-value suffisante, le capital tend à abaisser les salaires au-dessous de la valeur, ce qui explique les bas salaires dans l’agriculture.

[lxxxiv] Il faut donc qu'outre la rareté relative, il existe une demande importante, car un artiste sans succès n'obtiendra aucun prix de monopole -voire un prix tout court - de ses toiles, et de même s’il s'agit d'un vin de qualité, mais qui ne correspond pas ou plus aux normes du goût en vigueur.

[lxxxv] Ironiquement, Picasso disait que lorsqu'il peignait, il créait plus d'argent que n'en pouvait imprimer, pendant ce temps, la banque de France.

[lxxxvi] Aux Etats-Unis, où les villes ont été créées par le MPC, et n'ont pas la même distribution que les métropoles du vieux monde, elles témoignent tout autant de l'influence de la rente urbaine et de la ségrégation sociale qui en découle et qui l'influence en retour.

Construites souvent depuis à peine un siècle, suivant un plan géométrique en damier, elles présentent en général la structure suivante :

-   Un centre marqué par le phénomène de cité (quartier des affaires)

-   Un premier cercle où sont souvent situés les quartiers très pauvres, ghettos et colonies étrangères les plus pauvres (ex. Harlem à New-York) .

-   Un second cercle où se regroupent l’aristocratie ouvrière et les classes moyennes.

-   Un troisième cercle composé par les quartiers industriels.

-   Enfin un quatrième cercle où réside la bourgeoisie.

[lxxxvii] Les Chinois même s'y mettent alors que le vin n'a pas sa place dans la tradition culinaire chinoise. La firme Rémy Martin s'attaque dans la région de Pékin, à la fabrication d'un vin qui a paraît-il, un peu le goût des vins de Moselle.

[lxxxviii]« Le Parti communiste français, tout en mettant à nu la vanité des prétendues solutions définitives, lutte pied à pied pour une politique hardie de construction, notamment avec les H.L.M., contre la plaie des taudis, contre l’augmentation des loyers et des charges locatives. » (Préface des Editions sociales à la Question du logement)

[lxxxix] Pour Engels, le prix du loyer, vulgairement le loyer, se compose de :

1°) La rente foncière

2°) L'intérêt du capital investi dans la construction, y compris le profit de l’entrepreneur.

3°) La somme destinée à couvrir les frais de réparation et les assurances.

4°) Des annuités qui amortissent le capital investi, y compris le profit, proportionnellement à la détérioration graduelle de la maison.

Par simplification, nous n'avons pas tenu compte du point 3 que nous avons entièrement assimilé au point 4. En effet, les réparations ne font qu'accroître la valeur du logement ; quant aux assurances, elles visent à répartir sur l’ensemble des propriétaires l'éventuelle destruction brutale d'une partie du capital. Par conséquent, elles peuvent être réintégrées dans le calcul des annuités d'amortissement. Il faudrait aussi tenir compte de la valeur résiduelle de la maison, mais là aussi nous pouvons simplifier le problème en la considérant comme nulle.

[xc] Et en partie aussi l’aristocratie ouvrière

[xci] Rien de neuf sous le soleil ; déjà en 1872, Engels pouvait remarquer à propos d'une des panacées de l’époque (les "building societies") que le but principal de ces sociétés est finalement, toujours de procurer aux économies de la petite bourgeoisie un placement hypothécaire avantageux, avec de bons intérêts et des dividendes en perspective grâce à la spéculation sur la propriété foncière, et que dans les clients potentiels « Il n'est nullement question d'ouvriers, mais de personnes ayant des revenus limités, de vendeurs de magasins et d'employés de commerce etc. et de plus on suppose que généralement les futurs bénéficiaires posséderont déjà un piano. en réalité il ne s'agit pas ici du tout d'ouvriers, mais de petits-bourgeois et de ceux qui veulent et peuvent le devenir, de personnes dont les revenus, même s'ils sont limités, croissent en général progressivement comme ceux de l’employé de commerce et de branches analogues; tandis que ceux de l’ouvrier restent, dans le meilleur des cas identiques; en fait, ils baissent, en proportion de l’augmentation de sa famille et de ses besoins. Leurs revenus d'une part sont trop faibles, et d'autre part, trop incertains pour qu'ils puissent endosser des engagements pour douze ans et demi. Les quelques exceptions auxquelles ceci ne s'applique pas sont ou bien des ouvriers mieux payés que la généralité, ou bien des contremaîtres. »(Engels. Question du logement p.79)

[xcii] C'est ce qui explique -et ce qui crée l'indignation du petit-bourgeois- que la somme des loyers payés pondant plusieurs années puisse être de beaucoup supérieure à la valeur- du logement

Supposons une maison qui dure 100 ans. « Au bout de cent ans la maison est délabrée, inhabitable. Si alors nous déduisons du total des loyers encaissés.

1°) La rente foncière, avec la majoration éventuelle qu'elle a subi pendant cette période.

2°) Les dépenses courantes pour les réparation nous trouverons que le reste se compose en moyenne

1°) du capital primitif employé à la construction de la maison.

2°) du profit qu'il a rapporté.

3°) des intérêts du capital et du profit, venus progressivement à échéance.

A la fin de ce laps de temps il est vrai, le locataire n'a pas de maison, mais le propriétaire n'en a pas davantage. Ce dernier ne possède que le terrain - s'il lui appartient. - et les matériaux de construction qui s'y trouvent et ne sont plus une maison. Et si la maison a entre-temps couvert 5 ou 10 fois le coût initial nous verrons que ceci est dû uniquement à une augmentation de la rente foncière, ce qui n'est un secret pour personne en des lieux comme Londres où le propriétaire foncier et celui de la maison sont deux personnes différentes. Des augmentations de loyer se produisent dans les villes à croissance rapide, mais non dans un village agricole où la rente foncière pour- les emplacements bâtis reste a peu près constante. »

[xciii]« Ce qui est certain, c'est qu'il y a dans les grandes villes déjà suffisamment d'immeubles à usage d'habitation pour- remédier sans délai par leur emploi rationnel à toute véritable "crise -du logement". Ceci ne peut naturellement se faire que par- l’expropriation des propriétaires actuels, par l’occupation de leurs immeubles par des travailleurs sans abri ou immodérément, entassés dans leurs logis: et dès que le prolétariat aura conquis le pouvoir politique, cette mesure exigée par- le bien public sera aussi facile à réaliser que le sont aujourd'hui les expropriations et réquisitions de logements par l’Etat. » (Engels, p.4 2)

« ...on peut apporter un soulagement immédiat à la crise du logement en expropriant une partie des habitations de luxe appartenant aux classes possédantes, et en réquisitionnant l'autre. » I i d. p.6 5 )

Pour les petits-bourgeois anarchistes comme ceux du GCI (Groupe Communiste Internationaliste – Belgique), la politique communiste est bien entendu beaucoup trop fade et pas assez radicale ; aussi s’empressent-ils de condamner les bolcheviks pour n'avoir pas cherché à "socialiser" les appartements. Pire, selon eux, les bolcheviks auraient changé d'avis sur cette question, comme en témoignerait cet extrait de la lettre de Lénine aux conseils ouvriers bavarois, dans laquelle on demande entre autres "Avez vous tassé la bourgeoisie à Munich pour installer les ouvriers dans des appartements riches?".

Bien entendu, Lénine se place strictement dans la continuité de Marx et d’Engels et réclame donc l’expropriation d'une partie des logements de la bourgeoisie, et la réquisition d'une autre partie. Il ne revendique pas la "socialisation" de l’ensemble des logements, mesure qui n'aurait aucun intérêt étant donné que la solution communiste passe à terme par leur abandon et leur destruction et qu'elle aurait pour effet politique immédiat de dresser contre le prolétariat révolutionnaire une armée de plusieurs millions de propriétaires. Lorsqu'on sait que, par exemple, en France, la distribution des logements s'effectue comme suit :

 

 

Non accédants

4 993 000

 

Propriétaires

 

 

8 696 000 (46,6 %)

 

Accédants

3 703 000

 

 

 

 

 

Locataires (y compris fermiers et métayers)

 

 

8 189 000 (43,9%)

 

 

 

 

Logés gratuitement

 

 

1 756 000 (9,5%)

Par rapport à un nombre total de 18.641.000 logements (tous les chiffres sont donnés en nombre de logements), on voit toute la folie, tant du point de vue économique que politique d'une mesure qui consisterait à "socialiser" l’ensemble des logements

[xciv] Il s'agit de la valeur de la production globale et non celle sur les plus mauvais terrains. Qui plus est notre statistique ne concerne que les livraisons, ce qui doit signifier que n'est pas prise en compte l'auto-consommation.

[xcv]D'autre part, une telle configuration des capitaux rend possible l'apparition d'une rente différentielle sur les plus mauvais terrains ce qui rend encore plus difficile les conclusions. En outre les surfaces ne sont pas restées constantes (rôle de la rente différentielle I).

[xcvi] Parmi les effets pervers, le président responsable des SAFER constate : "le développement des "terres sans statuts", c'est-à-dire : (cf. le journal Les Echos) "des terres, propriétés d'agriculteurs, qui sont travaillées par des entreprises spécialisées ou des jeunes ne bénéficiant pas du statut du fermage. D'où l'impossibilité "d'installer" de jeunes agriculteurs à plus long terme."Le même président poursuit : "Il faudra avoir le courage politique de revoir le statut du fermage qui dans l’ensemble est très bon (nous avons ici le point de vue des fermiers capitalistes donc un point de vue tout à fait opposé à celui des propriétaires fonciers NDR) mais dont on note cependant les effets pervers quand les conditions économiques changent.". "De toutes façons, si cette situation se perpétue, à la fin du siècle c'est une partie très importante du territoire agricole français qui sera inclassable." (Les Echos du 29-08.8S)

[xcvii] Du point de vue économique, l'eau est incluse dans la terre.

[xcviii] Selon une estimation sommaire : "La valeur du cheptel de bovins dans le monde peut être évaluée, en 1982, à 4000 milliards de francs soit le quart de la valeur de toutes les actions cotées en bourse dans le monde ou 20 fois celle de toutes les actions françaises cotées" (Atlaseco 1984)

[xcix] Notre théorie a montré l’importance de l’alimentation carnée pour l’homme, n'en déplaise au végétariens.

« L'alimentation carnée contenait, presque toutes prêtes, les substances essentielles dont le corps a besoin pour son métabolisme ; en même temps que la digestion, elle raccourcissait dans le corps la durée des autres processus végétatifs, correspondant au processus de la vie des plantes, et gagnait ainsi plus de temps, plus de matière et plus d’appétit pour la manifestation de la vie animale au sens propre. Et plus l’homme en formation s'éloignait de la plante, plus il s'élevait au-dessus de l'animal. » Engels. Dialectique de la nature. p. 177

[c]Cf. également ce que dit la Gauche :

« Dans le difficile procès de la vie de l’espèce, de l’histoire, du savoir, des luttes pour sorganiser contre la nature ambiante, les hommes parviennent à systématiser, par des voies fort longues, des structures et des rouages assurant une transmission suffisamment bonne de la "réalité physique" pour valoir comme science. » (Communisme et connaissance humaine.)

[ci] Parmi les débats théoriques qui ont agité le mouvement communiste dans les années 20 et qui témoignent de la difficulté de restaurer la théorie dans son intégralité et à lui rendre son caractère de totalité organique, il y a celui lancé par Lukàcs et d'autres courants proches des gauches allemande et hollandaise sur l’impossibilité de la "dialectique de la nature"(cf. G. Lukàcs. "Histoire et conscience de classe"). La manière dont ce débat à été mené témoigne de la profonde discontinuité qui a marqué la théorie à l’époque de la grande vague révolutionnaire avortée des années 20. D'un coté, un fort courant scientiste, qui puise ses sources dans les théoriciens de la social-démocratie officielle des années 1890 (Kautsky, Plékhanov, etc.), de l'autre, une réaction "juvénile" tirant sur l'idéalisme et qui apparaît notamment dans les écrits de Lukàcs. Bien que CouC n'ait jamais consacré d'article poussé à ladite "question philosophique" (celle-ci devrait être traitée dans le point 9 des "Thèses sur la révolution communiste" à paraître sur plusieurs années), c'est là une constante de nos préoccupations, à laquelle nous avons déjà fait allusion, notamment lorsque nous avons abordé les thèmes de la Communauté Humaine (Gemeinwesen) (cf. CouC N°3), et des rapports de l'homme avec la nature (voir ci-dessus)

Dans le N°1 de CouC (1976), par souci de nous démarquer du premier courant, scientiste, nous avons par trop abondé dans le sens de Lukàcs, notamment dans les critiques qu'il fait à Engels. Dix ans d'étude de cette question et le recours aux textes classiques de parti (Manuscrits de 1844, Anti-Duhring, Dialectique de la nature, etc.) nous ont convaincu de l'inanité de ces critiques et a fortiori ont renforcé notre thèse selon laquelle le programme communiste constitue une totalité organique dont toutes les parties sont reliées entre elles et également valables, sans quoi c'est la totalité elle-même qui serait caduque.

Or précisément, ni Lukàcs ni ses adversaires (Deborin, etc.) ne restaurent dans son intégralité le point de vue communiste d'unité du sujet et de l’objet. Grossièrement, on pourrait dire que les uns hypostasient le sujet, les autres l'objet.

L'argument de Lukàcs pour nier la validité de la méthode dialectique dans l'étude et la compréhension des phénomènes naturels est le suivant : la connaissance de la nature ne contient pas les "déterminations décisives de la dialectique" qui sont, selon lui :

-         "action réciproque du sujet et de l’objet"

-         "unité de la théorie et de la praxis"

-         "Modification historique du substrat des catégories comme fondement de leur modification dans la pensée."

(Or, ni Marx ni Engels n'ont jamais donné ces déterminations comme constituant l'essence de la méthode dialectique.)

Or précisément, selon ce que nous avons développé plus haut, la connaissance de la nature est possible à travers la relation sujet/objet qui est la relation de l'homme à la nature. Les prétendues "déterminations décisives de la dialectique" dont Lukàcs parle ne sont donc pas à chercher dans la nature, mais ce sont précisément elles qui permettent la connaissance dialectique de la nature. Le "lieu" de la dialectique n'est donc ni la nature en soi ni l’activité humaine (historique pour Lukàcs) en soi, mais la relation réciproque entre l’homme et la nature d'une part, entre l’homme et lui-même d'autre part. A travers cette relation, l’homme peut connaître et il emploie pour cela une méthode, dont la plus adéquate est la méthode dialectique car elle seule permet d'appréhender le mouvement dans sa totalité.

A l'inverse, les adversaires de Lukàcs (Deborin, Rudasz, etc.) en négligeant la transformation pratique de la nature par l’homme, en exigeant de la nature qu'elle fournisse elle-même une logique dialectique que seul le progrès de la science permet de déchiffrer, retombent dans le matérialisme vulgaire dénoncé par- Marx dans les "Thèses sur Feuerbach".

L'invariance et, l'unité de la théorie comme corps de doctrine organique ne peut souffrir une "contradiction" qui laisserait tout un pan de la connaissance humaine inaccessible à la méthode dialectique et où donc le matérialisme historique ne serait pas valable. En fait, loin de représenter une tentative de "scientisation" du communisme, les thèses développées dans "Dialectique de la nature" (que l'on ne peut, par commodité, attribuer au seul Engels, car elles sont le produit d'une étroite collaboration entre les deux militants du parti et ont eu l'entière approbation de Marx), ouvrage par ailleurs inachevé. Ces thèses, donc, constituent une tentative d'exposer systématiquement les résultats de la théorie communiste, non seulement dans le domaine social de l'activité humaine, mais aussi dans la sphère naturelle considérée comme champ de développement de cette même activité. Le travail de restauration ultérieur sur cette question devra donc partir de ces résultats en les reliant à toute l’œuvre du parti.

[cii] Bien entendu, à partir du moment où ces sciences applicables plus particulièrement à l'agriculture se développent, il est possible que l’agriculture compense, en partie, son retard, bien que congénitalement, la pensée bourgeoise ne puisse jamais annuler cette différence

[ciii] Je dis bien : "peut" parce que cet intérêt, dans certaines conditions, est déterminé par la loi de la rente foncière ; il est susceptible, par conséquent, de disparaître ; par exemple, dans le cas de concurrence de nouvelles terres d'une grande fertilité naturelle.