Le mouvement de la démocratie réelle en Espagne

 

Un premier bilan.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date

20 Mai 2011 – 1 Prairial 219

Auteur

Robin Goodfellow

Version

V 1.2

Sommaire

Sommaire. 2

1.     Préambule. 3

2.     Les évolutions récentes de la société espagnole. 4

3.     Quelques remarques sur la forme de la lutte. 7

4.     Les perspectives possibles et le rôle des révolutionnaires  11

 

1.         Préambule

Nous avons déjà insisté et notamment lors de la vague révolutionnaire inaugurée en Tunisie que, y compris dans les pays où l’ensemble de la bourgeoisie était plus ou moins directement au pouvoir, la question de l’approfondissement de la démocratie, de la révolution en permanence dans la perspective d’une démocratie poussée jusqu’au bout restait une composante essentielle de la stratégie révolutionnaire du parti communiste. A peine quelques mois après les révolutions tunisiennes et égyptiennes et alors que la lutte ouverte continue en Syrie, Libye, Yémen, tandis que les premiers pays cités restent en ébullition, les événements d’Espagne viennent renforcer notre analyse.

Dans notre premier texte sur les révolutions arabes[i] nous avions souligné que ces événements se passaient « au cœur de la méditerranée » signifiant par là l’approche de l’épicentre européen. La Grèce avait pris le chemin de la lutte avant même les événements dans le monde arabe, sans grand résultat mais sans que la capacité de lutte soit pour autant brisée[ii]. Les premières victoires de l’autre côté de la méditerranée ont relancé une perspective révolutionnaire qui promet d’embraser l’Europe.

Nous avions aussi pris l’exemple de la Grèce comme celui d’un récent retour à la démocratie dans un pays européen qui laisse entière la question sociale, nous aurions tout aussi bien pu parler de l’Espagne.

2.         Les évolutions récentes de la société espagnole

Au plan politique, après la mort de Franco en 1975, le pays vit une phase de transition plus ou moins agitée (voir la tentative de prise du Parlement par Tejero le 23 février 1981) qui trouve un de ses éléments de stabilité dans le rappel d’un héritier de la dynastie des Bourbons pour instaurer une monarchie constitutionnelle sur le mode britannique, le modèle républicain étant trop « dangereux » par rapport aux souvenirs de 1933 et de la guerre civile.

 

Dès 1982, les socialistes (PSOE) arrivent au pouvoir, avec Felipe Gonzalez, et, assez rapidement, montrent qu’en matière de corruption, de népotisme, de répression, d’affairisme et de grenouillages politiques louches, gauche et droite sont strictement équivalents.

 

L’enthousiasme de la fin des années 1970 pour la démocratie (manifestations monstres en Espagne lors de la légalisation des partis politiques, retour d’exilés célèbres comme le stalinien Carrillo, liberté de la presse, etc.) se voit assez rapidement douché. L’Espagne rejoint la moyenne des pays européens ; elle connaît également une alternance droite/gauche, avec une droite qui, de manière plus discrète que l’italienne, a su unifier ses fractions dures (ex franquistes) et modérées dans le Parti Populaire (PP).

 

L’histoire politique de ces dernières années est aussi marquée par une organisation des autonomies au niveau régional[iii], frôlant le fédéralisme, qui est ici et là évoqué comme une solution constitutionnelle d’avenir pour l’Espagne, notamment après l’éclatement de la Yougoslavie et le renouveau de la question nationale en Europe.

 

L’autre élément important, au plan politique et économique de cette évolution, est l’intégration à la communauté européenne, lors de l’extension de 1986 (Europe des douze), qui permettra à la bourgeoisie espagnole de moderniser les infrastructures économiques et de participer ensuite à la mise en place de l’Euro. Cette ouverture qui favorisera le retour de l’Espagne dans le concert européen fera aussi le bonheur des bourgeoisies européennes qui profiteront de la croissance de l’endettement et de l’ouverture de son marché intérieur à leurs exportations.

 

Sur le plan social, il s’agit d’une société qui a concentré en une dizaine d’années (de 1975 à 1985) une évolution des mœurs qui a couru sur environ 30 ans (depuis le début des années 60) dans les autres pays européens : ainsi c’est de manière quasiment simultanée que se votent le divorce, l’avortement, la dépénalisation des drogues douces, des lois contre les discriminations sexuelles, etc. tandis que le taux de fécondité s’effondre. Le sort des femmes, notamment, connaît une évolution extrêmement rapide (l’Espagne est un des pays où la parité est la mieux respectée), tout en se heurtant à un fonds de culture machiste aux conséquences parfois dramatiques dès lors qu’il s’agit de violences faites aux femmes et qui ont fait l’objet de dénonciations bien plus marquées que dans d’autres pays d’Europe (comme la France par exemple).

 

Dans cette évolution, appuyée sur un « miracle » économique qui a notamment fait décoller les régions les plus pauvres (Andalousie[iv], Murcie) grâce au développement d’une agriculture intensive (par ailleurs catastrophique sur le plan environnemental), l’Espagne connaît aussi une évolution culturelle qui la place au premier rang mondial dans plusieurs catégories (cinéma, art culinaire, patrimoine[v], sportif avec notamment les jeux olympiques de 1992 à Barcelone …). Le mouvement, connu au début des années 1980 comme la movida, diffuse une image positive de l’Espagne alors à la mode dans toute l’Europe.

Bref, il s’agit d’une entrée accélérée dans la modernisation capitaliste et dans la « mondialisation ».

 

Au nombre des changements notables on doit aussi signaler le rapide métissage ethnique et culturel de la société espagnole. Terre d’émigration, politique après la guerre civile et économique dans les années 1960[vi], l’Espagne est devenue une terre d’immigration. Il était rare de croiser des noirs dans les rues des villes espagnoles au début des années 1980, aujourd’hui les quartiers pauvres des grandes villes sont occupées par des africains, des maghrébins, des pakistanais et beaucoup de sud-américains (nombre d’entre eux ayant ré-émigré depuis la crise de 2008). Depuis 2000, une politique d’immigration importante semble avoir été mise en place pour faire face à la dénatalité[vii] – 600 000 immigrés par an en moyenne – en majorité d’Amérique latine, d’Europe occidentale (pour une bonne partie, une population de retraités européens qui cherche à finir sa vie au soleil) ou d’Europe de l’Est; en même temps beaucoup de jeunes espagnols diplômés recommencent à émigrer face à la pénurie de travail qualifié.

 

Mais cette « modernisation » n’a pas totalement détruit certains traits typiques de la culture espagnole comme la puissance de la société civile que notait déjà Marx dans les années 1850. Les « associations de voisins », les fêtes populaires[viii], la culture de la terrasse de café ou du banc public, de la « tertulia » (discussion publique sur un thème décidé à l’avance) restent extrêmement vivaces, de même que les solidarités familiales et intergénérationnelles, pour des raisons à la fois culturelles et historiques  (famille méditerranéenne) et économiques (la question du logement, particulièrement cruciale en Espagne[ix] oblige les jeunes, parfois en couple, à rester au domicile familial parfois bien au-delà de la trentaine[x]).

 

Au plan économique, la croissance de ces dernières années a notamment reposé sur la construction immobilière et s’est  accompagnée par la même occasion de la formation d'une bulle spéculative sur les valeurs immobilières tandis que la bourse doublait son indice en cinq ans après avoir atteint un point bas en 2002 à l’occasion de la crise précédente. Tout cela n’attendait que la crise pour crever et aggraver la dépression. Le niveau de l’endettement de l’état espagnol - bien qu’il soit en dessous de la moyenne de l’Union européenne -, une encore plus importante dette privée, l’ampleur de la crise dans le secteur immobilier conduisent à placer l’Espagne juste après le Portugal et la Grèce parmi les pays à haut risque comme le soulignent les agences internationales de notation.

 

Dans ce contexte, la crise de 2008 a durement atteint l’économie espagnole. Alors qu’elle avait ramené un taux de chômage historiquement élevé en dessous du taux français, la crise l’a porté à un niveau inconnu depuis longtemps et jetant dans le travail au noir de survie une fraction de la population qui par ailleurs a toujours eu un taux d’activité relevant de l’économie immergée, pour parler le politiquement correct, assez fort. Depuis cette crise, le pouvoir d’achat du prolétariat et des classes moyennes a subi de très violentes attaques et les mécanismes de protection sociale sont mis à mal, et contrairement à ce qui peut se passer en France avec le RSA, il existe maintenant des catégories de chômeurs qui ne touchent plus AUCUNE allocation, alors que c’est parfois toute la famille qui est au chômage.

 

Dans ces conditions, la grande atonie du prolétariat, des classes populaires et de la jeunesse espagnole restait une énigme pour un observateur superficiel de la croissance capitaliste espagnole. Mais aujourd'hui, alors que le capital (notamment par ses représentants politiques de gauche) doit brutalement transférer sur les seules épaules d'un prolétariat le paiement intégral d'une crise sévère, à nouveau le géant espagnol commence à laisser deviner sa puissance potentielle. Contrairement à la Grèce ou au Portugal, les journées de grève générale convoqués par les syndicats et les partis de gauche depuis trois ans n’avaient jamais fait recette, et les espagnols restaient souvent admiratifs de la capacité du prolétariat français à se mobiliser régulièrement à travers grèves et manifestations, même avec les insuccès que l’on connût (voir notre texte sur le mouvement des retraites).

 

C’est donc dans ce contexte, et dans une actualité pré-électorale[xi] (municipales prévues pour le 22 mai) que surgit le mouvement du 15 mai (15 M) et la « prise » des principales places du pays, à Madrid, Barcelone, Bilbao, Séville, en tout plus de 65.

 

 

3.         Quelques remarques sur la forme de la lutte.

Quelques remarques à chaud sur les formes concrètes de cette lutte

 

1.     Il s’agit bien, comme en sismologie, d’une réplique des révolutions arabes[xii]. L’onde de choc a traversé la méditerranée. Le mode opératoire est identique (occupation des places centrales dans les villes), l’utilisation des moyens de communication aussi (facebook, twitter), la référence est même parfois explicite (un des « quartiers » de la « cité » de la place de Catalogne à Barcelone est baptisé « place Tahrir »). Cette lutte s'est donnée une même expression politique  (les espagnols réclament la démocratie réelle – democracia real ya !). Enfin, cette lutte est portée par une profonde indignation populaire qui repose sur l’idée qu’il revient toujours aux travailleurs de payer les conséquences de l'enrichissement capitaliste, au delà des singularités nationales, culturelles et géopolitiques. Tout cela est directement lié aux expériences tunisienne et égyptienne.

2.     Face à ceux qui déploraient l'absence en Europe d'un soutien politique ostensible aux révolutions arabes, l'Espagne nous montre aujourd'hui qu'en termes de lutte des classes le meilleur et véritable soutien international à apporter à une lutte donnée est justement de s'y associer activement, de la reconnaître comme un moment d'une lutte commune, et de la faire sienne réellement en la poussant jusqu'au cœur des métropoles capitalistes. C'est en cela que réside la véritable expression politique de la solidarité prolétarienne, comme la Grève Internationale du 1er mai l'avait d'ailleurs démontré à une autre époque.

3.     Comme dans les pays arabes, mais de manière moins dramatique (cf. l’immolation par le feu de M. Bouazizi en Décembre 2010 en Tunisie), le mouvement est porté au départ par les jeunes diplômés[xiii], ou membres qualifiés de la classe moyennes, désespérés de ne pas trouver de travail et de galérer dans l’attente d’un logement. Alors qu’ils espéraient des dividendes de leur qualification, ils se trouvent parmi les premiers touchés par la crise et ses conséquences durables tandis qu’une poignée s’enrichit outrageusement.

4.     Ce mouvement démontre aussi la capacité puissante de mobilisation spontanée que possèdent les masses lorsque les circonstances l’exigent ou le permettent. On entend souvent, et a fortiori chez des militants, qui s’usent au quotidien dans l’animation des luttes que « les gens sont blasés, qu'ils ne réagissent plus, que c’est l’individualisme qui les surdéterminerait, etc. » Sans tomber d'un mysticisme à l'autre en montrant un optimisme béat, la plus élémentaire logique matérialiste montre que « quand c’est mûr, c’est mûr » et que l’atonie précédente, tant des classes moyennes que du prolétariat et en en particulier des éléments les plus jeunes, à laquelle nous avons fait référence plus haut, n'était que le prologue à un nouvel épisode de la lutte des classes dans cette aire.

5.     On notera comme élément encourageant, l’extrême rapidité avec laquelle la situation s’est cristallisée, à l’échelle de tout un territoire, même si Madrid reste la place la plus mobilisée[xiv]. Les nouvelles technologies de la communication en permettant une diffusion rapide et une liaison permanente contribuent grandement à cette mobilisation de même que leur usage renforce le potentiel propre à favoriser une démocratie directe

6.     Un autre élément important, est la circulation à l’échelle internationale des thèmes et des formes de mobilisation ce qui est d’excellente augure pour les luttes futures car la dimension internationaliste de cet épisode de la lutte des classes se manifeste formellement. On avait déjà noté que les manifestants britanniques du mois de mars criaient « Tous ensemble, tous ensemble ! » en français ; que le mot « dégage » avait été scandé dans tout le monde arabe à partir de la Tunisie ; ici l'appel à lutter d’un vieil humaniste et antifasciste français donne le ton (le mouvement s’intitule celui des indignados, à partir du « Indignez-vous » du pamphlet de Stéphane Hessel). Il peut aussi être porteur de tendances nationalistes via la critique de l’euro et le protectionnisme sous-jacent qui va avec.

7.     Le mouvement manifeste bien aussi la capacité des thèmes démocratiques à mobiliser et il confirme ce que nous avons avancé sur d'une part la possibilité toujours ouverte de parfaire la démocratie, mais sans jamais pouvoir l’atteindre complètement, et pour cause, dans le cadre des rapports de production capitalistes, et, d'autre part, de la tendance historique de la lutte des classes à dévoiler, à mettre à nu, l’antagonisme prolétariat bourgeoisie en relation avec l’approfondissement de cette démocratie. Sont ainsi apparues dans ce mouvement des revendications du type : abolition de la monarchie, séparation de l’église et de l’état, vote intégralement proportionnel, création d’une assemblée constituante, etc. Le catalogue du manifeste pour la Democracia real Ya ! énumère, à un niveau plus généraliste, ce qui devrait caractériser une société socialement plus « juste » :

-         « L’égalité, le progrès, la solidarité, le libre accès à la culture, le développement écologique durable, le bien-être et le bonheur des personnes doivent être les priorités de chaque société avancée.

-         des droits basiques doivent être garantis au sein de ces sociétés : le droit au logement, au travail, à la culture, à la santé, à l’éducation, à la participation, au libre développement personnel et le droit à la consommation des biens nécessaires pour une vie saine et heureuse.

-         Le fonctionnement actuel de notre système politique et gouvernemental ne répond pas à ces priorités et il devient un obstacle pour le progrès de l’humanité.

-         La démocratie part du peuple, par conséquent le gouvernement doit appartenir au peuple. Cependant, dans ce pays, la plupart de la classe politique ne nous écoute même pas. Ses fonctions devraient être de porter nos voix aux institutions, en facilitant la participation politique des citoyens grâce à des voies directes de démocratie et aussi, procurant le plus de bienfait possible à la majorité de la société, et pas celle de s’enrichir et de prospérer à nos dépens, en suivant les ordres des pouvoirs économiques et en s’accrochant au pouvoir grâce à une dictature partitocratique menée par les sigles inamovibles du PPSOE

-         La soif de pouvoir et son accumulation entre les mains de quelques-uns crée inégalités, crispations et injustices, ce qui mène à la violence, que nous refusons. Le modèle économique en vigueur, obsolète et antinaturel, coince le système social dans une spirale, qui se consomme par elle-même, enrichissant une minorité et le reste tombant dans la pauvreté. Jusqu’au malaise.

-         La volonté et le but du système est l’accumulation d’argent, tout en la plaçant au-dessus de l’efficience et le bien-être de la société ; gaspillant nos ressources, détruisant la planète, générant du chômage et des consommateurs malheureux.

-         Nous, citoyens, faisons parti de l’engrenage d’une machine destinée à enrichir cette minorité qui ne connaît même pas nos besoins. Nous sommes anonymes, mais, sans nous, rien de cela n’existerait, car nous faisons bouger le monde.

-         Si, en tant que société nous apprenons à ne pas confier notre avenir à une abstraite rentabilité économique qui ne tourne jamais à notre avantage, nous pourrons effacer les abus et les manques que nous endurons tous. Nous avons besoin d’une révolution éthique. On a placé l’argent au-dessus de l’Etre Humain, alors qu’il faut le mettre à notre service. Nous sommes des personnes, pas des produits du marché. Je ne suis pas que ce que j’achète, pourquoi je l’achète ou à qui je l’achète. » (Manifeste pour la démocratie réelle)

8.     On notera ici une influence évidente de tous les thèmes qui caractérisent les mouvements de protestation des classes moyennes contre le capitalisme, tels qu’ils ont pu s’exprimer à travers des mouvements comme Attac et autres altermondialistes, l’extrême-gauche « modernisée » type NPA, etc., le tout débité sur un ton de boy scout :

-         critique de la finance identifiée comme exclusif fauteur de la crise sociale.

-         critique de la direction de la société par l’argent sans remettre explicitement en cause les fondements de la société capitaliste (salariat, exploitation du travail productif)

-         appel au pacifisme et à la conscience « éthique »

-         écologie

 

Mais si nous n'observons pas le mouvement historique réel avec les lunettes du messianisme militant petit bourgeois de gauche, mais avec celles du communiste éclairé (savoir : fort de la théorie communiste : seule critique radicale du capitalisme ; et fort de l'expérience historique du prolétariat révolutionnaire) nous analysons la lutte des classes comme un processus historique naissant dans les entrailles de la société, dans ses rapports sociaux et avant tout dans sa production et sa reproduction, et pas unilatéralement dominée par les représentations idéologiques que ses protagonistes se font d'elle. Dans ce sens, la période où les luttes se concentrent sur la prise du pouvoir politique, lutte devenue consciente de ses buts et de ses moyens – la lutte formellement révolutionnaire du point de vue prolétarien - est le fruit d'un processus historique dont nous voyons aujourd'hui les données préliminaires se rassembler. Et l'optimisme ou le pessimisme petit bourgeois doit céder le pas à une analyse objective qui n'est ni optimiste – eu égard à la complexité de l'objectif révolutionnaire et à la gravité des enjeux pour les capitalistes – ni pessimiste (compte tenu de l'évolution réelle de la société notamment la réunion particulièrement explosive de forces productives gigantesques dans des rapports sociaux apparaissant de plus en plus étriqués) et dans laquelle naturellement la question du parti révolutionnaire occupe une place centrale. Ce que ne verra jamais – comme par hasard – le petit bourgeois investi d'une mission « éthique ».

9.     Le rejet total de toute représentation « politique » officielle. Le mouvement se structure par commissions, assemblées, les prises de parole sont libres. Clairement ce sont les deux partis de pouvoir officiels qui sont rejetés, mais cela va sans doute plus loin. C’est probablement une étape nécessaire dans le re-développement d’une conscience de classe, de passer par le rejet de tout ce qui existe, y compris des expressions politiques qui paraissent les plus radicales. Pour l’instant, le pouvoir et les autres partis politiques semblent complètement dépassés par la nature et l’ampleur de la contestation, montrant ainsi que le système ne dispose que de très peu de marges de manœuvre et ne pourra pas regagner de crédibilité.

4.         Les perspectives possibles et le rôle des révolutionnaires

Si notre schéma est le bon, ce passage par la revendication démocratique se heurtera, par la suite, aux dures réalités de l’heure et notamment au fait qu’aujourd’hui, en Europe, les conditions de vie d’une décence minimale (un travail, un logement, la santé, de l’éducation, des transports qui fonctionnent, des allocations pour qui ne travaille pas…) sont devenues une denrée rare (et vouées à se raréfier davantage), qui n’est plus automatiquement acquise par sa présence au sein de la « société de bien-être » ou « de consommation ». Pour ne rien dire évidemment d’un développement authentiquement humain au sein d’une communauté libre.

 

Il deviendra donc tôt ou tard évident que ce n’est ni la démocratie réelle, parfaite ou accomplie, ni un aménagement éthique du capitalisme qui suffiront à, non pas même améliorer, mais simplement maintenir à son niveau actuel les conditions de vie du prolétariat et des classes moyennes.

 

Dans cette dynamique, la nécessité d’un renversement complet du mode de production  et de son remplacement par une société communiste se fera jour, (mais elle ne sera jamais pleinement consciente que par une minorité de la classe, celle qui est organisée en un parti prolétaire révolutionnaire). De ce point de vue, une différence majeure avec les révolutions arabes réside dans le fait que la tradition du mouvement révolutionnaire est implantée en Espagne. Cela ne signifie pas grand-chose dans les faits eu égard notamment aux faiblesses politiques traditionnelles de ce milieu sur la question du parti révolutionnaire, mais sans doute une possibilité plus grande d’intervention politique. .

 

Dans tous les cas, la rapidité et l’ampleur de ce mouvement, son évident enracinement dans un mouvement révolutionnaire initié il y a moins de 6 mois dans les pays arabes, tous ces facteurs tendent à renforcer l’analyse selon laquelle nous serions entrés dans l’ouverture d’un cycle de luttes à l’échelle mondiale qui pourrait voir la réapparition du prolétariat révolutionnaire après plusieurs décennies de contre-révolution. Des crises majeures du système financier et productif international restant à venir, cette possibilité est à envisager avec sérieux. Le prolétariat est aujourd’hui uniquement l’aile gauche du mouvement démocratique, mais, en tout état de cause, il se doit de chercher à le pousser jusqu’au bout.

 

 

 



[i] « Les révolutions du monde arabe et leurs perspectives », 14 Février 2011 – www.robingoodfellow.info

[ii] Une grève générale a eu lieu le 11 mai 2011.

[iii] Ceci explique que les réactions aux occupations des places soient différentes selon les régions, chaque communauté autonome pouvant prendre ses propres mesures, tout en restant dans le cadre de la constitution nationale. Les manifestations étant en principe interdites le samedi 21 et le dimanche 22 mai (code électoral), les manifestants ont argué, avec un sens assez fin des arguties juridiques, que comme il ne s’agit pas de manifestations, et que les autorisations préalables n’ont pas été demandées, on ne peut pas évacuer les places par la force.

[iv] l’Andalousie fournit 25% des fruits et légumes consommés en Europe

[v] Musée de Bilbao par exemple

[vi] Il y a, à la manière italienne, une immigration interne du Sud vers le Nord, occasionnant un véritable racisme anti-immigrés, et une immigration externe vers la France (foyer « d’accueil » déjà d’une bonne part de républicains, notamment dans le Sud, Toulouse, etc.), la Belgique, l’Allemagne…

[vii] En 1998, les naissances excèdent les décès d’à peine 5 000 personnes. Le solde est maintenant d’environ 100 000, nombre qui est du même ordre de grandeur que le nombre des naissances dont la mère est une femme étrangère.

[viii] Ce goût de la fête, pour ce qui concerne la jeunesse, a été revisité avec la mode du « botellon » ; il s’agit de grandes concentrations de jeunes, qui le samedi soir « prennent la rue » pour boire (le plus souvent avec excès), sans avoir à acquitter le prix prohibitif des bars et discothèques. L’un des slogans de la Puerta del sol est « NO ES BOTELLON ! ES LA REVOLUCION »

[ix] Surfréquentée par les touristes depuis les J0 de 1992, Barcelone, par exemple, est devenue une des villes les plus chères d’Europe, voire du monde, en termes de logement, ceci avant la crise immobilière. D’un autre côté, l’Espagne qui a construit plus de logements que ne croissait le nombre des ménages et plus que la France et l’Allemagne  réunies laisse avec la crise des millions de logements vides. Tournés vers l’accession à la propriété privée, la solution bourgeoise traditionnelle à la question du logement, ces programmes immobiliers induisent une faible offre locative, peu de loyers modérés ou de logements sociaux, ce qui rend la question du logement plus aiguë pour les jeunes dont les étudiants.

[x] L’Espagne est aussi, nous l’avons vu, avec l’Italie, l’un des pays d’Europe où la baisse de la natalité est la plus forte, ce qui constitue, là encore, en l’espace de deux générations, un changement culturel considérable.

[xi] Un témoin à l’époque déjà interpellé : à la suite de l’attentat de la gare d’Atocha en 2004, le gouvernement de droite (PP, premier ministre Aznar) annonce immédiatement la culpabilité de ETA. La « société civile » se rebiffe immédiatement contre ce « mensonge d’Eta(t) » et des centaines de milliers de gens descendent dans la rue, à la fois pour protester contre l’attentat, mais surtout pour demander « la vérité » et fustiger l’attitude opportuniste du gouvernement. Dans la foulée, c’est la gauche (PSOE Zapatero) qui reviendra au pouvoir, mais d’une certaine manière par accident, car elle n’était pas prête. Les espagnols ont surtout « dégagé » la droite alors. J’y avais vu un mini épisode de « révolution démocratique ».

[xii] Une autre source « d’inspiration » importante de ce mouvement est l’initiative des islandais, qui ont collectivement refusé le paiement de la dette.

[xiii] Au tout début, le mouvement tunisien est déclenché par les diplômés intermédiaires, les « bacheliers », des zones excentrées et des cités populaires des grandes villes.

[xiv] Au 20 mai au soir, l’expansion internationale, qui est une hypothèse tout à fait ouverte notamment dans le bassin méditerranéen semble réelle mais minoritaire. Elle concerne surtout les communautés espagnoles à l’étranger qui ont organisé des manifestations de solidarité, comme à Paris le 19 mai. Sur la péninsule, une jonction avec le mouvement ouvrier portugais qui a été assez actif dans les manifestations contre l’austérité serait un signe fort. On peut penser que la Grèce, l’Italie, suivent de très près ce qui se passe en Espagne.