Espèce Humaine et Epidémies

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date

2023

Auteur

Robin Goodfellow

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Version 1.0

 

 


Sommaire

 

1.          Présentation... 3

2.         La dialectique de l´Homme et la Nature.. 5

2.1       La relation de l’Homme et de la Nature : il n’y a pas de divorce entre l’Homme et la nature. . 5

2.2       La vie, la conscience sont des propriétés de la nature. 11

3.         Conséquences imprévues de l’action de l’Homme sur la nature   18

3.1       Actions réciproques entre l’Homme et la nature. 18

3.2       La bourgeoisie continue de réformer la société. 25

4.         Virus et dialectique.. 30

4.1       Les virus et la dialectique, le vivant et les origines de la vie. 30

4.2       Multiplication virale. 47

4.3       Les virus ne sont pas forcément dangereux. 51

5.         Mathématisation des études sur la diffusion des maladies contagieuses. 54

5.1       Difficultés pour la prédiction de la propagation des maladies infectieuses. 55

5.2       Petit historique de la modélisation mathématique en épidémiologie. 57

5.3       Avons-nous besoin d’une multitude de modèles ?. 64

6.         La société communiste ne sera pas exempte des menaces virales  70

 

1.           Présentation

Au long de son histoire, l’espèce humaine a subi nombre d’épidémies dévastatrices ; par exemple, les maladies épidémiques du néolithique, la peste d’Athènes, l’épidémie de variole dans l’Empire Romain et l’Egypte, la peste noire au Moyen Âge, la grippe espagnole, le typhus dans la révolution russe … Si les communautés primitives ont subi des maladies infectieuses, la contagion était limitée du fait de l’isolement relatif des communautés. Cependant, dès le néolithique, la domestication des animaux modifie leur relation avec l’espèce humaine. L’accroissement de la productivité de l’agriculture permet la création de villes tandis que les différenciations sociales s’exacerbent et que des classes sociales aux intérêts antagoniques se forment. Les premières épidémies apparaissent alors en relation avec les sociétés de classes ; les intérêts immédiats des classes dominantes sont devenus le moteur de la production. Elles agissent sans se soucier des conséquences indirectes et futures de leurs actions sur la nature. La pandémie liée au COVID19 n’est donc pas un phénomène spécifique au mode de production capitaliste[1], mais celui-ci amplifiait dramatiquement ses conséquences sur l’ensemble de la planète.

 

Cette épidémie a révélé, aux yeux de tous, l’incurie et l’incompétence des bourgeoisies nationales à maîtriser la situation. Au lieu d’une coordination globale, s’imposaient la concurrence, les pressions, les mensonges que se font les Etats bourgeois et l’impuissance totale des organismes internationaux censés représenter « l’intérêt commun et la solidarité des nations » (OMS, ONU…). Dans la plupart des pays, le prolétariat a assisté à l’incapacité de la bourgeoisie à diriger le système de santé et à prendre en charge rationnellement la protection des populations, malgré les immenses progrès de la médecine au XXe et XXIe siècles. Tous les gouvernements, quels que soient leurs orientations idéologiques, ont cherché avant tout à préserver les rapports sociaux et politiques qui permettent la production d’un maximum de plus-value et la soumission du prolétariat à l’ordre bourgeois. Les mesures d’exception qui étaient prises, au nom de la sauvegarde de la santé des populations préparaient aussi, et à grande échelle des mesures durables d’aggravation des conditions d’existence de ces populations, en termes de revenus, de temps de travail et de chômage, et de régression des libertés démocratiques tout en développant de nouvelles méthodes de domination du prolétariat. La classe dominante prend les devants pour faire payer au prolétariat les frais de cette crise, en faisant tout pour l’immobiliser dans sa réaction de classe, alors même qu’avant l’épisode du coronavirus, la lutte des classes à l’échelle mondiale s’intensifiait.

 

Cette épidémie éclatait alors que le mode de production capitaliste était sur la fin d’un cycle – le plus long cycle de son histoire moderne – et que la société bourgeoise était grosse d’une nouvelle crise de surproduction plus menaçante que la dernière crise de 2008-2009.

Devant cette perspective, les bourgeoisies des pays avancés ont déployé, bien avant l’éclatement de la crise sanitaire, toutes les ressources de la politique monétaire et budgétaire pour tenter de l’enrayer. Cette crise épidémique intervenait avant l’explosion de la crise de surproduction et précipitait prématurément la dévalorisation d’une partie du capital. Une très grande partie de la production et de la circulation des marchandises était soudainement arrêtée tandis que le capital fictif chutait considérablement ; les dévalorisations réalisées ont différé la crise de surproduction et pour autant qu’elles aient été suffisamment importantes ont mis fin au onzième cycle de l’après-guerre (selon notre numération) avec l’aide d’une politique de soutien massive.

De toutes façons, qui paye la facture de l’endettement sans précédent de tous les Etats paniqués à l’idée de l’effondrement de la société bourgeoise ? Principalement, le prolétariat, qui voit son exploitation renforcée pour produire un maximum de plus-value et permettre la valorisation du capital, fortement dévalorisé par cette crise, et supporter le poids dela dette publique.

 

Tandis que l’épidémie continue tout en ayant une accalmie et que la bourgeoisie considère que cela ne lui pose plus de problèmes politiques, les prémisses d’une troisième guerre mondiale se mettent en place. A la fois contre-coup de la défaite du « socialisme réel », c’est-à-dire du capitalisme à l’Est de l’Europe et première remise en cause fondamentale de l’ordre impérialiste dominé par les Etats-Unis, la guerre en Ukraine est devenue un champ clos où par l’intermédiaire du peuple ukrainien s’expriment les rivalités inter-impérialistes et sont un premier pas dans la polarisation des forces qui déboucheront sur un troisième conflit mondial. La bourgeoisie de l’Europe de l’Ouest, bien qu’elle soit loin d’avoir une politique unanime, est conduite dans l’urgence à un réalignement de ses forces qui la conduit à imposer des mesures d’austérité au prolétariat tout en augmentant ses dépenses d’armement tandis que la dette publique et la charge des intérêts augmentent. Une inflation difficilement contrôlable sur le court terme, mais cette inflation – à un niveau moindre - a longtemps été recherchée sans succès, en est une conséquence tandis que des pénuries s’installent.

 

C’est bien dans les grandes crises mondiales que se révèle toujours le caractère tragique de la division en classes. Le mode de production capitaliste, dernier mode de production basé sur les classes sociales, révèle à cette occasion combien il a fait son temps, et combien son renversement par la classe exploitée, le prolétariat mondial, est le seul objectif qui peut faire sens devant les conséquences de sa domination. Pourtant, depuis sa défaite dans les années 1920, le prolétariat a disparu comme classe indépendante. Si par la suite, il a pu émerger au sein des révolutions qui ne dépassaient pas les limites bourgeoises, pour autant qu’elles fussent radicales, il n’a pas réussi à s’y affirmer comme classe. Certes, la capacité politique du prolétariat dépend des circonstances, de son degré de préparation et de son énergie pour s’organiser de façon indépendante à l’échelle internationale, mais sa capacité historique est permanente, parce qu’elle est inscrite au cœur même du rapport social qui caractérise le mode de production capitaliste. Pour préserver cette capacité quand les rapports de force lui sont défavorables, il faut que le prolétariat, sous le drapeau de la révolution en permanence, trouve un moyen de coopération internationale qui lui permette de se défendre au mieux pour protéger ses conditions d’existence tout en se préparant à former un parti politique indépendant et opposé à tous les autres partis de la société bourgeoise.

 

Robin Goodfellow – Février 2023

 

 

 

 

 

2.          La dialectique de l´Homme et la Nature

La pandémie liée au COVID19 et la surréaction qu’elle a provoquée dans nombre de pays, ont favorisé le discours écologiste. Selon cette interprétation, l’activité humaine en s’attaquant à la nature sauvage, notamment à travers la déforestation, et en particulier celle des forêts tropicales, en viendrait à perturber des écosystèmes qui auparavant étaient équilibrés et expose l’Homme à de nouveaux virus qui le menacent[2]. Dans le même ordre d’idée, par exemple, le réchauffement climatique menace de libérer des virus enfouis dans le permafrost sibérien qui peuvent se révéler particulièrement néfastes pour l’Homme. Aux thèses religieuses qui voient dans les catastrophes un fléau de Dieu pour punir les hommes de leurs péchés ou une manifestation du démon, un nouveau mysticisme y voit une vengeance de la Nature saccagée pour le plus grand prédateur de tous les temps : l’Homme.

 

2.1             La relation de l’Homme et de la Nature : il n’y a pas de divorce entre l’Homme et la nature

L’Homme devrait donc s’arrêter à la lisière de la forêt, ne pas y toucher, la laisser vivre sa vie pour que la biodiversité puisse s’épanouir. Cette biodiversité, dont on ignore la plus grande partie[3], supposée implicitement chargée de bienfaits pour l’Homme puisqu’il doit la protéger, se révèle alors une terrible menace porteuse de calamités. Mais la petite-bourgeoisie démocratique n’en est pas à une contradiction près. Il est vraisemblable que cette argumentation qui, de fait, met en exergue les dangers de la biodiversité, vient en soutien et en substitution de l’argument selon lequel la forêt vierge tropicale était une composante essentielle de la lutte contre le réchauffement climatique en séquestrant du carbone. Las, les études ont montré que ces forêts étaient bien un poumon de la planète dans le sens où, comme le poumon, elles rejettent du gaz carbonique. Les forêts, toutes choses égales par ailleurs, n’emmagasinent du gaz carbonique que quand elles poussent ; les arbres morts qui pourrissent finissent par libérer le carbone qu’ils ont stocké. Une forêt « vierge » ou autre forêt « primaire » (concept dont on peut douter de la réalité effective) si nous raisonnons abstraitement serait donc neutre[4], la production nouvelle serait compensée par la mort d’autres arbres. Il faut donc la main de l’Homme qui doit exploiter le bois pour que, sous diverses formes (meubles, matériaux de construction, pâte à papier, chauffage, …), le bois stocké et utilisé en dehors de la forêt augmente, tandis que celle-ci, par le choix des espèces en fonction des besoins est gérée plus rationnellement (aujourd’hui dans les limites de la production capitaliste et de la propriété privée, qui sont autant d’obstacles à une telle gestion et que la petite-bourgeoisie démocratique se garde bien de critiquer autrement que sous la forme mystificatrice de l’adjectif productiviste, intensif ou industriel)) et voit sa pousse favorisée. Reste la question de l’enfouissement de ce carbone dans le sol ; sa sédimentation (charbon, pétrole, kérogène, roches sédimentaires, etc.). Le sol retient effectivement beaucoup plus de carbone que la biomasse. D’une part, les forêts tropicales sont les moins efficaces de ce point de vue. Il y a comme une relation entre la biomasse et le carbone stocké dans le sol. Plus la biomasse prend de l’importance, moins le sol stocke de carbone. D’autre part, les forêts ne sont pas les seuls terrains où on stocke du carbone ; les prairies et autres terres agricoles en conservent également et souvent plus que les forêts[5].[6]

 

Hier, la peur du loup et de forces mystérieuses au sein des forêts hantaient l’imaginaire occidental, aujourd’hui c’est l’atteinte à la biodiversité, la menace des virus du fait du contact avec la faune sauvage. Comme si l’Homme n’avait pas été, de tout temps, en contact avec la faune sauvage ! qu’est-ce-donc d’autre que la chasse ou la pêche ? De plus, comme l’ont montré de nombreuses images, insolites[7] ou non, si l’Homme se tient éloigné de la nature, celle-ci se rapproche de l’Homme[8]. N’oublions pas non plus, comme nous l’avons rappelé, que la majeure partie des épidémies qui ont comme vecteur l’animal vient des animaux domestiqués[9]. Et que dire alors des populations qui vivent au milieu de ces forêts et dont la petite bourgeoisie démocratique prend volontiers la défense. Elles furent plus facilement décimées par les virus européens que par ceux qu’elles auraient pu rencontrer au contact de la faune sauvage locale qu’elles consomment par ailleurs[10]. La consommation d’animaux sauvages par les Chinois aura permis, par la même occasion, un déferlement de commentaires condescendants, y compris chez les mangeurs de grenouilles, d’escargots et d’ortolans, sur les pratiques culinaires chinoises[11].

 

Il n’y a pas de divorce, de fossé, entre l’Homme et la nature, comme le suppose la pensée métaphysique ; la nature n’est pas un système stationnaire et harmonieux opposé à un homme en mouvement qui la saccage. Bien au contraire, l’espèce humaine et son histoire sont la manifestation du devenir de la nature. Selon la théorie marxiste, sur la Terre, l’Homme en tant qu’espèce est l’animal « (…) vertébré dans lequel la nature prend conscience d’elle-même. » (Engels, Dialectique de la nature, Editions sociales, p.41). « L’Homme fait de son activité vitale elle-même l’objet de sa volonté et de sa conscience. Il a une activité vitale consciente. (…). L’activité vitale consciente distingue immédiatement l’Homme de l’animal. C’est par là seulement qu’il est un être générique. Autrement dit, il est un être conscient, et sa propre vie est pour lui un objet précisément parce qu’il est un être générique. » (Marx, Manuscrits parisiens de 1844, Pléiade, Economie, T.2, p.63)

 

Et l’Homme comme espèce - tout comme l’ensemble du monde inorganique et organique, et toutes les espèces (micro ou macro-organismes) connus ou encore inconnus, actuels ou disparus (c’est la partie et de très loin, la plus importante) – est le produit du devenir de la nature et de ses lois ; lois que l’Homme s’efforce de connaître pour les mettre à son service.

 

Pour le marxisme, l’Homme est donc une des formes par laquelle la nature est parvenue à la conscience d’elle. L’humanisation de la nature ; l’Homme redessine le paysage, cultive les champs, plante les arbres, les coupe, entretient le sous-bois, bref gère les forêts, arase les collines, perce les montagnes, détourne les fleuves, assèche  les marais, conquiert des territoires sur la mer, sélectionne et crée des espèces, sauve des variétés qui seraient étouffées dans la nature, fait des greffes, croise des variétés et des espèces, modifie génétiquement les organismes, …, s’accompagne de la naturalisation de l’Homme ; l’appropriation empirique ou théorique des lois de la nature[12] lui permet de les faire agir pour son usage et permet à l’Homme de se doter de capacités qu’il n’avait pas à l’origine. Par exemple, il peut désormais voler, vivre sous l’eau, voir au-delà et en deçà de son œil, … nous pourrions multiplier à l’infini les qualités naturelles qu’il a incorporées ou celles qu’il a développées en allant au-delà même de ce que pouvait faire la nature par elle-même en découvrant ses lois et les mettant à son service ; la nature elle-même, dans la mesure où l’Homme en est une composante et qu’il la façonne, élargit ses caractéristiques. Pour exister à ce niveau de complexité et pour évoluer vers une complexité encore plus importante, la nature a toujours plus besoin de l’action de l’Homme[13]. Comme la conscience est une propriété de la nature, le marxisme n’a jamais placé l’Homme au centre du monde, mais comme une des manifestations de la conscience supérieure de la nature et donc, dans ce mouvement, il admet que, ailleurs ou demain, le mouvement de la nature conduise celle-ci à la conscience d’elle-même par d’autres voies que celle de l’Homme. Il montre aussi à quel point cette nature est d’un « rendement » dérisoire. Combien de matière inorganique, d’espaces infinis, de galaxies, combien de temps, pour arriver à la production d’une quantité infime de matière organique et encore plus infime de sensibilité et de conscience. Quant à la nature consciente d’elle-même, telle que nous la connaissons, elle est encore plus dérisoire, aussi bien dans le temps comme dans l’espace, du point de vue quantitatif[14].

 

Avec le mode de production capitaliste ce processus d’humanisation de la nature et de naturalisation de l’Homme prend un tel essor, sous la forme d’une exploitation généralisée de l’Homme et de la nature, que, par rapport à lui, les autres formes de production paraissent limitées[15].

 

Précédent la conception matérialiste de la dialectique de la nature, figure la conception idéaliste de la dialectique de la nature de Hegel. Selon celle-ci, « La nature est à considérer comme un système de degrés, dont chacun provient nécessairement du précédent, non cependant de telle manière que l’un serait naturellement engendré par l’autre, mais dans l’idée intérieure, celle qui constitue le fondement de la nature »[16] Si bien que « Hegel considère la nature comme une manifestation de l’« Idée » éternelle dans l’aliénation » (Engels, Dialectique de la nature, Editions sociales, p.207) (A voir)

 

Hegel était tombé dans l’illusion de concevoir la nature (le réel) “comme le produit de la pensée qui partant d’elle-même ; s’approfondit en elle-même et se meut pour soi » (Marx, Contribution à la critique de l’économie politique, Editions Sociales, p. 166). Cependant, ce processus de connexion universelle, anticipé par Hegel, n’a pu être compris complètement que par la conception matérialiste de la nature[17]. Selon celle-ci, le devenir de la nature, son mouvement, ses formes et ses contradictions ne peuvent être compris qu’à travers les lois de la dialectique dont les principales sont[18] : « (la) conversion de la quantité en qualité, - (la) pénétration réciproque des contraires polaires et conversion de l’un en l’autre quand ils sont poussés à l’extrême, - (le) développement par contradiction ou négation de la négation, - (la) forme spirale du développement. » (Engels, Dialectique de nature, Editions Sociales, p.25)

 

Dans une lettre à Marx en date du 14 juillet 1858, Engels s’étend sur les progrès considérables des sciences de la nature au cours des trente dernières années. Dans le cas de la physiologie, pour laquelle il souhaite vérifier si Hegel n’avait pas anticipé certains aspects des nouvelles découvertes, il met notamment en relief, le développement considérable de la chimie organique et tout particulièrement la découverte de la cellule. « On a obtenu grâce à ce dernier [le microscope NDR] des résultats encore plus importants que par la chimie ; mais ce qui principalement révolutionne toute la physiologie et rend enfin possible une physiologie comparée, c’est la découverte de la cellule, de la cellule végétale par Schleiden, de la cellule animale par Schwann (vers 1836). Tout est cellule. La cellule est l’être-en-soi hégélien. Son développement lui fait rigoureusement parcourir le procès hégélien : il en sort à la fin l’« Idée », l’organisme chaque fois entièrement achevé. » (Engels, Lettre à Marx, 14/07/1858, Lettre sur les sciences de la nature, Editions sociales, p.17)

2.2             La vie, la conscience sont des propriétés de la nature

Du point de vue matérialiste, il a bien fallu que l’organique naisse à partir de l’inorganique et inversement, que l’organique comme l’inorganique soient des formes de manifestation de la nature[19]. La différence entre les substances organiques et inorganiques réside dans le fait que les premières ont une composition chimique basée sur le carbone comme élément substantiel. C’est pour cela que la chimie organique[20] est aussi appelée chimie des composés du carbone. En leur sein, le carbone est combiné avec d’autres éléments comme l’hydrogène, l’oxygène, l’azote, etc. La diversité des substances organiques est déterminée par la structure chimique de ses éléments constitutifs. Et la matière organique est la médiation nécessaire pour que s’accomplisse le saut qualitatif de la matière inorganique au vivant.[21]

 

Engels était parfaitement conscient de cela tout comme des difficultés rencontrées pour y parvenir compte tenu d’une part, et en dépit des progrès importants qu’il signalait dans la lettre citée plus haut, du fait des limites de la connaissance et d’autre part du constat - sous-estimé[22] - que la nature connue avait mis des millions d’années pour parvenir à effectuer ce saut. Qui plus est, au-delà des réalisations de la chimie organique laquelle depuis la synthèse de l’urée avait pris un rang officiel parmi les branches de la chimie, ce qui était important était de fournir les bases du protoplasme, le contenu de la cellule.

 

Le mouvement est le mode d’existence de la matière et les diverses formes du mouvement supposent des différences qualitatives qui constituent autant de champs scientifiques[23]. Engels concluait que les sciences qui sont concernées par le mouvement de la vie n’étaient pas assez développées pour qu’il puisse se livrer à une étude approfondie des formes du mouvement organique[24]. Ces dernières, du fait de leur complexité, supposent, encore plus que pour les autres, la maîtrise de la pensée dialectique. Cet aspect explique, pour une part, le retard des sciences du monde organique par rapport aux autres sciences[25] ;. en même temps, pour autant que le développement des sciences puisse servir de marqueur du développement des forces productives et des évolutions de la production capitaliste, nous devons considérer que, du point de vue de son évolution comparée aux autres sciences, le capital est entré dans sa phase biologique, c’est-à-dire que cette science a atteint un tel essor qu’elle s’incorpore toujours plus au développement des forces productives et devient un facteur puissant qui vient s’associer et relayer les autres sciences dans la recherche du maximum de plus-value. Ces développements fournissent aussi les matériaux qui devraient permettre cette étude des formes du mouvement organique qu’Engels avait laissé de côté, gage d’un approfondissement de la pensée dialectique.

 

Pour Engels, « expliquer la naissance de la vie à partir de la nature inorganique (…) ne signifie pas autre chose que produire des albuminoïdes à l’aide de substances non organiques.” et “Dès que sera connue la composition des corps albuminoïdes, elle [la science, la chimie NDR] pourra procéder à la production de l’albumine vivante.” [un résultat] “que la nature elle-même ne réussit à réaliser que dans des circonstances  très favorables, sur quelques corps célestes au bout de millions d’années.” (Engels, Dialectique de la nature, Editions sociales, p.198)[26]

 

Toujours selon Engels : “Partout où nous rencontrons la vie, nous la trouvons liée à un corps albuminoïde, et partout où nous rencontrons un corps albuminoïde qui n’est pas en cours de décomposition, nous trouvons aussi, immanquablement, des phénomènes vitaux.” (Engels, Anti-Dühring, Editions sociales, p.112)

 

Il est utile de rappeler ce qu’Engels entend par albumine et corps albuminoïdes : « On prend ici le corps albuminoïde au sens de la chimie moderne, qui rassemble sous ce nom tous les corps composés de façon analogue à l'albumine ordinaire, et appelés aussi substances protéiques. Le nom est maladroit, parce que, de toutes les substances qui lui sont apparentées, l'albumine ordinaire joue le rôle le moins vivant, le plus passif, étant, à côté du jaune d'œuf, uniquement substance nutritive pour le germe qui se développe. Cependant, tant qu'on n'en sait pas plus long sur la composition chimique des substances albuminoïdes, ce nom est encore le meilleur, parce que plus général que tous les autres. » (Engels, Anti-Dühring, p.51).

 

Engels connaissait donc le concept de protéine ou ses apparentements. Ce n’est pas étonnant puisque leur découverte date de 1835 par le Néerlandais Mulder, sous le nom de wortelstof, la matière racine. Son collègue suédois, Berzelius lui suggéra en 1838 d’employer le terme protéine, formé à partir du grec ancien protos, premier, essentiel[27]. Engels préférera en rester à un terme plus général pour désigner les composants de base du protoplasme.

 

Engels voit la naissance de la vie comme un chimisme poussé à son terme et par conséquent doté d’un saut qualitatif[28]. La synthèse dans la nature des substances organiques à la base de la vie était une condition préalable à l’apparition de la vie et leur synthèse par l’Homme la démonstration qu’il en avait bien été ainsi dans la nature. La philosophie des savants vitalistes qui pour certains visait à accorder la chimie et la bible[29] reculait puis sombrait devant les progrès de la synthèse des produits organiques[30]. Au-delà encore, pour Engels, l’aboutissement de ce processus devait être la reproduction de la vie en laboratoire.

 

Les travaux entrepris par la chimie organique pendant les XIXe et XXe siècles permirent de réaliser la synthèse de substances caractéristiques des organismes comme les sucres et les graisses, les pigments végétaux. Et au milieu du XXe siècle on synthétisa des corps complexes comme les vitamines, les antibiotiques ou les hormones et en ce début de XXI siècle, des avancées considérables dans le développement de la biochimie[31] ont été accomplis. Le deuxième quart du XXe siècle n’était pas entamé que le biochimiste russe Alexandre Oparine[32], émet l’hypothèse selon laquelle des molécules organiques ont pu se former par l’action du soleil, des éclairs et des volcans sur une atmosphère primitive disposant d’une composition particulière. A peine plus tard et indépendamment du premier, le biologiste J.B.S. Haldane[33] émet une théorie similaire. Au début du troisième quart du XXe siècle, Stanley Miller, un élève du chimiste Harold Urey, compose un dispositif formalisant la théorie de Oparine/Haldane et parvient à créer des composés organiques dont, dans une très faible proportion, des acides aminés primitifs. La chimie des molécules permettant l’émergence de la vie, la chimie prébiotique, disposait désormais d’une assise solide. Les protéines[34] étant une combinaison complexe d’acides aminés, la soupe primitive de Miller en était encore loin et tout laisse penser que la composition de l’atmosphère primitive ne correspondait pas à celle de l’expérience. Mais il était démontré que dans son propre mouvement la nature pouvait engendrer à partir de la nature inorganique des composants essentiels de la vie. Le chemin vers la reproduction de la vie n’en était pas pour autant complètement parcouru et les recherches en biologie ont montré que la complexité était bien plus grande que celle escomptée par Engels. Cependant de nombreux projets se donnent pour objectif, non seulement de reproduire la vie, qui du point de vue du marxisme précède la cellule (comme nous verrons dans la section 4.1), mais de produire une cellule artificielle, la vie du point de vue de la science mainstream, et un tel succès sera un nouveau triomphe de la pensée dialectique et on ne pourra que s’incliner devant les anticipations d’Engels[35].

 

Dans une perspective marxiste, la vie est une des propriétés de la nature, une de ses formes de manifestation. Elle est certes le résultat de la nature tout entière mais suppose l’existence de “conditions déterminées, données par tout l’enchaînement de la nature”. Dans son évolution elle conduit à la conscience d’elle-même dont l’Homme est une des manifestations.

 

« Jusqu'ici la science de la nature, et de même la philosophie, ont absolument négligé l’influence de l’activité de l’homme sur sa pensée. Elles ne connaissent d'un côté que la nature, de l’autre que la pensée. Or, c'est précisément la transformation de la nature par l’homme, et non la nature seule en tant que telle, qui est le fondement le plus essentiel et le plus direct de la pensée humaine, et l'intelligence de l’homme a grandi dans la mesure où il a appris à transformer la nature. C'est pourquoi, en soutenant que c'est exclusivement la nature qui agit sur l’homme, que ce sont exclusivement les conditions naturelles qui partout conditionnent son développement historique, la conception naturaliste de l'histoire - telle qu'elle se manifeste plus ou moins chez Draper et d'autres savants - est unilatérale et elle oublie que l’homme aussi réagit sur la nature, la transforme, se crée des conditions naturelles d'existence. » (Dialectique de la nature p.233)

 

La médiation entre l’homme et la nature s’accomplit à travers le processus de travail. Par le travail, l’homme agit sur la nature sensible extérieure, la transforme et transforme sa propre nature, mais « en agissant sur la nature extérieure et en la modifiant par ce mouvement, il modifie aussi sa propre nature. Il développe les potentialités qui y sont en sommeil, et soumet à sa propre gouverne le jeu des forces qu'elle recèle. » (K I Sec. 3 Chap. V, PUF (4e Ed.) p. 199-200) Par cette action l’Homme domine la nature, c'est-à-dire qu'il modifie la forme du naturel et en même temps matérialise dans le naturel son propre objectif basé sur ses besoins en tant qu'espèce. Par ce mouvement de domination, il modifie le naturel selon sa propre volonté et il subordonne sa volonté au but de son propre travail à savoir produire les valeurs d'usage nécessaires et les forces productives matérielles qui constituent le contenu matériel de la richesse et le fondement matériel de sa propre existence en tant qu'espèce.

 

En résumé, l'action de l’Homme sur la nature est l'action de la nature sur elle-même. L’Homme, la société humaine, est la conscience de soi de la nature. Il déploie ses forces productives comme organes historiques et la nature est le fondement de son propre développement. La nature elle-même, transformée, augmentée, humanisée ne peut se maintenir et progresser que par l’action consciente qu’elle exerce sur elle-même par la médiation de l’esprit pensant dont l’Homme est une instance, une réalisation spécifique[36]. Il n'y a donc pas d'opposition en soi entre le développement des forces productives matérielles de la société humaine et la nature, comme le proclament les défenseurs malthusiens de l'ordre bourgeois régnant : les écologistes. Au contraire, ce processus de travail est une partie organique de la métamorphose et des changements de la nature. En prenant conscience d’elle-même s’ouvre le passage de l'histoire naturelle à l'histoire de l'humanité.


 

3.          Conséquences imprévues de l’action de l’Homme sur la nature

Depuis ses origines, l’Homme est dans l’incapacité de contrôler le déchaînement des phénomènes naturels qui menacent sa vie. Au cours de son histoire, avec le développement des forces productives, de la technologie et de la science, l’Homme a dû se confronter avec la nature et se défendre collectivement contre ses changements imprévus[37].

 

3.1             Actions réciproques entre l’Homme et la nature

Tous les modes de production reposant sur la division de la société en classes sociales antagoniques ont connu des épidémies. Mais les sociétés de chasseurs cueilleurs avaient aussi des maladies infectieuses (rougeole, typhus, malaria, tuberculose transmise par les oiseaux, etc.). La contagion a été limitée du fait de l’isolement relatif des petites communautés. La situation va se modifier avec la période appelée néolithique.

 

Dès le néolithique, la domestication des animaux et de leur cohabitation avec l’espèce humaine modifie leur relation. La démographie humaine connaît une croissance importante, si bien que les accroissements de population du XXe et XXIe siècle ont été comparés à ceux de la « révolution néolithique ». L’accroissement de la productivité de l’agriculture permet la création de villes tandis que les différentiations sociales s’exacerbent et que des classes sociales aux intérêts antagoniques se forment. Les premières épidémies apparaissent alors. Quant à leurs effets, elles ont des répercussions jusqu’à nos jours en ayant sélectionné des individus plus aptes à faire face à des épidémies[38].

 

Des épidémies (étymologiquement « sur le peuple »), d’autres sociétés en ont connu. Vers la fin du Ve siècle avant JC, Thucydide relate, en écartant mythes et rumeurs, une épidémie dont il a failli mourir. Elle fera, de 430 à 426 avant JC, plusieurs dizaines de milliers de morts, dont Périclès, le stratège de la cité, à Athènes. Cela représentait un quart à un tiers de la population. Le mal débarque au Pirée, le port d’Athènes. La « peste d’Athènes » est, selon l’hypothèse la plus fréquemment retenue sur un sujet aussi délicat que les diagnostics rétrospectifs, une épidémie de typhus dont le vecteur est le pou.

 

Dans l’Empire romain, la « peste de Justinien » transmise, à l’origine, pour l’essentiel, par les puces, elles-mêmes contaminées par les rats venus d’Egypte[39], le grenier à blé de l’Empire, entraîne une pandémie qui, en plusieurs vagues, dure plus de deux siècles et ravage la population. Au printemps 542, 10 000 personnes meurent chaque jour à Constantinople qui perd autour de 40% de sa population. L’Empereur Justinien, malade, s’en tire à bon compte. Lors de l’hiver 589, à l’occasion d’une nouvelle poussée, la peste gagne Rome. Le pape Pélage II aura moins de chance que Justinien. Au début de l’ère chrétienne, on estime que Rome comptait plusieurs centaines de milliers d’habitants. Elle tombe à 20 000 habitants à la fin du VIe siècle.

 

A partir de 1347, venue d’Asie[40] et suivant les routes de la soie, la peste noire contamine, essentiellement par voie maritime, l’Europe médiévale. Des Génois contaminés (peut-être volontairement[41]) par des Tartares disséminent le bacile à Constantinople, Messine, Marseille. D’autres navires le diffusent dans tout le bassin méditerranéen. En 1348, l’Italie, l’Espagne, les vallées du Rhône et de la Garonne sont touchées. En quelques années, l’épidémie va ravager l’Europe. Les estimations les plus basses font état de la disparition du quart ou du tiers de la population européenne mais la documentation fiable qui permet d’estimer le nombre de décès reste insuffisante. Jean-Noël Biraben qui a étudié en détail l’histoire de la peste reste circonspect et ne parvient pas à donner une évaluation générale. Cette peste inaugure une nouvelle pandémie qui va durer plusieurs siècles. L’épidémie enjambe volontiers les classes sociales et les modes de production, même si ces aspects ne sont pas sans influence. Par exemple, pour ne citer que la France, Biraben, identifie vingt-six poussées principales et onze secondaires entrecoupées de trente-six rémissions. Les vagues les plus sévères ont lieu en 1348, 1361, 1374, 1400, 1412, 1439, 1482, 1502, 1522, 1531, 1545, 1564, 1586, 1596, 1626, 1636[42]. Une troisième pandémie, encore en cours[43], commence à la fin du XIXe siècle, elle touche Marseille en 1919, Paris (et Marseille) en 1920 où elle sera enrayée. Entretemps, Yersin a découvert le bacille de la peste et des sérums et vaccins ont été mis au point. Aujourd’hui ce sont surtout les antibiotiques qui permettent de combattre la peste, à condition d’y avoir accès ce qui n’est pas acquis dans les pays où subsistent des foyers épidémiques. Les vaccins ont une efficacité limitée dans le temps et ont potentiellement des effets secondaires qui en limitent l’usage. Enfin, ils ne permettent pas de prévenir la peste pulmonaire, très contagieuse et souvent mortelle. La régression relative de la peste rend ce marché du vaccin a priori peu rentable et décourage donc l’industrie du médicament d’y consacrer des recherches importantes[44].

 

Bien que les origines de la variole sur le continent soient discutées, elle a constitué pour les conquistadors espagnols une arme biologique qui va leur permettre de vaincre et d’anéantir la population de l’Empire Aztèque alors peuplé de 16 à 18 millions de personnes. Le sort des Aztèques sera partagé par les Mayas et les Incas.

 

Tout aussi intéressante est l’attitude des représentants des classes dirigeantes. Elle est identique à celle de notre bourgeoisie moderne. Quand elles ne fuient pas l’épidémie, les autorités d’une ville mènent expertises et enquêtes sur l’origine de la peste dès qu’elle est signalée. Mais l’information n’est pas diffusée pour ne pas nuire aux affaires et au ravitaillement ou créer une vague de panique. Les mesures de prévention, l’isolement, arrivent en retard et donc trop tard pour limiter la catastrophe. Les réactions pour lutter contre l’épidémie sont immédiates ; elles conjuguent magie, prières et processions qui favorisent l’épidémie, théories obscurantistes et millénarisme apocalyptique, théories « complotistes » (action d’individus malveillants), médicaments inadaptés et une organisation qui sera de plus en plus efficace. C’est avec le capitalisme et vraisemblablement l’affirmation de l’Etat nation et l’action concertée des Etats que l’organisation atteint son maximum d’efficacité. Elle conjugue le « dépistage » (billets de santé, une forme de passeport sanitaire personnel), l’édiction de règles d’organisation et d’isolement, le développement d’équipements hospitaliers assurant l’isolement des contagieux, la désinfection des rues, …

 

Cela n’empêche en rien la société bourgeoise de connaître des épidémies. Nous avons vu que la troisième pandémie de peste, toujours en cours, est contemporaine de la production capitaliste. La grippe espagnole ouvre une autre série d’épidémies dont la souche est le virus de la grippe. En trois vagues, dont la deuxième est la plus meurtrière, la grippe dite espagnole fera bien plus de morts que la première guerre mondiale dont plusieurs centaines de milliers en France[45]. Censure des autorités, affaiblissement du corps social du fait de la guerre impérialiste, absence de protections (un pourcentage élevé d’infirmières mourra) contribuent à l’hécatombe. La grippe asiatique de 1957 touchera 25% de la population mondiale et fera de 1 à 2 millions de morts. Etc.

 

Le pouvoir bolchévique aux prises avec la contre-révolution, la guerre civile, la famine connaîtra une épidémie de typhus qui aurait concerné 25 à 30 millions de personnes entre 1919 et 1921 et fait 2,5[46] millions (4 millions[47] ?) de victimes. Dans l’imagerie que se forge la bourgeoisie, le bolchévique juif est aussi un pouilleux, le spectre du communisme et de l’épidémie sont réunis. Comme pour l’antisémitisme[48], Churchill[49] est un héraut de la bourgeoisie occidentale.

 

Comme le montrent la Figure 1 et le Tableau 1, la domination du mode de production capitaliste moderne s’est accompagnée d’une augmentation considérable de la population.

Figure 1 (Jean-Noël Biraben, l’évolution du nombre des hommes, Population et sociétés, n°394, 2003)

 

Tableau 1 (Idem)

 

Avec des hauts et des bas (notamment la deuxième moitié du XIXe siècle), la mortalité infantile a reculé et l’espérance de vie a augmenté surtout à partir du XXe siècle, notamment grâce à la vaccination, les mesures d’hygiène et leur intégration dans les pratiques quotidiennes, les politiques de santé publique, l’amélioration de la qualité de l’eau (cf. la Figure 2). La découverte des antibiotiques, dans l’entre-deux guerre, à elle-seule, a permis une augmentation de l’espérance de vie de 10 ans. Le vaccin de la variole, a permis, au début du XIXe siècle un recul de la mortalité infantile, puis d’autres facteurs ont permis une évolution favorable de celle-ci.

 

Figure 2 – Evolution de la mortalité infantile en France de 1740 à 2009.

 

Tout cela nous montre que les progrès des connaissances scientifiques sont tels qu’il est possible de faire régresser considérablement la mortalité et la mortalité infantile en particulier laquelle reste encore, comparativement, très élevée dans certaines régions. La bourgeoisie qui dirige la société continue de la réformer mais, prise dans ses contradictions, elle se montre incapable de mener une politique rationnelle sur ces sujets comme sur d’autres ; l’épisode de la récente pandémie de coronavirus est à nouveau là pour en témoigner.

 

C’est aussi que les effets second ou troisième de l’action humaine sur la nature dans les sociétés de classes rencontrent des limites et en particulier dans la société bourgeoise ; jamais les capacités d’analyse, de prévision et de prévention n’ont été aussi développées et jamais elles n’ont conduit à une telle faillite qui aboutit à la fois à une catastrophe sanitaire et à une paralysie de l’activité économique à un degré jamais atteint. Une nouvelle fois la bourgeoisie démontre à la fois que la société n’a jamais été aussi développée et qu’elle est incapable de la diriger sans la précipiter régulièrement dans l’abîme.

 

Dans l’analyse des facteurs qui favorisent ces épidémies, il faut se garder d’arguments à l’emporte-pièce qui n’ont d’excuse que la haine contre la société bourgeoise. Nous avons montré que toutes les sociétés connaissaient des maladies contagieuses, que toutes les sociétés de classe connaissaient des épidémies et que si dans les sociétés primitives elles n’ont pas dû aller au-delà de quelques communautés c’est à cause de leur isolement relatif. Cet isolement ayant disparu, il serait absurde de nier qu’une société sans classes serait à l’abri d’une épidémie, comme si le communisme serait une société sans virus, sans bactéries, sans parasites, sans champignons, sans protozoaires. Les virus sont un facteur essentiel de la vie ; un pourcentage non négligeable du génome de l’Homme moderne provient d’un virus ; le corps porte autant sinon plus de bactéries et de virus qu’il n’a de cellules ; les virus voyagent par milliards dans l’atmosphère et il y en a plusieurs centaines de millions au mètre carré. S’il y en a qui sont pathogènes, d’autres contribuent à la vie de l’Homme en détruisant par exemple certaines bactéries. Le virus qui est à la frontière du vivant tout en étant une composante essentielle, oblige à avoir une pensée dialectique ; il semble qu’ils sont nombreux à l’avoir oublié.

 

Les gouvernements n’ont pas décidé d’arrêter, après moultes atermoiements, une bonne partie de la production parce que la vie du prolétariat est une priorité ; nous verrons qu’ils sont allègrement sacrifiés si nécessaire. Ce n’est pas tant le nombre de morts, encore que leur concentration puisse rendre la gestion de la crise plus difficile, mais plutôt les modalités de leur mort dès lors qu’ils meurent à l’hôpital et plus encore, le nombre potentiel, bien plus important, des personnes nécessitant des soins intensifs de réanimation sur une longue durée sans pour autant décéder qui ont poussé à prendre cette décision. La menace d’un chaos sanitaire non seulement en raison de l’épidémie mais aussi des effets de bord sur le système hospitalier du fait des besoins récurrents, ont conduit les gouvernements des pays les moins bien préparés[50] à affronter une telle pandémie, la première qui ne soit pas issue du virus de la grippe[51], à confiner la population. Par la même occasion, on avait là un excellent sujet de diversion pour toutes les questions sociales qui travaillent la société. Fini les manifestations, fini la contestation des lois liberticides et anti-prolétariennes !

 

Comme toujours, en dernière analyse, les mesures et les lois votées par la bourgeoisie, quelle que soit leur intention primitive se retournent contre le prolétariat et viennent renforcer sa domination. Bien que le contexte soit différent, nous ne doutons pas un instant de ce que l’Etat d’urgence sanitaire, promulgué lors des situations qui notamment débordent les systèmes hospitaliers, soit l’occasion pour la bourgeoisie de raffiner ses méthodes de domination : confiner la population, imposer des couvre-feux, restreindre les libertés (notamment de réunion, de manifestation), mettre en place et tester de nouveaux modes de contrôle et de surveillance des populations (géolocalisation, extension de la vidéo surveillance, drones, reconnaissance faciale, contrôle des déplacements, …), évaluer les réactions du prolétariat, peaufiner l’arsenal répressif, faire avaler au prolétariat un ensemble de lois anti-sociales et dégrader sa situation en reprenant ce qu’elle a pu concéder. En France, par exemple, l’Etat d’urgence « anti-terroriste » s’était conclu par l’introduction dans la loi ordinaire de mesures qui relevaient auparavant de cet état d’urgence, l’état d’urgence sanitaire permettra d’ajouter une dimension supplémentaire à l’arsenal juridique pour assurer la domination de l’ordre bourgeois. Ces nouvelles mesures permettront pour de bonnes et de mauvaises raisons de décider de confiner quand il plaira au pouvoir en place.

3.2             La bourgeoisie continue de réformer la société

Le marxisme ne nie pas non plus que la bourgeoisie continue de réformer la société alors qu’elle n’a plus, depuis longtemps, ni la légitimité historique ni la capacité à la diriger rationnellement. En 1909 le grand marxiste Anton Pannekoek illustrait, dans un article intitulé « La destruction de la Nature », le point de vue fondamental du marxisme à savoir que le mode de production capitaliste moderne épuisait les deux seules sources de la richesse : la terre et le travailleur[52]. Dans ce texte, il évoque notamment « un massacre d’oiseaux de Paradis », en Nouvelle-Guinée, alors chassés pour orner les chapeaux de dames. Dans la partie de la Nouvelle-Guinée contrôlée par les Pays-Bas, la chasse aux oiseaux de Paradis sera interdite en 1931. La chasse ne menace plus ces espèces. Parmi ces oiseaux de Paradis, certains exhibent lors des parades amoureuses, un noir intense qui rivalise avec le noir le plus noir produit par l’Homme. L’analyse microscopique de ces plumes a montré que c’était leur structure, des nano cavités qui emprisonnent la lumière, qui permettait un tel résultat. « Cette structure naturelle pourrait inspirer des modistes ou des fabricants d'optiques pour concevoir de nouveaux matériaux, lunettes solaires ou télescopes.[53]». Le processus dialectique : humanisation de la nature ; l’Homme protège et organise l’existence des oiseaux de Paradis et naturalisation de l’Homme ; l’Homme maîtrise pour ses propres fins des caractéristiques de la nature dont il ne disposait pas, se poursuit. Le fait qu’il s’accomplisse dans le cadre du mode de production capitaliste fait peser une menace permanente sur les deux composantes, provoque régulièrement des catastrophes qui obligent la classe dirigeante à réagir quitte à violer ses propres principes. C’est ce qui s’est passé, avec l’autre sujet abordé par Pannekoek : la déforestation et les inondations dans les Alpes françaises[54].

 

Dans un rapport présenté en 1965, P. Fourchy retrace la lutte contre l’érosion au XIXe siècle dans les Alpes françaises. Le texte commence par indiquer pourquoi il est très difficile de se faire une idée précise de la situation forestière des Alpes avant le XIXe siècle, la couverture administrative délaissant les zones montagneuses et nombre de documents aboutissent à des déclarations contradictoires selon leur destination. Même pour certains des documents émanant des fonctionnaires spécialisés, il existe des insuffisances[55]. Toujours est-il que si on estime que la forêt française a atteint un périgée au tournant du XIXe siècle (6 à 7 millions d’ha) et donc notamment suite à la prise de pouvoir de la bourgeoisie française et à la déforestation dénoncée par Pannekoek, celle-ci n’a cessé de reboiser[56]. Au moment où Pannekoek écrivait, on en était rendu à plus de 9 millions d’ha et aujourd’hui ce sont 17 millions d’ha qui sont couverts par les forêts (notamment du fait du développement de la productivité agricole et du développement des friches agricoles qui l’accompagne), soit près du 1/3 du territoire métropolitain et un niveau de boisement similaire à celui de la fin du Moyen-Âge. La France est devenue exportatrice nette de bois bruts au point où c’est la seule catégorie (avec la tonnellerie dont elle est le premier producteur mondial) de la « filière bois » qui présente un solde du commerce extérieur positif. Cela ne va pas sans la grogne des acteurs aval de la filière, en particulier les scieurs, qui réclament des mesures protectionnistes pour ne pas être privés de bois[57].

 

Les inondations cependant continuent. Elles n’ont plus seulement un lien direct avec la déforestation bien que des voix puissent critiquer le choix des espèces qui sont plantées en regard de leur capacité à retenir l’eau ou fixer la terre, celles-ci étant sacrifiées au profit d’espèces permettant une rotation du capital plus rapide. Le mal ne part plus uniquement de la périphérie mais du centre, avec l’accroissement de la pression foncière et l’augmentation de la rente qui l’accompagne. L’expansion des superficies urbanisées y compris celles qui sont inondables, empêche l’infiltration des eaux dans la terre, tandis que les cours d’eaux traversant les villages font l’objet d’une gestion minimale. Lors des crues, ils charrient volontiers des « matériaux solides », euphémisme pour désigner une conséquence de la reforestation (arbres morts ou déracinés notamment) ou des déchets en tout genre qui seront autant de béliers, d’obturateurs ou d’obstacles favorisant l’aggravation de l’inondation.

 

Dans « La dialectique dans la nature », Engels prend soin de montrer que le mode production capitaliste n’a pas l’exclusivité des conséquences plus ou moins catastrophiques de l’action des hommes sur la nature, mais il montre que ce mode de production porte à leur comble des tendances fort anciennes[58].

 

« Bref, l'animal utilise seulement la nature extérieure et provoque en elle des modifications par sa seule présence ; par les changements qu'il y apporte, l’Homme l'amène à servir à ses fins, il la domine. Et c'est en cela que consiste la dernière différence essentielle entre l’Homme et le reste des animaux, et cette différence, c'est encore une fois au travail que l’Homme la doit.

Cependant ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d'elles. Chaque victoire a certes en premier lieu les conséquences que nous avons escomptées, mais, en second et en troisième lieu, elle a des effets tout différents, imprévus, qui ne détruisent que trop souvent ces premières conséquences. Les gens qui, en Mésopotamie, en Grèce, en Asie Mineure et autres lieux essartaient les forêts pour gagner de la terre arable, étaient loin de s'attendre à jeter par-là les bases de l'actuelle désolation de ces pays, en détruisant avec les forêts les centres d'accumulation et de conservation de l'humidité. Sur le versant sud des Alpes, les montagnards italiens qui saccageaient les forêts de sapins, conservées avec tant de sollicitude sur le versant nord, n'avaient pas idée qu'ils sapaient par-là l'élevage de haute montagne sur leur territoire ; ils soupçonnaient moins encore que, par cette pratique, ils privaient d'eau leurs sources de montagne pendant la plus grande partie de l'année et que celles-ci, à la saison des pluies, allaient déverser sur la plaine des torrents d'autant plus furieux. (…). Et ainsi les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu'un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein et que toute notre domination sur elle réside dans l'avantage que nous avons sur l'ensemble des autres créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement. (…)

Mais s'il a déjà fallu le travail de millénaires, pour que nous apprenions dans une certaine mesure à calculer les effets naturels lointains de nos actions visant la production, ce fut bien plus difficile encore en ce qui concerne les conséquences sociales lointaines de ces actions. (…)

Mais, même dans ce domaine, nous apprenons peu à peu, au prix d'une longue et souvent dure expérience et grâce à la confrontation et à l'étude des matériaux historiques, à élucider les conséquences sociales indirectes et lointaines de notre activité productive et, de ce fait, la possibilité nous est donnée de dominer et de régler ces conséquences aussi.

Mais, pour mener à bien cette réglementation, il faut plus que la seule connaissance. Il faut un bouleversement complet de tout notre mode de production passé et, avec lui, de tout notre régime social actuel.

Tous les modes de production passés n'ont visé qu'à atteindre l'effet utile le plus proche, le plus immédiat du travail. On laissait entièrement de côté les conséquences lointaines, celles qui n'intervenaient que par la suite, qui n'entraient en jeu que du fait de la répétition et de l'accumulation progressives. (…)

Toutes les formes de production supérieures [après la dissolution des communautés primitives NDR] ont abouti à séparer la population en classes différentes et, par suite, à opposer classes dominantes et classes opprimées ; mais en même temps l'intérêt de la classe dominante est devenu l'élément moteur de la production, dans la mesure où celle-ci ne se limitait pas à entretenir de la façon la plus précaire l'existence des opprimés. C'est le mode de production capitaliste régnant actuellement en Europe occidentale qui réalise le plus complètement cette fin. Les capitalistes individuels qui dominent la production et l'échange ne peuvent se soucier que de l'effet utile le plus immédiat de leur action. Et même cet effet utile, - dans la mesure où il s'agit de l'usage de l'article produit ou échangé, - passe entièrement au second plan ; le profit à réaliser par la vente devient le seul moteur. » (Engels, Dialectique de la nature, Editions Sociales, pp. 181-182)

 

Ce n’est que dans le communisme que l’on pourra dépasser certaines limites, mais cela n’en fait pas une société qui prévoira toutes les conséquences de ses actes, ne serait-ce que parce qu’elle innovera.

 


 

4.          Virus et dialectique

Comme nous l’avons vu dans la section 2, l'humanité connaît des maladies virales depuis des millénaires et, face à un fléau épidémique, cette humanité n'attendit pas l'autorité indubitable d'une démonstration scientifique pour tenter d'y remédier avec une relative efficacité. Par exemple, la vaccination contre la variole[59] - « la variolisation » comme l'appelèrent les occidentaux en l'important d'Orient au XVIIIe siècle - était une pratique courante en Inde et en Chine au moins depuis le XIe siècle.

 

Tout cela pour dire que bien que côtoyant l'univers des virus depuis des lustres les sociétés humaines n'en comprennent véritablement l'alphabet que depuis peu car l’émergence de la génétique, une des sciences fondamentales du vivant, en était la condition indispensable.

4.1             Les virus et la dialectique, le vivant et les origines de la vie

Les découvertes du rôle des virus dans l’évolution, comme la reconnaissance qu’en dépit de leur étymologie[60] (poison, toxine) ils étaient loin d’être tous pathogènes pour l’Homme, ont induit l’hypothèse que les virus précéderaient l’émergence du vivant. Comme, actuellement, les virus se caractérisent par leur interaction et leur interpénétration avec le vivant (assimilé à la cellule), cette hypothèse suppose qu’auparavant ces virus, qu’on les nomme ainsi ou autrement, avaient des modalités de reproduction[61] (réplication[62], recopie, comme on voudra) autonomes. D’autre part, comme ces protovirus n’ont pas été identifiés, on doit également supposer qu’ils ont perdu ces propriétés avec la complexification du vivant. Cette thèse, pour une part, s’oppose aussi à celle qui voit les virus, comme un produit ou un sous-produit, car il n’en aurait pas toutes les caractéristiques, du vivant[63]. D’un autre côté, la perspective d’une apparition de la vie à partir du mouvement de la matière organique non vivante, repose, sur un autre plan et d’une autre manière, la question de la génération spontanée qui a été chassée du domaine du vivant notamment par Pasteur.

 

La vie, dans la conception traditionnelle moderne dominante, bien que faisant l’objet de nombreux débats[64], est assimilée à la cellule et à son organisation, notamment, le métabolisme, la compartimentation, la reproduction, l’évolution.

Cette représentation n’était en rien celle de Marx et Engels pour qui la vie commençait avant la cellule. Ce n’est pas que la découverte de celle-ci ait été sous-estimée. Bien au contraire, Engels la classe parmi les trois grandes découvertes qui ont balayé l’approche de la nature propre au matérialisme métaphysique et permis la constitution des sciences de la nature en un « système de connaissance matérialiste de la nature. »[65]

 

Pour Marx et Engels, il ne faisait guère de doute que l’organique et le vivant, cette part particulière de l’organique, étaient le résultat d’un chimisme poussé jusqu’au bout (cf. section 2.1), ce qui, en bonne dialectique, suppose des sauts qualitatifs. Un premier saut avait été réalisé avec la synthèse de matières organiques, un autre saut le serait avec la synthèse de la matière bio-organique à la base du protoplasme. Cette analyse avait au moins deux conséquences : la matière du protoplasme était homogène et une fois synthétisée de manière indépendante, elle contenait déjà des caractéristiques suffisantes pour relever du vivant[66]. Par conséquent, la vie précédait l’existence de la cellule et donc ne commençait pas avec celle-ci. Dans la représentation d’Engels, la synthèse du protoplasme, assimilé au monde des bioprotéines, des albumines, serait la synthèse de la vie en laboratoire. Marx et Engels partageaient la même vision[67] mais peu avant sa mort, Marx pensait que la synthèse chimique était proche[68]. Après la mort de Marx, Engels repoussait à bien plus loin la réalisation[69] d’une synthèse qui n’allait pas de soi[70]. Notons qu’un Haldane, par exemple, au siècle suivant, allongera encore le délai de réalisation d’une telle synthèse[71]. Pour Engels, l’albumine vivante, non différenciée, était le point de passage vers la cellule[72].

 

Dans l’état de la science de l’époque, il ne pouvait en être autrement pour qui avait un point de vue matérialiste. La reconnaissance de l’acide nucléique comme support de l’information héréditaire n’interviendra qu’au cours du XXe siècle. Sous le nom du nucléine, l’ADN avait pourtant été découvert en 1869 (publication en 1871) mais son inventeur, le Suisse Friedrich Miescher, accumulera au contraire les preuves pour écarter son rôle dans l’hérédité[73]. La première mention des chromosomes date de 1882 ; le terme lui-même date de 1888[74]. Walther Flemming, à l’origine de la découverte, ne réussira pas à faire le lien avec l’hérédité. Ils ne vont par paires que depuis 1902 (Sutton). Encore théorique, en 1902, quand Sutton et Boveri, indépendamment l’un de l’autre, pensent que les chromosomes seraient porteurs du matériel génétique, il faut attendre 1915 pour en avoir une démonstration plus complète grâce aux travaux de Thomas Hunt Morgan[75]. Le terme de gène date de 1909. En 1928, les expériences de Frederick Griffith mettent en évidence l’existence d’un message héréditaire. Il restait encore à démontrer qui de l’ADN ou des protéines est le support de l’information génétique. Dans les années 1940 (publication en 1944), trois chercheurs, Oswald Avery, Colin MacLeod et Maclyn McCarty, fournissent la preuve que le support du matériel génétique des cellules est l’ADN.

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On notera également que pour Marx et Engels, la cellule dispose d’un noyau. Il faudra attendre les années 1950 et leur pleine observation au microscope électronique pour qu’apparaisse le concept de procaryote, de cellule sans noyau, un type de cellule précédent même l’apparition des cellules eucaryotes, des cellules avec un noyau.

Quant aux virus, ils sont découverts scientifiquement après la mort d’Engels – 1898[76] - et le monde des virus et de ses singularités ne commence qu'à peine à être scientifiquement cerné. On pourrait dire, pour n'en rester qu'au plan de la biologie, que si le XXe siècle a été celui des découvertes et des traitements bactériologiques celui du XXIe pourrait bien être celui de la virologie.

 

Relevons quelques étapes qui mènent au concept de virus dans son acception dominante :

 

·         Wendell Stanley, en 1935, parvient à cristalliser la mosaïque du tabac. L’analyse chimique qui s’ensuit relève qu’il s’agit d’une structure composée de protéines et d’acide ribonucléique (ARN). Par ailleurs, la découverte de virus infectant les bactéries (1915), dénommés bactériophages, aboutit en 1934 (Max Schlesinger) à une analyse qui les décrit comme une combinaison de protéines et d’acide désoxyribonucléique (ADN)[77]

·         Pour observer de si petites entités, il fallait que soit inventé le microscope électronique. Le premier prototype sera créé en 1931 en Allemagne[78]. C’est en Allemagne qu’il sera également perfectionné jusqu’en 1940[79]. Sa première utilisation pour l’étude des virus date de 1939 (Kausche et al.)[80]. La première observation d’un coronavirus date des années 1960 (la première photo publiée date de 1967[81]), le virus de la rage ne sera visualisé qu’en 1962[82], le virus de l’hépatite C en 2016[83], …

·         En 1955, des particules du virus de la mosaïque du tabac sont reconstituées à partir d’un ARN purifié et de ses composants protéiniques[84]. L’année suivante, il est montré que seul l’ARN est responsable de l’infectivité du virus[85]. L’information génétique n’était pas propre à l’ADN mais relevait des propriétés des acides nucléiques. Avec la découverte de la structure de l’ADN en 1953, on pouvait poser les bases des principes essentiels mais aussi les dogmes de la virologie scientifique.

·         Une partie de ceux-ci seront mis à mal avec la découverte de la transcriptase inverse, une enzyme permettant de transcrire l’ARN en ADN[86].

 

Le concept moderne de virus sera introduit par André Lwoff en 1957. Il en fait une entité distincte des micro-organismes (un seul acide nucléique ARN ou ADN mais pas les deux comme dans une cellule ; différence dans le mode de reproduction/réplication – le virus utilise uniquement son acide nucléique ; pas de « croissance » et de fission binaire ; absence de métabolisme – absence de système de Lipmann[87]).

Bien qu’il reste prisonnier d’un certain matérialisme vulgaire, la définition de Lwoff est extrêmement puissante, un modèle de pensée dialectique. Son analyse constitue un formidable saut qualitatif dans l’histoire du concept de virus. En effet, au-delà de tous les arguments analytiques qui caractérisent le virus et qui sont souvent ce qui est uniquement retenu ou mis en avant dans son analyse, Lwoff comprend le virus comme un processus, comme un cycle complet.

 

Quiconque s’est confronté au concept de capital chez Marx et y aura compris qu’il s’agit de la valeur d’échange engagée dans un procès, un processus à travers lequel elle revêt plusieurs formes pour revenir à la forme théorique de départ[88], ne peut qu’être frappé par la vision de Lwoff. Dans son acception, le virus est donc un concept qui recouvre le cycle complet, cycle qui comprend la particule virale, baptisée par la même occasion virion pour la distinguer du virus-ensemble du cycle et qui donc ne doit plus être assimilé à la seule particule virale, le prophage (c’est-à-dire le génome du bactériophage – les virus qui infectent les bactéries) dans son état latent, le prophage inséré dans l’ADN de la cellule, le processus pour recréer de nouveaux virions en exploitant la machinerie cellulaire, jusqu’aux nouveaux virions à l’extérieur de la cellule, à nouveau prêts pour un nouveau cycle. Ajoutons que ce processus n’est pas propre à toutes les cellules infectées puisque dans certains cas, la cellule se reproduit tout en conservant l’ADN modifié par le bactériophage qui mettra en branle le processus de création de nouveaux virions lors de générations ultérieures de la bactérie.

 

Cette définition conduit à montrer la spécificité des virus[89] et à les mettre à côté du vivant sans qu’ils en fassent partie. Depuis 1957, de nombreuses découvertes sont venues questionner le concept établi par Lwoff. Bien qu’on puisse soutenir qu’il soit toujours opérant, l’obligation de traiter sa relation au vivant[90] dialectiquement, à l’instar d’ailleurs de ce que fit Lwoff pour le cycle du virus, est toujours plus impérieuse.

 

Les biologistes contemporains qui se prononcent peuvent être classés en cinq grandes catégories : ceux pour qui les virus appartiennent au monde du vivant, ceux pour qui les virus relèvent du non-vivant, ceux pour qui ils sont dans une situation intermédiaire, ceux pour qui la réponse dépend de la définition de la vie et du vivant sous ses diverses formes, et enfin ceux qui pensent que cette question ne relève pas de la science mais de la philosophie ou de la métaphysique[91].

 

En ce qui concerne les derniers cités, il y a longtemps que le marxisme a réfuté cette attitude et montré en quoi elle ne faisait que s’aligner sur les plus mauvaises idéologies[92].

« Les savants croient se libérer de la philosophie en l'ignorant ou en la vitupérant. Mais, comme, sans pensée, ils ne progressent pas d'un pas et que, pour penser, ils ont besoin de catégories logiques, comme, d'autre part, ils prennent ces catégories, sans en faire la critique, soit dans la conscience commune des gens soi-disant cultivés, conscience qui est dominée par des restes de philosophies depuis longtemps périmées, soit dans les bribes de philosophie recueillies dans les cours obligatoires de l'université (ce qui représente non seulement des vues fragmentaires, mais aussi un pêle-mêle des opinions de gens appartenant aux écoles les plus diverses et la plupart du temps les plus mauvaises), soit encore dans la lecture désordonnée et sans critique de productions philosophiques de toute espèce, ils n'en sont pas moins sous le joug de la philosophie, et la plupart du temps, hélas, de la plus mauvaise. Ceux qui vitupèrent le plus la philosophie sont précisément esclaves des pires restes vulgarisés des pires doctrines philosophiques. » (Engels, Dialectique de la nature, Editions sociales, p.211)

 

« Les savants ont beau faire, ils sont dominés par la philosophie. La question est seulement de savoir s'ils veulent être dominés par quelque mauvaise philosophie à la mode, ou s'ils veulent se laisser guider par une forme de pensée théorique qui repose sur la connaissance de l'histoire de la pensée et de ses acquisitions.

Physique, garde-toi de la métaphysique ! c'est tout à fait juste, mais dans un autre sens.

Les savants gardent à la philosophie un reste de vie factice en tirant parti des déchets de l'ancienne métaphysique. Ce n'est que lorsque la science de la nature et de l'histoire aura assimilé la dialectique que tout le bric-à-brac philosophique, - à l'exception de la pure théorie de la pensée, - deviendra superflu et se perdra dans la science positive » (Engels, Dialectique de la nature, Editions sociales, p.211)

 

Les divers points de vue des biologistes ne font que répondre unilatéralement à cette question dont la réponse dialectique devant un sujet aussi complexe est celle que faisait Hegel[93] à propos de la continuité ou de la discontinuité de la matière : l’un et l’autre (à la fois vivant et non-vivant) et ni l’un, ni l’autre (ni vivant, ni non-vivant – intermédiaire entre les deux).

 

Définir, conceptualiser n’est pas poser une frontière strictement délimitée car nous savons qu’il n’existe pas de « hard and fast lines » entre les concepts et que, d’autre part, un concept évolue[94]. Il progresse tout particulièrement à travers des sauts qualitatifs.

Si la vie précède la cellule, nous avons donc une définition de la vie qui est différente de celle de Lwoff[95]. Il faudrait cependant établir que la matière organique de type acide nucléique avait les propriétés, ou du moins nombre d’entre elles, dont Engels parait l’albumine (protéines): « digestion, élimination, mouvement, contraction, réaction aux excitations, reproduction. »

 

Des découvertes importantes autour de l’ARN ont conforté cette hypothèse. Dans les années 1980, Tom Cech et Sydney Altman, découvrent les ribozymes (mot formé à partir de la contraction et de l’association de ribonucléique – le RN de ARN -et d’enzyme) qui ont la propriété de catalyser des réactions chimiques, rôle jusque-là dévolu aux seules protéines. Pour cette découverte des propriétés catalytiques de l’ARN, ils obtiendront le prix Nobel de chimie en 1989. En y ajoutant la découverte de la transcriptase inverse, qui permet d’obtenir de l’ADN à partir de l’ARN, l’ARN, de structure plus simple et aussi plus instable que l’ADN, devient un candidat plausible pour l’origine de la vie. Les propriétés catalytiques de l’ARN permettent une réplication plus ou moins complète d’autres brins d’ARN, ce qui dans une certaine mesure répond à la question de la reproduction sachant que par ailleurs l’ARN est porteur de l’information génétique. Dans la mesure où l’ARN porte, transmet et duplique l’information génétique et dispose des capacités catalytiques similaires aux enzymes, la possibilité d’un métabolisme primitif est alors ouverte.

 

La découverte que la vie existait dans des conditions extrêmes de pression et de température près des sources hydrothermales des fonds marins a conduit Robert Hazen à renouveler l’expérience de Miller et Urey en l’adaptant aux conditions propres aux fonds marins. L’expérience ne donnera des résultats que lorsque des minéraux seront ajoutés à la « soupe primordiale »[96]. La séparation rigide entre le monde minéral et organique, déjà entamée depuis longtemps, s’évanouissait un peu plus tandis qu’il montrait que si le monde minéral était une composante de l’origine de la vie on devait reconnaître également qu’une majorité des minéraux actuels[97] étaient le résultat de l’action de la vie sur la nature. D’un autre côté, la complexité croissante des organismes devait beaucoup aux minéraux (carapaces, dents, os, …). La dialectique remportait une nouvelle victoire[98].

 

La synthèse en laboratoire, à partir de matière organique, de molécules bio-organiques dont l’acide nucléique est devenu une réalité. En 2009, le laboratoire de John Sutherland, à partir d’une soupe primordiale, une soupe prébiotique, fait apparaître spontanément de l’ARN. En 2015, le même laboratoire, toujours à partir d’un ensemble de molécules inanimées ont produit non seulement des acides aminés mais toutes les composantes propres à la cellule, à savoir les nucléotides à la base de l’ADN, des acides aminés et des sucres ainsi que des composants précurseurs de la membrane cellulaire[99]. La création simultanée de l’ensemble des briques de la vie répondait à la question de l’antériorité de telle ou telle composante.

 

Le monde de l’ARN avec la création d’un vaccin contre le coronavirus a remporté une nouvelle victoire, transformant des chercheurs parias en nobélisables[100].

 

Le passage d’un organisme qui relèverait du vivant[101], au virus, vu comme une trace de l’évolution de cet organisme qui en même temps aurait perdu son autonomie supposerait que l’ARN, s’il est à l’origine du vivant, puisse se répliquer par lui-même. Parallèlement mais en symbiose avec le mode viral, l’autonomie serait devenue l’apanage de la cellule ; qui donc représenterait une évolution plus complexe de cet organisme. Dans ce processus de développement, comme nous le montrons tout au long de ce chapitre, le matériel génétique de l’organisme[102] « inerte » est une composante nécessaire du développement de l’organisme doué de métabolisme. Sa réciproque n’est en rien exclue ; elle en est le pendant dialectique en quête de démonstration. D’autre part, au-delà des questions propres au « monde de l’ARN » et outre les modifications apportées dans les gènes des cellules par les virus, des auteurs comme Joseph Reicholf[103] évoquent l'origine probable des cellules les plus évoluées, les cellules avec un noyau par une coopération entre un virus et un organisme procaryote (ne possédant pas de noyau). Le virus en question apportant à la cellule son noyau justement et la transformant alors en organisme eucaryote. Cette approche n’est pas exclusive de celle qui voit la création du noyau ou des organites de la cellule par l’absorption d’une autre cellule. Lorsqu'on voit en effet la complexité du métabolisme cellulaire et les rapports entre noyau et cytoplasme, et enfin entre ce véritable petit univers et les contraintes environnementales qu'ont eu à passer ces premiers organismes vivants, on ne peut que supposer que les virus ont joué un grand rôle dans cette évolution.

 

Il existe aujourd’hui des particules virales, découvertes dans les années 1960, nommées viroïdes qui ne sont constituées que d’un seul brin circulaire d’ARN. Leur génome est réduit ; les viroïdes sont plus petits que les virus. Comme ils n’ont pas d’enveloppe et qu’ils ne codent pas de protéine, ils sont distingués des virus proprement dit tout en étant classés dans le même monde. Comme les virus, ils dépendent de la cellule pour se reproduire. De même, il existe des virusoïdes qui sont également constitués par un brin d’ARN mais qui sont considérés comme des satellites des virus, car ils dépendent de ces derniers (phytovirus) pour se répliquer et constituer leur enveloppe (capside).

 

Dans les viroïdes qui ne se répliquent pas dans le noyau (les cellules à noyaux étant par ailleurs un stade supérieur de l’organisation du vivant), mais dans un organe des plantes appelé chloroplaste, il a été mis en évidence des séquences d’ARN à activité autocatalytique[104]. Or, l’autocatalyse qui joue sur la position des atomes (phénomène que l’on rencontre par exemple dans les cristaux) dans les molécules et sur leur capacité à attirer, dans certains cas, d’autres atomes pour former des combinaisons qui se reproduisent, est une perspective plausible pour expliquer une reproduction en dehors de la cellule. Une reproduction, réplication ou un autre nom (production de novo) que l’on voudra de l’ARN par autocatalyse constituerait donc un argument de poids pour faire de ces organismes des protovirus et des protocellules[105] disparus depuis longtemps.

 

Sur le chemin de la vie, la synthèse de la matière minérale a été réalisée, puis celle de la matière organique (XIXe siècle : synthèse de l’urée - 1828 - pour retenir une date mais auparavant le même Wöhler a réalisé la synthèse de l’acide oxalique), puis celle de la matière bio-organique (XXe siècle : soupe primordiale et création d’acides aminés - 1950). Depuis encore, d’autres progrès que nous avons brièvement retracés ont permis des avancées qui laissent penser qu’un chimisme poussé jusqu’au bout a permis l’émergence de la vie. La discussion sur les conditions présumées qui régnaient sur la terre, il y plusieurs milliards d’années et qui ont permis l’émergence de la vie et dont on pointe les différences par rapport aux conditions expérimentales des diverses soupes prébiotiques, comme l’analyse des météorites ont conduit à des hypothèses sur l’origine extra-terrestre de la vie. La proposition n’est pas nouvelle. Elle agaçait Marx, non pas tant à cause de l’hypothèse scientifique, que de sa dimension dilatoire et d’éventuels relents créationnistes qui freineraient une recherche matérialiste[106].

 

Bien qu’ils soient placés en dehors ou à la frontière de la vie, l’étude des virus a joué un rôle déterminant dans la compréhension et la démonstration que les acides nucléiques étaient les porteurs de l’information génétique[107]

 

La classification du vivant qui domine actuellement la théorie biologique, même si elle se limite à la vie terrestre, n’inclut pas dans sa définition du vivant l'univers des virus. Quelles sont les différences qui conduisent à des débats où nous reconnaissons rapidement l’omniprésence de dame métaphysique et corrélativement l’absence, sinon la présence inconsciente, de la seule méthode qui serait nécessaire : la dialectique[108] ?

 

Les héritiers de la pensée métaphysique en matière de représentation de la matière, et à ce titre relativement dépendants d'enjeux de classes, ont toujours eu du mal à concevoir une systématique qui ne s’arcboute pas sur de « hard and fast lines »[109] qui ne peuvent exister ni dans le monde du vivant ni à sa frontière.

 

Dans les années 1950 naît la systématique phylogénétique, autrement nommée le « cladisme »[110], mais sans que cette classification soit consensuelle puisqu'une autre école dite « évolutionniste » ou « synthétiste » s'y oppose[111], cette dernière prenant en compte également les différences de phénotype dans l'approche de la complexité du vivant. Les débats épistémologiques sur ces sujets sont encore vifs à l'heure actuelle et aucun consensus scientifique n'est obtenu[112].

 

Parmi les critères qui pourraient caractériser le vivant figure la possibilité de se mouvoir, se nourrir et se reproduire. L’argument fondamental pour ne pas classer le virus dans le monde du vivant est que le virus ne peut se reproduire sans la cellule[113]. Or dans le cas du lichen, rétorquerons-nous, qui est l'association indéfectible d'une algue et d'un champignon il n'y a pas d'autonomie possible pour chacun des deux éléments indépendamment de l'autre. Sur un autre plan, le virion est assimilé à une particule inerte et donc écarté du vivant, alors que les spores du champignon qui sont tout aussi inertes ne sont pas écartés de la sphère du vivant. Enfin, nous le verrons, et cela conduit nécessairement à un pas dialectique de plus, le vivant, assimilé ici à la cellule, ne peut évoluer et donc de reproduire que par l’action des virus qui contribuent à des transferts de gènes. De même que l’organique n’existe qu’en relation avec le minéral et inversement, le vivant cellulaire n’existe et n’évolue que parce qu’il est dans un bain de matière dite inerte, un bain de virus avec lequel il entretient une relation fusionnelle. Pour exister et se développer chacun a besoin de l’autre. Avec la particularité que les virus sont en bien plus grand nombre que les bactéries. Les cibles sont en bien plus petit nombre que les parasites et les parasites se reproduisent plus vite que les cibles qu’ils contribuent à faire évoluer. La matière « inerte » est dotée d’une « vitalité » plus grande que la matière « vivante » !

 

Un autre grand critère c'est « la capacité d'un organisme à trouver dans son environnement des éléments lui permettant de survivre » ; échanges de nutriments, production d'énergie, rejet des déchets des processus de transformation et de croissance. Or les virus ne possèdent pas en leur sein la machinerie biochimique nécessaire à ces processus et ils doivent utiliser celle des cellules.

Mais la découverte de virus géants comme les Mimivirus (1992)[114] puis les Mamavirus[115] (2008) et les Pandoravirus (2013) illustrent non seulement que certains virus dépassent la taille de certaines bactéries mais sont de plus, aussi ou même plus complexes que certaines d'entre-elles voire de cellules eucaryotes (cellules avec un noyau).

 

D’autre part, le détournement de la machine cellulaire par le virus conduit à un moment à un changement qualitatif, reconnu peut-être aussi par Lwoff[116], la cellule n’a plus de fonction reproductrice pour elle-même mais devient une unité productrice de virions. Ce qui fait dire à certains biologistes, mais c’est aussi un développement unilatéral, que nous sommes en présence de « cellules virales »[117].

 

Dans le même sens, leur patrimoine génétique n'a rien à envier à celui des bactéries à ADN. Alors que les virus courants, comme celui de la grippe ou du SIDA n’ont qu’une dizaine de gènes, le Mamavirus dépassait les mille gènes. Le Pandovirus élargit encore cette perspective. Le Pandovirus salinis dispose de 2500 gènes capables de fabriquer, selon le « code » génétique universel commun à l’ensemble du vivant, des protéines inexistantes dans le monde des autres virus et des organismes vivants. Le dogme d’une frontière nette entre le monde des virus et celui du vivant, dogme de base de la virologie établi dans les années 1950, reçoit un nouveau démenti. Ces virus conservent toutefois certaines caractéristiques propres aux virus : absence de ribosome, de production d'énergie et de division[118].

 

Par ailleurs ils sont, à l'instar des bactéries, eux aussi parasités par des virus plus petits ; les virophages[119]. Avec cette découverte est tombé l’argument qui laissait les virus en dehors du monde du vivant car ils ne pouvaient pas être infectés.

 

Un troisième critère retenu dans la classification du vivant est celui de la reproduction.

 

Dans ce domaine nous voyons que les virus qui certes, ne possèdent pas la faculté de se reproduire de façon autonome, ont tout de même un génome permettant à chacun de ses représentants de reproduire son espèce[120]. Bien plus, les analyses plus récentes[121] sur les Pandovirus (dont le nombre a augmenté) ont confirmé que ceux-ci avaient un très grand nombre de gènes dits « orphelins », c’est-à-dire sans équivalent dans les autres organismes (y compris les virus). Bien plus, la comparaison entre les divers Pandovirus montre que ces gènes orphelins sont particuliers à un Pandovirus donné. Ils ne résultent donc pas d’un ancêtre commun. D’où l’hypothèse d’une création spontanée et aléatoire de ces gènes à partir des régions « non-codantes » ou intergéniques du génome, fort importantes dans ce type de virus. Notons au passage que cette autre frontière entre l’ADN « codant » et « non-codant », dont nombre de biologistes pensaient qu’on pourrait s’en débarrasser, tend à se brouiller, le « non codant » devenant ici un réservoir potentiel de gènes nouveaux. La création de gènes de novo[122] a déjà été mise en évidence pour de nombreux organismes y compris pour la mouche du vinaigre. Par ailleurs, il a été montré que les gènes pouvaient voyager[123] entre des organismes qui ne relèvent pas de la même espèce contribuant ainsi à rapprocher des organismes qui, par ailleurs, sont engagés dans des processus de différenciation. En ce qui concerne notre sujet, les virus (ce peut être aussi le cas pour des bactéries) jouent un rôle dans ce transfert entre organismes et contribuent à modifier le génome des organismes vivants, ajoutant ainsi à la panoplie des modalités permettant de modifier le génome.

 

Outre le transport de matériel génétique en provenance de divers organismes, les virus parviennent également à modifier le génome dans la mesure où l’ADN viral peut aussi s’incorporer à celui-ci Si les plantes et les animaux contiennent des rétrovirus endogènes, il en va de même pour l’Homme moderne comme pour d’autres représentants du genre homo (néanderthaliens, denisoviens, …). « En conclusion, le génome comprend des séquences d'ADN d'origine rétrovirale (8%), vestiges de l'infection de cellules de nos ancêtres primates il y a plusieurs millions d'années et la plupart de ces séquences semblent inactives ; cependant certaines d’entre elles codent encore des protéines. Il existe une forte présomption pour qu’elles puissent jouer chez l’Homme un rôle en physiologie (placenta) ou en pathologie (maladies auto-immunes). Enfin ces séquences émanent des rétrovirus qui ont la capacité de transformer leur ARN en ADN (transcriptase reverse), ce qui les place dans une position favorable pour être à l’origine de la vie et de son évolution sur la terre. L’ARN et /ou le virus à ARN serait-il à l’origine de la vie ? La question est actuellement débattue par la communauté scientifique. On estime ainsi que 8%[124] du génome humain est d’origine virale. » [125].

 

Le génome humain étant constitué d’environ 3 milliards de paires de bases, cela représente environ 240 millions de paires de bases d’origine virale ! Les plus anciennes insertions rétrovirales dateraient de plusieurs millions d'années[126],Une nouvelle discipline a été créée pour étudier ces phénomènes : la Paléovirologie.

Enfin, la reproduction d'agents infectieux extrêmement mystérieux en tant qu'ils ont tendance à contrarier les principes de classification basés sur la possession d’acide nucléique (ARN ou ADN) ont remis en cause une autre frontière : celle qui n’admettait dans les agents infectieux que les virus, bactéries, champignons et parasites. La découverte des prions, classés désormais dans les ATNC, les agents transmissibles non conventionnels, responsables notamment de l’Encéphalopathie Spongiforme Bovine (ESB -1986), la maladie de la vache folle, ou encore de l'Insomnie Fatale Familiale (IFF – 1986), montre qu'il existe des agents encore plus rudimentaires (ce sont des protéines dont la conformation est modifiée), a priori plus petits que les virus, ne possédant même pas de génome et pourtant capables de se répliquer.

 

Tous ces contre-exemples mettent à mal le système des représentations scientifiques attachées à définir « le vivant »[127]. Mais si le bourgeois métaphysicien en perd son latin, le dialecticien matérialiste y voit lui, au contraire, une preuve supplémentaire que les représentations de la matière, et de la matière vivante tout spécialement, ne sont que des étapes provisoires dans le vaste cours de la connaissance humaine.

 

Avec des virus (virus à ARN), sinon l’ARN lui-même, qui sont candidats à être à l’origine de la vie, qui sont des jalons (girius – virus gérants) vers les formes primitives de la vie et des foyers de création de gènes (pandovirus), qui interagissent avec le vivant (gènes voyageurs) et en deviennent des composantes permettant l’évolution du vivant (rétrovirus), les représentations qui reposeraient sur un « ou bien ceci ou bien cela », caractéristiques du mode de pensée métaphysique, doivent y ajouter le « aussi bien ceci … que cela », caractéristique de la pensée dialectique, afin d’assurer la médiation des contraires.

 

Notons au passage que les mécanismes purement darwiniens que le marxisme a toujours regardé avec circonspection[128] sont largement complétés sinon remis en cause.

4.2             Multiplication virale

Même s'ils ne peuvent le faire seuls, les virus possèdent néanmoins la capacité de se répliquer en tant qu'ils disposent d'un génome. Certes, cette réplication est soumise à leur absence d'autonomie, puisqu'elle exige d'eux qu'ils parasitent des cellules pour exploiter leur capacité reproductive et produire de nouveaux virions (les nouveaux individus, les nouvelles particules virales, propres au virus reproduits dans une cellule et possédant, s’ils n’ont pas muté, le même génome). C’est en infectant une cellule que les virus vont pouvoir disposer des systèmes de synthèse et de l’énergie qui leur est nécessaire pour leur réplication[129]. Les virus ne se divisent pas comme les cellules mais se répliquent. Pour se donner une idée, notons que la souche originelle du virus responsable de la Covid-19 peut se répliquer jusqu’à 100 fois en 48 heures. A ce titre il est de 5 à 10 fois plus rapide que celui du SRAS de 2003[130] Il produit également 3,2 fois plus de particules virales que le SRAS. En règle générale, la réplication des virus est à la fois très rapide et exponentielle[131].

 

Outre la réplication, les virus, et tout particulièrement les virus à ARN, les ribovirus, mutent rapidement. Les virus à ARN, comme les coronavirus sont des organismes dont l'évolution est très rapide[132].

 

Les rétrovirus sont des virus à ARN mais ils font l’objet d’un classement spécifique dans cette catégorie dans la mesure où ils passent par une rétrotranscription en ADN. Avec eux, un autre dogme de la biologie est tombé. Le schéma n’est plus univoque : ADN transcrit en ARN. Il admet sa réciproque, le phénomène inverse : ARN transcrit en ADN. Pour cette raison on parle de rétrotranscription et les virus sont appelés rétrovirus.

 

Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de souligner que ces organismes qui sont classés en dehors du monde du vivant sont aussi ceux qui ont la plus grande « vitalité ». Bien plus, ils sont un marqueur du vivant. Partout où il y a la vie, il y a des virus. En général, ils sont d’ailleurs en bien plus grand nombre que les organismes cellulaires. On estime qu’il y a dix fois plus de virus que d’organismes cellulaires.

 

Cette mutabilité à taux élevé sur laquelle repose leur potentiel évolutif, repose sur une multiplication d’« erreurs »[133] lors de la réplication du génome. Par exemple, dans le cas du VIH (le virus du SIDA), le taux d’erreur est de 1 pour 10 000 nucléotides (10-4) assemblés[134]. Comme le génome du VIH contient environ 10 000 nucléotides[135], généralement le fils est différent du père.

 

C’est que les virus à ARN sont incapables de « corriger ces erreurs » ce qui n’est pas le cas pour les virus à ADN qui bénéficient d’un « code de correction des erreurs ». « Le dernier nucléotide mis en place est systématiquement contrôlé. S'il existe une erreur d'appariement, il est retiré puis remplacé par celui qui convient. ». « La réplication de l'ADN est un processus très fidèle. Grâce aux mécanismes de correction, le taux d'erreur est faible. ». Les coronavirus ont un génome d’environ 30 000 nucléotides[136], ce qui est exceptionnel pour des virus à ARN, réputés les plus simples. Un telle taille devrait les prédisposer à des mutations mais il n’en va pas ainsi car, c’est une exception dans le monde des virus à ARN, ils disposent d’une enzyme (exonucléase) qui permet la correction d’erreurs[137].

 

De même qu’une secte qui a réussi devient une église, des mutations réussies se traduisent par une variation. Ces variations sont autant d’adaptations et de modalités par lesquelles les virus évoluent et par la même occasion maintiennent leur existence.

 

Outre les mutations, interviennent aussi des combinaisons. Une partie du génome d’un virus se combine avec le génome d’un autre pour former un nouveau génome. L’analyse du génome du SARS-CoV-2 a fait émettre l’hypothèse qu’il pourrait s’agir de la combinaison de deux coronavirus infectant le même animal. Certaines séquences étant issues de la chauve-souris et d’autres du Pangolin. Si cette hypothèse est en définitive peu probable[138], il reste que les combinaisons de virus sont un phénomène d’autant plus fréquent dans le monde des coronavirus que les mutations y sont limitées par l’action d’enzymes correctrices. Les combinaisons entre virus de même nature sont assez fréquentes. En revanche, une combinaison entre deux virus différents suppose l’infection d’une même cellule par les deux virus ce qui rend ce phénomène extrêmement rare[139].

 

Si l’erreur au cours de la réplication est un des fondements de l’évolution des virus, l’erreur[140] avant la réplication n’en est pas moins un facteur important de l’évolution. Il ne s’agit pas alors tant du virus lui-même que de son hôte. Nous l’avons vu, le génome humain est composé pour environ 8% d’ADN d’origine virale. Mais comme les virus à ADN utilisent leur propre matériel génétique pour se répliquer, la présence d’ADN viral dans le génome ne provient que des rétrovirus. Ces séquences virales sont appelées rétrovirus endogènes (ERV). Les diverses modifications, mutations, recombinaisons, qu’ils ont subies les rendent généralement incapables de coder des protéines, mais ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, des gènes de virus endogènes sont impliqués dans la formation du placenta. L’affaire remonte à loin, et des gènes ayant infecté des rongeurs il y a des millions d’années auraient un rôle dans la formation du placenta des mammifères actuels[141]. En règle générale, une fois l’ADN viral introduit dans la cellule hôte, les virus détournent à leur profit la machinerie cellulaire pour aboutir à la libération de nouveaux virions. Mais il arrive que ce détournement échoue. S’il concerne une cellule germinale, l’ADN proviral reste dans le patrimoine génétique et peut se transmettre de génération en génération[142]. Ces échanges entre virus et hôtes ont contribué à l’évolution de la vie sur la planète. Ce phénomène nommé transfert horizontal de gènes permet des transmissions de matériel génétique entre divers organismes, et se distingue donc de la transmission "verticale" de l’ADN qui va des parents à la progéniture. Ces transferts ont des conséquences évolutives pour le virus et l’hôte, jouant un rôle important dans la diversité de la vie tout en étant un facteur d’évolution du vivant lui-même[143].

4.3             Les virus ne sont pas forcément dangereux

Face à la dramatisation excessive que la bourgeoisie a développée face à la pandémie de la Covid-19, il convient de souligner à quel point les virus ne sont pas nécessairement dangereux pour l'humanité.

 

Nous avons déjà rappelé que l’étymologie de virus (toxine, poison) n’était plus en phase avec la représentation que s’en fait aujourd’hui la biologie. S’ils ont été tout d’abord appréhendés à travers leur dimension pathogène, et pendant toute une période les virus ont été classés en fonction des maladies qu’ils provoquaient, une meilleure compréhension de leur rôle conduit à ne plus voir en eux des ennemis systématiques qu’il faudrait éradiquer.

 

Nous avons déjà montré qu’ils étaient un facteur indispensable à la vie et à son évolution, que l’échange et les relations entre les organismes « inertes » qu’ils sont quand ils prennent la forme du virion et la cellule dotée d’autonomie, avec son métabolisme, étaient indispensables l’un à l’autre pour évoluer et créer les conditions et des formes de vie supérieures. En effet, outre la complexification de la vie par l’évolution et l’agrégation des micro-organismes, les bactéries, associées aux virus, ont permis que s’établisse l’atmosphère terrestre que nous connaissons avec notamment le remplacement d’une grande partie du dioxyde de carbone par de l’oxygène. De même une partie des gènes responsables de la photosynthèse de certaines bactéries sont d’origine virale.

 

D’une certaine manière on peut dire que l’Homme baigne dans un bain de micro-organismes, bactéries, champignons, virus. Le nombre de bactéries sur le corps humain est supérieur au nombre de cellules humaines et on estime à 3000 milliards (environ 1/10 des cellules) le nombre de virus sur le corps humain qui en inhale 200 000 par minute. Ils sont indispensables à la vie de l’Homme et contribuent aussi bien à son équilibre vital qu’à sa déstabilisation[144]. Par exemple, si nous prenons le microbiote de la peau, diffèrent par ailleurs suivant les zones de celle-ci, il est composé de bactéries, de champignons et de virus qui agissent de concert avec les cellules de la peau pour la protéger contre d'autres micro-organismes pathogènes[145].

 

Nous arrivons à une époque ou virus et bactéries qui sont une part fondamentale de notre écosystème sont susceptibles d'être utilisés consciemment par l’Homme. Nous sommes passés du stade de leur invisibilité et de leur domination exclusive aux premières heures de la vie, à la reconnaissance de leur existence, tout d’abord via les effets pathogènes qu’ils pouvaient avoir sur l’Homme, les plantes et les animaux pour arriver à un stade ou le degré de connaissance scientifique permet de les utiliser et de les dominer. Cela ne va pas dans notre mode de production sans apprentis sorciers puisque, par exemple, une hypothèse qui a toujours de l’actualité veut que le virus de la covid19 se soit échappé d’un laboratoire. Et comme les guerres et leurs préparatifs sont un facteur accélérateur de la recherche scientifique et technique, nous savons que la guerre bactériologique vient compléter les guerres nucléaire, chimique ou mécanique. Signe d’un hyper développement du mode de production capitaliste, la science qui correspond à cette époque est la biologie, une science où les lois du mouvement y sont les plus complexes et qui exige d’autant plus de penser dialectiquement[146].

 

Le concept de bactériophage a été créé par Felix d'Hérelle (1873-1949). Autodidacte en bactériologie, selon ses dires, il isole l'agent infectieux de l'entérite des sauterelles ce qui lui permettra de lutter efficacement contre les invasions de cet insecte. Par la suite il découvre l'existence de virus[147] antagoniques du bacille dysentérique.

Cette recherche sera supplantée par la découverte des antibiotiques mais cette thérapie, qu’il nommera phagothérapie essaimera dans le monde. En particulier en Géorgie et via celle-ci dans d’autres parties de l’Union soviétique par l’intermédiaire d’un des élèves d’Hérelle, George Eliava faisant de la Géorgie et de la Russie un des centres actifs encore actuel de production de bactériophages. Devant le développement de la résistance aux antibiotiques la phagothérapie reçoit un regain d’intérêt. Par exemple, la société Pherecydes Pharma, introduite récemment en bourse (elle a aujourd’hui perdu 80% de sa valeur d’introduction), se propose de développer cette thérapie[148].

 

Un autre aspect des virus qui nous permettrait de tirer avantage de leur configuration, serait de les transformer en distributeurs de produits thérapeutiques. Ils présentent en effet l'avantage de cibler des cellules particulières et si on les vide de leur génome tout en conservant leur capside, on leur ôte tout potentiel pathogène et on les transforme en « nano-boîtes » de médicaments en quelque sorte, qui iront délivrer le traitement dans la cellule visée, il s'agit des virosomes[149].

Il y a tout de même à l'heure actuelle un obstacle majeur à la généralisation du procédé c'est que le système immunitaire ne distingue pas le « virus-boîte de médicaments » du virus sauvage... « C'est pas gagné ! » comme dirait l'autre, mais c'est prometteur.

 

L'évolution du règne animal à laquelle nous appartenons en tant qu'espèce a pu se poursuivre jusqu'à aujourd'hui à travers ce subtil jeu de conquête et d'intégration, d'esquive et de côtoiement, de coopération ou de lutte à mort, entre différentes espèces naturelles en lice et ce n'est pas le statut d'espèce dominante de la nature qui peut définitivement nous émanciper de cette lutte permanente à assurer notre existence et notre développement dans l'univers jusqu’à notre propre dépassement.

 

5.          Mathématisation des études sur la diffusion des maladies contagieuses

 « Pouvons-nous dans nos représentations et nos concepts du monde réel donner un reflet fidèle de la réalité ? » (Engels, Ludwig Feuerbach…, ES p. 28)

 

Avec l’extraordinaire progression de la pandémie due au virus SARS-CoV-2, on a vu surgir de partout une pléthore de charlatans propageant des cures miraculeuses à côté de chercheurs sérieux (épidémiologistes, virologistes…) qui s’efforçaient de comprendre le phénomène. On a vu des gouvernements avides de mettre en œuvre des mesures de contrôle social sous couvert d’une politique de protection sociale à côté de professionnels de santé épuisés par de longues journées de soins. On a vu des géants pharmaceutiques développer en un temps record des vaccins contre la COVID-19 au milieu d’une féroce guerre pour accaparer la plus grande part de cet immense marché et les profits et surprofits qui vont avec, tandis qu’à la submersion des systèmes hospitaliers publics répondait la marée montante de leurs coûts, que par ailleurs, la bourgeoisie s’était efforcée de réduire depuis des décennies. Enfin, on a vu une combinaison disparate de réactions en face de la puissance de cet évènement sanitaire qui a mis à nu l’incapacité et l’incurie des bourgeoisies nationales à maîtriser la situation. Les populations étourdies ont reçu via les médias les plus autorisés une avalanche de prévisions contradictoires basées sur des courbes d’infections, de décès, d’hospitalisations, etc. Ces annonces étaient précédés – d’une façon explicite ou implicite - par une justification de ce qu’elles étaient fondés sur des « bases scientifiques », malgré la multitude frappante des échecs de leurs prévisions.

 

Ces résultats contradictoires ont renforcé les discours anti-scientifiques tout particulièrement répandus avec une extraordinaire amplification par lesdits « réseaux sociaux », qui niaient, parmi d’autres aspects, l’utilité des modèles épidémiologiques comme outil d’appui à la compréhension des phénomènes épidémiques et à la formulation des hypothèses prédictives sur leurs évolutions[150]. De toute façon, on peut se demander si les critères scientifiques qui fondent ces modèles sont suffisants pour nous donner la capacité de comprendre l’évolution des épidémies. Permettent-ils de l’anticiper et de mieux guider la vie sociale selon les particularités des territoires frappés par des virus dangereux ? Quel est le degré de fidélité et d’utilité des représentations et des concepts exprimés par ces modèles soutenus sur un appareil mathématique important ?

5.1             Difficultés pour la prédiction de la propagation des maladies infectieuses

Depuis le déclenchement de l’épidémie de COVID-19 au Wuhan, nombre de prestigieuses institutions bourgeoises, partout dans le monde, ont annoncé leurs projections pour l’épidémie en Chine. Pourtant, leurs résultats présentaient une très large variation : par exemple, l’estimation du nombre de reproduction de base (nombre que le grand public allait apprivoiser sous le terme de R0), c’est-à-dire le nombre moyen de personnes qu’une personne infectée peut contaminer (juste au début d’une épidémie avant que des mesures de contrôle sanitaire soient mises en œuvre), variait entre 2 et 6, et le nombre de personnes infectées de 50.000 à plusieurs millions, etc. Pourquoi une telle variation, alors que des modèles mathématiques consacrés par l’expérience épidémiologique sont utilisés depuis longtemps ?

 

Concernant les résultats des modèles fondés sur les données disponibles avant le 23 janvier 2020 – où Wuhan a fait l’objet d’un confinement général -, une réponse simple est qu’il y a eu très peu d’information avant cette date. Cependant, d’une manière générale, pour une épidémie qui s’avère très contagieuse et possède un taux de létalité[151] important, ne faut-t-il pas disposer de modèles dont les résultats soient plus précis afin que des mesures sanitaires efficaces puissent être mises en place rapidement pour contrôler sa propagation, même si les informations sont éparses ? On peut entrevoir ici deux problèmes : la définition d’un modèle de représentation de la réalité dynamique de la transmission d’une épidémie et la maîtrise effective de la situation sanitaire qui en découle.

 

Quel que soit le modèle choisi, le manque de données utiles est une préoccupation permanente pour la modélisation scientifique. La production comme la diffusion de ces données sont en relation avec le mode de production en vigueur et donc, à notre époque, tributaires de la société bourgeoise contemporaine et de ses effets délétères. D’autre part, on peut également se demander si le modèle reflète bien au cours du temps le comportement changeant des phénomènes exprimés par les données disponibles et, tout particulièrement, s’il aide à améliorer leur compréhension.

 

Une des explications pour la variabilité des modèles épidémiologiques est le degré de connaissance des relations entre les données disponibles (par exemple, les chiffres de cas confirmés) et les résultats du modèle. Normalement, la notion de cas confirmé s’applique aux personnes avec des symptômes de la maladie qui ont contacté un service de santé, effectué un test de détection et confirmé l’infection par des tests supplémentaires. Cependant, les paramètres des modèles types de transmission d’une infection supposent que le nombre d’infectés est équivalent à toute la population infectée. Dans la réalité, les cas confirmés ne sont qu’une fraction du total de la population infectée. Celle-ci est d’autant plus méconnue par les organismes de santé que les programmes gouvernementaux de tests sont largement insuffisants. Cette fraction, généralement largement majoritaire et qui appelle la métaphore de l’iceberg, constituée par les symptomatiques non testés, les asymptomatiques, les erreurs de diagnostic (qui jouent dans les deux sens) est fréquemment appelée : « épidémie cachée »[152]. L’expérience épidémiologique montre que le rapport entre les cas confirmés et le total de la population infectée peut varier largement selon la nature des infections virales[153] et, tout particulièrement, pour une épidémie émergeante encore inconnue. La grande amplitude de la variation potentielle de ce rapport a de grandes conséquences sur l’évaluation du taux de transmission de la maladie et des facteurs qui sont à la base des modèles épidémiologiques.

 

En dépit des progrès dans l’épidémiologie et la virologie, tant du point de vue théorique que technique, le non-spécialiste ne peut que constater qu’il reste pas mal de difficultés pour évaluer la relation entre « épidémie cachée » et « épidémie attestée ». Les mutations continuelles, plus ou moins importantes des virus, favorisées par l’incapacité des bourgeoisies nationales à maitriser la crise sanitaire et la complexité du mécanisme de transmission de la maladie en font une des premières raisons.

Il y a une grande complexité dans la combinaison de nombre de facteurs que nous diviserons en deux catégories pour faciliter leur identification.

La première comprend les interactions entre les pathogènes, entre ceux-ci et les humains, et entre les humains eux-mêmes.

La deuxième subsume la première au sein des interactions démographiques, environnementales, sociales et politiques.

Néanmoins, il ne faut pas écarter – ce que les modèles existants font - que toute cette dynamique se produit sous la domination des rapports sociaux capitalistes, qui amplifient la concurrence entre institutions de recherche qui est un aspect de la concurrence entre bourgeoisies nationales à la recherche de gloire et de célébrités, l’incurie de ces mêmes bourgeoisies et de leurs Etats pour maîtriser la situation sanitaire, autant de facteurs qui aboutissent à saboter les efforts pour la compréhension du problème. Qui plus est, le terme lui-même : « épidémie cachée » porte bien son nom ; il est en soi très révélateur. Les Etats bourgeois (nous avons vu ci-dessus que les classes dirigeantes se comportent de la même manière lors des épidémies) cachent sans exception le déclanchement d’une épidémie et la portée de sa transmission, qui peut menacer d’une façon plus au moins importante la tranquillité des affaires et donc la production d’un maximum de plus-value.

 

D’un point de vue pratique, la mise en avant des facteurs politiques et sociaux dominants ne doit pas faire oublier les difficultés d’ordre opérationnel (qui certes ne sont pas indépendantes des rapports sociaux) que toute organisation doit prendre en compte pour évaluer l’importance de l’« épidémie cachée » (logistique d’un large programme de dépistage, personnel qualifié disponible, importance des symptômes qui conduisent à entrer en contact avec un organisme de santé, part des asymptomatiques, …) et qui demandent une masse importante de travail social.

 

Quant aux populations, une question sensible est que si on ne dispose que du nombre de cas confirmés, le taux de létalité de la maladie infectieuse est d’autant plus grand que la part de l’« épidémie cachée » est importante. Donc, selon les circonstances politiques et sociales, le maintien de la méconnaissance de la partie cachée, quand ce n’est pas l’épidémie elle-même, peut être politiquement manipulée de façon convenable par les classes dirigeantes. Par exemple, aussi longtemps que le nombre absolu des décès ne paraît pas important, un gouvernement peut limiter les investissements en politiques efficaces de dépistage et d’infrastructure de santé publique. De même, un gouvernement peut écarter la mise en œuvre de stratégies privilégiant la prévention (par exemple, le confinement) qui pourraient menacer les affaires, au nom du « maintien des emplois » et de la « santé de l’économie ». Par contre, en faisant d’un taux de décès élevé un spectacle terrifiant, la peur propagée peut favoriser l’obtention d’un soutien favorable à un gouvernement pour mettre en œuvre des mesures d’exception qui apparaissent comme des mesures de protection de santé publique, mais qui interdisent par la même occasion certaines expressions de la lutte des classes (réunions, manifestations, ...)

5.2             Petit historique de la modélisation mathématique en épidémiologie

« Marx retrouvait dans les mathématiques supérieures le mouvement dialectique sous sa forme la plus logique et la plus simple. Une science, disait-il, n'est vraiment développée que quand elle peut utiliser les mathématiques. » (Lafargue, P. Souvenirs personnels sur Karl Marx, Die Neue Zeit, IX Jhrg., 1890-1891, pp. 10-17, 37-42.)

 

L’utilisation de modèles mathématiques en tant que support de premier ordre dans les recherches sur la nature des phénomènes épidémiologiques a une longue histoire : presque 400 ans !

 

L’étude systématique des données des maladies et des décès qui en découlent commencerait avec John Graunt (1620-1674)[154], un mathématicien et démographe anglais contemporain de l’essor de la manufacture (et pour cause !) et de l’augmentation qui lui est liée de la population de Londres (de 50.000 à 500.000 habitants environ entre 1500 et 1700)[155]. Il analysait les bulletins de décès hebdomadaires de la grande ville pour estimer de façon systématique les risques comparatifs de mourir de maladies diverses. Il propose la première approche connue en épidémiologie comme la théorie des « risques concurrents »[156].

 

Le mathématicien suisse Daniel Bernoulli (1700-1782) a conçu une approche plus théorique des effets d’une maladie infectieuse, en l’occurrence la variole. Il proposait, apparemment pour la première fois, un modèle mathématique en épidémiologie lors de ses études des risques de la variolisation (l’inoculation avec un virus vivant obtenu directement d’un patient avec un cas léger de variole ; cette méthode est l’ancêtre de la vaccination). A l’époque, la variole est endémique et responsable de la mort d’environ 10% des enfants. Son modèle dérivait de l’analyse des décès et son but était de calculer l’augmentation de l’espérance de vie si la variole pouvait être éliminée comme cause des décès. Les résultats des calculs du modèle sur les cas de mortalité dues à la variole montraient l’avantage de la variolisation[157], c’est-à-dire la diminution du risque de mourir de la variole comparativement aux autres causes de mortalité par des maladies concurrentes.

 

Plusieurs études ont suivi afin de comprendre les causes et les mesures de prévention des maladies infectieuses, tout particulièrement par la connaissance, depuis la fin du XIXe siècle et le début du XXe, du mécanisme de leur transmission du fait du contact entre un individu infecté et un individu sain.[158]

Dans La situation de la classe laborieuse en Angleterre, Engels décrit largement l’énorme mortalité (spécialement l’effroyable mortalité infantile) et les épidémies périodiques (variole, rougeole, choléra, typhus…) qui frappaient le prolétariat anglais. La grande industrie est en plein essor dans les années 1830-1840 et les statistiques montrent que ces maladies étaient, en général, plus meurtrières dans les grandes villes que dans les régions rurales. Dans ce contexte social, en 1840 William Farr (1807-1883), un épidémiologiste anglais, compilant les données, entre 1837 et 1839, du rapport annuel de naissance et mortalité en Angleterre et le Pays de Galles sur les maladies comme causes des décès, essaie de caractériser mathématiquement le taux de décès trimestriel dû à l’épidémie de variole. Farr concluait que dès lors que l’épidémie régresse, on peut détecter un taux constant de décélération dans le nombre de décès par trimestre, lequel arrive à une intensité minimale et reste stationnaire. Quoiqu’il ne procède à aucune formalisation mathématique pour la courbe résultante du cours observé de l’épidémie, il note que les évènements épidémiques augmentent et diminuent dans une tendance approximativement symétrique qui peut s’approcher d’une « courbe en cloche » de Gauss[159]. Cette conclusion, qu’il a observée pour d’autres épidémies (peste bovine en 1866, par exemple) est connue comme « Loi de Farr » et a joué un rôle important dans l’histoire de l’épidémiologie.

 

Malgré les analyses empiriques, on n’avait pas, à l’époque, de modèle théorique pour expliquer la dynamique de diffusion d’une maladie. Pour avoir une représentation mathématique d’un modèle de propagation d’une maladie infectieuse qui permettrait son calcul, il fallait avoir, au-delà des connaissances du phénomène pathogénique, quelques suppositions sur la dynamique de diffusion de l’infection dont le support fondamental est une forme de contact. Apparemment, la première description d’un modèle mathématique de transmission de maladies infectieuses est due, en 1889, au médecin russe Pyotr Dimitrievich Enko (1844-1916)[160]. Mais, ce n’est qu’en 1906, avec le médecin anglais William Heaton Hamer (1862-1936), dans ses études sur la récurrence d’épidémies de rougeole et de grippe à Londres, qu’on élabore un modèle mathématique plus cohérent. Les ajustements de données préfiguraient l’application d’un principe connu désormais comme « la loi d’action de masse » laquelle comprend le principe du « mélange homogène ». Le premier concept, importé de la chimie[161], implique que, dans la transmission d’une infection, le nombre de cas secondaires engendrés par un individu infectieux est proportionnel au nombre d’individus sains dans la population à un moment donné ; le nombre de reproduction de base (R0) qui devient (Rt), le nombre de reproduction effectif, dès lors que l’on prend en compte le temps est donc variable et décroissant. Le deuxième concept considère que les interactions entre individus suffisamment nombreux induit une contamination homogène, égale à ce nombre de reproduction au temps t, pour un très bref intervalle de temps. Ces résultats théoriques sont à la base de nombre de développements ultérieurs de la théorie de la transmission des épidémies.

 

Le médecin anglais Ronald Ross (1857-1932)[162], qui a reçu le Nobel de Médecine en 1902[163] pour son travail sur la malaria, poussait plus avant la modélisation de la dynamique de transmission des épidémies en proposant, en 1911, un modèle mathématique de prédiction de la transmission de la malaria par les moustiques (les vecteurs de l’infection), à base d’équation différentielle afin de représenter plus fidèlement son évolution dans le temps. Le modèle montrait que la réduction de la population de moustiques en dessous d’un seuil critique estimé serait suffisante pour endiguer la propagation de l’épidémie, sachant qu’il était impossible d’éliminer toute la population de moustiques.

 

Les travaux du biochimiste écossais William Ogilvy Kermack (1898-1970) et du médecin et épidémiologiste, également écossais, Anderson Gray McKendrick (1876-1943) permettaient de faire un pas en avant par rapport aux modèles de leurs prédécesseurs et dans l’histoire de la modélisation mathématique en épidémiologie. Ils proposèrent en 1927 un formalisme plus cohérent pour caractériser les éléments de base d’un modèle général de transmission des épidémies qui mûrissait depuis Bernoulli[164]. Dans son essence, le modèle de Kermack-McKendrick peut être décrit comme un modèle compartimental avec trois compartiments[165] qui caractérisent les individus d’une population du point de vue d’une épidémie : le compartiment S (pour susceptibles en anglais) contient les individus sains qui n’ont pas l’immunité et donc qui sont susceptibles d’être contaminés ; le compartiment I (pour infected en anglais) contient ceux qui ont la maladie – les infectés - et peuvent la transmettre ; le compartiment R (pour removed en anglais) contient ceux qui ne sont plus malades - les retirés -, soit parce qu’il sont morts, soit parce qu’il sont guéris et par suite immunisés (recovered en anglais, guéries) après l’infection. Ce modèle, connu plus tard comme SIR et popularisé actuellement par les médias pendant la pandémie du Covid-19, est le plus simple et le plus fondamental des modèles théoriques en épidémiologie.

 

Les deux propriétés fondamentales du modèle sont :

(a) il y a une quantité limite qui détermine si la maladie s’éteindra sans se répandre ;

(b) l’épidémie s’éteindra en laissant quelques individus non infectés.

Il permet de calculer la variation de la proportion de la population dans chacun des compartiments à chaque moment du temps et la détermination du taux de variation du flux d’individus par unité de temps entre les compartiments, c’est-à-dire des individus sains susceptibles d’être infectés qui le deviennent (taux d’infection) et de ceux qui étaient infectés et qui sont guéris (taux de rétablissement). Basé sur les caractéristiques épidémiologiques de la maladie, il suppose que le taux per capita qu’un individu sain soit infecté est proportionnel à la prévalence de l’infection au sein de la population[166] ; ce taux n’est pas constant au cours du temps.

 

Néanmoins, ce modèle considère que la population est constante, c’est-à-dire qu’il ne prend pas en compte les naissances et les décès autres que ceux dus à la maladie, et qu’elle possède la propriété de « mélange homogène » que nous avons vue ci-dessus. Pour traiter les caractères endémiques d’une épidémie (son établissement et sa persistance au sein d’une population), nos auteurs ont publié en 1932 et 1933 des extensions du modèle de base. En bref, le modèle originel (1927) donne une formulation mathématique plus cohérente aux conclusions empiriques de Farr. Le nombre d’infectés augmente de façon exponentielle jusqu’à ce que la proportion de gens sains (compartiment S) dans la population ait suffisamment diminué et que la proportion des gens guéris immunisés (compartiment R) ait suffisamment augmenté[167]. A partir de là, le nombre de personnes infectées commence à diminuer jusqu’à une possible extinction de l’épidémie, parce qu’une partie toujours croissante de la population guérit tandis que l’épidémie rencontre chaque fois plus de difficultés pour se diffuser[168]. La solution quantitative d’un tel modèle, pour le nombre d’individus infectés par unité de temps, peut être représentée par une « courbe en cloche », une courbe de Gauss (quand-même !), bien qu’elle ne soit pas approximativement symétrique comme le pensait Farr, mais asymétrique : la queue de la courbe est plus longue après le pic. La Figure 1 montre un exemple hypothétique de ce phénomène[169].

 

Figure 1 – Exemple de solution d’un modèle SIR

 

Le modèle de Ross, comme le modèle de Kermack-McKendrick, contient une quantité limite au-dessus de laquelle l’épidémie se propage au-delà d’un équilibre endémique. Il semble que l’anglais George MacDonald (1903-1967), dans ses travaux sur la malaria[170], soit le premier à nommer cette quantité limite de « nombre de reproduction de base », le fameux R0 des modèles modernes : le nombre moyen d’infections produites par un individu infecté au sein d’une population supposée entièrement saine[171]. Pour simplifier ce sujet compliqué, les modèles Kermack-McKendrick et de Ross sont dits modèles déterministes, parce qu’ils supposent que la taille des populations de chaque compartiment n’est qu’une fonction déterministe du temps. En d’autres termes, ce genre de modèle veut prédire d’une manière déterministe leurs quantités à un quelconque moment du temps à partir des conditions initiales de la période modélisée. La possibilité de cette prédiction dépend donc de la connaissance de ces conditions initiales, c’est-à-dire de l’état de la « triade épidémiologique » - agent infectieux, hôte de l’infection, facteurs environnementaux -, connaissance limitée par les possibilités pratiques de leur obtention.

 

Une hypothèse importante de ce type de modèle consiste à considérer que la taille des populations des compartiments est suffisamment importante pour qu’on puisse homogénéiser le comportement des individus qui les composent (« mélange homogène »). Dans ce cas, les effets des actions aléatoires particulières de certains individus (super contaminateurs, individus infectés contaminant un grand nombre de personnes, par exemple. Dans le cas de la covid, on estime que 10% des personnes contaminées sont responsables de 80% des contaminations) sont intégrés dans la tendance globale de la dynamique de transmission de la maladie. Cependant, au moment même du déclenchement d’une maladie infectieuse, le nombre d’individus infectés est relativement petit. Dans ce cas, les effets de leurs contacts aléatoires gagnent de l’importance et doivent être pris en compte. Ceci vaut aussi pour une population petite en taille. La modélisation d’un tel processus est plus compliquée et le type de modèle normalement employé est un modèle dit stochastique[172]. Les observations épidémiologiques constatent que dès lors qu’il existe un haut niveau d’incidence d’une maladie infectieuse au sein d’une population importante, un modèle déterministe peut être considéré comme une approximation raisonnable de la tendance de l’évolution de la diffusion de la maladie[173], malgré la nature aléatoire de la diffusion.

 

Le modèle d’Enko, mentionné ci-dessus, est le précurseur du modèle stochastique Reed-Frost, en référence au biostatisticien Lowell Reed (1886-1966) et à l’épidémiologiste Wade Hampton Frost (1880-1938). Il a été présenté par Frost en 1928. Une de ses suppositions est que chaque individu infecté pendant une période infecte de façon indépendante chaque individu sain avec une certaine probabilité. Pour une vaste population, cette probabilité peut être assimilée au « nombre de reproduction de base » (R0). Le modèle est donc calculé à maintes reprises et à chaque période il ajuste les conditions initiales selon les données empiriques de l’évolution d’une épidémie pour estimer son évolution pour les périodes successives. En 1949, le statisticien anglais Maurice Stevenson Bartlett (1910-2002) poussait cette approche plus loin et formulait un processus stochastique évolutionnaire où les probabilités de transmission d’une infection varient dans le temps selon la variation des flux d’infectés et de gens sains (il considérait l’immigration ou la reproduction démographique, par exemple) au cours d’une épidémie[174]. En partant du travail de Bartlett, le statisticien suisse Norman Thomas John Bailey (1923-2007) proposait en 1950 un modèle stochastique, qu’il qualifiait de « simple », pour améliorer le modèle Kermack-McKendrick lorsque les populations sont plus petites. Il faut souligner que le modèle stochastique de transmission d’épidémies de Bailey et une grande partie des modèles stochastiques qui le suivent, se rapportent directement aux modèles à compartiments, comme le SIR.

5.3             Avons-nous besoin d’une multitude de modèles ?

« Mais comme dans tous les domaines de la pensée, à un certain degré de développement, les lois tirées par abstraction du monde réel sont séparées du monde réel, elles lui sont opposées comme quelque chose d’autonome, comme des lois venant de l’extérieur, auxquelles le monde doit se conformer. C’est ainsi que les choses se sont passées dans la société et l’État ; c’est ainsi et non autrement que la mathématique pure est, après coup, appliquée au monde, bien qu’elle en soit précisément tirée et ne représente qu’une partie des formes qui le composent - ce qui est la seule raison pour laquelle elle est applicable. » (Engels, Anti-Dühring, Editions sociales, p. 69)

 

De ce petit historique, nous pouvons conclure que les modèles mathématiques de transmission des épidémies s’efforcent d’énoncer sous une forme plus claire les hypothèses sur les caractéristiques épidémiologiques qui influencent la diffusion d’une maladie infectieuse. En recourant aux structures mathématiques, l’un de leur but est donc d’aider les épidémiologistes à préciser leurs observations, leurs connaissances conceptuelles et intuitives sur les processus de transmission, d’infection, de guérison des individus[175]. Un autre objectif est d’essayer de projeter les contours d’un cours épidémique (par exemple l’estimation du nombre total d’individus qui pourraient être affectés par une épidémie) afin d’estimer, notamment, l’importance du travail social à engager dans la santé publique pour faire face à cette épidémie. Il peut s’agir aussi d’évaluer les effets de mesures sanitaires comme la vaccination (en réduisant le nombre de personnes saines susceptibles d’être infectées à un niveau inférieur à une quantité donnée), l’utilisation des masques, l’isolement, le confinement, etc.

 

Les modèles sont donc des outils pour aider la formulation et au test des théories épidémiologiques. Mais, pour accomplir cette tâche ils requièrent la disponibilité et la qualité des données sur la réalité épidémique. Normalement, les données disponibles provenant soit de la soudaine apparition d’une épidémie soit d’une situation endémique ne sont pas complètes et fiables, parce qu’un grand nombre de cas ne sont pas connus. Typiquement, pour les maladies qui adviennent périodiquement (grippe, par exemple), même si le pathogène a subi une mutation, l’analyse commence par la prise en compte des données de la période précédente. Quoi qu’il en soit, il faut réaliser continuellement la calibration du modèle, c’est-à-dire que ses résultats doivent être ré-estimés (variation inattendue du nombre de nouveaux cas d’infection quotidiens, par exemple) avec les données réelles[176]. En utilisant des méthodes statistiques appropriées, il faut évaluer la cohérence des écarts entre les données collectées à un moment de l’épidémie et leurs valeurs attendues par le modèle en question. Si le résultat est en dehors des marges d’erreur, ceci peut indiquer que les paramètres du modèle de départ ne sont pas valables et doivent être adaptés ou que le modèle lui-même n’est pas plus valable et doit être écarté.

 

Pour élaborer un modèle d’un phénomène, il faut décider de son degré d’abstraction : quelles caractéristiques doivent être incluses et lesquelles doivent être omises ? Mais pour n’importe quel modèle, ce choix dépend des questions auxquelles il doit répondre et de la qualité des données disponibles sur lesquelles il doit se fonder. Ce qui veut dire que pour un même territoire frappé par une épidémie, des modèles basés sur des questions différentes donnent des résultats distincts[177]. Ce choix pose un problème de compromis entre la complexité d’un modèle théoriquement plus approprié à la situation sanitaire effective et la possibilité d’obtenir des données fiables correspondant à la réalité modélisée, sachant qu’il s’agit de répondre aux questions posées par les épidémiologistes et non par les mathématiciens. Il faut donc prendre en compte les limitations des modèles pour répondre à certaines questions épidémiologiques ; ce n’est que dans ce sens que l’épidémiologie peut utiliser des modèles mathématiques dans son évolution en tant que branche de la connaissance scientifique.

 

On peut noter que, d’une manière générale, les mathématiciens tendent à élaborer des modèles moins complexes pour favoriser une connaissance plus globale du phénomène étudié ; le formalisme cherche à donner une solution qui prouve ou réfute les hypothèses de départ. En revanche, la gestion de la santé publique exige une bonne dose de détails pour décrire plus précisément les caractéristiques de la maladie et les conditions de sa transmission et pour mettre en œuvre des mesures pratiques pour la maîtriser[178]. Cependant, nous pouvons observer dans la présente pandémie de Covid-19 que pas mal de modèles tendent à un mélange nuisible de ces aspects pour répondre aux questions diverses selon l’intérêt de différents ordres : politique des bourgeoisies nationales, concurrence des entreprises pharmaceutiques, concurrence entre scientifiques, etc.

 

Comme on peut le déduire de la citation d’Engels ci-dessus, les lois tirées par abstraction du monde réel et gagnant une vie propre ne doivent pas s’opposer à la réalité comme une chose autonome ; elles ne sont applicables au monde que si elles représentent des parties que le composent. Dans la perspective épidémiologique ceci pourrait signifier, par exemple, qu’il est acceptable de commencer la modélisation par les caractéristiques générales de la population saine, infectée et retirée sur un territoire si on ne dispose pas au départ de données détaillées sur la « triade épidémiologique »  (agent infectieux, hôte de l’infection, facteurs environnementaux); cependant, cela ne veut pas dire qu’il est acceptable de se fier aux seules conséquences logiques engendrées par un modèle mathématique qui n’ont de validité que dans le cadre étriqué de leur représentation formelle, en substituant une « réalité » mathématique à la réalité de facto.

 

Une bonne partie des maladies provoque des effets différents suivant la tranche d’âge des personnes susceptibles d’être contaminées. Historiquement, la structuration de la population par âge a été la première modification importante introduite dans les modèles[179]. Une autre caractéristique importante des populations est que certains groupes ont un risque d’être infecté bien plus grand que d’autres en dépit de l’âge. Sur ce point, les modèles sont confrontés à l’anarchie des rapports de production capitalistes qui entassent la population dans des grandes villes. Ce fait met en évidence une des effets néfastes de la séparation entre ville et campagne que le mode de production capitaliste pousse à son comble[180].

 

Ces facteurs et leur combinaison induisent la diversité de modèles qui peuvent être plus ou moins fidèles à la réalité épidémiologique analysée. En d’autres termes, la diversité des caractéristiques de la « triade épidémiologique » demande une diversité de modèles pour une représentation plus appropriée de la réalité épidémiologique. Par exemple, il y a des maladies où les infectés retournent à la classe des sains après la disparition de l’infection (rhume causé par rhinovirus, par exemple), au lieu d’être considérés comme appartenant à la classe des retirés, parce que la maladie ne confère pas d’immunité contre la réinfection. Dans ce cas, au lieu d’un modèle du type SIR, on a un modèle du type SIS (sains-infectés-sains), où les infectés reviennent à l’état sain après l’infection.

 

Il y a d’autres réalités du même ordre. Il existe des maladies (herpès, par exemple) où l’individu, une fois infecté et sans aucun traitement, reste infecté, ce qui peut être représenté dans un modèle de type SI (sains-infectés). Pour d’autres maladies, où l’immunité n’est que temporaire (influenza-grippe, par exemple), on peut avoir un modèle du type SIRS (les retirés retournent à la classe des sains au bout d’un certain temps). Il existe aussi des modes de transmission des maladies plus compliqués, avec une période significative entre le moment de l’infection et celui où on est infectieux. Dans cette période d’incubation, les individus sont dits exposés (E) : d’où les modèles SEIR et SEIS (inclusion des exposés aux modèles SIR et SIS)[181]. D’un autre côté, il existe des variantes pour analyser une question importante, comme par exemple, la dynamique des décès (D) due à une maladie avec un taux de létalité élevé (Ebola, par exemple) : modèle SIRD. De même, une variante peut justifier d’isoler une catégorie qui relève d’une caractéristique de certaines maladies, comme le MSEIR (rougeole, rubéole, par exemple). Dans ce modèle, le compartiment M représente les nouveau-nés avec une immunité passive, c’est-à-dire, ceux qui après la disparition des anticorps maternels de leur corps se déplacent vers la classe des sains, susceptibles d’être contaminés[182]. Une conséquence de ce que nous avons dit est que toutes les courbes de transmission ne sont pas des « courbes en cloche ».

 

Un autre domaine important de l’épidémiologie est la surveillance. La mise en place précoce de procédures de vigilance peut diminuer la période entre le commencement d’une épidémie et sa détection dans une population, ce qui est crucial pour réduire son impact. L’état actuel du réseau de surveillance est tragiquement insignifiant en regard des nécessités. Un tel réseau fait partie des buts de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), fondée en 1948 comme agence de l’Organisation des Nations Unies et chargée d’établir priorités et directives pour « l’éradication des agents viraux ». Dans ce réseau, l’OMS doit coordonner les laboratoires certifiés, partout dans le monde, qui traitent des échantillons d’intérêt épidémique et relayent les informations vers l’organisation. Mais les résultats sont encore très faibles, voire ridicules[183], lorsqu’on comptabilise les coûts sociaux et humains des nombreuses épidémies graves déclenchées depuis la fondation de l’organisation. Une étude récente sur l’état actuel des réseaux de surveillance a conclu que la grande majorité des systèmes existants sont exploités de façon autonome en dépendant de la charité publique et que leur degré d’intégration effectif que ce soit pour les accès ou la transmission des informations locales laisse à désirer pour être à même de détecter et contrôler les épidémies locales, ainsi que de grandes difficultés dans la standardisation des critères de surveillance[184]. Mais peut-on attendre autre chose : des bourgeoisies nationales et de leurs Etats qui diminuent les investissements publics dans la santé, vus comme des faux-frais dans la production du maximum de la plus-value ? de la concurrence que se font ces Etats sur le marché mondial en méprisant la santé du prolétariat et de la population pauvre ? des industries pharmaceutiques dans leur farouche défense des profits des brevets ? de l’impuissance et ambigüités frappantes de l’OMS ?

 

Comme nous l’avons déjà dit dans le chapitre 2, la société communiste ne sera pas exempte de menaces virales. Mais, au contraire de la société capitaliste, dans le communisme, où l’argent et la forme valeur des produits du travail disparaît, c’est la communauté des producteurs associés qui prend les décisions et organise la société. Les obstacles dressés par le mode de production capitaliste qui favorisent l’émergence et empêchent la maîtrise rationnelle d’une épidémie seront éliminés. Ceci permettra le plein usage et le développement des connaissances scientifiques pour l’endiguement de la diffusion des maladies infectieuses, au sein de mesures sociales telles que l’abolition de la séparation entre ville et campagne, une répartition équilibrée de la population sur les territoires et de la mise en œuvre de mesures effectives de contrôle épidémiologique, comme par exemple un réseau mondial efficace de surveillance d’infections virales.

 

Quant aux modèles mathématiques de l’épidémiologie, seront-ils utiles dans cette société ? Malgré les grands progrès réalisés en presque 400 ans de modélisation en épidémiologie, il reste encore beaucoup d’incertitudes quant à la complexité de l’évolution d’une nouvelle combinaison des composants de la « triade épidémiologique » dus à de nouvelles épidémies émergeantes et, donc, de leurs représentations dans un modèle mathématique. Une bonne partie de la complexité introduite dans les modèles existants pour permettre une représentation plus adéquate des composantes de la réalité épidémiologique, par exemple, la modélisation des « facteurs environnementaux » de la triade (concentration démographique, augmentation anarchique du réseau d’interactions entre individus dans les transports publics, …), perdront de leur importance dans la société communiste, sans parler de la soumission des recherches aux vicissitudes politiques des organismes des Etats bourgeois, de leurs luttes idéologiques[185] et de manière plus générale aux intérêts du capital. Cette rupture radicale, à la suite de la révolution communiste, permettra l’allocation rationnelle d’une partie du travail social global pour que la recherche scientifique et ses modèles sur les maladies virales s’approchent toujours plus de l’essence de la réalité épidémiologique[186]. Comme le rappelait Marx :

« (…) toute science serait superflue s’il y avait coïncidence immédiate entre la forme phénoménale et l’essence des choses. » (Marx, Capital Livre III, t. VIII, chap. XLVIII, ES p. 196)

La connaissance scientifique s’approche donc de l’essence des phénomènes étudiés dans une succession continuelle de sauts qualitatifs tout au long de son évolution historique[187]. C’est ce que montre, par exemple, le petit historique de la modélisation mathématique en épidémiologie que nous avons évoqué ci-dessus, malgré toutes les avancées et les reculs imposés par le mode de production capitaliste. Pour être bref, cette évolution se réalise sur deux plans : endogène et exogène. Le premier concerne l’approfondissement et le développement de ses propres concepts, par leur mise à l’épreuve à travers des prédictions sur l’évolution des phénomènes qu’il faut expliquer. Cette confrontation entre la théorie et les phénomènes permet l’évolution/amélioration des concepts, voire leur abandon s’ils s’avéraient incapables de rendre compte durablement de la réalité. Le deuxième concerne la prise en compte des nouveaux phénomènes qui surgissent dans le champ de la recherche et leur intégration dans la théorie. La « vérité » progresse donc à la fois de façon continue en précisant son objet et par des sauts et des englobements. Les conceptions antérieures pour autant qu’elles conservent une validité deviennent alors des vérités partielles incluses dans les nouvelles représentations. Les choses réelles et leurs concepts se rapprochent les uns des autres sans jamais se recouvrir complètement, de manière asymptotique. Il existe donc une relation dialectique entre la vérité absolue et la vérité relative, entre la vérité et l’erreur, ce qui nous conduit à faire passer le relativisme à la trappe des idéologies de la science.

 

Sans les obstacles du mode de production capitaliste, le développement de l’épidémiologie, comme branche de la connaissance scientifique, permettra que les recherches qui s’efforcent de s’approcher de l’essence des phénomènes épidémiologiques puissent utiliser des modèles mathématiques plus appropriés, déjà débarrassés des notions et paramètres dus à l’anarchie des rapports sociaux capitalistes qui augmentent de façon nuisible leur complexité. Ceci ne veut pas dire que les modèles seront simplistes, mais que leur évolution dialectique les rendra plus aptes à représenter une réalité épidémiologique placée sous la surveillance globale de la communauté des producteurs associés.

 

6.          La société communiste ne sera pas exempte des menaces virales

Il y a sans doute des formes d’interdépendance entre les maladies et à un moment donné, une forme de cohabitation[188]. Si cette relation vient à être modifiée, certaines maladies sont favorisées dont des maladies infectieuses[189].

 

Les antibiotiques, nous l’avons vu ont joué un rôle considérable dans l’augmentation de l’espérance de vie et dans la lutte contre les épidémies bactériennes. Mais, en même temps que leur usage se généralisait :

 

1.       On observe un accroissement de la résistance des bactéries du fait de l’usage pour une part intempestif des antibiotiques (80 % sont utilisés dans l’élevage, mode de pensée métaphysique pour leur prescription, … ; 30 à 40% des antibiotiques se retrouvent intacts dans l’urine ou les fèces et ensuite entrent dans les sols, les nappes phréatiques et également dans l’eau potable, …)

2.       De même que les antibiotiques sélectionnent certaines bactéries ce qui donne le champ libre à d’autres pour lesquelles il faudra d’autres antibiotiques pour les vaincre, le succès relatif (qui n’exclut pas des rechutes à mesure que les souches bactériennes deviennent plus résistantes) des antibiothérapies ont laissé un espace pour les épidémies virales. Bien entendu les inventeurs des antibiotiques n’étaient pas à imaginer les conséquences lointaines de leur invention.

Jamais l’eau dans les pays capitalistes les plus développés n’a été aussi propre et en même temps polluée par les molécules chimiques issues aussi bien de substances comme les produits phytosanitaires, les détergents, etc. ou encore des médicaments ou des pilules contraceptives[190]. On en est arrivé au point où les poissons des rivières changent de sexe amplifiant ou révélant ainsi un phénomène naturel à l’œuvre dans de nombreuses espèces de poissons.

 

Suivant les maladies, pour qu’une épidémie se développe, le regroupement de population doit avoir une certaine taille (plusieurs milliers, dizaines ou centaines de milliers). De ce point de vue, alors que la population urbaine à l’échelle mondiale est devenue majoritaire et que des villes dépassant le million d’habitants sont légions[191], les conditions pour favoriser une épidémie sont d’autant plus remplies que la différenciation entre les classes est forte.

 

On ne doit pas pour autant affirmer qu’une société communiste ne connaîtra pas la maladie ni les maladies infectieuses. Si une partie des facteurs qui favorisent les épidémies auront disparus, si l’essentiel de surmortalité due à l’insuffisance de l’organisation de la santé prise à la fois dans les rets du mercantilisme et les restrictions occasionnées par la recherche de l’abaissement relatif des coûts de santé comme à l’incurie de gouvernements conditionnés par le maintien en activité de la machine à produire un maximum de plus-value et à la soumission du prolétariat à l’ordre bourgeois, sera réduite, la relation de l’Homme et de la nature se poursuit et avec elle la lutte contre les maladies.

 

Si le socialisme réduit la concentration urbaine puisqu’il préconise la suppression des grandes villes[192] et une répartition équilibrée de la population sur les territoires, il n’en réduit pas pour autant, bien au contraire, les relations entre les personnes et les territoires[193]. Aussi il s’attend à ce que la part des forces productives consacrée aux transports et aux communications s’accroisse. La perspective du programme communiste tourne donc résolument le dos aux effets protectionnistes qui ne manqueront pas de se développer à travers cette nouvelle crise tout comme aux diverses variétés de localisme[194] (qui sont autant de formes de protectionnisme) promues par le socialisme petit-bourgeois. Utopique et réactionnaire ; il cherche à ramener la société dont il conserve la division du travail et ce qui est à la base de celle-ci : la séparation de la ville et de la campagne, la petite propriété, le salariat.

 

 

 

 

 

[La suite de ce texte sera consacrée à la mise à jour de l’évolution du cycle économique et comme nous en sommes arrivés à cette conclusion à un bilan du 11ème cycle d’après deuxième guerre mondiale de la production capitaliste aux Etats-Unis.]

 



[1] Toutefois s’il était montré que celui-ci est le résultat d’un accident de laboratoire, hypothèse encore d’actualité, il serait bien un produit spécifique de cette société tout en montrant que celle-ci a atteint un très haut degré de maîtrise (et aussi de non maîtrise) de la biologie.

[2] « Il faut savoir que la majorité des nouvelles maladies infectieuses vient des animaux sauvages. Or ces animaux sont chassés de leur habitat naturel quand l’homme coupe des forêts de manière massive. Ils se rapprochent alors des zones urbaines qui s’étalent en permanence. C'est le cas par exemple en Chine.

Les animaux sauvages peuvent alors entrer en contact avec des animaux élevés par l’homme pour son alimentation et leur transmettre le virus, qui ira ensuite sur l’homme. Les chauves-souris, qui vivent dans les forêts, sont soupçonnées d’avoir transmis des maladies à des animaux domestiques. Mais également à d’autres animaux sauvages, comme le pangolin. Cet animal à écailles est braconné en Chine et se retrouve sur certains marchés. C'est lui qui est montré du doigt dans le cas de l’épidémie actuelle, partie du marché aux animaux sauvages de Wuhan ». (https://www.francetvin fo.fr/ sante/ maladie/ coronavirus/ le-role-de-la-deforestation-et-de-la-pollution-dans-l-epidemie-de-covid-19_3872685.html)

[3] On n’a qu’une idée très approximative du nombre d’espèces actuelles. Les estimations les plus fréquentes les chiffrent à 10 millions mais seulement environ 2 millions ont fait l’objet d’une étude systématique. Et, parmi celles-ci, uniquement 50 000 espèces non domestiquées sont utilisées par l’Homme. Le potentiel de la biodiversité reste donc encore très largement inexploré et encore plus inexploité. Et ce n’est qu’en entrant en contact avec elle, en tant qu’expression de la nature, que l’Homme peut la connaître et en tirer des enseignements qui lui permettent une meilleure domination de la nature. Ajoutons que 99,999% des espèces ont disparu (indépendamment de l’action de  de l’espèce humaine) et que sans cette disparition des formes plus complexes de la vie n’auraient pas émergé. (cf. Le Monde, 8/7/2022)

[4] https://planet-terre.ens-lyon.fr/article/oxygene-forets.xml

[5] Dans le monde entier, le carbone est stocké à différents endroits et sous différentes formes. Une étude de 2017 du Département de l’Agriculture de États-Unis : Considering Forest and Grassland Carbon in Land Management, donne une évaluation des stocks de carbone mesurés en gigatonnes de carbone  (Gt C), où 1 Gt = 1 milliard de tonnes métriques ou 1012 kg. Le plus grand stock de carbone de la Terre se trouve dans la croûte continentale et le manteau supérieur (122.576.000 Gt C), dont une grande partie est constituée de roches sédimentaires formées sur des millions d'années. Le carbone océanique est le deuxième stock le plus important (37.100 Gt C). Les sols stockent environ 1.325 Gt C dans la couche supérieure d'un mètre de sol  et 3.000 Gt C au total si l'on inclut le sol à des profondeurs plus importantes, bien que de grandes incertitudes soient introduites en raison des propriétés du sol non contraintes. L’atmosphère contient 839 Gt C, principalement sous forme de dioxyde de carbone (CO).

À l'échelle mondiale, les forêts représentent 92 % de toute la biomasse terrestre et stockent environ 400 Gt C, mais cette quantité n'est pas répartie de manière homogène sur la planète. Les différents types de forêts stockent différentes quantités de carbone, et une grande partie de cette variation est liée au climat propre à une région particulière du monde. Les forêts tropicales représentent les deux tiers de la biomasse terrestre (262 Gt C), tandis que les forêts tempérées (47 Gt C) et boréales (54 Gt C) contiennent chacune environ 20% de la quantité de carbone présente dans les forêts tropicales. La quantité de carbone stockée en surface dans les feuilles, les branches et les tiges par rapport à la quantité stockée sous terre dans les agrégats du sol et les racines des plantes dépend du climat régional. La région humide et chaude des tropiques a beaucoup plus de carbone stocké en surface qu'en profondeur. En revanche, les régions froides de la forêt boréale ont d'énormes réserves souterraines de carbone. La zone tempérée - avec ses régions fraîches, sèches et humides -, est plus complexe, car la température et la disponibilité de l'eau limitent l'entrée du carbone par photosynthèse et sa sortie par décomposition.

[6] Cela a donné lieu à des propositions dont la démagogie est la caractéristique principale à l’exemple du  0,4% de l’ancien ministre socialiste de l’agriculture en France : « Stéphane Le Foll, ancien Ministre, Maire du Mans et président du Mans Métropole, préside l'initiative "4 pour 1000", qui vise à accroître la teneur en matière organique des sols et la séquestration de carbone, à travers la mise en œuvre de pratiques agricoles adaptées aux conditions locales tant environnementales, sociales qu’économiques, comme le proposent notamment l’agro-écologie, l'agroforesterie, l'agriculture de conservation ou la gestion des paysages. » (https://franceurbaine.org/actualites/stephane-le-foll-4-pour-1000-une-initiative-pour-atteindre-la-neutralite-carbone)

[7] https://www.youtube.com/watch?reload=9&v=HW7mpc0fSP0

[8] Ironie de l’histoire, les élevages avicoles de plein air qui sont les meilleurs candidats pour un satisfecit de la part de la petite bourgeoisie démocratique sont aussi les premières victimes des épidémies aviaires véhiculées par les oiseaux sauvages.

[9] La relation domestication/sauvage n’est en rien un donné immuable. « Force est de constater que la domestication a souvent conduit à des résultats inégaux, dont témoignent d'innombrables cas de domestications abandonnées (gazelles, hyène tachetée et crocodiles engraissés en Égypte ancienne, biche traite par les Romains, couleuvres et genette utilisées comme prédateurs des rongeurs en Europe médiévale, élan monté en Suède jusqu'au XVIIe siècle...), à quoi s'ajoutent les cas de proto- ou de semi-domestications (animaux élevés dans des conditions proches de l'état naturel comme les rennes en Laponie ou les porcs dans certaines sociétés de Nouvelle-Guinée).

La domestication ne se réduit pas non plus aux premières domestications, aussi importantes et déterminantes que furent celles-ci. En témoignent notamment les néo-domestications des XIXe et XXe siècles : éléphant d'Afrique au Congo belge, élan en U.R.S.S., éland du Cap et autruche en Afrique du Sud, bœuf musqué en Alaska et au Canada, cerf élaphe et bison d'Europe, divers gros rongeurs d'Amérique (agouti, cabiai, ragondin, rat musqué), etc. C'est également à l'époque moderne et pour les besoins particuliers des laboratoires que l'homme a élevé des rongeurs et des singes, élargissant ainsi le prélèvement spécifique sur la faune.

En outre, l'action de domestication doit nécessairement s'exercer de manière continue, être chaque jour renouvelée et entretenue, faute de quoi des animaux peuvent se dédomestiquer et même, dans certains cas, retourner à l'état sauvage. Ce phénomène, appelé marronnage (terme qui s'appliquait aussi aux esclaves échappés) ou féralisation (de l'anglais feral), montre qu'un animal ne peut jamais être considéré comme totalement ou définitivement domestiqué. À l'inverse, les néo-domestications ou re-domestications contemporaines indiquent, elles, qu'un animal sauvage n'est jamais entièrement à l'abri d'une tentative de domestication. » (https://www.universalis.fr/encyclopedie/domestication/3-semi-domestications-neo-do-mestications-dedomestications/)

De plus, pour le marxisme, la domestication ne consiste pas à juxtaposer à côté de l’homme des espèces autrefois sauvages dans une pure relation utilitaire. Elle induit une évolution de la relation homme nature sous l’effet de leur relation mutuelle.

« A l'état de nature, aucun animal ne ressent comme une imperfection le fait de ne pouvoir parler ou comprendre le langage humain. Il en va tout autrement quand il est domestiqué par l'homme. Dans les relations avec les hommes, le chien et le cheval ont acquis une oreille si fine pour le langage articulé qu'ils peuvent facilement apprendre à comprendre tout langage, dans les limites du champ de leur représentation. Ils ont gagné en outre la faculté de ressentir par exemple de l'attachement pour les hommes, de la reconnaissance, etc., sentiments qui leur étaient autrefois étrangers, et quiconque a eu beaucoup affaire à ces animaux pourra difficilement échapper à la conviction qu'il y a suffisamment de cas où ils ressentent maintenant le fait de ne pouvoir parler comme une imperfection à laquelle il n'est toutefois plus possible de remédier, étant donné la trop grande spécialisation dans une direction déterminée de leurs organes vocaux. Mais là où l'organe existe, cette incapacité disparaît aussi à l'intérieur de certaines limites. Les organes buccaux des animaux sont assurément aussi différents que possible de ceux de l'homme ; et pourtant les oiseaux -sont les seuls animaux qui apprennent à parler, et c'est l'oiseau à la voix la plus effroyable, le perroquet, qui parle le mieux. Qu'on ne dise pas qu'il ne comprend pas ce qu'il dit. Sans doute répétera-t-il pendant des heures, en jacassant, tout son vocabulaire, par pur plaisir de parler ou d'être dans la société des hommes. Mais, dans les limites du champ de sa représentation, il peut aussi apprendre à comprendre ce qu'il dit. Apprenez des injures à un perroquet, de sorte qu'il ait quelque idée de leur sens (un des amusements de prédilection des matelots qui reviennent des régions tropicales) ; excitez-le, et vous verrez bien vite qu'il sait utiliser ses injures avec autant de pertinence qu'une marchande de légumes de Berlin. De même lorsqu'il s'agit de mendier des friandises. » (Engels, Dialectique de la nature, Editions sociales, p.174-175)

« De même que l'homme apprit à manger tout ce qui était comestible, de même il apprit à vivre sous tous les climats. Il se répandit par toute la terre habitable, lui, le seul animal qui était en état de le faire par lui-même. Les autres animaux qui se sont acclimatés partout ne l'ont pas appris par eux-mêmes, mais seulement en suivant l'homme : ce sont les animaux domestiques et la vermine. » (Engels, Dialectique de la nature, Editions sociales, p.177-178)

« Chez nos animaux domestiques, que la société des hommes a développés plus encore, on peut observer chaque jour des traits de malice qui se situent tout à fait au même niveau que ceux que nous observons chez les enfants. » (Engels, Dialectique de la nature, Editions sociales, p.179)

[10] Pour nous en tenir à l’exemple du pangolin qui a pendant un temps, hypothèse aujourd’hui abandonnée tandis que celle de l’accident de laboratoire regagne du terrain, a été désigné comme le dernier vecteur du virus avant son passage à l’homme, on notera que, par exemple, dans la représentation que se font ou se faisaient du monde les Leles qui vivent dans la région du Kasai (République du Congo), le pangolin y jouait un rôle clef. Chez ces chasseurs agriculteurs, la relation rituelle avec les esprits qui habitent le fonds de la forêt s’accomplit avec des animaux sauvages. Parmi ceux-ci le pangolin, doué de vertus particulières, est au centre des pratiques rituelles des Leles. Comme il relève de l’eau (corps de poisson avec ses écailles et sa queue), du ciel (il grimpe aux arbres) et de la terre (il a quatre pattes) et qu’il est, comme l’homme, monopare, il est privilégié dans la relation entre le village et les esprits. Les pangolins font donc l’objet d’un rite sacrificiel. « La capture du pangolin, son dépeçage quasi sacrificiel constituent le cœur de la vie magico-religieuse des Lele qui ignorent toute forme du culte des ancêtres. Les règles symboliques (…) expliquent pourquoi les Lele n’accordent aucun intérêt à la domestication des animaux, pas plus du point de vue rituel que du point de vue socio-économique. (…). Toute nourriture carnée vient de la forêt. Les Lele vont jusqu’au bout de leur propre logique classificatoire. » (Luc de Heusch, La capture sacrificielle du pangolin en Afrique centrale, Systèmes de pensée en Afrique noire, 1984, p.136). Le texte se poursuit en analysant le rôle du pangolin chez d’autres ethnies.

[11] The Lancet y a ajouté ses propres hypothèses : « Selon une hypothèse posée par The Lancet début mars 2020, des plateformes Internet populaires en Asie (ex: Kuaishou et Douyin), pourraient avoir encouragé des comportements à risque, en relayant des « mukbangs » (« vidéos alimentaires » montrant des personnes se filmant en train de manger des aliments étranges ou dangereux ou en énorme quantité). En 2016, un hôte avait, par exemple, mangé, en direct, une soupe de chauves-souris. D'autres fois c'est l'escargot africain, une grenouille, le rat Chinois du bambou ou la pieuvre qui étaient mangés, parfois crus, voire encore vivants (poulpe notamment), malgré le risque qu'ils soient porteurs de bactéries ou virus sauvages à risque. » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Pand%C3%A9mie_de_Covid-19)

On notera donc qu’il existerait, selon ce mode de pensée, des virus et des bactéries « sauvages » auxquelles sans doute on doit opposer les virus et bactéries « domestiquées ». La transmission et l’adaptation à l’homme d’un virus « sauvage » relève-t-elle de sa « domestication » ?

[12] Ici aussi, il ne s’agit jamais de connaissance absolue sinon dans un devenir de l’espèce qui ne sera jamais formellement atteint. « La pensée humaine est-elle souveraine ? Avant de répondre par oui ou par non, il faut d'abord examiner ce qu'est la pensée humaine. Est-ce la pensée d'un individu ? Non. Cependant elle n'existe qu'en tant que pensée individuelle de milliards et de milliards d'hommes passés, présents et futurs. Or, si je dis que la pensée de tous ces hommes, y compris les hommes de l'avenir, synthétisée dans ma représentation est souveraine, est capable de connaître le monde existant dans la mesure où l'humanité dure assez longtemps et où cette connaissance ne rencontre pas de bornes dans les organes de la connaissance et les objets de connaissance, je dis quelque chose d'assez banal et, qui plus est, d'assez stérile. Car le résultat le plus précieux ne peut être que de nous rendre extrêmement méfiants à l'égard de notre connaissance actuelle, étant donné que, selon toute vraisemblance, nous sommes encore plutôt au début de l'histoire de l'humanité et que les générations qui nous corrigeront doivent être bien plus nombreuses que celles dont nous sommes en cas de corriger la connaissance, - assez souvent avec bien du mépris.(...)

Autrement dit : la souveraineté de la pensée se réalise dans une série d'hommes dont la pensée est extrêmement peu souveraine, et la connaissance forte d'un droit absolu à la vérité, dans une série d'erreurs relatives; ni l'une ni l'autre ne peuvent être réalisées complètement sinon par une durée infinie de la vie de l'humanité.

Nous retrouvons ici, comme plus haut déjà, la même contradiction entre le caractère représenté nécessairement comme absolu de la pensée humaine et son actualisation uniquement dans des individus à la pensée limitée, contradiction qui ne peut se résoudre que dans le progrès infini, dans la succession pratiquement illimitée, pour nous du moins, des générations humaines. Dans ce sens, la pensée humaine est tout aussi souveraine que non souveraine et sa faculté de connaissance tout aussi illimitée que limitée. Souveraine et illimitée par sa nature, sa vocation, ses possibilités et son but historique final ; non souveraine et limitée par son exécution individuelle et sa réalité singulière. » (Engels, Anti-Dühring, Editions sociales, p.117-118)

[13] « Par industrie, nous entendons ici naturellement toute l’activité productive de l’Homme : agriculture mécanisée et électrifiée y comprise.

Le mur qui sépare l’art de l’industrie, et aussi celui qui sépare l’art de la nature s’effondreront. Pas dans le sens où Jean-Jacques Rousseau disait que l’art se rapprochera de plus en plus de la nature, mais dans ce sens que la nature sera amenée plus près de l’art. L’emplacement actuel des montagnes, des rivières, des champs et des prés, des steppes, des forêts et des côtes ne peut être considéré comme définitif. L’homme a déjà opéré certains changements non dénués d’importance sur la carte de la nature ; simples exercices d’écolier par comparaison avec ce qui viendra. La foi pouvait seulement promettre de déplacer des montagnes, la technique qui n’admet rien « par foi » les abattra et les déplacera réellement. Jusqu’à présent, elle ne l’a fait que pour des buts commerciaux ou industriels (mines et tunnels), à l’avenir elle le fera sur une échelle incomparablement plus grande, conformément à des plans productifs et artistiques étendus. L’homme dressera un nouvel inventaire des montagnes et des rivières. Il amendera sérieusement et plus d’une fois la nature. Il remodèlera, éventuellement, la terre, à son goût. Nous n’avons aucune raison de craindre que son goût sera pauvre. » (…)

L’homme socialiste maîtrisera la nature entière, y compris ses faisans et ses esturgeons, au moyen de la machine. Il désignera les lieux où les montagnes doivent être abattues, changera le cours des rivières et emprisonnera les océans. Les idéalistes nigauds peuvent dire que tout cela finira par manquer d’agrément, c’est pourquoi ce sont des nigauds. Pensent-ils que tout le globe terrestre sera tiré au cordeau, que les forêts seront transformées en parcs et en jardins ? Il restera des fourrés et des forêts, des faisans et des tigres, là où l’homme leur dira de rester. Et l’homme s’y prendra de telle façon que le tigre ne remarquera même pas la présence de la machine, qu’il continuera à vivre comme il a vécu. » (Trotsky, Littérature et révolution, 10/18, p.285 et p.286)

[14] L’Homme représenterait 0,01 % de la biomasse terrestre. Mais avec les animaux domestiqués, il représente aujourd’hui (et donc très peu avant le néolithique) 96% de la biomasse des mammifères. Les animaux sauvages ne représentent donc que 4% de la biomasse des mammifères. Les plantes représentent 82% de l’ensemble de la biomasse. Les virus pèsent trois fois plus que les humains. L’histoire de l’Homme n’est qu’une poignée de secondes dans la journée de l’histoire de la nature.

[15] « De la même façon, donc, que la production fondée sur le capital crée l’industrie universelle – c’est-à-dire du surtravail, du travail créateur de valeur – elle crée, d’autre part, un système d’exploitation universelle des propriétés naturelles et humaines, un système qui repose sur l’utilité et qui semble s’appuyer aussi bien sur la science  que sur toutes les qualités physiques et intellectuelles, tandis que rien (en dehors de ce cercle de la production et des échanges sociaux) n’apparaît comme ayant une valeur supérieure en soi, comme étant justifié pour soi en dehors de ce cercle de la production et des échanges sociaux. Si bien que c’est seulement le capital qui crée la société civile bourgeoise et développe l’appropriation universelle de la nature et de la connexion sociale elle-même par les membres de la société. D’où la grande influence civilisatrice du capital. Le fait qu’il produise un niveau de société par rapport auquel tous les autres niveaux antérieurs n’apparaissent que comme des développements locaux de l’humanité et comme une idolâtrie naturelle. C’est seulement avec lui que la nature devient un pur objet pour l’homme, une pure affaire d’utilité ; qu’elle cesse d’être reconnue comme une puissance pour soi ; et même la connaissance théorique de ses lois autonomes n’apparaît elle-même que comme une ruse visant à la soumettre aux besoins humains, soit comme objet de consommation, soit comme moyen de production. Le capital, selon cette tendance, entraîne aussi bien au-delà des barrières et des préjugés nationaux que de la divinisation de la nature et de la satisfaction traditionnelle des besoins, modestement circonscrite à l’intérieur de limites déterminées et de la reproduction de l’ancien mode de vie. Il détruit et révolutionne constamment tout cela, renversant tous les obstacles qui freinent le développement des forces productives, l’extension des besoins, la diversité de la production et l’exploitation et l’échange des forces naturelles et intellectuelles. » (Marx, Manuscrits de 1857-1858, Grundrisse, Editions Sociales, T.1, p.349)

[16] Nous avons réuni deux traductions du fragment de Hegel : Encyclopédie des sciences philosophiques, §249, reprise dans : Hegel, Morceaux choisis, Folio, p.392 ; et dans NRF, Editions Gallimard, p. 240.

[17] « Marx et moi, nous fûmes sans doute à peu près seuls à sauver de la philosophie idéaliste allemande la dialectique consciente pour l’intégrer dans la conception matérialiste de la nature et de l’histoire. » (Engels, Anti-Dühring, Editions Sociales, p.39)

[18] Engels parle de loi « principales » ce qui laisse penser qu’il en existe d’autres, secondaires. D’autre part, dans la nature il y a du mouvement ; c’est ainsi qu’elle se présente à l’homme. Ce mouvement prend différentes formes et pour saisir complètement par la pensée ce mouvement et ses formes, une logique particulière est nécessaire : la dialectique. Si bien que la dialectique dans la tête n’est que le reflet des formes du mouvement dans le monde réel.

[19] « (…) la conception matérialiste de la nature ne signifie rien d'autre qu'une simple intelligence de la nature telle qu'elle se présente, sans adjonction étrangère (…) » (Engels, Dialectique de la nature, Editions sociales, p.207)

[20] Le concept a été introduit par Berzelius en 1808. Cf. Jean Baudet, Penser la matière, Vuibert, p.149

[21] Caractérisé par l’importance des isotopes du carbone, le carbone 13notamment.

[22] « Une éminente autorité dans ce domaine, Sir W. Thomson, a calculé qu'il ne pouvait pas s'être écoulé beaucoup plus de cent millions d'années depuis le temps où la terre a été assez refroidie pour que des plantes et des animaux puissent y vivre. » (Engels, Dialectique de la nature, Editions sociales, p.176). Aujourd’hui on estime que l’âge de la Terre est de l’ordre de 4,5 milliards d’années et que la vie serait apparue il y a environ 3,5 milliards d’années. Il est à noter que sur ce point particulier, c’est également vrai pour le lieu de l’origine de l’Homme, Engels s’écarte de Darwin qui comme nombre de géologues évaluait l’âge de la Terre à 300 millions d’années, en novembre 1859, dans la première édition de l’origine des espèces (1). Darwin retirera son évaluation lors de la troisième édition (1861) (2) (5). En 1862, Thomson, qui deviendra Lord Kelvin, estime l’âge de la Terre entre 20 et 400 millions d’années (1) ; puis, calculant l’âge du soleil, plus vieux que la Terre, il trouve moins de 100 millions d’années pour le soleil (3). En 1897, Engels est mort en 1895, il abaissera l’âge de la terre à une vingtaine de millions d’années (1) (4). Les thèses de Thomson servirent de bélier contre la théorie de l’évolution (3). On notera que ces articles de « spécialistes », qui nous servent de référence, sont suffisamment flous pour ne pas se contredire et sinon avancent nombre d’inexactitudes contradictoires que nous avons renoncé à mettre en relief et à démêler. Il en va toujours ainsi quand on se penche en détail sur un sujet : les jean-foutre abondent aux côtés de quelques rares esprits sérieux.

(1)     https://planet-terre.ens-lyon.fr/article/histoire-age-Terre.xml

(2)     https://manuelnumeriquemax.belin.education/enseignement_scientifique-premiere/topics/simple/ens-scient1-c09-147-03

(3)     https://www.pseudo-sciences.org/Histoire-de-l-age-de-la-Terre

(4)     https://www.lesechos.fr/2014/07/charles-darwin-et-lage-de-la-terre-1103107

(5)     http://darwin-online.org.uk/converted/pdf/1861_OriginNY_F382.pdf

[23] « Le mécanisme, c’est le mouvement des masses ; le chimisme, le mouvement des molécules (car la physique y est aussi comprise et les deux font bien partie du même ordre) et des atomes ; l’organisme, c’est le mouvement de corps tel que l’un est inséparable de l’autre » (Engels, Dialectique de la nature, Editions sociales, p. 255)

[24] « Si donc nous voulons étudier ici la nature du mouvement, nous sommes obligés de laisser de côté les formes de mouvement organiques. Aussi nous limiterons nous par force, - étant donné l’état de la science, - aux formes de mouvement de la nature inanimée. » (Engels, Dialectique de la nature, Editions sociales, p. 75)

[25] Ce retard a une grande importance pour comprendre les relations entre agriculture et industrie et l’existence d’une rente absolue. « Si la composition du capital dans l'agriculture proprement dite est inférieure à celle du capital social moyen, c’est que, de prime abord, l'agriculture, dans les pays hautement industrialisés, n'a pas progressé au même rythme que l'industrie de transformation. Sans même tenir compte d’autres circonstances économiques parfois décisives, le développement plus précoce et plus rapide des sciences mécaniques, et surtout de leurs applications, comparé à celui beaucoup plus tardif et parfois tout récent, de la chimie, de la géologie et de la physiologie suffirait déjà à expliquer ce retard, particulièrement sensible dans l'agriculture » (Marx, Capital, L.III, 6, Pléiade, Economie, T.2, p.1371)

Cf. La question agraire sur notre site.

[26] Une des difficultés pour définir les conditions fondamentales du passage de la matière inorganique à la vie est que la connaissance sur ce sujet est fortement contrainte par le cadre de la vie terrestre. Engels pose correctement cette question dans le cadre cosmologique, universel, au-delà de l’histoire particulière de notre planète. Malgré les limitations actuelles de cette connaissance, il y a des hypothèses qui semblent bien fondées sur certaines caractéristiques qui sont essentielles pour que des éléments de la nature inorganique soient capables de favoriser l’aboutissement du saut qualitatif à la vie, au bout d’une période mesurée par des standards géologiques.

Bien qu’il y ait un âpre débat sur ce sujet lors de découvertes plus récentes – débat parfois teinté soit par des suppositions pseudo-scientifiques soit par des préjugés qui cachent mal une myopie terrienne –, en tant que non spécialistes nous nous contenterons ici de montrer une ligne d’argumentation qui semble raisonnable. Nous nous appuyons largement sur le chapitre introductif de l’ouvrage de Plaxco, A. K. et Gross, M. Astrobiology – a Brief Introduction, The Johns Hopkins University Press, 2006, en essayant de résumer les grands lignes de ce raisonnement, malgré son caractère technique ‘tout particulièrement son approche chimique).

Une des caractéristiques d’un corps vivant est sa capacité à s’auto-répliquer. Il est raisonnable de supposer que cette capacité de se copier par soi-même exige un certain degré de complexité, c’est-à-dire, que la chimie pour la formation d’un tel corps suppose la liaison de maints atomes entre eux. A partir de ce critère, on peut écarter les gaz nobles, les gaz rares, comme l’hélium (He), le néon (Ne)… parce qu’ils ne participent pas des réactions chimiques. Pour servir de fondation à des molécules complexes on doit tabler sur de fortes liaisons chimiques entre atomes de même type et avec d’autres. Un regard sur le tableau périodique des éléments montre que relativement peu d’atomes remplissent cette condition : un phénomène bien connu en chimie est que plus on descend les rangées du tableau périodique (lignes, périodes), plus les éléments ont des liaisons chimiques faibles.

Dans la première ligne, nous avons l’hydrogène (H) et l’hélium (He), lequel était déjà écarté. L’hydrogène ne peut former par lui-même que la simple molécule d’hydrogène (H2). Sans entrer dans les détails, les atomes qui sont capables de former de fortes liaisons chimiques covalentes (la mise en commun d’électrons par des atomes) entre eux et avec d’autres atomes sont ceux de la deuxième ligne, à l’exception, nous l’avons vu, du néon (Ne). Il nous reste donc le lithium (Li), le béryllium (Be), Le bore (B), le carbone (C), l’azote (N), l’oxygène (O) et le fluor (F)

Un autre critère essentiel est l’abondance de l’élément dans l’univers. Le Li, le Be, le B et le F sont relativement rares : 6x10-7%, 1x10-7%, 1x10-7% et 4x10-5%, respectivement. Le H et l’He (première ligne) sont les plus abondants : 75% et 23%, respectivement. Les éléments restants de la deuxième ligne sont relativement abondants : le C avec 0,5%, le N avec 0,1% et le O avec 1%. Bien qu’on puisse supposer des formes alternatives de vie, celles qui reposent sur des combinaisons de Li, Be, B et F ont donc beaucoup moins de chances de se former. Ainsi, de par les critères précédents, l’ensemble minimal d’atomes de base qui a la plus grande probabilité de former une base chimique pour le permettre l’émergence de la vie est composé par H, C, N et O. 

Une caractéristique importante pour permettre la formation de relations chimiques complexes est l’existence d’un moyen qui permette le déplacement des molécules d’une manière bien plus rapide qu’au travers d’un moyen solide : un solvant répond à cette condition. Un regard sur notre ensemble d’atomes candidats et les résultats de l’observation astronomique (particulièrement de la radioastronomie) montrent que l’eau (H2O) est abondante à l’échelle cosmologique. Cette molécule rassemble des caractéristiques physico-chimiques extraordinaires, qui la font préférer à d’autres candidats potentiels, comme les solvants biotiques formés par le petit nombre d’éléments qui restent : fluorure d'hydrogène (HF), ammonie (NH3), sulfure d'hydrogène (H2S) et le méthane (CH4).

Les principales caractéristiques physiques qui favorisent la candidature de l’eau sont : la dilatation dans une ambiance de congélation (un océan d’eau ne se gèle pas complètement) et l’absorption de la chaleur sans augmentation rapide et considérable de sa température - elle se conserve comme solvant liquide sur un large intervalle de température (100oC). Sur le plan chimique, les propriétés favorables de l’eau sont plus difficiles à vulgariser mais elles existent (par exemple, la perspective d’entropie – l’effet hydrophobique -, une constante diélectrique élevée, …). De toute façon, le but principal des recherches scientifiques sur ce sujet est de répondre à la question de la nécessité absolue d’un solvant liquide pour l’émergence de la vie et que l’eau soit la molécule la plus qualifiée pour accomplir ce rôle. Cette question n’a pas pour but d’exclure la possibilité du surgissement de la vie via d’autres solvants (le HF est aussi remarquable, mais rare ; la NH3, le H2S et le CH4, ont quelques propriétés physico-chimiques qui en font des candidats potentiels relativement importants, bien que moins extraordinaires que l’eau et le fluorure d’hydrogène), mais d’évaluer si l’émergence de la vie n’aurait pas eu de plus grandes difficultés pour se réaliser en l’absence de l’eau, ce solvant liquide et abondant dans l’univers.

Il y a aussi trois autres critères importants. Il semble peu probable pour les origines de la vie qu’elle n’ait pas besoin d’un substrat solide ou liquide (cela ne veut pas absolument dire qu’une fois émergé, un corps vivant ne puisse pas se transformer en un gaz ou évoluer dans une ambiance à phase gazeuse). Un autre aspect est qu’elle a besoin de l’énergie d’une source externe (par exemple, le copieux nombre de photons de haute énergie émis par des étoiles, pourvu qu’ils ne brûlent pas une surface planétaire) pour créer de l’ordre dans le désordre de la distribution aléatoire des molécules. Enfin, elle a besoin du temps pour qu’un environnement, qui satisfasse au moins aux critères précédents, puisse se maintenir pendant une longue période suffisamment stable pour permettre le saut qualitatif de la matière inorganique à une forme de vie. Il ne semble donc pas raisonnable de supposer que notre planète fut un choix divin pour être le seul berceau de la vie, quoiqu’il en soit la forme la mieux connue aujourd’hui.

[27] https://www.nature.com/articles/168244a0

[28] « L'étude des processus chimiques trouve devant elle le monde organique comme domaine de recherche, donc un monde dans lequel les processus chimiques se déroulent selon les mêmes lois, mais dans d'autres conditions que dans le monde non organique, que la chimie suffit à expliquer. Par contre, toutes les études chimiques du monde organique ramènent en dernière analyse à un corps qui, résultat de processus chimiques ordinaires, se distingue de tous les autres par le fait qu'il est un processus chimique permanent s'accomplissant de lui-même : l'albumine [cf. ci-dessus sur l’emploi de ce terme par Engels – NDR]. Si la chimie parvient à préparer cette albumine dans la détermination dans laquelle elle est manifestement née, ce qu'on appelle le protoplasme, détermination, ou plutôt indétermination, dans laquelle elle contient en soi, en puissance, toutes les autres formes de l'albumine (ce qui n'oblige pas à admettre qu'il n'y ait qu'une sorte de protoplasme), dès lors le passage dialectique est mis en évidence dans la réalité, donc complètement. Jusque-là, la chose reste dans la pensée, autrement dit dans l'hypothèse. Du fait que la chimie produit l'albumine, le processus chimique se dépasse lui-même comme plus haut le processus mécanique, c'est-à-dire qu'il accède à un domaine plus compréhensif, celui de l'organisme. La physiologie est, assurément, la physique et plus particulièrement la chimie du corps vivant, mais, par-là, elle cesse aussi d'être spécialement chimie : d'un côté, elle limite son horizon, mais elle s'élève aussi par-là à une puissance supérieure. » (Engels, Dialectique de la nature, Editions Sociales, p. 261)

Engels, en matérialiste, va plus loin que l’analyse de Hegel sur les processus chimiques dans la Philosophie de la Nature. Dans les paragraphes §335 et §336, ainsi que dans l’addendum au §335 (cf. Hegel, Encyclopédie des Sciences Philosophiques II – Philosophie de la Nature. Librairie Philosophique Vrin 2004, p. 296-298 et 550) Hegel soutient qu’un processus chimique est fini et débouche sur un corps (un produit), une unité indifférenciée (en tant qu’elle n’est pas décomposée, etc.), et donc il n’y a qu’une apparence de vitalité. Par conséquent, en soi un processus chimique ne se renouvelle pas, ne s’auto-reproduit pas, sauf s’il retrouve des facteurs externes qui provoquent sa ré-initiation.

[Ad. §335] « Il y a bien là [dans le processus chimique – NDR] une apparence de vitalité, mais d’une vitalité qui se perd au sein du produit. Si les produits du processus chimique faisaient eux-mêmes recommencer l’activité, ils seraient la vie. La vie est, dans cette mesure, un processus chimique rendu pérenne. »
[§335] « (…) le commencement et le terme du processus sont divers l’un par rapport à l’autre ; - c’est là ce qui constitue la finitude du processus, finitude qui le tient à l’écart de la vie et en l’en différencie. »

La vie est donc un processus chimique « rendu pérenne », qui s’auto-reproduit, qui renouvelle par soi son activité de façon spontané jusqu’à la mort. Le point remarquable est que Hegel considère la vie comme un produit de la nature, indissociable des processus chimiques, sans intervention surnaturelle.

[29] Par exemple, Berzelius :

« Tout ce qui tient à la nature organique annonce un but sage et se manifeste comme le produit d'un entendement supérieur » et encore : « tout homme habitué à réfléchir sur ces questions doit -être convaincu de l’impossibilité de les résoudre et sur l’origine mystérieuse de la vie il s'en tiendra aux premiers versets de la Genèse » cité par Jacques Jean. Le vitalisme et la chimie organique pendant la première moitié du XIXe siècle. In : Revue d'histoire des sciences et de leurs applications, tome 3, n°1, 1950. p.53)

[30] « S'il nous fallait donner une vue d'ensemble du vitalisme chimique avant 1855, on pourrait, en gros, proposer les formules suivantes :

On a d'abord cru qu'il existait une différence fondamentale, du point de vue de l'analyse qualitative, entre matière d'origine biologique et matière inerte.

Puis on a fondé une distinction sur l'analyse quantitative à propos, en particulier, de la loi des proportions définies.

On l'a cherchée ensuite dans l'impossibilité de la synthèse organique due à une force vitale chimique, à une affinité vitale inimitable.

On a enfin prétendu que bien que les matériaux de la vie n'aient rien de spécifique, la méthode de production, elle, était spécifique.

Sous ce jour, le passage de la chimie à la biologie apparaît clairement. Par ce déplacement du point d'application de la doctrine vitaliste, par ce véritable jeu de mot qui consiste, une fois prouvé, que la matière de la vie n'a rien de mystérieux à porter la discussion sur la manière de la vie, la métaphysique opère une retraite sans gloire. » (Jacques Jean. Le vitalisme et la chimie organique pendant la première moitié du XIXe siècle. In : Revue d'histoire des sciences et de leurs applications, tome 3, n°1, 1950. pp. 64-65)

[31] La biochimie, la chimie de la vie, terme qui prend de l’ampleur au début du XXe siècle, étudie spécifiquement les molécules et les réactions produites au sein des organismes vivants.

[32] Quelles que soient les limites de son « marxisme », il est nécessairement influencé par Engels.

[33] Lui aussi défendra plus tard l’importance de la dialectique dans le processus de la connaissance scientifique.

[34] Par exemple, l’albumine est une protéine présente dans le monde animal et végétal et composée d’environ 580 acides aminés sans glucide.

[35] Hub Zwart, Friedrich Engels and the Technoscientific Reproducibility of Life: Synthetic Cells as Case Material for Practicing Dialectics of Science Today, Science & Society, Vol. 84, No. 3, July 2020, 369–400.

[36] « La vieille théologie s’en est allée au diable, mais maintenant la certitude est bien établie que, dans son cycle éternel, la matière se meut selon des lois qui, à un stade déterminé, - tantôt ici, tantôt là - produisent nécessairement dans des êtres organiques, l'esprit pensant » (Engels, Dialectique de la nature, Editions sociales, p.195)

[37] “Il y a une relation étroite entre le développement millénaire de la technique du travail et les rapports de l’homme avec le milieu naturel. L’homme primitif tout comme l’animal, cueille et consomme, par la simple opération de la cueillette, les fruits que la nature produit d’elle-même, et tout comme l’animal il fuit, sans aucun pouvoir de contrôle, le déchaînement des phénomènes naturels qui menacent sa vie. La production artificielle des biens de consommation, ainsi que la formation de réserves de ces mêmes produits et des instruments de travail, le contraignent à la fois à se fixer et à se défendre contre la menace des phénomènes météorologiques et des bouleversement naturels : Une telle défense, (…) ne peut être que collective » (Bordiga, Espèce Humaine et Croûte Terrestre, Battaglia Comunista no 23, 1951)

[38] « Un article récent, signé par deux auteurs américains, Stephen O'Brien et Michael Dean, paru dans la revue Pour la Science (édition française de Scientific American) intitulé « Pourquoi certaines personnes résistent au S.I.D.A. » relance de manière novatrice le problème des épidémies dans la préhistoire. Les deux chercheurs ont mis en évidence un gène singulier, dénommé C.C.R.5, qui protégerait les individus humains qui le posséderaient contre plusieurs infections en particulier virales. Remontant le temps, par le biais de comparaisons géographiques sur les populations actuelles du globe, destinées à mettre en évidence des modifications de la répartition du gène, les auteurs situent l'émergence d'épidémies gravissimes de maladies infectieuses aiguës humaines vers le milieu du 3e millénaire avant notre ère. Les sujets actuels, notamment européens porteurs du gène, feraient partie des descendants des survivants de ces pandémies néolithiques ayant décimé les populations ne possédant pas le gène protecteur. Cette découverte, dont les détails biologiques sont encore en suspens, complète, même dans sa forme heuristique, les hypothèses que nous émettons depuis 10 ans au sujet des preuves démographiques, biologiques et archéologiques pouvant attester l'existence de telles épidémies néolithiques. Rappelons à ce sujet que le vide démographique qui paraît affecter la fin du Néolithique, la présence de nombreuses sépultures collectives émergeant à cette période, suivies de sépultures à incinération qui vont culminer à la fin de la métallurgie du Bronze sont pour nous les signes d'une succession de graves pandémies suscitées par l'apparition de germes nouveaux d'origine animale (bactéries et virus) issus de la domestication des espèces sauvages et de la promiscuité du cheptel néolithique. La découverte américaine complète ainsi heureusement notre travail en lui conférant une base génétique accomplie. » (Zammit Jean. Des épidémies dans la préhistoire. Au sujet de l'article de O'Brien S. et. Dean M. Pourquoi certaines personnes résistent au SIDA, Pour la Science. In: Bulletin de la Société préhistorique française, tome 95, n°2, 1998. p. 282)

En bon représentant du socialisme petit-bourgeois, Zammit fait partie de cette catégorie de bien nourris qui, le cul posé sur un bon fauteuil en cuir, admonestent l’espèce humaine, une des formes par lesquelles la nature est parvenue à la conscience d’elle-même. Il lui est reproché d’avoir, en tentant de dominer la nature, engendré une perturbation (la période du néolithique est vue comme la première catastrophe écologique) qu’il n’avait pas le droit de provoquer ! Il n’est pas le seul sur ce terrain. Par exemple, l'historien israélien Yuval Noah Harari, auteur du livre de chevet de nombreux dirigeants de la Silicon Valley : « Sapiens : une brève histoire de l'Humanité », et considéré par la presse bourgeoise comme un des penseurs les plus influents au monde, voit aussi dans le néolithique, l’origine de tous nos maux. 

[39] Des historiens modernes pensent qu’avant l’Egypte, le foyer d’origine est en Chine et aurait suivi ce qu’on appellera au XIXe siècle, la route de la soie.

[40] Avant le rat, de nouvelles études mettent l’accent sur le rôle de la grande gerbille comme étant à l’origine de la maladie.

[41] La guerre bactériologique ne date donc pas d’hier.

[42] Pour le XVIIe siècle, il estime que de 1600 à 1668, il y a eu de 2 à 3 millions de morts, soit environ 6% des décès.

[43] Entre 1896 et 1956, elle a fait 18 millions de morts dont 12 en Inde.

[44] https://www.pourquoidocteur.fr/Articles/Question-d-actu/24020-Faut-il-peur-retour-peste-France-en-Europe

[45] On considère désormais que la plupart des décès serait due aux surinfections bactériennes qui suivirent la contamination virale. Aujourd’hui, les antibiotiques en viendr aient à bout dans la grande majorité des cas. https://www.sciencesetavenir.fr/sante/grippe-espagnole-le-mystere-du-virus-resolu_18249

[46] « Dans l’ex-Empire russe, les années de la guerre civile furent globalement plus meurtrières que celles de la Grande guerre. D'août 1914 à février 1918, l'armée russe perdit entre 2,5 et 3,3 millions d'hommes (morts au combat, des suites de leurs blessures, en captivité, disparus), mais la surmortalité des civils resta négligeable. En 1918-1920, l'Armée rouge perdit environ un million d'hommes, dont plus de la moitié d'épidémies, de malnutrition et des suites de blessures non soignées, ce qui en disait long non seulement sur l'état général de cette armée, mais aussi sur un changement, bien plus global, affectant l'ensemble du pays. Les autres formations armées antisoviétiques perdirent entre 500 000 et 800 000 hommes. Ces pertes militaires restaient très inférieures aux pertes civiles, évaluées à huit millions environ (deux millions emportés par les épidémies, principalement le typhus, cinq millions morts de faim, près d'un million tués lors de pogroms et d'autres massacres de masse perpétrés contre les «ennemis intérieurs» (Nicolas Werth, La société et la guerre dans les espaces russe et soviétique, 1914-1946, Histoire, économie et société, 2004, 23 année, n°2. La société, la guerre, la paix, 1911-1946. p.201)

[47] Marta Aleksandra Balinska, Le typhus : une maladie idéologisée, La revue du praticien, 2005, 55, p.1620

[48] « En opposition violente à toute cette sphère de l'effort juif, les vues des Juifs internationaux prennent de l’ampleur. Les adeptes de cette sinistre confédération sont pour la plupart des hommes élevés parmi les malheureuses populations de pays où les Juifs sont persécutés en raison de leur race. La plupart, sinon la totalité, d'entre eux ont abandonné la foi de leurs ancêtres, et ont chassé de leur esprit tous les espoirs spirituels d’un monde prochain. (…)

Il n’est pas nécessaire d’exagérer la part jouée dans la création du bolchevisme et dans la réalisation effective de la révolution russe : par ces Juifs internationaux et pour la plupart athées. Elle est certainement très grande et l'emporte probablement sur toutes les autres. À l’exception notable de Lénine, la majorité des dirigeants sont des Juifs. De plus, l’inspiration principale et la direction du mouvement reviennent aux dirigeants juifs. (…)

Le fait que dans de nombreux cas les intérêts Juifs et les lieux de culte Juifs soient exceptés par les bolcheviks de leur hostilité universelle pousse de plus en plus à associer la race juive en Russie avec les infamies qui sont actuellement perpétrées. (…)
Le sionisme représente la troisième sphère des conceptions politiques de la race juive. En violent contraste avec le communisme international. Dans les convulsions politiques de la Russie, le sionisme est déjà devenu un facteur qui exerce une puissante influence concurrente dans les cercles bolcheviques avec le système communiste international. Rien ne pourrait être plus significatif que la fureur avec laquelle Trotsky a attaqué les sionistes en général, et le Dr Weissmann en particulier. La pénétration cruelle de son esprit le laisse sans aucun doute que ses projets d'un État communiste international sous domination juive sont directement contrecarrés et entravés par ce nouvel idéal, qui dirige les énergies et les espoirs des Juifs dans chaque pays vers un objectif plus simple, plus vrai et beaucoup plus réalisable. La lutte qui commence maintenant entre les Juifs sionistes et bolcheviques n’est rien moins qu’une lutte pour l'âme du peuple juif. » (Winston Churchill, Illustrated Sunday Herald, 8/2/1920)

[49] « (…) une Russie infectée, porteuse de peste, une Russie de hordes armées non seulement brandissant baïonnettes et canons, mais accompagnées et précédées de vermine typhique pullulante » (W. Churchill, in Marta Aleksandra Balinska, Le typhus : une maladie idéologisée, La revue du praticien, 2005, 55 qui renvoie à The Aftermath. New York:1929: 21. http://www.msf-ureph.ch/sites/default/files/ fichiers/ RDP_2005_ 14_ 1619.pdf

[50] A cette occasion, les bourgeoisies occidentales, celles qui dominent encore le marché mondial tout en voyant leur position toujours plus contestée par des capitalismes plus jeunes, ont montré à quel point elles étaient incapables de diriger la société. Elles ont-elles-mêmes sapé le système de santé en le curant jusqu’à l’os. Ensuite, en France, à chaque pas, que ce soit pour la gestion des masques, des tests, on découvre l’incurie, l’incompétence, l’impéritie, l’indécision pour aboutir à des mesures relevant du Moyen-Âge. Ce faisant le grand vainqueur, de cette épidémie sera le capitalisme chinois qui fait un pas de plus dans sa confrontation avec le l’impérialisme américain. A l’image de la science chinoise, le capitalisme chinois se pose en nouveau pôle de référence du capitalisme mondial. Aggravation du protectionnisme, accroissement du niveau de confrontation, perspective de guerre mondiale en seront les réponses des impérialismes en recul.

[51] C’est aussi, une des raisons du retard pris dans les décisions ; le virus a pris de cours les scientifiques qui le comparaient au virus de la grippe. « Personne n’aurait pu prédire que ce virus allait entraîner une pandémie. C’est la première pandémie de l’histoire qui ne soit pas causée par un virus influenza [de la grippe]. » (George Gao, Le Monde du 2/4/2020). Mais ici aussi, on peut lire une volonté de dédouaner les autorités chinoises, coupables d’avoir informé très tard l’OMS et d’avoir fait pression sur elle pour minimiser l’ampleur de l’épidémie. Le même Gao Fu alias George Gao, déclarait en mars 2019 : « Il y aura à l’avenir, d’autres virus comparables au SRAS, mais il n’y aura plus d’épidémies comparables. ». A ce moment, il se félicitait de la mise en place d’un réseau susceptible de prévenir les épidémies. « Nous avons construit un très bon réseau de détection des maladies contagieuses. Si des virus viennent, on les bloquera. » (Cité par Frédéric Lemaître, Entre dissimulations et lenteurs, l’échec du système d’alerte chinois, Le Monde du 7/4/2020). Ce réseau a donc dysfonctionné du fait de la bureaucratie chinoise. La perspective que des maladies infectieuses nouvelles puissent dégénérer en pandémie est ancienne et toujours plus affirmée avec la constatation de l’accroissement de ce qu’on appelle les « maladies émergentes ». Leur nombre aurait été multiplié par quatre ces cinquante dernières années (https://fr.wikipedia.org/wiki/Maladie_%C 3 % A9mergente). Un rapport de la CIA, daté de 2007 et publié en France, sous la direction d’Alexandre Adler en 2009 (ce rapport sert notamment de pâture aux complotistes avec parfois des connotations antisémites) notait clairement qu’une pandémie à partir d‘un coronavirus était une hypothèse à retenir et implicitement appelait donc à s’en prémunir. Dans l’esprit de la CIA cela revenait à limiter les échanges avec l’extérieur, à ne pas délocaliser une part de la production pharmaceutique par exemple, mais cela allait à l’encontre des intérêts du grand capital libre-échangiste étasunien.

[52] « Dans la sphère de l'agriculture, la grande industrie agit plus révolutionnairement que partout ailleurs en ce sens qu'elle fait disparaître le paysan, le rempart de l'ancienne société, et lui substitue le salarié. Les besoins de transformation sociale et la lutte des classes sont ainsi ramenés dans les campagnes au même niveau que dans les villes.

L'exploitation la plus routinière et la plus irrationnelle est remplacée par l'application technologique de la science. Le mode de production capitaliste rompt définitivement entre l'agriculture et la manufacture le lien qui les unissait dans leur enfance ; mais il crée en même temps les conditions matérielles d'une synthèse nouvelle et supérieure, c'est-à-dire l'union de l'agriculture et de l'industrie sur la base du développement que chacune d'elles acquiert pendant la période de leur séparation complète. Avec la prépondérance toujours croissante de la population des villes qu'elle agglomère dans de grands centres, la production capitaliste d'une part accumule la force motrice historique de la société; d'autre part elle détruit non seulement la santé physique des ouvriers urbains et la vie intellectuelle des travailleurs rustiques, mais trouble encore la circulation matérielle entre l'homme et la terre, en rendant de plus en plus difficile la restitution de ses éléments de fertilité, des ingrédients chimiques qui lui sont enlevés et usés sous forme d'aliments, de vêtements, etc. Mais en bouleversant les conditions dans lesquelles une société arriérée accomplit presque spontanément cette circulation, elle force de la rétablir d'une manière systématique, sous une forme appropriée au développement humain intégral et comme loi régulatrice de la production sociale.

Dans l'agriculture comme dans la manufacture, la transformation capitaliste de la production semble n'être que le martyrologue du producteur, le moyen de travail que le moyen de dompter, d'exploiter et d'appauvrir le travailleur. la combinaison sociale du travail que l'oppression organisée de sa vitalité, de sa liberté et de son indépendance individuelles. La dissémination des travailleurs agricoles sur de plus grandes surfaces brise leur force de résistance, tandis que la concentration augmente celle des ouvriers urbains. Dans l'agriculture moderne, de même que dans l'industrie des villes, l'accroissement de productivité et le rendement supérieur du travail s'achètent au prix de la destruction et du tarissement de la force de travail. En outre, chaque progrès de l'agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l'art d'exploiter le travailleur, mais encore dans l'art de dépouiller le sol; chaque progrès dans l'art d'accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays, les Etats-Unis du nord de l'Amérique, par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce procès de destruction s'accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu'en épuisant en même temps les deux sources d'où jaillit toute richesse : La terre et le travailleur. » (Marx, Capital, L.1, Pléiade, Economie, T.1, p.997-999)

 « La petite propriété foncière suppose que l’immense majorité de la population est rurale et que le travail isolé l’emporte largement sur le travail associé. Les conditions matérielles et morales de la richesse et du progrès de la reproduction manquent donc, de même que les conditions d’une culture rationnelle. En outre, la grande propriété foncière réduit la population agricole à un minimum toujours décroissant, lui opposant une population industrielle toujours sans cesse croissante agglomérée dans les grandes villes.

Les conditions ainsi créés provoquent une rupture irrémédiable dans le métabolisme déterminé par les lois de la vie, d’où le gaspillage des ressources de la terre que le commerce étend bien au-delà des frontières nationales (Liebig).

Alors que la petite propriété foncière crée une classe de barbares vivant presque en marge de la société, une classe qui combine toute la brutalité des sociétés primitives à toutes les peines et à toutes les misères des pays civilisés, la grande propriété sape la force de travail dans son dernier asile, refuge de son énergie naturelle, fonds de réserve pour le renouvellement de la force vitale des peuples : la campagne elle-même. La grande industrie et la grande agriculture mécanisée agissent de concert. Si, à l’origine, la première tend à ravager et à ruiner la force de travail, donc la force naturelle de l’homme, tandis que la seconde s’attaque directement à la force naturelle de la terre, elles finissent par se conjuguer dans leur marche en avant : le système industriel à la campagne affaiblit également les travailleurs et, pour leur part, l’industrie et le commerce procurent à l’agriculture les moyens d’épuiser la terre. » (Marx, Capital, L.III, Pléiade, Economie, T.2, p.1423-1424)

[53] Hervé Ratel, Sciences et Avenir n°853, mars 2018.

[54] « Là où la forêt des montagnes a été anéantie, les torrents alimentés par les pluies de l’été roulent d’énormes masses de pierres et de sable, qui dévastent les vallées alpines, déforestent et détruisent les villages dont les habitants sont innocents « du fait que le profit personnel et l’ignorance ont détruit la forêt dans les hautes vallées et la région des sources » » (Pannekoek, La destruction de la nature)

« Comment la France est-elle devenue un pays pauvre en forêts, au point d’importer chaque année des centaines de millions de francs de bois de l’étranger et de dépenser beaucoup plus pour atténuer par le reboisement les conséquences désastreuses de la déforestation des Alpes ? Sous l’Ancien Régime, il y avait beaucoup de forêts domaniales. Mais la bourgeoisie, qui a pris les rênes de la Révolution française, ne voyait dans ces forêts domaniales qu’un instrument d’enrichissement privé. Les spéculateurs ont rasé trois millions d’hectares pour transformer le bois en or. L’avenir était le cadet de leurs soucis, seul comptait le profit immédiat. » (Pannekoek, La destruction de la nature)

[55] « En réalité, beaucoup de fonctionnaires de l'époque [1725 NDR] ne s'intéressaient qu'aux bois susceptibles d'une utilisation lucrative immédiate, ce qui explique que les massifs de peu d'intérêt — trop isolés ou trop pauvres — soient parfois passés sous silence, cas particulièrement fréquents pour les maigres taillis des Alpes du Sud. » (P. Fourchy, Les débuts de la lutte contre l’érosion au début du XIXe siècle dans les Alpes françaises, Revue forestière française, 1966, 7, p.468)

[56] La reforestation s’appuie donc sur les déséquilibres économiques et sociaux liés à la séparation de la ville et de la campagne. Il ne s’agit en rien d’une politique rationnelle de gestion du territoire. La forêt française, privée aux trois quarts, et de toute façon soumise à la production capitaliste, n’obéit en rien à une politique définie par les besoins humains y compris ceux mis en avant par les écologistes et si elle le fait c’est au prix de contradictions considérables. Cependant, la critique de la société bourgeoise ne peut pas pour autant être unilatérale et faire l’objet de critiques romantiques dont l’horizon ne dépasse pas celui de la production marchande. De même au XIXe siècle, la reforestation est favorisée par l’utilisation du charbon (qu’aujourd’hui on cherche à faire reculer au profit du bois notamment) et l’importation de bois exotiques (donc en liaison notamment avec la colonisation).

[57] Il serait intéressant d’analyser les raisons de cette faiblesse structurelle de la « filière bois » française alors que la forêt française est une des plus importantes d’Europe et la première en ce qui concerne les feuillus (auxquels on a tendance à substituer des résineux, comme le pin Douglas par exemple, dont la croissance est plus rapide bien que les sols ne soient pas toujours les plus adaptés). Peut-être y trouverait-t-on la trace de ce que dénonçait Pannekoek ?

[58] « Quatre-vingt-dix pour cent des germes de nos maladies infectieuses, virus, bactéries, parasites, et maintenant prions, proviennent des animaux que les Néolithiques ont domestiqués (Zammit, 1991). J. Ruffié, A. Sournia, A. Nicolle, A. Cockburn, entre autres auteurs, ont démontré que les épidémies historiques avaient éliminé au cours des deux derniers millénaires plus de la moitié de l'humanité vivante, par le biais de pandémies majeures telle la grande peste noire de 1348-1349 ou la grippe espagnole de 1917-1920 qui tua plus d'individus que la première guerre mondiale (Ruffié et Sournia, 1995). Or, il faut savoir que ces germes morbides proviennent principalement de cinq familles d'animaux que nous avons regroupées sous le vocable de « pentade infectieuse » : Bovins, Ovins, Caprins, Canins et Porcins. À lui seul, le Bœuf est porteur de 50 % des germes incriminés : tuberculose, variole, salmonelles, Ténia, typhoïde, et de nos jours, prions de la maladie de la « vache folle ». Que dire du charbon (mouton), de la grippe (porc, poulet), du tétanos (cheval), de la lèpre (bovin), de la syphilis (camélidés), du kyste hydatique (mouton, chien), rage (chien), etc. De nos jours, 3 maladies parasitaires : le paludisme, la bilharziose, la trypanosomiase, véhiculées par l'homme et les animaux domestiques, tuent plus de 17 millions d'êtres humains par an sur la planète » de la Bulletin de la Société préhistorique française 2005, tome 102, n° 2, p. 371-379 ; Les conséquences écologiques de la néolithisation dans l'histoire humaine, p. 375.

[59] « L'inoculation de matériel venant de pustules d'un malade de la variole à une personne saine entraînait une maladie réduite offrant une protection lors de contacts ultérieurs. La mortalité de cette pratique s'élevait à 1-2%, alors que la variole tuait dans un quart des cas.  Cette pratique fut introduite en Angleterre par Lady Mary Wortley Montague vers 1720. » ‘https://virologie-uclouvain.be/fr/chapitres/generalites-sur-les-virus/historique.)

[60] Le terme existe depuis fort longtemps. Il a pris entre le XVIe et le XIXe siècles des sens fort différents et qui n’ont que très peu de rapport avec le concept actuel. En dépit de ces différences, le mot est resté.

[61] Même au sein des cellules, les mécanismes de reproduction sont différents entre les cellules eucaryotes  et procaryotes, si bien que pour ces dernières on est habilité à utiliser un autre terme, pour autant que le terme de reproduction soit réservé à la reproduction sexuée. « La reproduction des procaryotes est asexuée. Les bactéries et archées par exemple se reproduisent par division cellulaire, si bien qu'on ne parle pas réellement de reproduction. » (https://www.futura-sciences.com/sante/definitions/biologie-procaryote-235/)

[62] Sur la polémique de l’emploi des termes « reproduction » et « réplication », les virologistes tendent à les distinguer quand on parle des virus.

"Si nous savons depuis 150 ans que les virus provoquent des maladies, leurs propriétés physiques et biologiques n'ont pas toujours été claires. Une des premières définitions était que, l'infectivité des agents responsables des maladies des plantes était "filtrable", ce qui a conduit Beijerinck, en 1898, à les appeler "fluides vivants contagieux". Lorsque les bactériophages ont été visualisés pour la première fois au microscope électronique en 1939, il était évident que les virus étaient particulaires. La cristallisation du virus de la mosaïque du tabac en 1935 a conduit de nombreuses personnes à penser que les virus n'étaient pas des organismes mais des produits chimiques. Stanley, qui a réalisé ces travaux, pensait que les virus étaient des protéines infectieuses ! Si les virus étaient des produits chimiques, comment se multipliaient-ils ? Comme l'écrit Summers :

"Il est intéressant de noter que la discussion au cours de cette période était presque invariablement formulée en termes de "reproduction", situant fermement le problème dans le domaine de la biologie, et non de "réplication", un terme ultérieur favorisé par les chimistes et faisant désormais partie du discours moderne en virologie."

À cette époque, le mot "réplication" n'était pas encore entré dans le lexique des virologues. Ce n'est qu'en 1952, lorsque Hershey et Chase ont montré que l'ADN était le matériel génétique des virus, que le terme "réplication" a commencé à être utilisé par ceux qui étudient les virus. Dans le manuel de Luria de 1953, intitulé General Virology, on trouve le terme reproduction à de nombreuses reprises, mais le terme réplication n'apparaît que deux fois. La phrase suivante illustre magnifiquement l'usage distinct des deux mots en 1953 (c'est moi qui souligne) :

Les résultats suggèrent un mode spécial de reproduction des phages, dans lequel les chromosomes sont répliqués par un mécanisme linéaire, de type fermeture éclair.

Comme le souligne Summers, aujourd'hui, presque tous les virologues utilisent le mot "réplication" pour désigner soit la synthèse de nouvelles particules virales, soit de nouveaux génomes. Nous avons fait de même pour les deux premières éditions de Principles of Virology. Je ne sais pas exactement quand la réplication s'est imposée dans le lexique de la virologie, mais je pense que le fait d'avoir des termes distincts pour la production d'acides nucléiques et de particules virales est plus précis et élimine toute ambiguïté sur ce dont il est question. » (Vincent Racaniello, Viral reproduction and replication, in Virology Blog, 27/07/2019)

Pourquoi pas « répliduction » puisque le marxisme situe le départ de la vie au-delà de la chimie mais en deçà de la cellule ?

[63] Un des arguments des tenants de l’impossible synthèse de la chimie organique était que les produits organiques étaient un sous-produit de la matière vivante. Que le vivant, délimité donc par la cellule, était un préalable à leur existence. La rhétorique sur les virus procède du même type d’analyse. Le fait qu’elle ait été balayée pour la chimie organique ne permet pas d’inférer qu’il en va de même pour les virus stricto sensu, même si de nombreux arguments semblent démentir cette hypothèse ou du moins son exclusivité. S’il a été montré que la matière organique pouvait procéder de la matière inorganique, il a été montré en retour que nombre de minéraux n’ont pu être créés que grâce à l’existence de la matière organique (cf. Hazen p. 41 ci-dessous.)

[64] Les tenants d’un modèle dit nucléocentrique en opposition au modèle cytoplasmique ne font pas du métabolisme un facteur indispensable de la vie. Il serait sans doute plus clair d’opposer une vision génétiste à une vision métaboliste. Pour les uns la vie commence avant la cellule, pour les autres avec la cellule.

[65] Engels, Dialectique de la Nature, Editions Sociales, p.196

[66] En l’occurrence, l’irritabilité (« contractile » dit Marx, cf. note suivante), une forme de sensibilité de la matière.

Engels va plus loin. « Presque au même moment, on constata que le protoplasme et la cellule, dont on avait déjà démontré antérieurement qu'ils étaient les éléments constitutifs derniers de tous les organismes, se rencontrent en tant que formes organiques élémentaires, vivantes et indépendantes. Et ainsi, d'une part, l'abîme entre la nature organique et la nature inorganique était réduit au minimum, tandis que, d'autre part, un des principaux obstacles qui s'opposaient jusqu'alors à la théorie de la descendance des organismes était éliminé. » (Engels, Dialectique de la nature, Editions Sociales, p.37)

« Si enfin la température s'équilibre au point que, au moins sur une portion considérable de la surface, elle ne transgresse plus les limites à l'intérieur desquelles peut vivre l'albumine, les conditions chimiques préalables étant par ailleurs favorables, il se forme du protoplasme vivant. Ce que sont ces conditions préalables, nous ne le savons pas encore aujourd'hui ; mais cela n'a rien de surprenant, puisqu'on n'a même pas établi jusqu'ici la formule chimique de l'albumine, puisque nous ne savons même pas combien il y a de corps albuminoïdes chimiquement différents et qu'on a appris depuis quelque dix ans seulement que l'albumine absolument sans structure exerce toutes les fonctions essentielles de la vie : digestion, élimination, mouvement, contraction, réaction aux excitations, reproduction ». (Engels, Dialectique de la nature, Editions sociales, p.40). Il semble qu’ici Engels s’appuyait sur les dires non confirmés de Haeckel. Si la preuve reste toujours à fournir tandis que la « voie de la protéine » s’est terminée en impasse ou plutôt par son dépassement par les acides nucléiques (ARN, ADN), les fonctions énumérées par Engels devraient être présentes dans le corps précédent la cellule, pour rendre la perspective du marxisme pertinente (voir ci-après).

 

« Un mode d'action méthodique existe déjà en germe partout où du protoplasme, de l'albumine vivante existent et réagissent, C'est-à-dire exécutent des mouvements déterminés, si simples soient-ils, comme suite à des excitations externes déterminées. Une telle réaction a lieu là où il n'existe même pas encore de cellule, et bien moins encore de cellule nerveuse. » (Engels, Dialectique de la nature, Editions Sociales, p.179)

[67] « On y renonce à la cellule [dans le livre de Büchner] en tant que forme originelle ; ce sont des grumeaux d’albumine informes, mais contractiles qui seraient le starting point [point de départ]. Hypothèse confirmée plus tard par des découvertes faites au Canada (et plus tard également en Bavière et some others places [en d’autres endroits]. Il faut remonter à la forme primitive en la faisant remonter jusqu’à un stade où elle est chimiquement fabricable. Et il semble qu’on soit sur le point d’y parvenir. » (Marx, Lettre à Engels, Lettres sur les sciences de la nature, 18 novembre 1868, Editions Sociales, p.68)

[68] Marx a même pensé un temps, à partir des travaux de Moritz Traube, que la synthèse de la cellule était devenue une réalité. « Le physiologiste Traube à Berlin a réussi de fabriquer des cellules artificielles. Bien entendu, ce ne sont pas des cellules naturelles ; elles n’ont pas de noyau. » (Marx, Lettre à Piotr Lavrov, 18/06/1875, Lettres sur les sciences de la nature, Editions sociales, p.81). Engels relativisera la portée des travaux de Traube « L’importance des « cellules » de Traube réside en ce qu’elles font apparaître la croissance et l’endosmose comme deux phénomènes qu’on peut obtenir aussi dans la nature non organique et sans aucun carbone. » (Engels, Dialectique de la nature, Editions Sociales, p.310-311)

[69] « Une seule chose reste encore à faire ici : expliquer la naissance de la vie à partir de la nature inorganique. Au stade actuel de la science, cela ne signifie pas autre chose que produire des albuminoïdes à l'aide de substances non organiques. La chimie approche de plus en plus de la solution de ce problème. Elle en est encore très loin. Mais, si nous réfléchissons que c'est seulement en 1828 que Wœhler a obtenu le premier corps organique, l'urée, avec des matériaux inorganiques et que l'on prépare maintenant des combinaisons organiques innombrables de façon artificielle, sans aucune substance organique, nous n'allons pas donner à la chimie l'ordre de faire halte devant l'albumine jusqu'à présent, elle peut produire toute substance organique dont elle connaît exactement la composition. Dès que sera connue la composition des corps albuminoïdes, elle pourra procéder à la production de l'albumine vivante. Mais ce serait exiger un miracle qu'elle dût du jour au lendemain produire ce que la nature elle-même ne réussit à réaliser que dans des circonstances très favorables, sur quelques corps célestes au bout de millions d'années. »

[70] « Cependant, tant que nous n’en savons pas plus maintenant sur la composition chimique de l’albumine, tant que, par conséquent, pour un siècle vraisemblablement, nous ne pouvons penser à la préparer artificiellement, il est ridicule de déplorer que nos efforts, etc., aient échoué ! » (Engels, Dialectique de la nature, Editions Sociales, p.310)

[71] En 1929, Haldane, qui ne s’est pas encore converti au stalinisme, écrit : « Je ne pense pas apercevoir [dans un futur proche] la synthèse d’une chose aussi proche de la vie que l’est un bactériophage ou un virus, et je ne suppose pas qu’un organisme auto-contenu sera fait avant des siècles. Jusqu’à ce que cela soit fait, l’origine de la vie restera un sujet de spéculation. Mais une telle spéculation n’est pas vaine, car elle est susceptible de preuve ou contre-preuve expérimentale. » (Haldane, J. B. S. 1929. “The Origin of Life”, Rationalist Annual, 310 [republished in Bernal, J.D. 1967. Origin of Life, Weidenfeld and Nicholson, London], p.11, cité par Gladys Kostyrka, La place des virus dans le monde vivant, Philosophie, Université Panthéon-Sorbonne – Paris I, 2018, Français, NNT : 2018PA01H225, tel-0235 9424, p.187)

[72] « La supposition que de nouveaux organismes vivants puissent naître de la décomposition d'autres organismes date essentiellement de l'époque où l'on croyait à des espèces immuables. A ce moment-là, on se voyait dans la nécessité d'admettre que tous les organismes, même les plus compliqués, naissaient, par le moyen d'une génération originelle, de corps inertes, et, si l'on ne voulait pas se tirer d'affaire à l'aide d'un acte créateur, on en venait facilement à l'idée que ce processus s'expliquerait plus facilement en supposant des éléments formateurs provenant déjà du monde organique; personne ne pensait déjà plus à produire un mammifère par voie chimique en partant directement de matière non organique.

Mais une telle supposition est un défi direct à l'état actuel de la science. Grâce à l'analyse du processus de décomposition de corps organiques morts, la chimie administre la preuve que ce processus donne nécessairement, au fur et à mesure qu'il progresse, des produits plus inertes, plus proches du monde non organique, de moins en moins propres à être utilisés dans le monde organique ; elle prouve qu'une autre direction ne peut être donnée à ce processus, qu'une semblable utilisation ne peut avoir lieu que lorsque ces produits de décomposition sont recueillis à temps dans un organisme déjà existant, propre à cette fonction. C'est précisément le véhicule le plus essentiel de la formation des cellules, albumine, qui se décompose en premier, et jusqu'ici on n'en a pas encore réalisé la synthèse. » (Engels, Dialectique de la nature, Editions Sociales, p.304).

[73] https://www.podcastscience.fm/dossiers/2014/02/05/histoire-de-ladn-avec-vincent-giudice/

[74] Heinrich Wilhelm Waldeyer ; ce dernier est également à l’origine du terme « neurone » (1891) 

[75] En 1905, Nettie Stevens montre le rôle du chromosome Y dans la détermination du sexe.

[76] « Adolf Mayer (1843-1942) avait décrit en détail une maladie des plants de tabac qu’il appelle la mosaïque du tabac. Il se rend compte que la maladie est infectieuse, car elle peut être transmise par ce qu’il croit être une bactérie. La première expérience indiquant l'implication d'un agent ultrafiltrable plus petit que les bactéries, fut la transmission de la mosaïque du tabac par Dimitri Ivanovski (1864-1920) à partir de filtrats de plantes en 1892. Cependant Ivanovski maintiendra l’explication bactérienne, sous forme de spores ou de toxines, sans expliquer de façon correcte l’expérience qu’il avait faite. Ce n'est que 6 ans plus tard que Martinus Beijerinck (1851-1931) comprendra les conséquences de cette observation en la répétant. Il parlera de «contagium vivum fluidum». C’est-à-dire de « fluide vivant contagieux » (https://virologie-uclouvain.be/fr/chapitres/generalites-sur-les-virus/historique).

[77] https://virologie-uclouvain.be/fr/chapitres/generalites-sur-les-virus/historique

[78] https://fr.wikipedia.org/wiki/Microscope_%C3%A9lectronique#:~:text=Le%20premier%20prototy pe %20de%20 microscope,objets%20de%20quatre%20cents%20fois.

[79] Gladys Kostyrka, op.cit. p.376

[80] Gladys Kostyrka, op.cit. p.376

[81] https://www.letemps.ch/sciences/june-almeida-aux-origines-decouverte-coronavirus

[82] https://www.pasteur.fr/fr/journal-recherche/dossiers/microscopes-observer-vivant-combattre-maladies

[83] https://www.20minutes.fr/sante/1946307-20161020-hepatite-virus-infection-observe-microscope-premiere-fois

[84] Cette découverte a suscité à l’époque des commentaires pouvant laisser croire que la vie avait été créée.

[85] https://philpapers.org/rec/GIEIOR

[86] L’isolement, par Howard Temin et un autre groupe de chercheurs dirigé par David Baltimore, d’une enzyme associée à la particule virale, capable de convertir l’ARN en ADN et appelée pour cette raison « transcriptase inverse », convainquit enfin la communauté scientifique. Nul doute que cette découverte n’ait été rendu plus difficile par le dogmatisme régnant alors en biologie moléculaire et par la conviction que les résultats déjà acquis étaient des vérités établies. (Morange Michel, Histoire de la biologie moléculaire, La découverte, p. 220-221)

[87] « Les micro-organismes possèdent un système d'enzymes qui convertissent l'énergie potentielle des aliments en liaisons à haute énergie nécessaires aux synthèses biologiques, y compris la disposition dans une structure. Ce système, que l'on pourrait appeler le ‘système Lipmann’ fait partie du micro-organisme lui-même. Le système de Lipmann est absent du bactériophage. L'énergie nécessaire à la synthèse et à la structuration du matériel phagique est fournie par la cellule hôte. » André Lwoff, The Concept of virus, Journal of General Microbiology 17(1), 1957, p. 245-246

[88] C’est-à-dire le capital sous sa forme argent, après s’être valorisée dans le processus de production où elle a pris la forme des moyens de production et de la force de travail, puis celle d’un capital marchandise avant de se réaliser augmentée d’une plus-value sous sa forme argent.

[89] D’où cette assertion célèbre de Lwoff : « « Mon ambition est de montrer que le mot virus a un sens, et je défendrais un point de vue paradoxal, à savoir que les virus sont des virus » (André Lwoff, op. cit. p. 240)

[90] Assimilé ici à la cellule et donc à une définition non matérialiste. Rappelons que pour la conception matérialise que nous défendons le vivant commence avant l’existence de la cellule

[91] Gladys Kostyrka, op. cit. p.24

[92] Dans l’article La Nature du Marxisme (2014 - disponible sur notre site), nous avons montré que l’idéologie des savants qui relève de l’idéologie bourgeoise ou petite bourgeoisie a une influence sur la production scientifique y compris dans les sciences de la nature. Comme exemple dans le domaine de la biologie, nous avons pris Stephen Jay Gould (1941-2002) qui se réclamait du marxisme.

« (…), théoricien de l’évolution et, fait exceptionnel, plutôt bien disposé envers la dialectique, s’en était pris dans un article qui sera résumé dans son livre sur la malmesure de l’Homme, à (Samuel George) Morton (1799-1851), un savant de réputation internationale au XIXe siècle. Gould prétendait que la manipulation des mesures et vraisemblablement les mesures elles-mêmes d’une collection de crânes (environ 1400 crânes) étaient faussées du fait de son idéologie raciste, tout à fait courante au XIXe siècle. Une étude qui repose sur une nouvelle mesure montre que si Morton a fait de faibles erreurs de mesure, elles sont aléatoires et donc ne résultent pas de biais idéologiques. De même, il n’a pas manipulé (décomposition non systématique en sous-catégories, sur pondération des échantillons, biais dans la détermination des catégories et sous catégories), fusse inconsciemment, les mesures pour donner du crédit à ces thèses. Les considérations idéologiques dans la réalisation et le traitement des mesures de Morton, tout raciste qu’il était, sont plutôt présentes chez Gould quand il analyse les pseudo manipulations de Morton. Les imputations de Gould résultent donc des aprioris démocratiques et de l’idéologie du « politiquement correct » qui siéent aux petits bourgeois. »

En l’occurrence, Morton défendait l’idée d’une évolution arrêtée et les théories sur le cerveau de Sommerring (https://journals.plos.org/plosbiology/article/comment?id=10.1371/annotation/4e8c53e5-be25-4ca9-81c6-c2d1c9f55b7c).Pour une défense de Gould voir https://journals.plos.org/plosbiology/articleid =10.1371/journal.pbio.1002444.

Nous avons donc à distance un débat entre idéologues racistes et anti-racistes. Gould accuse Morton de biais inconscients dans sa manipulation, du fait des écarts non proportionnels entre les deux types de mesures. Mais cette interprétation n’est en rien prouvée et relève d’un a priori propre à la petite bourgeoisie démocratique. On peut après s’interroger sur la pertinence de la collection et de ses échantillons mais en définitive pas sur l’existence des écarts du fait d’une mesure biaisée, (la charge de Gould permet de ne pas réfléchir plus loin et de triompher à bon compte). Les savants à la solde de la bourgeoisie conservatrice et réactionnaire en profitent pour traîner une fois de plus la dialectique dans la boue et ceux représentants de la bourgeoisie progressiste et petite-bourgeoisie démocratiques de camper sur leurs positions.

[93] Engels n’en revient pas ! : « Hegel se tire très facilement d'affaire sur cette question de la divisibilité en, disant que la matière est l'un et l'autre, divisible et continue, et en même temps ni l'un ni l'autre, ce qui n'est pas une réponse, mais est presque prouvé maintenant » (Engels, Dialectique de la nature, Editions sociales, p.249)

[94] « (…°) le concept d’une chose et la réalité de celle-ci sont parallèles, comme deux asymptotes qui se rapprochent sans cesse l’une de l’autre sans jamais se rejoindre. Cette différence qui les sépare, c’est précisément celle qui fait que le concept n’est pas d’emblée, immédiatement, la réalité et que la réalité n’est pas immédiatement son propre concept. Du fait qu’un concept possède le caractère essentiel d’un concept, donc qu’il ne coïncide pas d’emblée, prima facie, avec la réalité, dont il a fallu d’abord l’abstraire, de ce fait il est toujours plus qu’une simple fiction, à moins que vous n’appeliez fictions tous les résultats de la pensée, parce que la réalité ne correspond à ces résultats que par un long détour et, même alors, ne s’en rapproche jamais que de manière asymptotique. »

« […] Ou bien encore : faut-il dire que les concepts qui dominent dans les sciences de la nature sont des fictions parce qu’il s’en faut de beaucoup qu’ils coïncident toujours exactement avec la réalité? À partir du moment où nous acceptons la théorie de l’évolution, tous nos concepts de la vie organique ne correspondent plus que de façon approximative à la réalité. Sinon il n’y aurait pas de transformation; le jour où concept et réalité coïncideront absolument dans le monde organique cen sera fini de l’évolution. Le concept de poisson implique lexistence dans leau et la respiration par les branchies; comment voulez-vous passer du poisson à lamphibie sans briser ce concept? Et effectivement il a été brisé, et nous connaissons toute une série de poissons dont la vessie natatoire sest développée jusqu’à devenir poumon et qui peuvent respirer de l’air. Comment voulez-vous passer du reptile ovipare au mammifère qui met au monde des petits vivants sans faire entrer en conflit avec la réalité l’un des deux concepts, ou les deux à la fois? Et effectivement nous avons avec les monotrèmes toute une sous-catégorie de mammifères ovipares — j’ai vu à Manchester en 1843 les œufs de l’ornithorynque et je me suis moqué, avec autant d’étroitesse d’esprit que d’arrogance, de cette stupidité : comme si un mammifère pouvait pondre ! Et voilà qu’aujourd’hui c’est démontré. Ne faites donc pas au concept de valeur ce que j’ai fait, moi, à l’ornithorynque, à qui j’ai dû, après coup, présenter mes excuses ! […] » Friedrich Engels, lettre à Conrad Schmidt, Londres, le 12 mars 1895. Marx, Engels, Études philosophiques, Éditions sociales, Paris, 1973, p. 256-259. (Marx, Engels, Lettres sur les sciences de la nature, Éditions sociales, Paris, 1973, lettre 131, p. 127, seulement pour la deuxième partie.)

[95] « Le caractère essentiel d’un organisme, l’indépendance, avec toutes ses implications, transcende les caractéristiques de ses parties, la dépendance. La vie est précisément cette transcendance. Ceux qui partagent ce point de vue concluront que les virus ne sont pas vivants. » (Lwoff, A. 1957, “The Concept of virus”, Journal of General Microbiology 17(1), p. 248)

Mais des définitions identiques de la vie peuvent conduire à des avis divergents quant à la place des virus dans le vivant. Par exemple, selon la philosophe des sciences biologiques Gladys Kostyrka : « (…) nos recherches nous ont conduit à réaliser que la réponse à la question « les virus sont-ils vivants ? » n’est en général pas une simple conséquence logique de l’adoption d’une certaine définition de la vie. En effet, deux biologistes peuvent adopter la même définition de la vie et pourtant être en désaccord sur le statut vivant, non vivant ou « entre les deux » des virus. La question « les virus sont-ils vivants ? » et les débats qu’elle suscite ne peuvent donc être réduits à n’être qu’un écho des débats sur la définition de la vie.  (Gladys Kostyrka, op. cit. p.27). A travers sa recherche, elle n’aboutit pas cependant complétement à la conclusion qu’il s’agit de différences dans la conception du monde et que donc sont mobilisées des questions de méthode, de définitions, de connaissances scientifiques, d’histoire, d’environnement, de pratiques et que ces éléments eux-mêmes sont subsumés par une weltanschauung comme diraient nos amis allemands.

[96] Le terme remonte à Oparine qui pensait que les cellules étaient issues d’une « soupe primordiale ». En 1953, dans la ligne théorique d’Oparine et de Haldane, Stanley Miller et Harold Urey créent des acides aminés, la composante des protéines, à partir d’une « soupe primordiale ». Une des briques de la vie est ainsi synthétisée.

[97] https://www.science-et-vie.com/archives/mineraux-sans-la-vie-il-n-en-existerait-pas-autant-15187

[98] « (…) les animaux modifient la nature extérieure par leur activité aussi bien que l'homme, bien que dans une mesure moindre, et, comme nous l'avons vu, les modifications qu'ils ont opérées dans leur milieu réagissent à leur tour en les transformant sur leurs auteurs. Car rien dans la nature n'arrive isolément. Chaque phénomène réagit sur l'autre et inversement, et c'est la plupart du temps parce qu'ils oublient ce mouvement et cette action réciproque universels que nos savants sont empêchés d'y voir clair dans les choses les plus simples. » (Engels, Dialectique de nature, Editions sociales, p.178-179)

Notre propos va encore au-delà de la démonstration d’Engels, puisqu’il s’agit de l’action du monde organique sur le monde minéral et réciproquement. La conception écologiste et boutiquière du monde qui voit un équilibre (comme tout bon physicien mécaniste, économiste vulgaire ou comptable) de la nature qu’il ne faudrait pas perturber est d’emblée une absurdité. La petite-bourgeoisie et la classe moyenne effrayées par la marche du mode de production capitaliste n’ont qu’une obsession : arrêter la roue de l’histoire pour se maintenir en équilibre entre la bourgeoisie et le prolétariat. Comme toujours leur programme est à la fois utopique et réactionnaire.

[99] https://www.lepoint.fr/astronomie/origine-de-la-vie-la-fin-d-une-impasse-09-04-2015-1919732_1925 .php

[100] https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20201217-katalin-kariko-la-chercheuse-derri%C3% A8re- le- vaccin- pfizer -de-sa-fuite-de-hongrie-%C3%A0-un-futur-nobel

[101] Donc, d’un point de vue matérialiste, avant la cellule.

[102] Nous pouvons parler d’organisme dans la mesure où il existe entre les virus et les cellules ce point commun génétique.

[103] « L'émancipation de la vie » (coll. Champs Flammarion)

[104] « En février 2009 la revue Nature a publié un article rédigé par deux biophysiciens de l'Université de Montréal. En se focalisant sur la structure de l'ARNr 23S de la grande sous-unité du ribosome procaryote, ils tentent de reconstituer l'ordre dans lequel les constituants se sont successivement ajoutés les uns aux autres pour aboutir à la structure actuelle de ce complexe macromoléculaire. Ce travail a l'intérêt de modéliser la transition entre un hypothétique monde à ARN originel, où l'activité catalytique aurait été cantonnée aux ribozymes (ARN autocatalytiques), et le monde actuel dans lequel les protéines et notamment les enzymes assurent la plupart des fonctions biochimiques de catalyse. https://fr.wikipedia.org/wiki/ Ribosome#:~:text=Les%20ribosomes%20sont%20des%20complexes,les%20cellules%20eucaryotes%20et%20procaryotes.

[105] L’hypothèse, qui reprend la même rhétorique que celle qui avait cours pour les produits organiques avant que la chimie organique n’en fasse la synthèse mais qui ne la fait pas pour autant rejeter a priori, et qui voit dans les virus un sous-produit, voire une régression de l’activité cellulaire fait face à de nombreux arguments qui ne la rendent pas ou plus crédible.

[106] « Voilà la formation de la membrane et la croissance des cellules passés du domaine des hypothèses [Marx fait allusion en les surestimant aux travaux de Traube. NDR]. C’est un grand pas fait qui vient d’autant plus à propos que Helmholtz et d’autres étaient en train de répandre la doctrine absurde que les germes de la vie tombent tout faits de la lune, c’-à-d. qu’ils ont été introduits chez nous par des aérolites. Je déteste cette sorte d’explications qui résolvent un problème en lui assignant un autre domicile … » (Marx à Lavrov, 18/6/1875, Lettres sur les sciences de la nature, Editions sociales, p.81-82)

[107] «  (…) les expériences de « reconstitution » menées au sein du Virus Laboratory de Stanley à l’Université de Californie Berkeley par le biochimiste Heinz Fraenkel-Conrat et le biophysicien Robley C. Williams, expériences publiées en 1955 et étendues ensuite par Fraenkel-Conrat et Béatrice A. Singer, et les travaux, au même moment et indépendamment, du physicien Alfred Gierer et du biochimiste Gerhard Schramm à l’Université de Tübingen sur l’infectivité de l’acide ribonucléique du VMT, furent considérés par la majorité des chercheurs comme une preuve décisive du rôle de l’acide nucléique, ici l’ARN, comme porteur de l’hérédité et de l’information génétique » (Gladys Kostyrka, op. cit. p.395-396).

[108] Il sont cependant assez nombreux les savants qui dans les domaine de biologie et de l’évolution ont affirmé la nécessité d’une pensée dialectique. Par exemple J.S. Gould : « « Il nous faut comprendre au sein d’un tout les propriétés naissantes qui résultent de l’interpénétration inextricable des gènes et de l’environnement. Bref, nous devons emprunter ce que tant de grands penseurs nomment une approche dialectique, mais que les modes américaines récusent, en y dénonçant une rhétorique à usage politique. La pensée dialectique devrait être prise plus au sérieux par les savants occidentaux, et non être écartée sous prétexte que certaines nations de l’autre partie du monde en ont adopté une version figée pour asseoir leur dogme. » (Un hérisson dans la tempête). Cité par Matière et Révolution. Cf. https://www.matierevolution.fr/spip.php?article604.

Cela n’en fait pas des gens sans biais idéologiques, y compris dans leur spécialité. La reconnaissance formelle de la dialectique, bien qu’il soit important de constater que, dans ces domaines en particulier, une fraction de la science n’hésite pas, en dépit des tabous qu’elle inspire, à la revendiquer, n’en fait pas systématiquement des savants sans préjugés idéologiques. Ils héritent régulièrement des préjugés d’une petite bourgeoisie démocratique qui avilit le marxisme et dont le dernier état est cet oxymore : le « marxisme culturel » (si nous admettons que le terme de marxisme puisse être maintenu). Sinon la bourgeoisie s’efforce aussi de fournir un ersatz de dialectique à l’usage des classes dirigeantes, cela prend la forme ici, de la pensée complexe, ailleurs de la systémique, etc. Cf. note 92.

[109] « Hard and fast lines [des lignes de démarcation absolument rigoureuses] incompatibles avec la théorie de l'évolution. Même la ligne de démarcation entre vertébrés et invertébrés perd maintenant sa rigidité, de même entre poissons et amphibies ; la ligne de partage entre oiseaux et reptiles s'évanouit de plus en plus chaque jour. (…). Le « ou bien... ou bien » devient de moins en moins satisfaisant. Chez les animaux inférieurs, absolument impossible d'établir de façon rigoureuse la notion d'individu ; non seulement en ce sens qu'on ne sait si un animal donné est un individu ou une colonie, mais encore si l'on se demande où, dans le processus d'évolution, un individu finit et l'autre commence (Nourriciers). Pour un tel stade de développement de la science de la nature, où toutes les différences se fondent en échelons intermédiaires, où toute une série de chaînons fait passer de l'un à l'autre tous les contraires, la vieille méthode de pensée métaphysique ne suffit plus. La dialectique qui ne connaît pas non plus de hard and fast lines [lignes de démarcation absolument rigoureuses], de « ou bien... ou bien » inconditionnel et universellement valable, qui fait passer de l'une à l'autre les différences métaphysiques immuables, connaît également à côté du « ou bien... ou bien », le « aussi bien ceci... que cela » et réalise la médiation des contraires; la dialectique est la seule méthode de pensée appropriée en dernière instance à ce stade d'évolution de la science. Naturellement, pour l'usage quotidien, pour le petit commerce de la science, les catégories métaphysiques conservent leur validité. » (Engels, Dialectique de la nature, Editions sociales, p.214)

[110] Dans cette représentation, un clade, qui étymologiquement signifie « branche » en grec ancien, regroupe un organisme et tous ses descendants, vivant ou disparus.

[111] Au sein même des tenants de la classification phylogénétique, il existe aussi des divergences selon la version du « cladisme » qu’ils adoptent et au-delà encore l’arbre des idées en matière de classification laisse apparaître de multiples branches. https://www.mnhn.fr/fr/recherche-expertise/actualites/histoire-sciences-classification-idees

[112] Par exemple : Dubois Alain. A propos de l'emploi controversé du terme « monophylétique » : nouvelles propositions. In: Bulletin mensuel de la Société linnéenne de Lyon, 55 année, n°7, septembre 1986. pp. 248-254. Voir aussi les articles sur la systématique évolutionniste - https://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A9 matique et https://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A9matique_ %C3%A9

[113] Néanmoins, « Seuls les organismes vivants se nourrissent pour survivre, les virus n’étant pas vivants, dépourvus de métabolisme propre, parasites obligatoires, ils n’ont ni le besoin ni la capacité de se nourrir. Les virus ne sont donc pas des entités vivantes, mais ils semblent cependant éternels. » (« Les virus ennemis ou alliés ? » Ed. Quae ; open édition : https://www.quae-open.com/produit/140/9782759226276/les-virus)

[114] Mais qui a été identifié à une bactérie jusqu'en 2003, date à laquelle on a découvert la famille des « très gros virus ». En mars 2003, deux équipes de chercheurs Marseillais publiaient la découverte du plus grand virus à ADN jamais identifié, ils le baptisent Mimivirus pour « mimicking microbe » [virus imitant un microbe]. Ce virus, identifié à partir d'amibes infectant les eaux de tours de climatisation d'un hôpital anglais, atteignait la taille d'une petite bactérie, avec son diamètre de 400 nanomètres par particule virale. En 2004, Didier Raoult et Jean-Michel Claverie donnaient l'analyse du génome de Mimivirus [1,18 millions de paires de base]. Comme le mentionnent les auteurs, « par la taille des particules virales, par la taille de son génome et par la présence de protéines considérées comme propres aux organismes cellulaires, les Mimivirus bousculent notre définition de ce qu'est un virus et brouillent les frontières entre virus et bactéries parasites ». (https://www.franceculture.fr/emissions/continent- sciences/le-mimivirus)

[115] « En 2008, une nouvelle souche de Mimivirus, au génome de taille plus grande, a été découverte par l'équipe marseillaise de recherche dirigée par Didier Raoult. » (Wikipédia : 'mamavirus')

« En novembre 2018, de nouveaux virus géants ont été identifiés dans le sol de la forêt de Harvard, parmi lesquels Hyperionvirus. Le génome d'Hyperionvirus mesure 2,4 millions de paires de bases, ce qui serait le plus gros génome dans la famille des Mimiviridae.  Avant cette découverte, la plupart des virus géants ont été trouvés dans des milieux aquatiques. De manière générale, les virus géants infectent des amibes. Ils nous interrogent sur la place des virus dans le monde vivant. » (https://www.futura-sciences.com/sante/ definitions/biologie -mimivirus-7771/)

[116] C’est ce qu’affirme souvent Patrick Forterre que ce soit dans un article de 2012 cité plus bas ou dans celui de 2010 intitulé : « Définir la vie : le point de vue du virus ». Dans ce dernier, il déclarait que « Lwoff a écrit il y a 40 ans que le virus transformait la cellule infectée en usine virale » (p.156) c’est-à-dire pour être plus précis en usine à virions. Gladys Kostyrka (op. cit.) nous dit qu’elle n’a pas retrouvé dans le texte référencé de Lwoff une telle mention.

[117] « Une cellule virale est une cellule qui ne peut plus se diviser et dont la physiologie est contrôlée par le génome viral (soit l’acide ribonucléique ARN soit l’acide désoxyribonucléique ADN) pour produire des virions. Chez les archées et les bactéries, la cellule virale peut être assimilée à l’usine à virions. Chez les eucaryotes, les usines virales intracellulaires peuvent être vues comme les noyaux de la cellule virale. Le concept de cellule virale étend à toute la virosphère l’idée suggérée initialement par Jean-Michel Claverie de considérer l’usine virale de mimivirus comme la forme véritable de l’organisme viral (Claverie 2006). In fine, le concept de cellule virale trouve sa source dans l’idée d’André Lwoff qui écrivait autrefois que « le virus transforme la cellule en usine virale. » (Patrick Forterre, The Virocell Concept, in eLS. John Wiley & Sons, Ltd: Chichester 2012, p. 2, https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1002/9780470015902. a0023264, traduit par Gladys Kostyrka, op. cit., p. 619).

[118] https://www.cea.fr/presse/Pages/actualites-communiques/sante-sciences-du-vivant/pandoravirus-de couverte-chainon-manquant-monde-viral-monde-cellulaire.aspx

[119] « Se pouvait-il que le mamavirus soit parasité par un autre virus, plus petit ? Il semble en effet que cela soit le cas puisque ce petit virus, appelé par la suite Spoutnik, est incapable de se répliquer dans l’amibe s’il est injecté en absence de mamavirus. En revanche, la présence simultanée de ces deux virus dans les amibes entraîne une malformation des mamavirus néoformés, dont certains contiennent des virus Spoutnik ! Ceci évolue donc vers une diminution de la production de mamavirus infectieux et vers une réduction de la mort des amibes infectées. Toutes ces observations sont en faveur de l’identification de Spoutnik comme un virus parasite des mamavirus dont la présence affecte sa reproduction. » (Idem)

[120] Linus Pauling (1901-1994), un des premiers chimistes quantiques et détenteur du prix Nobel de chimie en 1954, a écrit le passage suivant sur la nature des virus.

« Pour illustrer la difficulté de définir un organisme vivant, considérons les types de matière les plus simples que l'on pense être vivants. Ce sont les virus, comme le virus du rabougrissement buissonnant de la tomate [un virus isolé en 1935 – NDR] (…). Ces virus ont le pouvoir de se reproduire lorsqu'ils se trouvent dans un environnement approprié. Une seule particule (organisme individuel) du virus du rabougrissement buissonnant de la tomate, placée sur la feuille d'un plant de tomate, peut entraîner la conversion en grande partie du matériel contenu dans les cellules de la feuille en répliques de celui-ci. Ce pouvoir de reproduction semble cependant être la seule caractéristique des organismes vivants que possède le virus. Une fois les particules formées, elles ne se développent pas. Ils n'ingèrent pas de nourriture et n'effectuent aucun processus métabolique. Pour autant qu'on puisse l’affirmer via l'utilisation du microscope électronique et d'autres méthodes d'investigation, les particules individuelles du virus sont identiques les unes aux autres et ne montrent aucun changement avec le temps - il n'y a pas de phénomène de vieillissement, de senescence. Les particules virales semblent n'avoir aucun moyen de locomotion et ne semblent pas répondre aux stimuli externes comme le font les grands organismes vivants. Mais ils ont le pouvoir de se reproduire eux-mêmes.

Devant ces faits, doit-on dire qu'un virus est un organisme vivant, ou qu'il ne l'est pas ? À l'heure actuelle, les scientifiques ne sont pas d'accord sur la réponse à cette question - en effet, la question n'est peut-être pas du tout scientifique, mais simplement une question de définition des mots. Si nous devions définir un organisme vivant comme une structure matérielle ayant le pouvoir de se reproduire, alors nous inclurions les virus des plantes parmi les organismes vivants. Si, toutefois, nous exigeons que les organismes vivants aient également la propriété d'effectuer certaines réactions métaboliques, alors les virus végétaux seraient décrits simplement comme des molécules (d'un poids moléculaire d’un ordre de grandeur de 10 000 000) qui ont une structure moléculaire telle qu'elles leur permettent de catalyser une réaction chimique, dans un milieu approprié, conduisant à la synthèse de molécules identiques à elles-mêmes. » (Pauling, L. General Chemistry, 3e édition, 1970; p. 768-769)

Ce passage synthétise bien l’impuissance du matérialisme vulgaire devant l’absence de démarcations rigides dans la nature : on ne peut pas concevoir que la même chose soit et ne soit pas.

[121] https://www.cnrs.fr/fr/pandoravirus-des-virus-geants-qui-inventent-leurs-propres-genes

https://www.pourlascience.fr/sd/microbiologie/les-virus-geants-pandoravirus-fabriqueraient-leurs-propres-nouveaux-genes-13898.php

[122] Un mécanisme d’initiation de synthèse de l’ARN.

[123] Cf. Éric Bapteste, Les gènes voyageurs, odyssée de l’évolution, Belin.

[124] « On estime actuellement que 8 % des séquences du génome humain sont des rétrotransposons à LTR, contre 3 % pour les séquences codant l’ensemble des protéines humaines. Généralement, les articles simplifient en disant que ces 8 % du génome correspondent à des HERV [rétrovirus dans le génome humain]. » ((https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2017/02/medsci20173302 p151/med sci 2017 3302p151.html#R4)

[125] Bernard David. Intégration des rétrovirus dans le génome humain : fonctions et évolution. 34ème journée du GAICRM-Groupement d’Allergologie et d’Immunologie clinique du Rhône moyen, Mar 2011, Suze-la-Rousse (Drôme, France), France. ffpasteur-01349067f

[126] « Selon les données actuelles, les plus anciens HERV [rétrovirus dans le génome humain) seraient des familles HERV-S/L apparues il y a 150 millions d’années, et HERV-F/H apparues il y a 70 millions d’années, intégrées avant la séparation entre les singes et les lémuriens, tandis que la famille HERV-K représente la famille la plus récemment intégrée, il y a moins de 6 millions d’années » (https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2017/02/medsci20173302p151/med sci 2017 3302p151.html#R4)

[127] Le célèbre biologiste américain Richard Lewontin (1929-2021), qui, en tant que scientifique, invoque, comme Gould, la dialectique contre le déterminisme génétique et son caractère métaphysique (cf. par exemple : Levins, R. ; Lewontin, R. The Dialectical Biologist, 1985). Il critique son réductionnisme scientifique qui se réfugie dans le holisme (dont l’expression la plus radicale est l’absurde hypothèse de Gaia, tant au goût des certains écologistes), et essaye de démontrer l’inanité d’une analyse biologique reposant sur les frontières bien tracées d’une systématisation fondée sur la notion de systèmes fermés.

Une caractéristique « qui distingue les systèmes vivants des autres phénomènes physiques est leur ouverture, l'échange caractéristique qui intervient entre l'intérieur et l'extérieur. La stabilité et la reproduction d'un organisme dépendent de processus énergétiques qui ne sont possibles que si des sources d'énergie extérieures à l'organisme peuvent y être introduites et si, à leur tour, les produits dégradés des transformations énergétiques peuvent être rejetés vers l'extérieur. Même les particules virales, qui ne métabolisent pas l'énergie, ne peuvent se reproduire que lorsqu'elles s'intègrent dans l'appareil métabolique des cellules qu'elles infectent. D ans la reproduction virale, il y a une abolition complète de la frontière qui existait auparavant entre le virus et son environnement cellulaire. La souplesse de la frontière entre l'intérieur et l'extérieur est une caractéristique universelle des systèmes vivants. Dans le chapitre II [Organisme et environnement - NDR], j'ai affirmé que les organismes ne trouvent pas de niches écologiques déjà existantes auxquelles ils s'adaptent, mais sont dans le processus constant de définition et de refonte de leurs environnements. À chaque instant, la sélection naturelle opère pour modifier la composition génétique des populations en réponse à l'environnement momentané, mais à mesure que cette composition change, elle force un changement concomitant dans l'environnement lui-même. Ainsi, l'organisme et l'environnement sont à la fois causes et effets dans un processus coévolutif. » (Lewontin, R. La Triple Hélice, 2000 ; p.125-126)

[128] Il ne s’agit pas uniquement d’une incompréhension de Darwin comme son éminent spécialiste, Patrick Tort, et avec lui le CCI, le suggère, mais bien de critiques fondamentales à la théorie de la sélection naturelle et d’une théorie érigée en mantra de la gauche démocratique en opposition au créationnisme.

[129] Rappelons que la première étape du cycle d’infection suppose que le virion entre en contact avec la cellule. Une liaison spécifique doit s’établir entre le virion et la membrane cellulaire afin de pouvoir s’insérer dans la cellule. Ensuite, il pourra accomplir l’ensemble du cycle de production et de réplication génomiques conduisant à la libération de nouveaux virions contenant le génome du virus. La réussite de l’infection déterminée par l’expression des gènes introduits dans la cellule dépend de la probabilité de succès de chaque étape du cycle. La représentation en étapes discrètes du cycle est, pour une part, une abstraction destinée à faciliter l’analyse ; dans les cellules infectées il n’y a pas de telles frontières artificielles. Il n’en demeure que par moins que le cycle se traduit par des sauts qualitatifs. La rencontre initiale entre le virion et la cellule est gouvernée par un processus physicochimique : le mouvement brownien aléatoire dans l’environnement des cellules. Il n’y a pas d’intention d’infecter les cellules cibles. Mais la multitude des hasards se transforme en nécessité et font du monde viral une composante indispensable de la vie cellulaire. Cf. Flint, J. et al., op. cit., 2020, et aussi Chuck, A.S. et al. Retroviral infection is limited by brownian motion. Human Gene Therapy 7 :1527-1534, 1996.

[130] https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/coronavirus-coronavirus-sars-cov-2-replique-10-fois-plus-vite-sras-2003-80643/

[131] « Un virus moyennement rapide peut produire près de 10.000 virus fils par jour. Si un seul virus est présent le premier jour, il y en aura 10.000 le second, puis 10.000 fois 10.000, soit cent millions le troisième, 10.000 fois 10.000 fois 10.000, soit mille milliards le quatrième jour, etc. » (JC Lemahieu et A. Decoster, Les retrovirus, http://www.corevih971.org/docrestreint.api/10/0d5d24485f61ec20296b1224c 60c0287476f03 29/pdf/hiv05.pdf)

[132] « Etant donné leur taux élevé de mutation, la grande taille des populations concernées et la rapidité du temps de reproduction les virus ARN évoluent rapidement et les stratégies pour les contrôler doivent prendre en compte ce potentiel évolutif. Du fait de leur taux de mutation les virus à ARN engendrent des réseaux de variants proches génétiquement, qui leur permet d’échapper aux pressions de la sélection et de s’adapter à différents environnements. » Cf. Moratorio, G. et al. Attenuation of RNA viruses by redirecting their evolution in sequence space. Nature Microbiology, vol. 2, article number 17088, 5/06/2017.

[133] Nous reprenons sans discussion le jargon de la biologie lequel est fortement influencé par l’informatique et porteur d’une empreinte métaphysique, qui nous ne le nions pas, peut faciliter la compréhension. Mais on doit comprendre que l’erreur est une composante organique de la réplication virale : des mutations spontanées peuvent être produites à cause des erreurs de copies du génome, phénomène qui préserve l’avenir des virus et qui par la même occasion constitue un facteur de leur évolution et de manière plus générale un facteur d’évolution du vivant lui-même : les virus étant une source de gènes et d’échange de ceux-ci (transfert horizontal de gènes).

A un moment, nous devons nous éloigner des pièges du langage linéaire de l’informatique pour comprendre les phénomènes biologiques en jeu par le recours à des concepts qui rendent mieux compte de la complexité de la réalité et donc faire appel à la méthode dialectique. La question n’est pas tant d’exclure complètement tout recours aux termes empruntés à l’informatique, mais de savoir qu’ils ne sont qu’une approximation très grossière de ce qui se passe au niveau moléculaire. Par exemple, l’emploi par commodité de la notion d’erreur assimilée à un bogue informatique peut conduire à une limitation de la compréhension des phénomènes. Prenons par exemple, ce que Lewontin appelle le bruit du développement (Cf. Lewontin, R. The triple helix, 2000, p. 36-37), notion qui elle-même reste empreinte de relents métaphysiques. La notion de bruit a une signification très large pour les scientifiques. Elle est associée à tout type de fluctuation qui a une part de hasard, d’incertitude, dans l’évolution des processus réels. Ce concept ne se réduit pas à des événements indésirables ajoutés à la source d’information comme le veut la théorie de systèmes d’information, l’identifiant à une « erreur ». Dans les recherches d’information on confond souvent le bruit (par exemple, quand des termes sont polysémiques dans une requête) avec l’excès d’information (appelé parfois point de futilité, le point à partir duquel trop d’information se rapproche du point où il n’y en a pas).Dans la biologie, cette notion affecte tous les processus biologiques. Par exemple, au niveau cellulaire, la principale source de variabilité aléatoire sont les fluctuations thermiques intrinsèques des réactions biochimiques liées au cycle cellulaire, à l’expression des gênes, etc. (Cf. Tsimring, L.S. Noise in biology. Reports on Progress in Physics, Volume 77, Number 2.). Un exemple fourni par Lewontin à propos du phénotype des drosophiles illustre cette notion. Dans l’analyse des mutations subies par des drosophiles, il critique le point de vue du déterminisme génétique sur leur évolution.

Selon ce point de vue, il n’y a que deux schémas possibles dans la relation entre gène et environnement à l’origine d’un phénotype. Un schéma soutien que la morphologie, la physiologie, la biologie cellulaire des organismes ne sont que des produits directs des gênes : il y a un projet génétique fondamental qui détermine le plan de conversion des facteurs environnementaux en phénotypes différents. Par exemple, un ensemble de facteurs environnementaux est converti par un plan génétique A en un phénotype A et, ce même ensemble soumis à un plan B est converti en un phénotype B. Ceci veut dire que les différences de phénotype relèvent entièrement des différences génétiques. L’autre point de vue met l’accent sur la détermination environnementale : il y a des règles générales communes à tous les individus qui convertissent, par exemple, les facteurs d’un environnement A en un phénotype A, les facteurs d’un environnement B en un phénotype B, etc.

Au cours de la vie d’un organisme ses gênes interagissent avec l’environnement. Ce qu’un organisme deviendra la prochaine fois dépend de façon critique à la fois de son état actuel et de l’environnement qu’il rencontre à ce moment-là. Le développement d’un organisme dépend donc non seulement des environnements qu’il rencontre, mais aussi dans quelle séquence il les rencontre. Par exemple, un gêne d’un type A interagit avec un environnement du type I et produit un phénotype AI, mais s’il interagit avec un environnement du type II il produit un phénotype AII, etc. Cependant, un examen plus approfondi montre que ces interactions uniques ne sont pas la règle générale : il y a d’autres variations inexpliquées. Aux divers mécanismes propres à l’expression des gènes et à l’influence de l’environnement vient également se superposer les effets du bruit de développement. Ce bruit est une conséquence des événements aléatoires au niveau des interactions moléculaires qui dépendent de la distribution des molécules dans un certain espace cellulaire. Bref, pour un génotype donné se développant dans un environnement donné, il reste une certaine incertitude quant au phénotype exact qui en résultera. Par exemple, il se peut que l’interaction d’un gêne de type A avec un environnement de type I produise non seulement un phénotype AI, mais autres phénotypes AI’, AI’’, etc.

Pour sa part, Lewontin s’exprime correctement quand il dit que l’organisme ne résulte pas d’un calcul à partir de l’information contenue dans les gènes, ni même de leur combinaison avec l’environnement et quand il considère que la métaphore du calcul n’est qu’une forme à la mode de la métaphore de la machine de Descartes et ajouterions nous une forme du programme de la métaphysique initié par Leibniz, ramener la pensée au calcul. Lewontin conclut que « comme toute métaphore, celle-ci ne permet de comprendre qu’un aspect de la vérité mais nous égare si nous la prenons trop au sérieux. » (op. cit. p. 38)

[134] « (…) la probabilité qu’un nucléotide soit remplacé par un autre peut être proche de 1 sur mille chez des virus à ARN, mais être proche de 1 sur cent milliards chez des paramécies. Chez l’homme, le taux de mutation par génération est d’environ 10-8, soit moins de 10-10 par réplication. »(Didier Casane, Maxime Policarpo, Patrick Laurenti. Pourquoi le taux de mutation n’est-il jamais égal à zéro ?. médecine/sciences, EDP Sciences, 2019, 35 (3), pp.245-251. 10.1051/medsci/2019030. hal-02969886.

[135] Autre exemple : le génome du virus Ebola contient environ 19 000 nucléotides.

[136] Retrouver les origines du SARS-CoV-2 dans les phylogénies de coronavirus, Erwan Sallard, José Halloy , Didier Casane, Jacques van Helden, Étienne Decroly, https://www.medecinesciences.org/fr/articles/me dsci/pdf/2020/07/msc200195.pdf

[137]https://www.inserm.fr/actualites-et-evenements/actualites/sars-cov-2-comprendre-comment-il-replique -pour-en-empecher

[138] Retrouver les origines du SARS-CoV-2 dans les phylogénies de coronavirus, Erwan Sallard, José Halloy, Didier Casane, Jacques van Helden, Étienne Decroly, https://www.medecinesciences.org/fr/articles/me dsci/pdf/2020/07/msc200195.pdf

[139] https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/coronavirus-frankenvirus-si-coronavirus-combinait -autre-virus-83001/

[140] « Il n'en demeure pas moins que la complexité du fonctionnement du métabolisme et des cellules des organismes vivants présentent des failles (Lewin 1997). Il est même possible de dire que plus les organismes sont complexes, plus ils peuvent être sujets à des erreurs de fonctionnement. Le développement des cancers en est l'exemple parfait. » (Piotr Banski, Identification de sites communs d'intégration du rétrovirus radlv/vl3 dans le génome de souris leucémiques, https://archipel.uqam.ca/2123/1/M9176.pdf)

[141] Cf Bernard David, article déjà cité

[142] https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/homme-retrovirus-fossiles-confirment-histoire-evolutive-hominines-39550/

[143] « Des études antérieures ont analysé le transfert horizontal de gènes (HGT - Horizontal Gene Transfer) entre des bactéries et leurs virus et ont montré qu'il joue un rôle majeur dans la circulation des gènes entre les espèces bactériennes. Cependant, la nouvelle étude, publiée dans Nature Microbiology [Irwin, N. A. T. et al : Systematic evaluation of horizontal gene transfer between eucaryotes and virus. Nature Microbiologie, Vol. 7, février 2022, p. 327-336 - NDR], examine les interactions entre les virus et les eucaryotes, qui comprennent les animaux, les plantes, les champignons, les protistes et la plupart des algues.

"Nous savions par des exemples individuels que les gènes viraux ont joué un rôle dans l'évolution des eucaryotes. Même les humains ont des gènes viraux, qui sont importants pour notre développement et nos fonctions cérébrales", a déclaré l'auteur principal de l'étude, le Dr Nicholas Irwin, chercheur junior membre du Merton College de l'Université d'Oxford et ancien doctorant à l'Université de la Colombie-Britannique (UBC).

"Nous voulions comprendre plus largement comment le transfert horizontal de gènes a affecté les virus et les eucaryotes de l'autre branche de l'arbre de la vie."

Pour résoudre ce problème, les auteurs ont examiné le transfert de gène viral-eucaryote dans les génomes de centaines d'espèces eucaryotes et de milliers de virus. Ils ont identifié de nombreux gènes qui avaient été transférés et ont découvert que le transfert horizontal de gènes des eucaryotes aux virus était deux fois plus fréquent que le sens inverse.

"Nous étions intéressés par la découverte que certains groupes de virus, en particulier ceux qui infectent les eucaryotes unicellulaires, acquièrent beaucoup de gènes de leurs hôtes", a déclaré l'auteur principal de l'étude, le Dr Patrick Keeling, professeur au Département de botanique de UBC. "En étudiant la fonction de ces gènes, nous avons pu faire des prédictions sur la façon dont ces virus affectent leurs hôtes lors de l'infection."

Contrairement aux virus, les organismes eucaryotes ont conservé moins de gènes viraux, bien que ceux qui ont été conservés semblent avoir eu un impact majeur sur la biologie de l'hôte au cours de l'évolution.

"Beaucoup de ces gènes dérivés de virus semblent avoir affecté à plusieurs reprises la structure et la forme de différents organismes, des parois cellulaires des algues aux tissus des animaux", a déclaré le Dr Irwin. "Cela suggère que les interactions hôte-virus peuvent avoir joué un rôle important dans la conduite de la diversité de la vie que nous voyons aujourd'hui."

"Ces transferts ont non seulement des conséquences évolutives pour le virus et l'hôte, mais pourraient avoir des implications importantes sur la santé", a déclaré le Dr Keeling.

Le transfert horizontal de gènes permet aux gènes de passer entre les espèces, y compris les virus et leurs hôtes. Si le gène fait quelque chose d'utile, il peut balayer la population et devenir une caractéristique de cette espèce. Cela peut conduire à une émergence rapide de nouvelles capacités, par opposition aux changements plus progressifs qui résultent de mutations plus petites. (…)

"Les deux dernières années ont clairement démontré le potentiel destructeur des virus, mais nous pensons que ce travail permet de rappeler que les virus ont également contribué à l'évolution de la vie sur Terre", a déclaré le Dr Irwin. (Université de la Colombie-Britannique. De nouvelles recherches montrent que l'échange de gènes entre les virus et les hôtes est le moteur de l'évolution. Science Daily, 5 janvier 2022)

[144] Il existe aussi des cas où les virus, bien que potentiellement pathogènes, puissent sommeiller en nous sans jamais déclencher de maladie tout au long d'une vie entière. Ces virus latents parviennent à ne pas être détectés par le système immunitaire.

[145] On peut y ajouter aussi des acariens comme le Demodex folliculorum. « A l’œil nu, l’animal ressemble à… pas grand-chose. Il faut dire qu’avec sa longueur de 0,3 mm, sa silhouette de ver se joue des yeux humains. Surtout, dissimulé dans les pores de notre peau, de préférence là où il peut s’accrocher aux poils, il reste à l’abri du regard. (…) nous hébergeons presque tous ces discrets locataires à huit pattes : 3 600 en moyenne sur notre seul visage. Le jour, ils se gavent du sébum produit notamment par les glandes sébacées. La nuit, ils copulent. (…) La transmission s’effectue exclusivement de mère à enfant, Demodex profitant avec délice des glandes de Montgomery situées dans les tétons. (…) « Ce sont les moutons noirs de la dermatologie, réagit Henk Braig. Certes, ils profitent parfois d’une peau malade. Mais, sinon, ils permettent sans doute au contraire de conserver les pores ouverts. » (https ://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/06/26/les-acariens-qui-pullulent-sur-notre-corps-menaces-d-extinction_6132112_1650684.html). Comme ils sont menacés d’extinction, cela peut faire une nouvelle cause pour les écologistes.

[146] Cf. Robin Goodfellow, De la révolution industrielle.

[147] Les bactériophages n’étaient pas pour autant assimilés à des virus à l’époque de leur découverte.

[148] https://www.parismatch.com/Actu/Sante/Infections-ces-virus-peuvent-nous-sauver-la-vie-1693602

[149] « Les virosomes influenza dérivés du virus grippal sont développés depuis deux décennies et ont passé avec succès les tests de sécurité sanitaire nécessaires à leur utilisation comme vaccin chez l’homme. Ils sont non toxiques et protègent le médicament transporté de la dégradation. Ils sont reconstitués à partir d’une bicouche lipidique et des deux protéines d’enveloppe du virus grippal (HA et NA, hémagglutinine et neuraminidase). Leurs capacités de pénétration cellulaire, de fusion membranaire et de fixation au récepteur cellulaire (donc d’adressage) sont identiques à celles du virus sauvage. De plus, les virosomes grippaux stimulent naturellement l’immunité cellulaire et peuvent incorporer, outre des médicaments, des adjuvants immunologiques qui permettent d’induire la production d’anticorps efficaces contre le virus grippal. Vaccins, transporteurs et adjuvants, les virosomes représentent un nouveau système de transport de médicaments et de plate-forme vaccinale. » (« Les virus ennemis ou alliés ? », p.68, Ed. Quae ; open édition : https://www.quae-open.com/produit/140/9782759226276/les-virus

[150] Du côté scientifique, en écoutant les émissions du très controversé infectiologue franco-sénégalais Didier Raoult (1952-…), catapulté sur le devant de la scène pendant la première grande vague de cette pandémie, surtout pour sa farouche défense de l’ « efficacité et la pertinence » de l’hydroxychloroquine associée à l’azithromycine, on a l’impression que les modèles consacrés par l’histoire de l’épidémiologie ne sont utiles que comme versions réduites de représentations visuelles des chiffres collectés au cours de l’évolution d’une épidémie, c’est-à-dire, ils ne seraient utiles que pour montrer l’état actuel des maladies infectieuses. Il semble même qu’il considère ces modèles comme superflus du point de vue épidémiologique, des fantaisies mathématiques. Cette position est prise explicitement dans deux livres récents. Dans Epidémies : vrais dangers et fausses alertes (2020), avec un langage teinté d’un certain mépris, il compare les projections des modèles aux prédictions des anciens prophètes. Dans Carnets de Guerre Covid19 (2021), il dit qu’il n’utilise pas de modèles mathématiques, mais les données du moment pour décrire ce qu’il voit à ce moment, sans plus.

« Nous, on suit avec énormément de tests l’épidémie. On a eu un pic début avril, et depuis on a une décroissance continue. Cette courbe est une courbe en cloche : ça monte, il y a un pic, ça redescend. C’est la courbe typique des épidémies, la plupart du temps ça se passe comme ça. L’histoire de rebond est une fantaisie, inventée à partir de la grippe espagnole, qui a commencé l’été donc qui n’a rien à voir. Généralement ça se passe en une seule courbe, qui est une courbe en cloche de cette nature-là. Tout le monde sait que j’ai horreur de prédire, en particulier des modèles, mais cette manière de construire est une chose qui est assez usuelle pour les épidémies. Elles ont disparu dans le temps bien avant qu’on ait les moyens de les contenir, elles disparaissaient quand même. L’humanité n’est morte d’aucune épidémie, c’est comme ça. Les épidémies commencent, s’accélèrent, elles culminent, c’est le moment maximal de transmissibilité, et elles diminuent et elles disparaissent, on ne sait pas pourquoi. » (Raoult, D. Carnets de Guerre Covid19, chapitre 28 - Avril.2020. Point sur l’épidémie : risque-t-on vraiment une deuxième vague ?, 2021)

Nous pourrions, à la limite, lui concéder une excuse en raison du caractère vulgarisateur de ces derniers livres, mais ses critiques des modèles épidémiologiques s’opposent à ses propres publications scientifiques plus anciennes (jusqu’à les années 1990) où il prenait la défense de ces modèles. Cependant, l’histoire de cette pandémie avec la superposition de « courbes en cloche » dues à la propagation de nouvelles souches du SARS-CoV-2 contrecarrées de façon inégale par l’avance elle-même inégale de la vaccination, montre son lâche abandon de tout effort scientifique pour analyser à fond la complexité des phénomènes épidémiques en jeu. Et ce n’est pas en se réfugiant dans un néo-kantisme conformiste ou dans l’héritage relativiste d’un Paul Feyerabend, Thomas Kuhn, … et du père Friedrich Nietzsche qu’on peut y parvenir. Son ouvrage De l’ignorance et de l’aveuglement. Pour une science postmoderne (2015) est tout à fait révélateur de cette tendance et fait référence explicitement à l’avatar de son côté dadaïste : Feyerabend. Bien entendu, cela ne nous fait pas prendre parti pour le scientisme béat des savants rationalistes. Comme toujours la pensée bourgeoise se meut entre ses deux antinomies que sont l’idéalisme et le matérialisme vulgaire (et la pensée « marxiste » n’y échappe pas).

[151] Il y a une différence entre taux de létalité et taux de mortalité. Le taux de mortalité est une mesure du nombre de décès (en général ou dû à une cause spécifique) rapporté à la population, par unité de temps. Le taux de létalité est le rapport entre le nombre de décès et le nombre de malades d’une maladie particulière, pour une période définie.

Du point de vue clinique, la létalité est considérée comme plus significative. Par exemple, la méningo-encéphalite amibienne primitive (MEAP), une maladie rare provoquée par l’amibe Naegleria fowleri, a une létalité bien plus grande (plus de 90%) que les crises cardiaques, qui en revanche présentent un taux de mortalité bien plus élevé. En d’autres termes, bien plus de personnes meurent de crises cardiaques que de MEAP.

[152] Dans leur article paru en 2020, “Why is it difficult to accurately predict the COVID19 epidemic ?”, consacré aux difficultés de la prévision, les auteurs (Weston C. Roda et al.) considèrent (p.272) que le compartiment « infecté » des modèles de transmission représente toutes les personnes infectées. Il s’agit notamment des personnes qui peuvent ou non avoir des symptômes et des contacts avec un hôpital, ainsi que des personnes dont les tests de laboratoire ont été confirmés et également celles qui sont mal diagnostiquées. En ce sens, les cas confirmés (données) ne représentent qu’une fraction de la population totale infectée (prévisions du modèle). La métaphore de l’iceberg représente le mieux la différence entre les données disponibles et celles qui gouvernent les prédictions du modèle. L’iceberg dans son entier représente la population infectée totale ; la partie émergée, représente les données sur les cas connus. etla partie immergée représente les personnes infectées qui sont inconnues de la surveillance et des tests de santé publique ; elle est souvent appelée l’épidémie cachée. Mais on ne doit pas voir la relation entre épidémie cachée et épidémie attestée (cas confirmés) comme un rapport fixe comme pourrait le suggérer l’image de l’iceberg ou même une prépondérance générale de l’épidémie cachée.

[153] Toujours selon le même article cité dans la note précédente, le rapport entre les cas avérés et la population infectée peut varier considérablement suivant les différentes infections virales qui se propagent par gouttelettes dans l’air et contacts rapprochés. Pour l’épidémie de SRAS, le rapport était de l’ordre de 1/5 - 1/2 (...). En revanche, pour la grippe saisonnière en 2019-2020, ce ratio peut être inférieur à 1% sur la base des estimations du CDC américain (...) ». (Idem, p. 272)

[154] Graunt, avec l’aide de William Petty (1623-1687), polymathe (économiste, médecin, fondateur selon Marx de la branche anglaise de l’économie politique classique, …), mit au point les premières méthodes d'analyse statistique et de recensement, qui forment le socle de la démographie moderne : les tables de mortalité. Son étude est présentée dans son livre : Natural and Political Observations made upon the Bills of Mortality, 1662. (https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Graunt)

[155] Londres comptait environ 800 000 habitants en 1801 ; il y avait seulement 13 villes de plus de 25 000 habitants. Vers 1841, la population de Londres s’élevait à 1 million de personnes et 42 villes dépassaient les 25 000 habitants. Cf. Porter, D. Health, Civilization and the State – a history of public health from ancient to modern times. 1999, p. 112.

[156]« Pendant sa vie, chaque individu est exposé à l'action de multiples risques de décès. Ces risques sont en concurrence et l'un d'eux finira par l'emporter, empêchant ainsi les autres de se manifester. » (Prati S. Une méthode d'analyse et d'interprétation des risques concurrents de mortalité par cause. In: Population, 50année, n°4-5, 1995, p. 1013)

[157] Pour construire son modèle, Bernoulli se servit de la table de population d’Edmond Halley (1656-1742) basée sur les données recueillies, entre 1687-1691, à Breslau, aujourd’hui Wrocław, et organisées par groupes d’âge. Bernoulli organisait les données en trois séries : classe d’âge (total d’individus, individus immunes et individus sains, susceptibles d’être infectés), variole (incidence et décès cumulatif) et mortalité annuelle (total et variole). Le modèle montrait le taux de variation des survivants et des immunes par rapport à la classe d’âge, dont les différences étaient les individus sains. Cf. Daley, D. H. ; Gani, J. Epidemic Modelling: an Introduction. 1999, pp. 2-6.

[158] Jacob Henle (1809-1885), Joseph Lister (1827-1912), Robert Koch (1843-1910), Louis Pasteur (1822-1875), entre autres.

Au milieu du XIXe siècle, Louis Pasteur fit une avancée remarquable dans l’analyse des causes et de la prévention des maladies. Il a réduit la mortalité due à la fièvre puerpérale et a créé les premiers vaccins contre la rage et la maladie du charbon. Ses découvertes médicales allaient dans le sens de la théorie selon laquelle ces maladies serait due à des germes. À peu près à la même époque, le fondateur de la bactériologie moderne, Robert Koch, identifia les agents responsables de la tuberculose, du choléra et de la maladie du charbon, appuyant ainsi expérimentalement le concept de maladie infectieuse. Il était également célèbre pour avoir développé ce qu’on appelle les postulats de Koch. À la fin des années 1800, la science pouvait enfin expliquer le mécanisme par lequel on tombe malade.

Le concept de transmission d’une maladie bactérienne par contact entre un individu infecté et un individu en bonne santé se répand. Cela a ouvert la voie à la modélisation mathématique des maladies infectieuses. Cf. Martcheva, M. An Introduction to Mathematical Epidemiology, 2015, p. 5.

[159] « La courbe en cloche ou courbe de Gauss est l’une des courbes mathématiques les plus célèbres. On la voit apparaître dans un grand nombre de situations concrètes — en statistiques et en probabilités — et on lui fait souvent dire tout et n’importe quoi. » (Kahane, J-P. La courbe en cloche, in Images des Mathématiques, CNRS, 2009) Par exemple, dans le domaine de la théorie des probabilités, elle est interprétée comme une « densité de probabilité », dans la physique elle représente une solution de l’équation de diffusion de la chaleur (démontrée par Fourier en 1822). Il faut remarquer que cette interprétation est fondamentale dans tous les problèmes de diffusion.

[160] Enko évaluait le nombre de contacts entre individus infectieux et sains, susceptibles d’être infectés, et construisit un modèle qui avait comme supposition que les individus étaient soit complètement sains soit complètement immunisés. Lors d’une épidémie dans un intervalle de temps, l’individu infecté peut contaminer des individus sains pendant l’intervalle suivant. Après cette période, les individus infectés étaient mis en confinement. Il développait aussi plusieurs simulations manuelles du modèle à partir des données d’épidémies de variole à Saint Pétersbourg. Cf. Foppa, I.M. A Historical Introduction to Mathematical Modeling of Infectious Diseases, 2017, p. 21-24.

[161] La loi de l'action de masse a trouvé une large applicabilité dans de nombreux domaines scientifiques. En chimie, l'idée qu'une réaction est influencée par les quantités de matériaux réactifs remonte au moins à Boyle (vers 1674). Vers 1800, C. L. Berthollet a souligné l'importance de la masse ou de la concentration d'une substance dans une réaction chimique, mais cela n'a généralement pas été accepté pendant un demi-siècle. En fin de compte, Guldberg et Waage (1864-1867) ont postulé que pour un système homogène, la vitesse d'une réaction chimique est proportionnelle aux masses actives des substances en réaction. Cf. Daley, D.H., Gani, J., 1999, op. cit., p. 6.

[162] Ross était né en Almora (Inde), chirurgien de l’armée britannique et participant de la troisième guerre Anglo-Birmane qui a conduit à la domination de l’impérialisme britannique sur l’ensemble de la Birmanie. Dans son livre consacré à l’art et la science de la guérison depuis l’antiquité, Daya Ram Varma constate, p.61, qu’une fois installée dans le pays, la Grande-Bretagne a dû faire face au paludisme et à d'autres infections parasitaires comme le kala-azar. En 1897, Ronald Ross (…) s'intéresse au paludisme. Son intérêt a sans doute été attiré par la maladie et la mort fréquentes de ressortissants britanniques et de soldats de l'armée indienne britannique. Il ressort des nombreux écrits de Ross (plus tard Sir Ronald Ross) que, contrairement à Robert Koch (1843-1910), fondateur de la théorie des germes et humaniste, Ross ne se souciait que du bien-être des colons blancs plutôt que de la santé des indigènes. Cf. Varma, D.R. The Art and Science of Healing Since Antiquity, 2001, p. 61.

[163] En 1902, Ross a reçu le prix Nobel pour ses découvertes liées à la transmission du paludisme. Cet honneur a fait l’objet d’une certaine remise en cause ; les travaux du chercheur italien, Giovanni Battista Grassi, ont été jugés au moins aussi important pour notre compréhension du paludisme que ceux de Ross. Cf. Foppa, I.M. 2017, op. cit., p. 94.

[164] W. Kermack and A. McKendrick, A contribution to mathematical theory of epidemics, Proc. Roy. Soc. Lond. A, 115 (1927), pp. 700–721.

[165] D’une façon générale, la modélisation compartimentale décrit le déplacement d’un élément d’un compartiment à un autre. Ces modèles sont nés dans les années 1920. Un compartiment peut être, par exemple, un volume ou la quantité d’un élément dans un volume, chaque compartiment étant considéré comme homogène par rapport aux propriétés de l’élément. Le processus de transfert d’un élément d’un compartiment à un autre est basé sur la diffusion et conservation de masse. Ce type de modélisation a eu d’autres usages notamment en biologie, en chimie --réactions chimiques -, en démographie - évolution des populations -, etc. Cf. Enderle, J. D. Compartmental Modeling. In Biomedical Engineering, 3rd Edition, 2012. En épidémiologie, la population est modélisée via de grands sous-groupes, des compartiments comme ceux qui regroupent les personnes saines susceptibles d’être infectées, les contaminés non infectieux, les infectieux, les immunisés, … Le modèle décrit la transmission de l’infection en prenant en compte le nombre total des individus de ces catégories (compartiments). Cf. Vynnick, E.; White, R. An introduction to infectious disease modelling. Oxford University Press, 2010; p. 19.

[166] Keeling, M. J.; Danon, L. Mathematical modelling of infectious diseases. In: British Medical Bulletin (2009) 92, p. 34.

[167] La signification relative des quantités « suffisantes » est définie dans le modèle.

[168] Cf. Keeling, M. J.; Danon, L. 2009, op. cit., pp. 34-35.

[169] Cet exemple illustratif simplifié ne prend pas en compte la dynamique démographique (naissances et décès). L’axe horizontal distingue les unités de temps à partir de l’irruption de l’épidémie. L’axe vertical montre les proportions dans la population des gens sains susceptibles d’être contaminés (supposée égale au départ à toute la population en question), ceux qui sont infectés et ceux qui ont recouvré la santé. Calcul réalisé par le simulateur de l’IDM - The Institute for Disease Modeling (https://idmod.org/) avec des paramètres arbitraires. Un simulateur similaire est disponible sur le site Image des mathématiques (https://images.math. cnrs.fr/Modelisation-d-une-epidemie-partie-1)

[170] De même que Ross, MacDonald a conduit ses recherches dans le cadre de l’armée britannique. D’abord dans la colonie de Sierra Leone (1925) puis en Inde (1932-1939). Il devint directeur assistant du Ross Institute en 1939 et rejoignit la Royal Army Medical Corps. En 1942 il devint consultant médical pour la malaria des Middle East Forces. Cf. Nature, vol. 217, février 1968, p. 691.

[171] Le calcul, l’interprétation et l’application de ce concept n’est pas aussi simple qu’il y paraît, en particulier dans les articles de vulgarisation. Bien qu’il soit de nature biologique (caractéristiques biologiques intrinsèques de pathogènes particuliers), son estimation effective dépend des hypothèses du modèle mathématique employé et de la combinaison de ses hypothèses. Pour des raisons pratiques – effort pour maîtriser une épidémie, ressources hospitalières, politique de vaccination, etc. – on a besoin d’évaluer les variations du potentiel de la transmission en fonction du temps : l’estimation du « nombre de reproduction effectif », R(t) ou Rt, défini comme le nombre moyen actuel des cas d’infection produits par un individu infecté à un certain moment du temps (souvent assimilé au R0 dans les émissions de vulgarisation. En théorie le R0 est le nombre de reproduction de base, le nombre de reproduction à l’origine, au début, de l’épidémie, et prend ensuite d’autres valeurs au cours du temps Rt. Il montre la variation au cours du temps du nombre moyen de personnes contaminées par un individu infecté, du fait de la diminution relative du nombre d’individus sains et de la mise en œuvre de mesures de contrôle sanitaire. Si Rt < 1, alors on a un indice de la diminution de l’épidémie au moment t du temps ; et inversement si Rt > 1.

[172] Comme la description de ce modèle est encore plus complexe, nous nous contenterons ici de dire qu’il vise à prédire la probabilité qu’ont les individus infectés de transmettre l’infection dans un intervalle de temps donné, ou la probabilité que des individus infectés soient guéris et donc retirés dans ce même intervalle de temps. L’évolution de la transmission de la maladie est calculée cycliquement (régulièrement) à chaque intervalle du temps, avec comme conséquence que celle-ci n’est pas entièrement déterminée par les conditions initiales du déclenchement de l’épidémie, comme pour les modèles déterministes.

[173] C’est ce que notent Keeling et Rohani dans leur livre sur la modélisation des maladies infectieuses pour qui toutes les maladies « sont sujettes à des variations aléatoires et donc, en principe, un modèle stochastique est toujours plus réaliste qu'un modèle déterministe. Cependant, l'ampleur relative des variations aléatoires diminue à mesure que le nombre de cas augmente ; par conséquent, dans les grandes populations, avec un niveau élevé d'incidence de la maladie, un modèle déterministe peut être une bonne approximation. Cependant, lorsque la population est petite ou que la maladie est rare (par exemple, en raison d'une vaccination ou au début d'une épidémie), la dimension aléatoire peut avoir un impact majeur. (…) Ainsi, si l'on s'intéresse à l'éradication d'une maladie, ou si des épidémies irrégulières sont observées, une modélisation stochastique est généralement nécessaire. » (Keeling, M. J. ; Rohani, P. Modélisation des maladies infectieuses chez les humains et les animaux, 2008, p. 12.

[174] Les calculs considèrent les variations du « nombre de reproduction effectif » (Rt), mentionné dans la note 22. 

[175] Daley, D. H. ; Gani, J. 1999, op. cit., p. 13. Aussi, Hethcote, H. W. ; Van Ark, 1992, op.cit., pp. 19-21.

[176] Hethcote, H. W., op. cit. 1992.

[177] En Angleterre, à la mi-mars 2020, un cas illustre bien ce phénomène : les divergences de prévision de l’évolution du Covid-19 entre les modèles élaborés par deux institutions scientifiques de premier plan, l’Imperial College et l’Oxford University. Leurs résultats ont conduit le gouvernement britannique à deux politiques sanitaires opposées : d’un côté, l’attente d’une immunité collective naturelle (les vaccins n’étaient pas encore disponibles), de l’autre, le recours au confinement. En dépit des approches distinctes des modèles (stochastique pour l’Imperial et déterministe pour l’Oxford) et leurs hypothèses de départ qui ont provoqué des débats passionnés entre les scientifiques, les deux modèles essayaient de répondre à deux questions différentes. Celle de l’Imperial College était : quelles sont les stratégies pour changer la courbe épidémiologique du Covid-19 et l’aplatir ? Celle de l’Oxford University était : le Covid-19 s’est-il déjà largement répandu ? Cf. Therese Raphael, What the coronavirus models are trying to tell us? In: Bloomberg, 31/03/2020.

[178] Comme le note Fred Brauer, il s’ensuit une divergence entre les théoriciens et les praticiens. Le développement de méthodes mathématiques pour l'étude de modèles de maladies transmissibles a conduit à une divergence entre les objectifs des mathématiciens, qui recherchaient une large compréhension, et les professionnels de la santé publique, qui recherchaient des procédures pratiques pour la gestion des maladies. Alors que la modélisation mathématique a conduit à de nombreuses idées fondamentales, telles que la possibilité de contrôler la variole par la vaccination ou la gestion du paludisme en contrôlant la population de vecteurs (moustiques), la mise en œuvre pratique a toujours été plus difficile que les prédictions de modèles simples. Heureusement, ces dernières années, des efforts déterminés ont été déployés pour encourager une meilleure communication, afin que les professionnels de la santé publique puissent mieux comprendre les situations dans lesquelles des modèles simples peuvent être utiles et que les mathématiciens puissent reconnaître que les questions de santé publique réelles sont beaucoup plus compliquées que des modèles simples. Cf. Brauer, F. Mathematical epidemiology: Past, present, and future. In: Infectious Disease Modelling n. 2 (2017), p. 117-118.

[179] La structuration par âge a été surtout motivée par les programmes de vaccination de masse contre les infections infantiles. Les premières modélisations de ce genre ont été réalisées pour la variole, où la présence des enfants à l’école déclenche un processus épidémique. Cette structuration, par exemple, « influençait la modélisation et l'analyse statistique actuelles de la pandémie H1N1, en raison de la sensibilité liée à l'âge qui a été enregistrée (les jeunes enfants étant beaucoup plus sensibles que les adultes) et en raison du rôle que les fermetures d'écoles et les vacances scolaires peuvent jouer dans la limitation de la propagation de l'épidémie. (…) Pour le H1N1, il existe des comparaisons claires entre les modèles structurés par âge et par risque (car l'âge est lui-même un facteur de risque) ; cependant, d'autres groupes à risque pourraient être pris en compte : par exemple, les travailleurs de la santé pourraient être modélisés comme un groupe à haut risque en raison de leur contact potentiellement plus important avec des personnes infectées. » (Keeling, M. J.; Danon, L. 2009, op. cit., p. 36 -37)

[180] « Toute division du travail développée qui s’entretient par l’intermédiaire de l’échange des marchandises a pour base fondamentale la séparation de la ville et de la campagne. On peut dire que toute l’histoire économique de la société roule sur le mouvement de cette antithèse (…) » (Marx, Capital; L.I, Pléiade, T.1, p.894)

[181] Idem.

[182] Idem, p. 119.

[183] Les anciennes épidémies à potentiel pandémique ont été principalement identifiées par un foyer inhabituel de cas graves ou de décès chez l'homme. Ce moyen d'identification est faible, et souvent ignoré par les systèmes de surveillance classiques. Les estimations suggèrent que 1,7 million de virus existent parmi 25 familles virales à risque élevé, dont 500000-700000 sont susceptibles d'être zoonotiques. Peu de virus sont susceptibles d'avoir la capacité d'infecter les humains et encore moins la capacité de se propager. Même si la probabilité de propagation est faible, l'impact, comme l'illustre la pandémie de covid-19, pourrait être désastreux et justifie l'investissement dans des systèmes capables de prévenir de tels événements. Les tentatives de renforcement de la sécurité sanitaire mondiale au cours de la dernière décennie ont été bien accueillies, mais les capacités, les processus et les arrangements institutionnels existants, tels que le Règlement sanitaire international et le Programme de sécurité sanitaire mondiale, ont été insuffisants pour prévenir des événements tels que ceux causés par le SRAS- CoV-2. L'expérience de la pandémie de covid-19 souligne la nécessité de créer des stratégies, des politiques et des cadres réglementaires mondiaux qui traitent directement des aspects multisectoriels de l'émergence des maladies et améliorent notre capacité collective à prévenir, détecter rapidement et répondre aux menaces.

Outre le renforcement des systèmes de santé existants, la clé de ces efforts consiste à mettre en place un système de surveillance qui englobe la faune, le bétail et les populations humaines. Un tel système utiliserait les « points chauds » géographiques connus pour la détection précoce de tout transfert viral dans les populations humaines et animales, et perturberait de manière préventive la transmission ultérieure du virus localement. Une action préventive contribuerait à une meilleure capacité à prévoir les menaces futures et à permettre une intervention précoce. Cf. Carroll, D. et al. Prévenir la prochaine pandémie : la puissance d'un réseau mondial de surveillance virale. British Medical Journal, 12/03/2021.

[184] La majorité des systèmes fonctionnaient sur une base volontaire et surveillaient l'incidence des maladies en utilisant les définitions du CDC (Center for Disease Control and Prevention - NDR). Le SARM (Staphylococcus aureus résistant à la méticilline - NDR), l'ISO (infection du site opératoire - NDR) et le CLABSI (infection de la circulation sanguine associée au cathéter central - NDR) étaient couramment surveillés. La comparabilité entre les pays et l'accessibilité au système de surveillance devraient faire l'objet d'améliorations. D'autres études sont justifiées pour étudier la faisabilité et les avantages de la normalisation des critères de surveillance ainsi que pour identifier des méthodes de rétroaction efficaces pour les résultats de la surveillance. Cf. Takaya, S. et al. Systèmes de surveillance des infections nosocomiales dans les pays à revenu élevé et moyen supérieur : un tour d’horizon. In : Journal of Infection and Chemotherapy, 26, 2020 ; p. 436.

[185] Cf. par exemple Épidémie de choléra en Haïti : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89pid%C3%A9 mie _ de_ chol% C3%A9ra_en_Ha%C3%AFti

[186] Selon Flint et d’autres auteurs, l'étude des virus peut être assimilée à un ensemble de cercles concentriques. Le centre comprend les analyses détaillées au niveau moléculaire du génome et des structures des particules virales et des protéines qui sont cruciales pour comprendre la reproduction virale et les conséquences biochimiques des interactions entre les protéines virales et celles de la cellule hôte. Le niveau suivant dans le paysage de la pathogénèse virale traite du comment : comment l'infection de cellules individuelles affecte le tissu dans lequel résident les cellules infectées et comment ce tissu impacté perturbe la biologie de l'hôte. Mais si une population virale doit survivre, la transmission doit se produire d'un hôte infecté à des hôtes sensibles et non infectés. L'étude des infections des populations est la discipline de l'épidémiologie, la pierre angulaire de la recherche et de la réponse en santé publique. Au sein de ce large cercle extérieur, les principaux domaines de la recherche épidémiologique comprennent l'enquête sur les épidémies, la transmission de la maladie, la surveillance, le dépistage, la biosurveillance et l'éducation du public. Cf. Flint, J. et al. Principles of Virology. 5th Edition, 2020.

[187] Cf. notre texte : La nature du marxisme, 2012. Disponible sur notre site : http://www.robingoodfellow.info.

[188] Bien que les concepts d’équilibre, fort en vogue dans la littérature écologique (la classe moyenne rêve de l’équilibre qui lui permettrait de se maintenir et de prospérer entre les deux grandes classes antagoniques), soient plutôt à mettre en relation avec les bilans comptables et donc puissent être particulièrement critiqués dès lors que l’on cherche à comprendre les mondes organiques et la nature c’est, à sa manière, ce que traduit le concept de « pathocénose », forgé par le philosophe des sciences Mirko Grmek sur le modèle de la biocénose. Cet auteur avance la thèse que l’usage de la pénicilline et de l’antibiothérapie en combattant efficacement les maladies d’origine bactérienne ont favorisé l’émergence des maladies dans lesquelles les virus étaient impliqués.

[189] Un autre défaut de ces analyses, quelle que soit leur dimension positive car dialectique, serait le retour à une physique aristotélicienne à base de « la nature a horreur du vide », lieu commun stupide qui est proféré régulièrement par les plus beaux esprits. Enfin, l’interrelation et l’interdépendance qui existe n’est pas uniquement entre le monde de la maladie, des agents pathogènes, et le monde du vivant « sain » mais une totalité dynamique dans lesquelles l’Homme mais aussi les autres composantes de la nature, qu’elles soient ou non pathogènes pour l’Homme, interviennent et la modifient.

[190] « Dans l'étude « Pharmaceutical pollution of the world's rivers » du 14 février 2022, à laquelle l'institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) a participé, plusieurs instituts ont analysé la pollution de plus de 250 rivières dans le monde et constatent que celles-ci « sont contaminées par des résidus médicamenteux ».

En 2008 déjà, l'académie nationale de pharmacie indiquait dans son rapport « Médicaments et environnement » que « la présence de traces de substances médicamenteuses et de leurs dérivés […] a été largement établie à l'échelle mondiale en particulier dans les eaux superficielles et souterraines, dans les eaux résiduaires, dans les boues des stations d'épuration utilisées en épandage agricole et dans les sols. Ces résidus s'ajoutent aux nombreuses substances non médicamenteuses liées aux activités humaines, également présentes dans l'environnement telles que les produits phytosanitaires, détergents, hydrocarbures, métaux, etc. ».

En France, le journal Le Monde sensibilisait sur le fait que la Seine contient dans ses eaux 16 résidus de médicaments différents (dont des antidépresseurs et des antibiotiques). Ces résidus proviennent des rejets d'usines, des médicaments mal recyclés et des urines rejetées dans la nature sans avoir été traités. Comme le souligne l'INRAE, « les médicaments sont conçus pour avoir une action précise sur l'être humain, leurs impacts sont imprévisibles sur les autres organismes vivants (poissons, crustacés, microorganismes, flore…) et peuvent perturber leur biologie et cycle de vie ». De plus, les polluants antibiotiques peuvent favoriser le développement de bactéries plus résistantes aux traitements médicaux. Cette pollution médicamenteuse des cours d'eau en France, et dans le monde, caractérise un véritable risque pour l'homme et la biodiversité. D'ailleurs, dans un rapport d'expertise collective de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) d'octobre 2020, il est signalé que la présence de médicaments anticancéreux présente « un danger potentiel pour la santé humaine dont la cancérogénicité ».  (Question écrite du sénateur de l’Allier au Ministre de l’écologie, 24/03/2022)

[191] En 1900, il y avait 11 villes de plus de 1 million d’habitants. En 1927, leur nombre était de 27 (10 en Europe, 8 en Asie, 5 en Amérique, 1 en Afrique, 1 en Océanie (A. Demangeon, Les villes de plus d'1 million d'habitants, Annales de géographie, Année 1932, p. 104). Aujourd’hui les 50 premières villes dépassent les 4,5 millions d’habitants (https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_villes_par_population) et plusieurs centaines dépassent le million d’habitants (https://www.populationdata.net/palmares/villes/).

La répartition a bien changé. Sur les 54 plus grandes villes ou agglomérations, l’Asie représente plus de 60% du total, l’Amérique latine, plus de 10%, l’Afrique près de 10%. L’Europe et le monde occidental ne représentent plus qu’environ 15% de ce total.

 

[192] «  (…) la solution bourgeoise de la question du logement a fait faillite : elle s’est heurtée à l’opposition entre la ville et la campagne. Et nous voilà arrivés au cœur même de la question ; elle ne pourra être résolue que si la société est assez profondément transformée pour qu’elle puisse s’attaquer à la suppression de cette opposition, poussée à l’extrême dans la société capitaliste d’aujourd’hui. (…) Vouloir résoudre cette dernière [la question du logement NDR] avec le maintien des grandes villes est une absurdité. Ces grandes villes modernes ne seront supprimées que par l’abolition du mode de production capitaliste (…) » (Engels, La question du logement, Editions sociales, pp.64-65)

[193]  « La suppression de l’opposition de la ville et de la campagne n’est donc pas seulement possible. Elle est devenue une nécessité directe de la production industrielle elle-même, comme elle est devenue une nécessité de la production agricole et, par-dessus le marché, de l’hygiène publique. Ce n’est que par la fusion de la ville et de la campagne que l’on peut éliminer l’intoxication actuelle, de l’air, de l’eau et du sol ;

La suppression de la séparation de la ville et de la campagne n’est donc pas une utopie, même en tant qu’elle a pour condition la répartition la répartition la plus égale possible de la grande industrie à travers tout le pays. Certes, la civilisation nous a laissé, avec les grandes villes, un héritage qu’il faudra beaucoup de temps et de peine pour éliminer. Mais il faudra les éliminer et elles le seront, même si c’est un processus de longue durée. » Engels, Anti-Dühring, Editions sociales, pp. 333-334)

La pénétration de l’idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise est tellement forte que ce qu’il reste du mouvement communiste, souvent dans un état déplorable, ignore jusqu’aux premières lignes du programme communiste. Pantopolis, par exemple, que nous remercions par ailleurs de relayer certains de nos textes, ne trouve rien de mieux à opposer aux revendications classiques du mouvement communiste que quelques saillies que ne renierait pas la presse bourgeoise la plus vulgaire comme quand il voit dans les mesures citées plus haut qui sont à la base de l’abolition de la division du travail, « une khmérisation "rouge" du territoire, vidant les grandes villes??? » (http ://pantopolis.over-blog.com/2019/03/r-g-au-pays-des-gilets-jaunes-nous-publions-bien-volontiers-ce-texte-du-groupe-robin-goodfellow-r-g-issu-de-la-mouvance-bordiguiste). Il est toujours étonnant de voir à quel point les tenants d’une nouvelle resucée du « socialisme vrai » sont prompts à fantasmer sur nos propos tout en foulant à chaque pas, les fondements du communisme.

[194] Il y a bien longtemps que la critique communiste a balayé ces arguments du simple bon sens. Le programme localiste était déjà celui de Dühring, comme le montre bien Engels. Par exemple, il reprend un passage de Dühring qui souhaitait « (…) s'il était possible qu'un assez large cercle d'industries, par suite d'inventions quelconques, prît une forme imposant la localisation de l'exploitation à la campagne et sa soudure immédiate avec la production des matières premières, [l'opposition entre la ville et la campagne en serait affaiblie et] on y gagnerait la base la plus étendue pour le déploiement de la civilisation. [Cependant], une perspective analogue pourrait pourtant s'ouvrir d'une autre manière encore.  En dehors des nécessités techniques, les besoins sociaux prennent de plus en plus d'importance et si ces derniers deviennent décisifs pour les groupements d'activités humaines, il ne sera plus possible de négliger les avantages qui résultent d'une étroite liaison méthodique des occupations de la rase campagne avec les opérations du travail de transformation technique. ” » (Engels, Anti-Dühring, Editions Sociales, p. 327-328).

Or

« (…) L'industrie capitaliste s'est déjà rendue relativement indépendante des barrières locales que constituaient les lieux de production de ses matières premières. Dans sa grande masse, l'industrie textile travaille des matières premières importées. Les minerais de fer espagnols sont travaillés en Angleterre et en Allemagne, les minerais de cuivre d'Espagne et d'Amérique du Sud en Angleterre. Tout bassin charbonnier fournit de combustible une périphérie industrielle qui, d'année en année, croît bien au-delà des limites de ce bassin. Sur toute la côte d'Europe, les machines à vapeur sont actionnées avec du charbon anglais, parfois allemand et belge. La société libérée des barrières de la production capitaliste peut aller bien plus loin encore. En produisant une race de producteurs développés dans tous les sens, qui comprendront les bases scientifiques de l'ensemble de la production industrielle et dont chacun aura parcouru dans la pratique toute une série de branches de production d'un bout à l'autre, elle créera une nouvelle force productive compensant très largement le travail de transport des matières premières ou des combustibles tirés de grandes distances. La suppression de la séparation de la ville et de la campagne n'est donc pas une utopie, même en tant qu'elle a pour condition la répartition la plus égale possible de la grande industrie à travers tout le pays. » (Idem, p. 333-334)

« Les utopistes savaient déjà parfaitement à quoi s'en tenir sur les effets de la division du travail, sur l'étiolement d'une part de l'ouvrier, d'autre part de l'activité laborieuse elle-même, qui se limite à la répétition mécanique, uniforme, pendant toute la vie, d'un seul et même acte. La suppression de l'opposition de la ville et de la campagne est réclamée par Fourier ainsi que par Owen comme la première condition fondamentale de la suppression de l'antique division du travail en général. » (Idem, p. 330)

« En nous enseignant à transformer le mouvement moléculaire, que l'on peut produire plus ou moins partout, en mouvement de masse à des fins techniques, la grande industrie a, dans une mesure considérable, libéré la production industrielle des barrières locales. La force hydraulique était locale, la force de la vapeur est libre. Si la force hydraulique est nécessairement rurale, la force de la vapeur n'est en aucune façon nécessairement urbaine. C'est son application capitaliste qui la concentre d'une façon prépondérante dans les villes et transforme les villages de fabriques en villes de fabriques. Mais par-là, elle mine en même temps les conditions de sa propre mise en œuvre. La première exigence de la machine à vapeur et l'exigence capitale de presque toutes les branches d'exploitation de la grande industrie est une eau relativement pure. Or la ville de fabriques transforme toute eau en purin puant. Bien que la concentration urbaine soit une condition fondamentale de la production capitaliste, chaque capitaliste industriel pris à part tend donc toujours à quitter les grandes villes que cette concentration a de toute nécessité engendrées pour réaliser une exploitation rurale. On peut étudier ce processus dans le détail dans les régions d'industrie textile du Lancashire et du Yorkshire ; la grande industrie capitaliste y engendre constamment de grandes villes nouvelles en fuyant continuellement de la ville à la campagne. Il en va de même dans les régions d'industrie métallurgique, où des causes partiellement différentes engendrent les mêmes effets.

De nouveau, seule la suppression du caractère capitaliste de l'industrie moderne est capable de supprimer ce nouveau cercle vicieux où elle tombe, cette contradiction à laquelle elle revient sans cesse. Seule une société qui engrène harmonieusement ses forces productives l'une dans l'autre selon les lignes grandioses d'un plan unique peut permettre à l'industrie de s'installer à travers tout le pays, avec cette dispersion qui est la plus convenable à son propre développement et au maintien ou au développement des autres éléments de la production.

La suppression de l'opposition de la ville et de la campagne n'est donc pas seulement possible. Elle est devenue une nécessité directe de la production industrielle elle-même, comme elle est également devenue une nécessité de la production agricole et, par-dessus le marché, de l'hygiène publique. Ce n'est que par la fusion de la ville et de la campagne que l'on peut éliminer l'intoxication actuelle de l'air, de l'eau et du sol; elle seule peut amener les masses qui aujourd'hui languissent dans les villes au point où leur fumier servira à produire des plantes, au lieu de produire des maladies. » (Idem, p. 333)