Le mode de production capitaliste freine le progrès technique : la limite des coûts de production

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date

Octobre 2014

Auteur

Robin Goodfellow

 

 

 

Sommaire

Sommaire.. 2

1.1          Introduction. 3

1.2          Le point de vue de Marx. 3

1.3          Un exemple. 4

1.4          Récapitulatif 7

1.5          Le calcul économique du capitaliste : un calcul incertain. 8

1.6          Evolution du progrès technique. 9

 


1.1             Introduction

Nous avons vu dans notre texte précédent que la bourgeoisie et ses thuriféraires n’avaient de cesse de s’ébaubir des “progrès techniques”, des “avancées technologiques” au point de voir des “révolutions industrielles” tous les quatre matins. Pourtant le développement des techniques actuelles recèle des possibilités de gains phénoménaux en termes de productivité du travail, de réduction de la pénibilité des tâches et, in fine de réduction du temps de travail qui reste un des grands effets de la machine et un objectif majeur de et pour l’émancipation du prolétariat

Dans ce texte, nous ne mettrons en évidence qu’un[1] des facteurs qui contribuent à freiner le développement du progrès technique en étudiant l’influence du niveau des salaires sur l’introduction d’une nouvelle machine.

1.2            Le point de vue de Marx

Dans le livre I du « Capital », Marx écrit :

« Considéré exclusivement comme moyen de rendre le produit meilleur marché, l'emploi des machines rencontre une limite. Le travail dépensé dans leur production doit être moindre que le travail supplanté par leur usage. Pour le capitaliste cependant cette limite est plus étroite. Comme il ne paye pas le travail mais la force de travail qu'il emploie, il est dirigé dans ses calculs par la différence de valeur entre les machines et les forces de travail qu'elles peuvent déplacer. La division de la journée en travail nécessaire et surtravail diffère, non seulement en divers pays, mais aussi dans le même pays à diverses périodes, et dans la même période en diverses branches d'industrie. En outre, le salaire réel du travailleur monte tantôt au-dessus, et descend tantôt au-dessous de la valeur de sa force. De toutes ces circonstances, il résulte que la différence entre le prix d'une machine et celui de la force de travail peut varier beaucoup, lors même que la différence entre le travail nécessaire à la production de la machine, et la somme de travail qu'elle remplace reste constante. Mais c'est la première différence seule qui détermine le prix de revient pour le capitaliste, et dont la concurrence le force à tenir compte. Aussi voit-on aujourd'hui des machines inventées en Angleterre qui ne trouvent leur emploi que dans l'Amérique du Nord. Pour la même raison, l'Allemagne aux XVI° et XVII° siècles, inventait des machines dont la Hollande seule se servait; et mainte invention française du XVIII° siècle n'était exploitée que par l'Angleterre.

En tout pays d'ancienne civilisation, l'emploi des machines dans quelques branches d'industrie produit dans d'autres une telle surabondance d’ouvriers (redundancy of labour, dit Ricardo), que la baisse du salaire au-dessous de la valeur de la force de travail, met ici obstacle à leur usage et le rend superflu, souvent même impossible au point de vue du capital, dont le gain provient en effet de la diminution, non du travail qu'il emploie, mais du travail qu'il paye. » (Marx, Capital, L. I, Pléiade, T.1, p. 937-938)

Par conséquent, le capitaliste prend uniquement en compte dans ses calculs, le coût de production et non la valeur ou le prix de production de la marchandise.

Dans une note propre à la seconde édition allemande du Capital, Marx déduit immédiatement de ce constat que la société communiste aurait, du fait de son organisation sociale, une efficacité économique supérieure dans la mesure où elle prendrait en compte la totalité du travail dépensé dans la production et non seulement la partie présente dans les coûts de production.

« Dans une société communiste, le machinisme occuperait, par conséquent, une toute autre place que dans la société bourgeoise » « Marx, Capital L.I, La Pléiade, T.1, p. 937)

Ce point de vue de Marx, dès lors que l’on accepte sa théorie de la valeur demeure donc tout à fait valable.

Après avoir illustré son propos nous chercherons à démontrer que plus le mode de production capitaliste est développé et prospère plus il freine – relativement – le progrès technique.

1.3            Un exemple

Prenons un exemple. Pour le simplifier nous supposerons que le capital constant est uniquement composé de capital fixe (imaginons une turbine à eau pour produire de l’électricité) et que la rotation de ce capital fixe est égale à l’unité. Ainsi, il n’y a pas de différence entre le capital constant avancé et le capital dépensé dans la production de la marchandise.

Nous supposerons également que le progrès éventuel de la force productive du travail, n’a pas de répercussion sur la valeur de la force de travail. Nous ignorons donc ici le procès valorisation-dévalorisation du capital. De cette manière, le rapport de la plus-value au capital variable reste constant ; le taux de plus-value demeure identique.

Supposons que la valeur de la marchandise soit la suivante :

Situation A :

200 c + 1000 v + 1000 pl = 2 200

Supposons qu’une nouvelle machine, une turbine plus performante par exemple, fasse son apparition et qu’elle puisse diviser par deux la masse du travail vivant nécessaire à la production de la marchandise. Là où hier 10 ouvriers étaient employés (situation A), il en suffit aujourd’hui de 5 (situation B) grâce à cette nouvelle machine.

Quelle est la valeur maximale, notée X, que peut avoir cette machine pour être mise en service ?

Situation B :

X c + 500 v + 500 pl = X + 1000

Le résultat sera très différent suivant que l’on se place du point de vue du capitaliste ou d’une société communiste. Nous allons voir successivement les deux manières d’approcher la question.

1.3.1      La comptabilité du capitaliste

Le capitaliste compare les coûts de production dans les deux situations. En A, le coût de production est de 1 200 (200 c + 1 000 v). En B, le coût de production est de 500 + X (X c + 500 v). Le capitaliste mettra en œuvre la nouvelle machine si le coût de production de la marchandise est plus bas en B qu’en A. Par conséquent la machine doit avoir une valeur maximale de :

1200 = X + 500

Soit X = 700.

Si la machine à une valeur inférieure à 700, elle sera mise en application par le capitaliste car il réduit ainsi son coût de production. Celui-ci prend en compte le prix du capital constant et, pour ce qui est du travail vivant, uniquement le prix de la force de travail. La valeur de la machine peut passer de 200 à 700 soit une différence de 500 parce que le capital variable employé est divisé par deux et passe de 1000 à 500 soit une différence inverse de 500. Le temps de travail supplémentaire pour produire la machine ne peut être supérieur à la valeur de la force de travail supplantée par son utilisation. Par exemple si la machine vaut 400, soit le double de la machine actuelle mais qu’elle accroît par deux la productivité du travail vivant nous obtenons le résultat suivant :

Situation B avec X=400

400 c + 500 v + 500 pl = 1 400

Le coût de production baisse de 1 200 à 900 et la valeur de la marchandise baisse de 2 200 à 1 400.

En revanche, si la machine valait 800, les coûts de production seraient augmentés. Ils passeraient de 1 200 à 1 300 (800 c + 500 v). Dans ce cas, comme il y a renchérissement des coûts de production, le capitaliste n’achèterait pas la machine. Elle ne serait pas mise en service alors même que le temps de travail pour produire la marchandise diminue. En effet, bien que le coût de production de la marchandise augmente, le temps de travail pour la produire diminue.

Dans l’hypothèse d’une valeur de la machine égale à 800, la valeur tombe de 2 200 (situation A) à 1 800 (800 c + 500 v + 500 pl). Par conséquent, bien que la machine puisse économiser la peine des hommes, elle ne sera pas mise en place dans le cadre du mode de production capitaliste car son utilisation renchérit les coûts de production. Il n’en irait en rien de même dans une société communiste car celle-ci prendrait en compte l’ensemble du temps de travail et non seulement la partie incorporée dans les coûts de production.

1.3.2      Le point de vue de la société communiste

Dans le cadre de la société communiste, le choix repose sur l’ensemble du temps de travail. Si le produit suppose une dépense de temps de travail de l’ordre de 2 200 heures et qu’une nouvelle machine permet d’abaisser ce temps de travail, elle peut théoriquement être mise en œuvre. Il suffit qu’elle engendre une baisse du temps de travail total pour trouver une justification[2].

Le temps de travail dépensé pour produire la machine peut alors être bien plus élevé, que dans le cadre du mode de production capitaliste.

Si nous revenons à notre exemple nous avons alors l’équation suivante[3] :

 

200 c + 1000 v + 1000 pl = X c + 500 v + 500 pl

Dès lors que le temps de travail global baisse, la machine présente un intérêt. Il suffit donc que le temps de travail total soit inférieur à 2 200 pour prendre en considération le progrès technique apporté par une nouvelle machine plus performante. Le temps de travail maximal qui peut être consacré à la machine est donc de :

X = 1 200 (2 200 – 1000)

Dans le mode de production capitaliste, la valeur de la machine ne peut pas atteindre 700, alors que dans une société communiste on pourrait aller jusqu’à consacrer 1 200 heures à sa fabrication. Les limites du progrès technique sont donc repoussées d’autant. Une machine représentant 800 heures de travail dans le cadre de la production capitaliste ne serait pas mise en œuvre alors qu’elle occasionnerait une baisse du temps de travail total de 400 heures (1800 heures au lieu de 2 200 heures). Le mode de production capitaliste contraint l’homme au travail pour lui extorquer le maximum de surtravail.

La révolution industrielle a posé le principe d’une hausse illimité de la force productive du travail, mais elle ne peut entièrement se réaliser dans le cadre du mode de production capitaliste car celui-ci ne développe cette force productive que dans un but limité : la production d’un maximum de plus-value. Le mode de production capitaliste est un obstacle au progrès technique.

1.4            Récapitulatif

Nous pouvons dresser un tableau simplifié des variations de la valeur de la machine et de ses conséquences pour le coût de production et la valeur de la marchandise.

L’hypothèse de départ est une réduction par deux du temps de travail vivant grâce à la mise en œuvre d’une nouvelle machine. Il passe donc de 2 000 à 1 000, tout en conservant la même répartition entre capital variable et plus-value. Tout au long du tableau le capital variable et la plus-value sont donc égaux à 500.

Nous procédons ensuite à diverses hypothèses sur la valeur de la machine avec un pas décroissant de 100.

Quand le temps de travail consacré à la machine est supérieur à 700 et inférieur à 1200 seule la société communiste met en œuvre la machine. C’est la partie du tableau en caractères rouges. A partir de 700, le seuil théorique du progrès technique, elle peut être utilisée dans le cadre du mode de production capitaliste (aux réserves près apportées par les risques de fluctuation des prix). Cette partie est indiquée à partir des caractères noirs. En dessous de 200, le progrès technique permet de diminuer non seulement le travail vivant mais aussi le capital constant. Cette partie est symbolisée par des caractères verts.

Valeur de la

machine

Capital

variable

Coût de

 production

Plus-value

Valeur de la

marchandise

1200

500

1700

500

2200

1100

500

1600

500

2100

1000

500

1500

500

2000

900

500

1400

500

1900

800

500

1300

500

1800

700

500

1200

500

1700

600

500

1100

500

1600

500

500

1000

500

1500

400

500

900

500

1400

300

500

800

500

1300

200

500

700

500

1200

100

500

600

500

1100

0

500

500

500

1000

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le graphique suivant met en perspective le tableau ci-dessus.

 

Seuil du progrès technique économisant le capital constant

 

Seuil théorique du progrès technique

propre au MPC

 

Par conséquent :

1° si la valeur de la machine est supérieure à 700, elle ne trouve pas d’application dans le cadre du mode de production capitaliste

2° si la valeur de la machine est comprise entre 1 200 et 700 elle pourrait trouver un usage dans le cadre d’une société communiste dans la mesure où elle permet de réduire le temps de travail.

1.5             Le calcul économique du capitaliste : un calcul incertain

Nous avons ici raisonné, comme si le capitaliste maîtrisait les paramètres sur lesquels il fonde son calcul. Marx montre qu’il n’en est pas ainsi. Par conséquent, il faut dans bien des cas que le gain de productivité sur la base des coûts de production soit probant pour que le capitaliste se décide à mettre en place une nouvelle machine. Outre les facteurs liés au risque propre de l’instabilité de la machine – pannes, difficulté à exécuter le procès de travail exactement requis – que nous n’aborderons pas ici, les facteurs propres à la lutte des classes rendent ce calcul économique incertain. Une machine qui vaut 680 peut théoriquement être mise en place par le capitaliste, mais une fluctuation des salaires à la baisse (baisse d’autant plus plausible que la machine libère des ouvriers et que leur concurrence fait baisser le salaire) pourrait remettre en cause le choix qui vient d’être fait. Si ce choix n’est pas remis en cause dans la branche, Marx montre que ce processus pénalise l’introduction des machines dans d’autres branches d’industrie. Indépendamment des fluctuations du prix de la force de travail, le mouvement de la valeur lui-même, la dévalorisation de la force de travail peut remettre en cause le progrès technique. En effet, la hausse de la productivité induite par la machine peut entraîner une baisse de la valeur de la force de travail si les éléments matériels qui la constituent sont reproduits avec moins de temps[4]. Il en va de même pour les éléments constitutifs du capital constant. Il existe donc un no man’s land potentiel du progrès technique, celui où la hausse de la productivité en abaissant les coûts de production viendrait remettre en cause le calcul économique établi sur la base des coûts précédents.

Quelles qu’en soient les raisons, il existe donc une zone autour de la zone limite, une sorte de no man’s land du progrès technique, une zone grise instable et mouvante, que le capitaliste ne peut envisager avec certitude et ce facteur est également un facteur supplémentaire pour freiner le progrès technique. Au seuil théorique du progrès technique se joint un seuil pratique, flou et instable, qui repousse la limite de rentabilité du progrès technique.

Si nous reprenions notre tableau d’exemple, nous pourrions illustrer nos propos par une zone grise dans laquelle le progrès technique théorique n’est pas assuré d’être viable.

 

Valeur de la

machine

Capital

variable

Coût de

 production

Plus-value

Valeur de la

marchandise

1200

500

1700

500

2200

1100

500

1600

500

2100

1000

500

1500

500

2000

900

500

1400

500

1900

800

500

1300

500

1800

700

500

1200

500

1700

600

500

1100

500

1600

500

500

1000

500

1500

400

500

900

500

1400

300

500

800

500

1300

200

500

700

500

1200

100

500

600

500

1100

0

500

500

500

1000

 

A contrario, le machinisme et le progrès technique apparaîtront comme des armes de guerre aux mains de la classe capitaliste pour briser les prétentions salariales et sociales du prolétariat. Les hausses de salaires acquises facilitent la mise en œuvre de machines qui ruinent les positions du prolétariat, reconstituent l’armée de réserve industrielle et accroissent la concurrence entre ouvriers.

Dans la mesure où la monnaie, la valeur et les prix sont abolis et que le calcul économique porte sur le temps de travail total et non sur les seuls coûts de production la société communiste ne connaît pas cette instabilité et ce risque dans la décision.

1.6             Evolution du progrès technique

La question qui se pose à nous maintenant est de savoir comment évolue cette limite propre au mode de production capitaliste. Quelle est l’influence de la productivité du travail ? Le frein relatif que pose le mode de production capitaliste au progrès technique s’accroît-il avec le développement de ce mode de production ou, au contraire, s’atténue-t-il ?

Pour ce faire nous pouvons comparer les résultats[5] obtenus par les deux types de sociétés : la société communiste et le mode de production capitaliste. Si sous l’influence des paramètres que nous voulons étudier, l’écart relatif entre la communisme et le capitalisme augmente alors nous pouvons en conclure que plus le MPC est développé plus il freine le progrès technique

Avant de généraliser les résultats sous une forme abstraite, valable pour l’ensemble des cas de figure, reprenons notre exemple.

 

1.6.1      Un exemple numérique

Dans la situation initiale (A) nous avons une marchandise dont la valeur est de 2200. Elle se décompose en 200 de capital constant, 1000 de capital variable. Le coût de production est donc de 1 200. En ajoutant la plus-value nous obtenons la valeur totale de la marchandise soit 2 200. La composition organique du capital s’élève à 0,2 (200/1000) et le taux de plus-value à 100% (1000/1000).

 

 

Capital constant

Capital variable

Coût de production

Plus-value

Valeur de la marchandise

 

Situation initiale

 

200 c

1000 v

1200

1000 pl

2200

 

Le tableau suivant prend en compte diverses hypothèses quant à la variation de la productivité (colonne 1). Il est fait l’hypothèse que la nouvelle machine est susceptible de diviser le travail vivant par 1,5 puis 2 puis 3, etc.

Plus on descend dans le tableau plus la productivité est importante. Dans la colonne suivante (colonne 2) nous retrouvons le temps de travail limite possible dans une société communiste. La colonne suivante (3) établit la valeur limite dans le cadre du mode de production capitaliste. La colonne 4 calcule le rapport entre le communisme et le mode de production capitaliste en rapportant l’une à l’autre les deux valeurs limites. La colonne 5 indique le temps de travail additionnel limite qui peut être consacré à la machine pour un niveau donné de la productivité dans une société communiste. En ajoutant le temps de travail initial du capital constant nous obtenons le résultat de la colonne 2. La colonne 6 contient la valeur additionnelle de la machine dans le cadre du capitalisme. Cette valeur additionnelle s’ajoute à la valeur de la machine dans la situation initiale pour former la valeur limite de la colonne 3. La colonne 8 calcule le montant du capital variable compte tenu du niveau de la productivité. La colonne 9 calcule le montant de la plus-value. La colonne 10 indique le temps de travail consacré au produit dans le communisme et la dernière colonne la valeur de la marchandise dans le capitalisme.

 

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

1,5

866 2/3

533 1/3

1,625

666 2/3

333 1/3

2

666 2/3

666 2/3

2200

1866 2/3

2

1200

700

1,71

1000

500

2

500

500

2200

1700

3

1533 1/3

866 2/3

1,77

1333 1/3

666 2/3

2

333 1/3

333 1/3

2200

1533 1/3

4

1700

950

1,79

1500

750

2

250

250

2200

1450

5

1800

1000

1,8

1600

800

2

200

200

2200

1400

10

2000

1100

1,81

1800

900

2

100

100

2200

1300

100

2180

1190

1,83

1980

990

2

10

10

2200

1210

 

Récapitulatif des indications portées dans les colonnes.

1 : Indicateur de productivité

2 : Temps de travail limite consacré à la production de la machine dans la société communiste

3 : Valeur limite de la machine dans le cadre du MPC

4 : Rapport entre la valeur de la colonne 2 et de la colonne 3

5 : Temps de travail additionnel limite pour la machine dans le cadre d’une société communiste

6 : Valeur additionnelle limite de la valeur de la machine dans le MPC

7 : Rapport entre la valeur de la colonne 5 et de la colonne 6

8 : Capital variable

9 : Plus-value

10 : Temps de travail total limite dans la société communiste

11: Valeur limite de la marchandise dans le cadre du MPC

 

Quels sont les grands résultats que nous dégageons de ce tableau ?

L’exemple nous montre que le rapport entre les valeurs limites additionnelles est constant quel que soit le niveau de la productivité. Mais dans cet exemple, le taux de plus-value est supposé constant. Généralisons l’exemple numérique en passant par une représentation algébrique qui nous permettra d’envisager tous les cas possibles.

1.6.2      Généralisation

La valeur limite dans le communisme est égale à la somme du temps de travail déplacé soit

(1)   (V + Pl) α

Avec V : capital variable, Pl : plus-value et α : indicateur de productivité.

Par rapport à l’indicateur présent dans le tableau α = (1 – 1/p)

Dans le mode de production capitaliste le calcul ne porte que sur le capital variable soit

(2)   V α

Le rapport du communisme au capitalisme est donc de

(3)   (V + Pl) α / V α.

Nous pouvons simplifier ce rapport en

(4)   V + Pl / V.

D’autre part Pl = V t où t est le taux de plus-value

Par conséquent nous obtenons V (1 + t) / V qui après une nouvelle simplification nous donne :

(5)   1 + t.

Le rapport entre le communisme et le capitalisme est donc de 1 + t.

Comme t, le taux de plus-value, le taux d’exploitation augmente avec le développement de la production capitaliste nous pouvons conclure que plus le mode de production capitaliste est développé, plus il freine relativement le progrès technique.

Quand nous prenons en compte les conditions initiales et non plus la seule variation de valeur, c’est-à-dire quand nous prenons en compte une composition organique donnée, nous constatons que, dans le tableau, l’écart entre le communisme et le capitalisme s’accroît avec le développement de la productivité. Quand la productivité tend vers l’infini et donc quand α tend vers 1, le rapport tend vers 1,833.

Nous pouvons généraliser les résultats illustrés dans le tableau.

Nous avons pour le communisme une valeur limite totale de la machine égale à :

(1) C + (V + Pl) α

Pour le mode de production capitaliste, cette valeur limite est de :

(2) C + V α

Nous savons que Pl = Vt . La plus-value est égale au capital variable que multiplie le taux d’exploitation.

Nous pouvons donc modifier l’équation (1) en :

(3) C + V α (1 + t)

D’autre part C = V n. Le capital constant est égal au capital variable que multiplie la composition organique du capital (n). Compte tenu de ces résultats nous pouvons modifier les équations (3) et (2) qui deviennent :

(4) V n + V α (1 +t) ou V (n + α (1 + t))

(5) V n + V α ou V (n + α)

Si nous formons le rapport du communisme au capitalisme soit (4)/(5) nous obtenons :

(6) V (n + α (1 + t))/ V (n + α).

Cette équation se simplifie en

(7) (n + α (1 + t))/(n + α). soit n + α + αt / n + α

ce qui devient

(8) 1 + t α/n + α

Quand la productivité tend vers l’infini α tend vers 1 et l’équation tend vers :

1 + t/n+1 soit 1 + le taux de profit.

Plus le mode de production capitaliste est productif, plus il est prospère et plus il freine le progrès technique. Avec le développement de la production capitaliste, lorsque le capital prend de l’importance et que s’amorce une baisse tendancielle du taux de profit, l’écart entre les progrès techniques potentiels se réduit. Plus le capital est accumulé, plus il s’essouffle, plus l’écart diminue, plus la société bourgeoise doit accoucher d’une autre société.

Il est facile de retrouver à partir de la dernière équation le premier grand résultat que nous avons mis en évidence. Il suffit de poser que les conditions initiales sont nulles, c’est-à-dire qu’il n’existe pas de capital constant. Dans ce cas l’équation 1 + t/n+1 devient 1 + t car n est nul.

Ces résultats valent parmi les raisons, et non des moindres, pour lesquelles le sort de l’humanité exige de manière urgente de se débarrasser d’un mode de production mortifère, qui a apporté un bond considérable dans le développement social mais qui est devenu une entrave au libre développement de l’espèce et à sa maîtrise de ses conditions de vie et de reproduction naturelle et sociale.

 



[1] Marx démontre qu’au-delà d’un certain point, le mode de production capitaliste est incompatible avec toute amélioration rationnelle. Ici, la raison en est que la généralisation de certains de ces progrès menace directement l’existence d’un trop grand nombre de capitalistes. Elle conduirait à accélérer, de manière insupportable pour l’existence du capital, leur disparition en poussant trop avant la concentration et à la centralisation du capital.

« Qu'est-ce qui pourrait mieux caractériser le mode de production capitaliste que cette nécessité de lui imposer par des lois coercitives et au nom de l'Etat les mesures sanitaires les plus simples ?

« La loi de fabrique de 1864 a déjà fait blanchir et assainir plus de deux cents poteries où pendant vingt ans on s'était consciencieusement abstenu de toute opération de ce genre ! (Voilà l'abstinence du capital.) Ces établissements entassaient vingt-sept mille huit cents ouvriers, exténués de travail la nuit et le jour, et condamnés à respirer une atmosphère méphitique imprégnant de germes de maladie et de mort une besogne d'ailleurs relativement inoffensive. Cette loi a multiplié également les moyens de ventilation »

Cependant, elle a aussi prouvé qu'au-delà d'un certain point le système capitaliste est incompatible avec toute amélioration rationnelle. Par exemple, les médecins anglais déclarent d'un commun accord que, dans le cas d'un travail continu, il faut au moins cinq cents pieds cubes d'air pour chaque personne, et que même cela suffit à peine. Eh bien, si par toutes ses mesures coercitives, la législation pousse d'une manière indirecte au remplacement des petits ateliers par des fabriques, empiétant par-là sur le droit de propriété des petits capitalistes et constituant aux grands un monopole assuré, il suffirait d'imposer à tout atelier l'obligation légale de laisser à chaque travailleur une quantité d'air suffisante, pour exproprier d'une manière directe et d'un seul coup des milliers de petits capitalistes ! Cela serait attaquer la racine même de la production capitaliste, c'est-à-dire la mise en valeur du capital, grand ou petit, au moyen du libre achat et de la libre consommation de la force de travail. Aussi ces cinq cents pieds d'air suffoquent la législation de fabrique. La police de l'hygiène publique, les commissions d'enquêtes industrielles et les inspecteurs de fabrique en reviennent toujours à la nécessité de ces cinq cents pieds cubes et à l'impossibilité de les imposer au capital. Ils déclarent ainsi en fait que la phtisie et les autres affections pulmonaires du travailleur sont des conditions de vie pour le capitaliste. » (Marx, Capital, L.I, Pléiade, T. 1, p. 984-985)

 

D’un autre côté, le monopole est synonyme de parasitisme et de limitation du progrès technique.

« Néanmoins, comme tout monopole, il engendre inéluctablement une tendance à la stagnation et à la putréfaction. Dans la mesure où l'on établit, fût-ce momentanément, des prix de monopole, cela fait disparaître jusqu'à un certain point les stimulants du progrès technique et, par suite, de tout autre progrès; et il devient alors possible, sur le plan économique, de freiner artificiellement le progrès technique. Un exemple : en Amérique, un certain Owens invente une machine qui doit révolutionner la fabrication des bouteilles. Le cartel allemand des fabricants de bouteilles rafle les brevets d'Owens et les garde dans ses tiroirs, retardant leur utilisation. » (Lénine, L’impérialisme, stade suprême capitalisme, chapitre 8)

[2] Nous laissons de côté ici les motivations, par exemple la sécurité, qui pourraient justifier l’emploi d’une machine qui augmente le temps de travail global dans la société pour assurer la réalisation de travaux dangereux ou insalubres dans certaines branches spécifiques.

[3] Bien entendu, dans la société communiste, la forme argent est abolie ; il n’en demeure pas moins qu’il subsiste une comptabilité sociale sur la base du temps de travail accompli par le travail associé. Ce travail est réputé d’emblée social, dans la mesure où il est reconnu utile à la communauté. Le travail est social avant d’être accompli, parce qu’il est médiatisé par la communauté. Il ne le devient pas par la médiation du travail abstrait et de l’argent sur le marché, une fois la production accomplie, comme dans la société bourgeoise. La valeur et ses formes sont abolies. Le mode de calcul du capitaliste repose sur les coûts de production exprimés en argent ce qui, nous le verrons, lui occasionne une nouvelle contrainte qui amplifie les limites du progrès technique. Dans nos exemples, il ne faut donc pas oublier le contexte propre de chaque société, que pour des raisons évidentes liées à la comparaison des calculs nous ne mettons pas systématiquement en exergue.

« Dans l’hypothèse d’une production socialisée, le capital-argent disparaît. La société répartit la force de travail et les moyens de production dans les différentes branches d’industrie. Le cas échéant, les producteurs pourraient recevoir des bons leur permettant de prélever sur les réserves de consommation de la société des quantités correspondant à leur temps de travail. Ces bons ne sont pas de l’argent. Ils ne circulent pas. » (Marx, Capital, Livre II, Pléiade, T.2, p.863)

[4] Ces questions liées au processus de valorisation et dévalorisation méritent à eux seuls des développements importants qu’il n’est pas possible de traiter ici.

[5] Ceci suppose que nous les ramenions à des critères quantitatifs communs – le temps de travail – dont il ne faut pas oublier les grands différences qualitatives (le communisme ne connaît pas la forme valeur).