Le cycle des crises et la reproduction du capital fixe

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date

Janvier 2018 – Nivôse 226

Auteur

Robin Goodfellow

Version

V 1.0

 

 


 

 

 

 

 

 

Sommaire

1.          Introduction.. 3

2.         Analyse théorique : présentation du problème.. 4

2.1        Une question difficile facilement écartée. 4

2.2        Le cycle des crises au cœur de la prévision. 5

2.3        A la recherche d’une des bases matérielles du cycle des crises. 6

3.         La divergence entre la masse et la valeur du capital fixe.. 9

3.1        La reproduction du capital fixe. 9

3.2        Exemple numérique. 9

3.3        Formule générale. 11

4.         Les rapports masse valeur.. 12

4.1        L’évolution de la part de la reproduction simple : exemple numérique. 12

4.2        L’équation générale. 13

4.3        Le maximum du rapport entre taux d’accumulation et la période de rotation du capital fixe. 14

4.4        Evolution de la part maximum de la reproduction simple dans le taux de l’accumulation de la masse du capital fixe  16

5.         L'élément cyclique de la reproduction simple.. 20

5.1        Exemple numérique. 20

5.2        Equation générale. 22

6.         Evolution de l’accumulation de capital fixe.. 27

7.         Evolution d’une approximation de la composition organique du capital   32

 

1.           Introduction

Ce texte reprend en édition séparée, les chapitres 22 à 27 du livre consacré au cycle des crises aux Etats-Unis depuis 1929. Ces chapitres traitent du cycle du capital fixe. Ils démontrent mathématiquement que la reproduction du capital fixe et les variations dans l’accumulation de celui-ci induisent une onde dont la période est égale à la période de rotation du capital fixe.

 

Cette démonstration donne donc une base solide aux anticipations de Marx quant à l’incidence des variations de l’accumulation du capital fixe sur le cycle[1]. Ces variations sont permanentes, mais c’est à l’occasion des crises que l’on constate les plus importantes. En démontrant que la reproduction du capital fixe contient un élément cyclique et que la durée de ce cycle correspond à la période de rotation du capital fixe, nous donnons une assise aux perspectives de Marx quant aux relations entre cycle et reproduction du capital fixe.

 

Ce serait cependant une erreur[2] que de faire de cette reproduction du capital fixe, un facteur prépondérant du cycle alors qu’il n’en est, comme le remarque Marx, qu’un élément, une des bases matérielles. On peut même penser à l’issue de cette démonstration qu’elle joue un rôle autonome. En affectant le cycle à l’issue de la période de rotation du capital fixe, la forte variation précédente peut contribuer à précipiter ou accentuer la crise si les autres facteurs résultant du cycle de l’accumulation, du cycle financier, … sont mûrs pour que la crise éclate, sinon, si le cycle dépasse ou au contraire est plus court que la période de rotation du capital fixe, l’onde induite par les variations de l’accumulation y jouera un rôle de même nature mais d’une incidence plus faible.

 

Nous ne savons que peu de choses sur la période de rotation du capital fixe à l’époque actuelle. Quelle est sa durée ? A-t-elle une relative fixité ? A-t-elle tendance à se raccourcir ?

Comme nous l’expliquons dans le livre, au chapitre 7, sur le cycle des crises aux Etats-Unis, nous n’avons pas été à même de mettre en évidence dans les statistiques les effets du cycle du capital fixe[3]. En effet, nous n’avons pas trouvé de méthode permettant de relever dans les statistiques ce que la démonstration annonce. Peut-être que des camarades plus savants que nous y parviendront. C’est notamment à cet effet que nous publions ce texte sous une forme séparée de l’ouvrage qui le contient.

2.           Analyse théorique : présentation du problème

2.1            Une question difficile facilement écartée

« De nombreux auteurs essaient de défendre cette politique (baisse artificielle des taux d'intérêt par l'expansion du crédit NDR) en produisant des explications fallacieuses du cycle économique et en passant sous silence la théorie monétaire. D'après eux, le retour des crises économiques est inscrit dans la nature même de l'économie libre de marché.

Le créateur de ce sophisme est Karl Marx. L'un des principaux dogmes de ses enseignements est que le retour périodique des crises commerciales est un trait caractéristique inhérent à « l'anarchie de la production » du capitalisme. Marx fit plusieurs pauvres tentatives contradictoires pour démontrer son dogme ; même les auteurs marxistes admettent que ces entreprises étaient totalement futiles. » (Ludwig von Mises, The Freeman, 24 septembre 1951, compte-rendu du livre de Alvin Hansen : Business Cycles and National Income, traduction sur le site d’Hervé de Quengo, http://herve.dequengo .free.fr)

 

Voici comment s’exprimait, en 1951, un des défenseurs acharné du libéralisme. Evidemment, aujourd’hui, après tant de crises et notamment celle de 2008-2009, on ne peut avoir qu’un sourire de pitié devant tant de fanatisme imbécile, tandis que la théorie de Marx remporte une nouvelle et éclatante victoire.

 

Une théorie sur les origines du cycle ne va pourtant pas de soi et la gauche d’Italie, à la même époque où Ludwig von Mises vomissait ses injures, pouvait ainsi affirmer ironiquement que :

 

« Les difficiles problèmes du cadre et du cycle économiques, sur lesquels se cassèrent la tête ces petits collégiens de Quesnay, de Sismondi ou de Marx, deviennent un jeu d'enfants. La clé c'est le client, maître de la richesse; de même que le citoyen est le maître du pouvoir. Peu importe qu'il soit un simple travailleur salarié, un petit employé touchant traitement ou un petit-bourgeois; comme Charles-Quint le criait aux paysans d'Alghero : estate todos caballeros![4], le grand capital étasunien crie aux habitants de la terre entière : estate todos clientes![5] titre suprême de noblesse de l'économie mercantile. » (Le prolétariat comme client : la vulgarité de la politique économique des USA, Battaglia Comunista, no. 1, 1952)

 

Cette difficulté intrinsèque propre à la question du cycle, ainsi que l’inachèvement, on le verra, de la réflexion de Marx sur ce sujet ont poussé certains marxistes à écarter péremptoirement toute tentative d’approfondir la question quitte à falsifier le point de vue de Marx lui-même. Un représentant typique de cette façon de voir est Paul Mattick qui, dans son livre sur Marx et Keynes, affirme :

 

« Le cycle déterminé de crises, que le siècle dernier a traversé, constitue cependant un donné empirique dont la théorie marxienne n'a pas traité directement. Certes, Marx devait s'efforcer de rattacher cette périodicité fixe à la rotation du capital. Mais il n'insista guère cependant sur la validité de cette interprétation, et, de toute façon, sa théorie ne prend pas pour base une périodicité particulière des crises. Elle se borne à dire en effet que des crises éclatent forcément, sous forme de surproduction de capital et comme instrument pour assurer la reprise de l'accumulation » (Paul Mattick, Marx et Keynes, Gallimard, p.93)

2.2           Le cycle des crises au cœur de la prévision

Pourtant, n’en déplaise à la pensée bourgeoise et révisionniste, l’analyse des cycles comme de leur périodicité est au centre de la perspective révolutionnaire du marxisme. Dès l’origine, dès sa conception embryonnaire pourrait-on dire[6], de la conception matérialiste de l’histoire, cette étude du cycle est au cœur de la prévision quant au cours catastrophique du mode de production capitaliste et de l’action révolutionnaire qui peut en découler.

 

Engels, dès 1845, dans son ouvrage sur les classes laborieuses en Angleterre, prévoit deux nouvelles crises qui devraient se traduire par la victoire du prolétariat[7]. Seule la première prévision sera couronnée de succès et le mouvement révolutionnaire qui atteindra son apogée en 1848 sera brisé. Ce sera la contre révolution et non la révolution qui en sortira victorieuse. Les fondateurs du socialisme scientifique s'intéressèrent donc, dès sa gestation, au cycle des crises. De telles considérations avaient pour eux un caractère pratique immédiat. L'échec de la révolution de 1848, sa défaite pays par pays, conduit Marx à penser que la contre-révolution est nécessaire pour débarrasser le prolétariat de ses dernières illusions et le préparer à une nouvelle vague révolutionnaire. Celle-ci ne devrait pas manquer de se produire environ cinq ans après la crise de 1847, à l'occasion d'une nouvelle crise économique qui ébranlerait la production capitaliste. Marx et Engels tablaient donc, au début de 1850, sur un cycle des crises d'environ cinq ans. Cette analyse ne s'appuyait vraisemblablement pas encore sur de solides conceptions théoriques, mais sur la reconduction de constatations empiriques qui faisaient apparaître l'existence de crises, tous les cinq ans environ, depuis 1825. Ils se rendirent vite compte que cette perspective était erronée. Les faits devaient infirmer la prévision de Marx et Engels tandis que les crises s'espaçaient. Le cycle dont Marx était le témoin durait désormais environ dix ans. Marx ne renonça pas pour autant, bien au contraire, à l’idée que les crises étaient périodiques. Toute sa vie, il cherchera à en découvrir les racines et à en prévoir le retour, y compris par des méthodes mathématiques. Marx et Engels tireront de cet épisode l’idée qu’il existe, au sein du cycle des crises générales; des crises intermédiaires qui, si elles sont suffisamment fortes, peuvent escompter la crise générale[8]. Plus tard, Engels considérera que ces crises intermédiaires ont disparu[9]. Cependant, nous avons vu, notamment avec le cas des cycles à vagues, que d’une part, l’idée que les crises intermédiaires, quand elles existent, peuvent escompter la crise générale est toujours d’actualité (le cas du huitième cycle est particulièrement probant) et d’autre part, que des crises intermédiaires sont une composante de la tendance à la stagnation qui se traduit alors par un allongement du cycle. Fréquence et intensité tendent à être en relation inverse[10]. Dès lors que le capital exalte les forces productives, son cycle se raccourcit et, inversement, les tendances à la stagnation favorisent l’allongement du cycle.

2.3           A la recherche d’une des bases matérielles du cycle des crises.

Après la crise tant attendue qui n'éclate qu'en 1857, Marx cherche un des fondements matériels du cycle des crises dans le temps de rotation du capital fixe[11].

 

« (...) A propos, peux-tu me dire en combien de temps vous renouvelez votre outillage, dans votre usine, par exemple? Babbage prétend qu'à Manchester en moyenne l'essentiel des machines est renouvelé tous les cinq ans. Cela me parait un peu surprenant et pas tout à fait plausible. Le laps de temps après lequel en moyenne les machines sont renouvelées est un élément important pour l'explication du cycle de plusieurs années que parcourt le mouvement industriel depuis que la grande industrie s'est imposée (...) » (Marx, Lettre à Engels 2/3/1858, Lettres sur le « Capital », Editions Sociales, p.87)

 

La réponse d'Engels lui paraît satisfaisante et suggère à Marx les commentaires suivants :

 

« Le chiffre de treize ans correspond, dans la mesure où on en a besoin, à la théorie: elle établit une unité pour une époque de reproduction industrielle qui coïncide plus ou moins avec la période de répétition des grandes crises ; naturellement le cycle de ces crises, en ce qui concerne l'intervalle, est déterminé par de tous autres éléments. Pour moi, l'important est de trouver dans les conditions matérielles immédiates de la grande industrie un élément de détermination de ces cycles ». (Marx, Lettre à Engels 5/3/1858, Lettres sur le « Capital », Editions Sociales, p.90)

 

Ces extraits nous montrent, outre le bon fonctionnement de la poste de cette époque, l'orientation théorique que Marx prend et qu'il conservera tout au long de son existence malgré certaines réserves d'Engels. Marx, en effet, revient sur le sujet en août 1862. Il s'intéresse à la différence entre la reproduction en valeur et la reproduction en nature du capital fixe.

 

« En tout cas, pendant ces douze ans, on ne doit pas remplacer chaque année en nature 1/12 des machines. Que fait-on de ce fond qui, annuellement, remplace 1/12 de l'outillage? N'est-ce pas, en fait un fonds d'accumulation destiné à élargir la production, abstraction faite de toute conversion de revenu en capital ? L'existence de ce fonds n'explique-t-elle pas en partie le taux très différent d'accumulation du capital chez les nations où la production capitaliste est développée, où par conséquent existe beaucoup de capital fixe par opposition aux nations où ce n'est pas le cas ? (...) » (Marx, Lettre à Engels 20/8/1862, Lettres sur le « Capital », Editions Sociales, p.128)

 

Engels qui a reçu peu de temps auparavant la fameuse lettre sur les prix de production et la rente absolue le dissuade de poursuivre une telle recherche:

 

« Il en est de même à propos de ton histoire d'usure des machines, à propos de laquelle toutefois, je crois fermement que tu t'es engagé sur une fausse piste. » (Engels, Lettre à Marx 9/9/1862, Lettres sur le « Capital », Editions Sociales, p.129)

 

Cinq ans plus tard, Marx repose le problème à son ami:

 

« Il y a de nombreuses années je t'avais écrit qu'un fonds d'accumulation, me semblait-il, se constituait, étant donné que le capitaliste emploie dans l'intervalle l'argent qui lui fait retour, avant de s'en servir pour remplacer le capital fixe. Tu t'es élevé contre cette conception dans une lettre d'une façon un peu superficielle. (...)

Toi, en tant que fabricant, tu dois bien savoir ce que vous faites des rentrées destinées au capital fixe avant le moment où il faut le remplacer en nature. Et tu dois me répondre sur ce point (pas en théorie, sur le plan purement pratique). » (Marx, Lettre à Engels 24/8/1867, Lettres sur le « Capital », Editions Sociales, p.175)

 

A cette époque, Marx se sentait assez fort dans ses convictions sur le cycle des crises pour écrire dans la seule partie du « Capital » publiée de son vivant, le livre I :

 

« Comme les corps célestes une fois lancés dans leurs orbes les décrivent pour un temps indéfini, de même la production sociale une fois jetée dans ce mouvement alternatif d'expansion et de contraction le répète par une nécessité mécanique (…) c'est de cette époque seulement [le mode de production capitaliste le plus moderne NDR] que datent les cycles renaissants dont les phases successives embrassent des années et qui aboutissent toujours à une crise générale, fin d'un cycle et point de départ d'un autre. Jusqu'ici la durée périodique de ces cycles est de dix ou onze ans, mais il n'y a aucune raison pour considérer ce chiffre comme constant. Au contraire on doit inférer des lois de la production capitaliste, telles que nous venons de les développer, qu'il est variable et que la période des cycles se raccourcira graduellement. » (Marx, Capital L.I, La Pléiade, T.2, p.1149-1150)

 

Si peu d'explications sont fournies par Marx (il n’en donnera jamais beaucoup d’autres) sur les relations entre le cycle des crises et la reproduction du capital fixe, il conservera ses certitudes jusque dans ses derniers manuscrits. Dans le livre II du « Capital », le dernier écrit des trois livres, qui contient également une analyse de la reproduction simple du capital fixe, que ne laisse apparaître aucune contradiction dans le procès de reproduction, Marx affirme cependant :

 

« On peut admettre que, pour les branches les plus importantes de la grande industrie, ce cycle de vie [du capital fixe NDR] est aujourd'hui de dix ans en moyenne. Nous nous abstenons cependant de donner ici un chiffre précis. Un point est acquis : ce cycle de rotations qui s'enchaînent et se prolongent pendant une série d'années, où le capital est prisonnier de son élément fixe, constitue une des bases matérielles des crises périodiques. Au cours du cycle, les affaires passent par des phases successives de dépression, d'animation moyenne, de précipitation, de crise. Les périodes d'investissement du capital sont certes fort différentes et fort discordantes; mais la crise constitue toujours le point de départ de nouveaux investissements importants. Elle fournit donc plus ou moins, si l'on considère la société dans son ensemble, une nouvelle base matérielle pour le prochain cycle de rotations. » (Marx, Capital L. II, La Pléiade T.2, p.614)

 

La question qui est posée à travers cette recherche ininterrompue et jamais complètement menée à son terme est la suivante : la reproduction du capital fixe contient-elle une contradiction qui puisse servir d'élément pour expliquer le cycle des crises ?

 

Si une telle contradiction avait un fondement matériel, il faudrait lui donner une expression mathématique. Ainsi serait démontré, que la reproduction du capital fixe contient un élément cyclique. Qui plus est, pour corroborer les perspectives de Marx, il faudrait démontrer que cet élément cyclique est en relation avec la période de rotation du capital fixe.

 

Le capital fixe contient également un autre facteur de crise que nous ne chercherons pas à développer ici. Il est lié à l’importance de la période de production du capital fixe. Pour produire et accumuler du capital fixe dont la période de production est importante (grands équipements, ouvrages d’art, etc.) un niveau élevé de la productivité du travail doit avoir été atteint. La possibilité comme la nécessité de trouver un exutoire afin de limiter la surproduction suppose, pour que ce type de production soit possible, l’existence d’une population qui puisse se libérer de la production immédiate. D’autre part, toutes choses égales par ailleurs, plus la période de production est importante plus le montant des avances en capital sera grand. Du temps va s’écouler entre le moment où un capital fixe de ce type est mis en chantier et le moment où il pourra être utilisé. Pendant toute cette période, le capital doit être avancé. Il permet d’immobiliser du capital dans la production d’un capital fixe qui n’aura qu’un effet ultérieur sur la productivité sociale et, de ce point de vue, joue un rôle pour limiter la surproduction. D’un autre côté, ces fortes avances de capital supposent un surplus relatif qui ne peut exister que sur la base d’une forte productivité du travail. Ce type de production est également un facteur permanent de crise. Ces crises ne sont pas des crises générales de surproduction mais des disproportions. Ces disproportions entre capital fixe et capital circulant du fait des variations qu’elles produisent dans la production du capital fixe (dont elles contribuent à augmenter la période de reproduction) jouent un rôle dans la périodicité du cycle[12]].


 

3.           La divergence entre la masse et la valeur du capital fixe

3.1            La reproduction du capital fixe

Reprenons la question là où Marx l’a laissée. Les questions qu’il pose à Engels portent sur la différence entre le remplacement en nature du capital et la transmission de la valeur du capital fixe au produit. Le remplacement en nature d’un capital fixe intervient quand celui-ci ne peut plus fonctionner. Si son usure physique est la limite ultime de son utilisation, son usure « morale », son obsolescence, programmée ou non, est plus généralement à l’origine de son remplacement. Comme tout capital constant, le capital fixe ne fait que transmettre sa valeur au produit.

3.2           Exemple numérique

Admettons que dans la société existe, au temps t0, un capital fixe d'une valeur C0, de valeur 1000 représentant une masse M0 d’une valeur d’usage homogène quelconque, par exemple 1000 unités de machines d’un même type (nous ferons abstraction du caractère discret de la valeur d’usage).

 

Supposons que le temps de rotation du capital fixe soit égal à r, c’est-à-dire que le capital fixe transmet l’intégralité de sa valeur aux marchandises produites en r années. Dans notre exemple, nous posons r=2 années

 

Si, chaque année, le capital fixe est accumulé à un taux g (10% dans notre exemple), cela signifie que, dans notre cas particulier, la masse des machines accumulées sera de 1100, l’année suivante (t1).

 

D'un autre côté, comme nous posons une valeur unitaire, constante dans le temps, de chaque machine égale à 1, la masse des machines accumulée en t0-r était de :

 

 

Où M0 est la masse du capital fixe, le nombre de machines, au temps t0. Dans notre exemple, M0 = 1000 tandis que le taux d’accumulation du capital fixe est de g = 0,1 et la période de rotation r de deux ans (r=2)

 

Si nous appliquons ces données à l’équation ci-dessus, la masse du capital fixe, le nombre de machines, accumulées au temps t0-2, était de :

 

 

La valeur du capital fixe est transmise, via l’action du travail vivant, à la valeur des marchandises. La transmission de cette valeur se fait à chaque période de rotation au prorata de la durée de rotation du capital fixe (r - soit 2, dans notre exemple).

 

Au temps to où la valeur du capital fixe est 1000, la valeur transmise au produit marchandise sera donc de 500 car le temps de rotation du capital fixe est de deux ans. En d’autres termes, il transmet l’intégralité de sa valeur en deux ans. L’équation est donc (Mo v / r) où v est la valeur unitaire du capital fixe (1 dans notre exemple)

 

De même, la valeur transmise en t-1 et t0 par le capital fixe accumulé en t0-2 sera égale à :

 

 

Dans notre exemple, la valeur du capital fixe transmise au produit en t-1 et t0 est donc de 476,19 / 2 = 238,1.

 

Dans notre exemple, la masse actuelle (t0) du capital fixe est le résultat des deux dernières années d’accumulation du capital fixe puisque la période de rotation est de deux années. Nous avons calculé la masse du capital fixe accumulé en t-2, nous pouvons faire de même pour le capital accumulé en t-1. Nous savons que le taux d’accumulation du capital fixe est de g. Par conséquent, la masse du capital fixe accumulé en t-1 est égale à :

 

 

Comme la valeur unitaire de ce capital fixe est de 1, la valeur du capital fixe accumulé en t-1 sera également de 523,8.

 

La masse du capital fixe en t0 est le résultat de deux générations de capital fixe. Le capital fixe accumulé en t-2 et le capital fixe accumulé en t-1. La masse du capital fixe est donc égale à 476,2 + 523,8 soit 1000 unités de capital fixe. Il n’en va pas de même de la valeur de ce capital fixe. Celle-ci est égale à 476,2/2 + 523,8 soit 761,9 (la moitié de la valeur du capital fixe accumulé en t-2 a transmis sa valeur au produit en t-1).

 

Qu'advient-il avec l'accumulation du capital fixe lors de l'année t0 ?

 

Les machines accumulées lors de l'année t-2 deviennent hors d'usage, en même temps qu'elles achèvent de transmettre le reste de leur valeur au produit social. Par conséquent, 476,2 machines sont retirées de la production tandis que la valeur transmise au produit s'élève à 238,1. Pour obtenir l'intégralité de la valeur transmise au produit du fait de l’usure progressive du capital fixe, il faut ajouter celle fournie par les machines mises en place plus récemment qui demeurent encore en service mais dont la valeur diminue de moitié soit 523,8 / 2 = 261,9. La valeur totale du capital fixe qui est transmise au produit social lors de l'année t0 est donc égale à 238,1 + 261,9 = 500.

 

Si l’accumulation de capital fixe au taux de 10% se poursuit, la masse du nouveau capital fixe accumulé s’élèvera à 523,8 * 1,1 = 576,18. Comme la masse du capital fixe mise au rebut, la génération accumulée en t-2 se monte à 476,2, la masse totale du capital fixe passe de 1000 à 1100 (523,8 + 576,2 – 476,2). En revanche, la valeur nette du capital fixe accumulé est égale à 838,1 (576,2 + 261,9). La valeur nette du capital accumulé croît donc également de 10% ; la valeur nette du capital fixe a augmenté de 76,2, soit 10% de la valeur précédente du capital fixe (761,9). La valeur unitaire du capital fixe étant de 1, une valeur additionnelle de 76,2 ne permet d'augmenter la masse des machines que de 76,2 unités, alors que la masse requise pour une augmentation de 10% de la masse du capital fixe est de 10% de 1000, soit 100. C'est qu'il existe une divergence entre l'accroissement de la valeur du capital fixe et l’accroissement de sa masse. L'augmentation de la valeur résulte exclusivement de l'accumulation tandis que l'accroissement de la masse est réalisé non seulement par l'accumulation mais aussi par le jeu de la simple reproduction du capital fixe.

 

Nous avons vu que, en t0, la valeur du capital fixe transmise au produit se monte à 500. Cette valeur qui correspond à la reproduction simple du capital fixe permet l'achat de 500 unités de capital fixe, 500 machines, tandis que 476,2 seulement sont désormais hors d'usage. Il s'ensuit une augmentation de la masse du capital fixe de 23,8 (500 - 476,2) unités du simple fait de la reproduction simple du capital fixe. Si l'on ajoute à ces 23,8 unités provenant de la reproduction simple en valeur du capital fixe, les 76,2 fournies par l'accumulation, la masse totale des machines s'accroît de 100 (76,2 + 23,8) unités. De son côté, la valeur du capital fixe s'accroît de 10% soit 76,2 mais uniquement grâce à l'accumulation de la plus-value.

3.3           Formule générale

Dans notre exemple, c'est donc près de 24% (23,8/100) de l'augmentation de la masse du capital fixe qui est due à la simple reproduction de celui-ci. Quelle est la formule générale?

 

Sur la base de l'égalité entre l'unité de valeur d'usage et de valeur d'échange, en supposant que la valeur unitaire du capital fixe soit constante, la part due à la reproduction simple du capital fixe dans l’accroissement de sa masse est égale à:

 

 

Nous pouvons simplifier l’équation en divisant chaque terme par M0g

 

 

Cette équation définit quelle part de l’accumulation de la masse du capital fixe est due à la simple reproduction de celui-ci du fait de la différence qui existe entre la valeur du capital fixe transmise au produit et la valeur de la masse du capital fixe définitivement détruite chaque année.

 

Dans notre exemple nous avons g=0,1 et r=2, donc

 

 

Si la période de rotation du capital fixe était de 3 pour un taux d’accumulation de 10% nous aurions le résultat suivant:

 


 

4.           Les rapports masse valeur

4.1            L’évolution de la part de la reproduction simple : exemple numérique

Nous avons pu constater dans l’exemple précédent que la part dévolue à la simple reproduction du capital fixe jouait un rôle variable dans la masse du capital fixe accumulé.

 

Comment évolue cette part, pour un taux d’accumulation donné (g) quand la période de rotation du capital fixe (r) varie ?

 

Nous avons obtenu l’équation suivante :

 

 

Par exemple avec g = 20% nous obtenons le tableau suivant :

 

g

r

y

20%

2

22,7%

20%

3

29,3%

20%

4

31,8%

20%

5

32,8%

20%

6

32,9%

20%

7

32,7%

20%

8

32,2%

20%

9

31,5%

20%

10

30,7%

 

A partir des données calculées nous pouvons tracer la courbe suivante :

 

 

Dans cet exemple, où le taux d’accumulation du capital fixe est de 20%, la courbe passe par un maximum quand le temps de rotation du capital fixe est d’environ 6 ans. A ce moment, la part de la reproduction simple du capital fixe représente environ le tiers de l’accumulation de la masse du capital fixe.

4.2           L’équation générale

Le maximum de la courbe correspond, mathématiquement, au point où la dérivée de la courbe est nulle.

 

Il s’agit donc de déterminer la dérivée de l’équation

 

 

Nous savons que r est optimum pour un g donné quand la dérivée y’ de cette équation est nulle.

 

A quoi est égale cette dérivée ?

 

La dérivée d’une différence est égale à la différence de ses dérivées.

 

Donc, la dérivée de y soit y’ est égale à la dérivée de  moins la dérivée de 1/((1 + g)r – 1)

 

La dérivée de  est égale à (la dérivée d’une fonction de type 1/u est égale à -u’/u2 et comme g est donné, il est traité comme une constante – la dérivée d’une constante est nulle -)

 

Le deuxième terme est également du type 1/u et donc la dérivée est égale à –u’/u2

 

Ici u =

 

La dérivée u’ de u est la plus complexe. Elle se décompose en deux membres qui forment une différence. Soit  et 1. 1 est une constante et donc sa dérivée est nulle. Il reste à calculer la dérivée de  qui est une fonction exponentielle de base .

Ce type de fonction a une dérivée égale à

Par conséquent la dérivée u’ est égale à

 

La dérivée du deuxième terme est donc :

 

 

La dérivée de l’équation est donc :

 

 

Quand la dérivée est nulle, r est maximum.

 

Donc r est maximum quand

 

La transformation de l’équation précédente donne :

 

Puis

 

 

4.3           Le maximum du rapport entre taux d’accumulation et la période de rotation du capital fixe

Lorsque g tend vers 0, la part maximum de la reproduction simple dans l’accumulation de la masse du capital fixe est obtenue pour une valeur de r toujours plus grande.

 

Par exemple quand g vaut 5%, la dérivée est nulle quand r vaut environ 11 ans contre 6 ans environ lorsque g est égal à 20%.

 

Le tableau ci-dessous détaille, pour une valeur de g donnée, quelle valeur de r annule la dérivée et donc permet d’obtenir un maximum de la part de la reproduction simple dans l’accumulation de la masse du capital fixe.

 

 

 

 

 

 

g

r

0,5%

34,7

1%

24,5

1,5%

20,1

2%

17,4

2,5%

15,6

3%

14,3

3,5%

13,2

4%

12,4

4,5%

11,7

5%

11,1

5,5%

10,6

6%

10,2

6,5%

9,8

7%

9,4

7,5%

9,1

8%

8,8

8,5%

8,6

9%

8,4

9,5%

8,2

10%

8,0

11%

7,6

12%

7,3

13%

7,1

14%

6,8

15%

6,6

16%

6,4

17%

6,2

18%

6,1

19%

5,9

20%

5,8

25%

5,3

30%

4,9

40%

4,3

50%

4,0

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A partir de ces données, nous pouvons établir la courbe suivante. Elle relie le maximum de la période de rotation à un taux d’accumulation du capital fixe donné.

 

 

4.4           Evolution de la part maximum de la reproduction simple dans le taux de l’accumulation de la masse du capital fixe

Dans le chapitre 24.1, nous avons montré, en faisant varier le temps de rotation du capital fixe (r), comment évoluait la part de la reproduction simple pour un taux de l’accumulation (g) de la masse du capital fixe donné.

 

A partir des résultats du chapitre 24.2, nous pouvons déterminer la part maximum que représente la reproduction simple du capital fixe dans le processus de reproduction élargie de la masse du capital fixe.

 

L’équation de départ était :

 

Comment évolue cette équation pour le r maximum des divers taux de croissance ?

 

En remplaçant, dans l’équation ci-dessus, g et r par les valeurs obtenues lors du calcul des maxima, nous obtenons le tableau et la courbe suivants :

 

 

 

 

 

 

 

g

r

Part reproduction simple

0,5%

34,7

47,1%

1%

24,5

45,9%

1,5%

20,1

45,0%

2%

17,4

44,3%

2,5%

15,6

43,6%

3%

14,3

43,0%

3,5%

13,2

42,5%

4%

12,4

42,0%

4,5%

11,7

41,5%

5%

11,1

41,0%

5,5%

10,6

40,6%

6%

10,2

40,2%

6,5%

9,8

39,8%

7%

9,4

39,5%

7,5%

9,1

39,1%

8%

8,8

38,8%

8,5%

8,6

38,5%

9%

8,4

38,2%

9,5%

8,2

37,8%

10%

8,0

37,6%

11%

7,6

37,0%

12%

7,3

36,5%

13%

7,1

36,0%

14%

6,8

35,5%

15%

6,6

35,0%

16%

6,4

34,6%

17%

6,2

34,2%

18%

6,1

33,8%

19%

5,9

33,4%

20%

5,8

33,0%

25%

5,3

31,3%

30%

4,9

29,8%

40%

4,3

27,4%

50%

4,0

25,4%

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Par conséquent, pour le "r" maximum d'un "g" donné, la part de l’accumulation de la masse du capital fixe qui résulte de sa reproduction simple va en diminuant avec l'élévation du taux de l’accumulation. Par exemple, cette part passe de plus de 47% de l’augmentation de la masse du capital fixe, pour un taux de 0,5%, à moins de 33% quand le taux de l’accumulation est de 20%.

 

Si nous limitons le domaine de définition des courbes étudiées à des bornes compatibles avec la réalité économique générale, il reste que la reproduction simple du capital fixe joue un très grand rôle dans l'accumulation globale.

 

Le taux de l’accumulation du capital fixe, dépend, d’une part, du taux de profit et, d’autre part, du taux d’accumulation de la plus-value. La tendance à la baisse du taux de profit induirait plutôt une baisse du taux de l’accumulation du capital fixe. Mais cette tendance est contrebalancée par le fait que le capital fixe représente une part croissante du produit social. Baisse du taux de profit et accroissement du taux de l’accumulation du capital fixe ne sont donc pas, jusqu’à un certain point, incompatibles.

 

Quand le taux de l’accumulation du capital fixe (g) diminue, le maximum du temps de rotation du capital fixe (r) s'élève. Avec le développement du progrès technique et de la dévalorisation du capital qui l’accompagne (que ce soit du fait de la hausse de la productivité pour reproduire ce capital fixe ou du fait de son obsolescence) on devrait s’attendre à ce que le cours de la production capitaliste s’accompagne d’un raccourcissement du temps de rotation.

 

À supposer qu’une part élevée de l’accumulation de la masse du capital fixe due à la reproduction simple soit un avantage pour la production capitaliste, notamment en lui conférant une plus grande stabilité, ce n’est que si g et r vont en sens inverse l’un de l’autre que cet optimum serait atteint. L'obtention de l'optimum pour un taux de croissance donné serait donc toujours plus difficile à mesure que le mode de production capitaliste avance.

 

En même temps, les fluctuations du taux de l’accumulation du capital fixe sont suffisamment importantes pour que celui-ci ne soit jamais, sinon par hasard, en relation avec la période de rotation optimale correspondante. Nous inférons que la stabilité du temps de rotation du capital fixe est plus grande que celle du taux de l’accumulation du capital fixe. D’autre part, même pour de grands écarts de taux, la part de la reproduction simple reste très élevée. Enfin, la plage de valeur, autour du maximum, est suffisamment ample[13] pour que nous ne puissions en conclure que les effets d’une divergence entre les mouvements, jugés favorables, de g et r soient de faible portée.

 

5.           L'élément cyclique de la reproduction simple

5.1            Exemple numérique

Dans les chapitres précédents, nous avons mis en relief une particularité de la reproduction élargie du capital fixe en montrant l’importance du rôle de la reproduction simple dans l’accumulation de la masse du capital fixe. La divergence entre la valeur du capital fixe transmise au produit social et son remplacement en nature peut-elle contenir un élément cyclique ?

 

Pour avoir un élément de réponse à cette question, supposons que l'accumulation de capital fixe due à l'accumulation de la plus-value s'arrête. Comment évoluent, dans ce cas, la masse et la valeur du capital fixe ?

 

Prenons l'exemple suivant : l’accumulation du capital fixe a connu un taux de 20% pour une durée de la période de rotation du capital fixe égale à six années, ce qui, nous l'avons vu, constitue, à peu près, un couple optimum.

 

Supposons une masse de capital fixe de 1000 unités dont la valeur totale est de 1000. Cette masse se décompose, suivant la date à laquelle le capital a été accumulé, en 100,7 unités accumulées en t‑6, 120,85 en t-5, 145,01 en t-4, 174,02 en t-3, 208,82 en t-2 et 250,59 en t-1. Dorénavant, comme il n'y a plus d'accumulation de la plus-value, seule joue la reproduction simple du capital fixe.

 

Au temps t0, 100,7 unités de capital fixe sont définitivement usées, tandis que le renouvellement du capital fixe permet un accroissement de la masse du capital fixe de 166,7 (1000/6) puisque la valeur transférée au produit est de 1000 / 6. Ainsi, tandis que la valeur du capital fixe se maintient à 670,2, la masse du capital fixe s'élève en t1 à 1066. Le même processus se poursuit en t2 pour atteindre un maximum en t4, comme on peut le voir sur le tableau et la courbe qui en est issue, ci-dessous:

 


t-6

t-5

t-4

t-3

t-2

t-1

Total

Année

100,71

120,85

145,01

174,02

208,82

250,59

1000

0

120,85

145,01

174,02

208,82

250,59

166,70

1066

1

145,02

174,02

208,82

250,59

166,70

177,70

1123

2

174,02

208,82

250,59

166,70

177,70

187,14

1165

3

208,82

250,59

166,70

177,70

187,14

194,16

1185

4

250,59

166,70

177,70

187,14

194,16

197,52

1174

5

166,67

177,70

187,14

194,16

197,52

195,63

1119

6

177,70

187,14

194,16

197,52

195,63

186,87

1139

7

187,74

194,16

197,52

195,63

186,87

189,77

1152

8

194,16

197,52

195,63

186,87

189,77

191,78

1156

9

197,52

195,63

186,87

189,77

191,78

192,55

1154

10

195,63

186,87

189,77

191,78

192,55

192,28

1149

11

186,87

189,77

191,78

192,55

192,28

191,41

1145

12

189,77

191,78

192,55

192,28

191,41

190,71

1149

13

 


 

À partir du maximum (1185), la masse du capital fixe diminue tout en restant supérieure à 1000 et atteint un minimum en t6 (1119), minimum dont la date correspond à la durée de la période de rotation du capital fixe, soit 6 ans. Un nouveau cycle s'ouvre alors, mais son amplitude est moindre puisque le maximum atteint lors du cycle précédent est supérieur au maximum du cycle suivant (1185 contre 1155), tandis que le minimum y est inférieur (1119 contre 1145). Les extrêmes se rapprochent et donc les oscillations s'atténuent, mais la période demeure constante et égale au temps de rotation du capital fixe. A travers des oscillations toujours plus amorties, la masse du capital fixe tend vers une limite qui se situe autour de 1150 unités. La masse du capital fixe a donc augmenté de 15% environ tandis que sa valeur reste constante (670,2). Bien entendu, une telle accumulation de la masse du capital fixe aura nécessité, toutes choses égales par ailleurs, une accumulation de capital circulant constant et de capital variable pour pouvoir mettre en œuvre ce capital fixe supplémentaire.

 

Le résultat le plus notable est cependant la mise en évidence que la différence entre la reproduction en valeur et en nature du capital fixe contient un élément cyclique qui correspond à la durée de la période de rotation du capital fixe.

5.2           Equation générale

L'équation de la courbe définie plus haut est une suite récurrente où :

 

 

 

Pour 1<t<=r

 

Pour t > r

Avec Mt = Masse du capital fixe au temps t

M0 = Masse du capital fixe au temps t0 quand cesse l'accumulation.

r = Durée de la période de rotation du capital fixe

g = Taux de l’accumulation du capital fixe

 

Quoique complexe, la résolution de ces équations est tout à fait possible. Nous pouvons cependant épargner cette opération au lecteur en reprenant la démarche théorique de Marx vis-à-vis du calcul différentiel, c’est-à-dire en nous positionnant directement à la limite. La représentation dominante du calcul différentiel répugne à un tel saut qui suppose le passage d’un infini quantitatif à un infini qualitatif. Pourtant, ce qui est rejeté avec horreur par les mathématiciens épris de « rigueur » est parfaitement accepté par l’arithmétique.

 

Faisons donc un saut à la limite, un bond dans l’indétermination, un des hauts lieux des transitions dialectiques dans le monde mathématique.

 

Nous connaissons la situation limite : c’est celle de la reproduction simple du capital fixe. A ce moment la stabilité de la reproduction est atteinte.

 

La valeur brute du capital fixe au moment où nous arrêtons l’accumulation est de 1000. La distribution de cette valeur, compte tenu de la période de rotation (r =6 ans dans notre exemple) et du taux de l’accumulation du capital fixe (g=20% dans notre exemple) suivant les générations de capital fixe accumulé est détaillée dans la deuxième colonne du tableau. Cette valeur est constante et elle se répartit selon la même proportion entre les années (cf. troisième et quatrième colonne).

 


 

Année

Valeur brute du capital fixe accumulée

% résiduel de la valeur accumulée

Part de la génération du capital fixe dans la valeur totale

Valeur nette actuelle

t - 6

100,70

1/6

1/21

16,78

t - 5

120,85

2/6

2/21

40,28

t - 4

145,02

3/6

3/21

72,51

t - 3

174,02

4/6

4/21

116,01

t - 2

208,82

5/6

5/21

174,02

t - 1

250,59

6/6

6/21

250,59

Total

1000

21/6

21/21

670,19

 

 

 

 

 

 


A la limite, la reproduction simple est réalisée, la transition entre une situation de reproduction élargie, d’accumulation de la plus-value sous la forme de capital fixe et une situation de reproduction simple d’où toute accumulation de plus-value a disparu est achevée.

 

Par conséquent, quand cette reproduction simple est atteinte, la valeur restant en t-6, est de 670,19/21 = 31,9. Cette valeur résiduelle de la masse de capital fixe suppose que la valeur de ce capital fixe au moment de son accumulation était de 191,48 (31,9 * 6). Cette valeur correspond également à la masse de capital fixe accumulé puisque nous avons supposé qu’une unité de capital fixe avait une valeur de 1.

 

Par conséquent, comme chaque année – cas de la reproduction simple – la même masse de capital fixe est accumulée, la masse totale du capital fixe accumulé est de 191,48 x 6 = 1148,90 soit la limite de l’équation du texte. Cette méthode permet de résoudre facilement l’équation complexe pour calculer la limite de la courbe.

 

Pour obtenir celle-ci, il suffit de prendre la valeur nette totale du capital fixe (la valeur du capital fixe restante) au moment où s’arrête l’accumulation de la plus-value (par exemple 670,19), de la multiplier par la période de rotation (6 dans notre exemple) et de la diviser par l’espérance mathématique de la période de rotation (dans notre exemple 21/6). Cette formule se simplifie pour aboutir à multiplier la valeur restante du capital fixe par deux fois la période de rotation du capital fixe divisé par la période de rotation du capital fixe + 1.

 

Nous obtenons alors la valeur brute limite du capital fixe. Il suffit de diviser cette valeur brute limite par la valeur unitaire pour obtenir la masse limite du capital fixe (ici la valeur unitaire est de 1). Par conséquent, dans notre exemple, la masse et la valeur brute du capital fixe sont identiques (1148,9)

 

Valeur brute limite = (Valeur du capital fixe au moment où l’accumulation de la plus-value s’interrompt)* r2/

Or la suite  est égale à

 

Par conséquent la valeur brute limite est égale à :

 

Valeur brute limite = Valeur nette du capital fixe au moment où l’accumulation de la plus-value s’interrompt * 2r/r+1

 

Masse limite = Valeur brute limite/Valeur unitaire

 

Le coefficient de progression de la masse de capital fixe est donc en relation avec le double de la période de rotation divisé par la somme de 1 + r.

 

Par conséquent, la limite s’élève avec l’augmentation de la période de rotation du capital fixe.

 

Vers quelle valeur tend ce rapport ? Il faut calculer le rapport entre 2r/(r+1) quand r tend vers l’infini. Dans ce cas le rapport tend vers 2.

 

Si la tendance du capital est au raccourcissement de la période de rotation, dans ce cas ce rapport aura tendance à baisser.

 

Nous avons donc démontré mathématiquement que la différence entre la reproduction en nature et en valeur du capital fixe contient un élément cyclique et que la période de ce cycle est égale à la période de rotation du capital fixe. Les hypothèses de Marx reçoivent donc un fondement théorique des plus solides.

 

6.           Evolution de l’accumulation de capital fixe

Les données issues de la table 1.15 du BEA montrent que l’accumulation du capital fixe suit le mouvement général des autres formes du capital. Dans les périodes dites d’accumulation, l’accumulation du capital progresse et dans les périodes de crise, elle régresse ; le capital fixe reste pour une part inemployé et il se dévalorise, selon des modalités diverses, plus fortement que dans les autres périodes.

 

Dans la table 5.1 du BEA, nous trouvons les données relatives à l’épargne et l’investissement. Les données propres aux entreprises (domestic business) existent depuis 1960 ; les graphiques mettent en relief une tendance à l’aggravation des crises. Ils démentent aussi l’idée que l’« investissement », c’est-à-dire l’accumulation du capital fixe, aurait cessé de croître avec la dernière crise.

 

Le graphique suivant décrit donc les évolutions du capital fixe. On peut y distinguer :

-          Le montant total (en milliards de dollars) du capital fixe accumulé. (En rouge)

-          Le montant qui revient à la reproduction de ce capital fixe (valeur du capital fixe consommé, en milliards de dollars). (En vert).

-          La différence entre les deux que nous appelons variation du capital fixe (il s’agit généralement d’un accroissement) (En violet).

-          La différence entre les dépenses gouvernementales en matière d’équipement fixe et la partie consacrée au renouvellement de ceux-ci. Nous appelons ce résultat : variation des dépenses publiques. (En bleu).

 

A la suite de ce premier graphique, un autre graphique se concentre sur l’évolution du rapport entre l’accroissement de l’investissement en équipements fixes réalisé par le gouvernement (il ne s’agit pas de capital avancé mais d’une dépense de revenu sous forme d’équipements, etc.) et la variation de l’accumulation du capital fixe des entreprises (soit les deux dernières lignes du graphique précédent). Il montre les effets d’une politique dite « keynesienne »[14]

 

Pour des raisons de mise en page, nous avons tronqué le graphique en supprimant les données de l’année 2009 et du premier trimestre 2010.

 

Le détail des années 2008-2010 est fourni à part.

 

En 2009, la variation du capital fixe des entreprises se traduit par une décumulation, une des formes de la dévalorisation du capital. La variation est négative et le ratio devient négatif. Cela ne fait que souligner l’importance de l’action gouvernementale. De même, si le graphique met en lumière le fait que l’intervention de l’Etat, lors de la dernière crise, est la plus importante de tous les cycles, la suppression de ces données minore de beaucoup la représentation effective de cette intervention. Celle-ci est, relativement[15] et absolument, la plus importante de l’après deuxième guerre mondiale. Cependant, les fluctuations du rapport sont bien plus tributaires des variations dans l’accumulation du capital fixe des entreprises que du contre-investissement de l’Etat dont les montants montrent également les limites. De plus, ce graphique laisse penser qu’il existe une tendance à toujours plus prolonger l’action de l’Etat après la crise. En même temps, le rapport le plus bas est atteint pendant le cycle en cours, autre preuve que le capital ne tient pas uniquement parce qu’il est porté à bout de bras par l’Etat.

 

Le cycle qui se dégage n’est pas prédictif[16] mais il corrobore nombre de conclusions auxquelles l’analyse est arrivée, comme l’intervention de l’Etat lors de la crise financière de 1987 qui a réussi à enrayer la crise de surproduction ; le caractère subit du sixième cycle ; la complexité du cinquième cycle ; etc.

 


Evolution de l'accumulation du capital fixe (entreprises) 1960-2017 et accroissement des dépenses étatiques en équipements fixes

Rapport entre la variation des dépenses d’investissement de l’Etat et la variation de l’accumulation du capital fixe des entreprises (1960 -2015)Courbe non continue. Les données 2009-2010 ; 1 ont été supprimées

Rapport entre les variations des dépenses d’investissement publiques et les variations de l’accumulation du capital fixe.

 

 

 

 

 

 


7.           Evolution d’une approximation de la composition organique du capital

A partir des données disponibles, nous pouvons réaliser une approximation de la composition organique du capital et suivre son évolution.

 

Il s’agit d’une approximation : Tout le capital constant n’est pas pris en compte (il manque le capital circulant constant et il ne s’agit que de la partie consommée du capital fixe) ; dans les coûts salariaux, nous ne savons pas ce qui relève de la production de plus-value.

 

En théorie, la part du capital fixe, dans le capital constant doit augmenter et si le temps de rotation du capital fixe diminue, cela ne peut qu’accroître la part relative du capital fixe. Par ailleurs, la part du salariat non producteur de plus-value aurait tendance à augmenter. Donc, une augmentation de l’approximation de la composition organique laisse penser, qu’à coup sûr, la composition organique du capital augmente.

 

A partir des données de la table 1.15 du BEA, nous obtenons le graphique suivant[17] :

 

 


 

 

 


La tendance à la hausse est manifeste. Elle signe une nouvelle victoire théorique du marxisme. Cette courbe tend également à présenter un cycle, mais celui-ci est plus complexe du fait de tendances contradictoires. La plupart du temps, le point haut de la composition organique est atteint au moment de la crise. Toutefois, ce n’est pas systématique ; il y a parfois un léger décalage (dans ce cas, un trimestre généralement) par rapport à la fin de la crise de surproduction. Le point bas, dont la recherche reste intéressante, est lui aussi plus erratique. Des facteurs contradictoires jouent. D’un côté, le recouvrement de l’accumulation pousse à une meilleure utilisation du capital fixe et donc à une baisse du prix unitaire, d’un autre côté, l’accumulation du capital fixe et l’élévation de la composition organique qui l’accompagne joue dans un sens inverse. Enfin, les coûts salariaux qui sont déprimés dans la période de crise ont tendance à se relever dans la période d’accumulation.

 



[1] Voir notamment citation p.8 de ce texte.

[2] Voir notre critique de Marcel Roelandts (cf. le chapitre consacré au capital fixe et à la crise) dans le livre « Aux fondements des crises – Le marxisme de la chaire et les crises »

[3] « Comme les périodes de crise sont aussi des périodes de forte variation dans l’accumulation du capital fixe, il est permis de penser qu’elles ont une importance particulière dans la création d’une onde périodique. Cependant, dans l’état actuel de nos recherches, nous n’avons pas trouvé de méthode pour mettre en évidence, dans les statistiques, les effets de ce cycle du capital fixe. S’ils existaient, il faudrait donc montrer que les fluctuations de l’accumulation du capital fixe jouent un rôle particulier au moment des crises. L’accumulation du capital fixe, comme de tout autre capital, diminue pendant la crise. L’enjeu est ici de mettre en évidence que les variations dans l’accumulation du capital fixe (et de manière plus générale dans l’accumulation du capital) dépendent (et notamment au moment des crises) pour une part (faible mais réelle) des variations passées de cette même accumulation du capital fixe. »

[4] Devenez tous nobles !

[5] Devenez tous clients !

[6] « En 1844 n'existait pas encore ce socialisme international moderne, dont surtout et presque exclusivement les travaux de Marx devaient faire entre temps une véritable science. Mon livre ne représente qu'une des phases de son développement embryonnaire. Et tout comme l'embryon humain, aux degrés primitifs de son développement, continue toujours à reproduire les rangées d'ouïes de nos ancêtres les poissons, ce livre révèle partout une des origines du socialisme moderne, un de ses ancêtres : la philosophie classique allemande. » (Engels, Préface à l’édition allemande de 1892 de la situation de la classe laborieuse en Angleterre)

[7] « Les crises économiques, le plus puissant levier de toute révolution autonome du prolétariat, abrégeront ce processus [concentration et centralisation du capital, création d ‘un prolétariat largement majoritaire dans la société - NDR], en corrélation avec la concurrence étrangère et la ruine accélérée de la classe moyenne. (…). Vraisemblablement la prochaine crise, qui surviendra en 1846 ou 1847, entraînera l'abrogation des lois sur les grains et imposera la Charte. (…) la crise suivante, qui, par comparaison avec les précédentes, devrait se produire en 1852 ou 1853» (Engels, La situation de la classe laborieuse en Angleterre)

[8] « (…) plus les crises intermédiaires sont aplaties, plus la crise générale sera profonde. Je souhaite que la panique américaine ne prenne pas de dimensions trop grandes et n'ait pas de contre coup sur l'Angleterre et par là sur l'Europe. Les crises périodiques générales sont toujours précédées de telles crises partielles. Si elles sont trop violentes, elles escomptent simplement la crise générale et en brisent la pointe. » (Marx à Sorge, lettre du 27/9/1873)

[9] « Dans le texte, la durée du cycle des grandes crises industrielles est fixée à cinq ans. C'était en effet la périodicité qui semblait résulter de la marche des événements de 1825 à 1842. Mais l'histoire de l'industrie de 1842 à 1868 a démontré que la période réelle est de dix ans, que les crises intermédiaires étaient de nature secondaire et ont de plus en plus disparu depuis 1842. » (Engels, Préface à l’édition allemande de 1892 de la situation de la classe laborieuse en Angleterre)

[10] Dans une lettre à Engels qui se désolait de la faible gravité de la crise en cours et de son atténuation, Marx répond « Elle [la crise NDR] est loin d’avoir cessé sur le continent (spécialement en France). Du reste, les crises actuelles compensent par leur fréquence ce qu’elles ont perdu en intensité. » Marx, Lettre à Engels, 4 Novembre 1864, Correspondance, T.VII, p.283). Dans une lettre à Lavrov datée du 18 juin 1875, Marx développe la même idée : les crises deviennent plus fréquentes.

[11] A la même époque, il écrit dans les manuscrits de 1857-1858 (Grundrisse) : « Il ne peut faire le moindre doute que le cycle que l’industrie parcourt, depuis le développement du capital fixe à vaste échelle, en un laps de temps plus ou moins égal à 10 ans, est lié à cette phase de reproduction globale du capital ainsi déterminée. Nous trouverons encore d’autres facteurs de détermination. Mais ceci en est un. (…) ce cycle industriel de plusieurs années découpé en périodes, en époques caractéristiques, est quelque chose de propre à la grande industrie. » (Marx, Manuscrits de 1857-1858, Grundrisse, Editions sociales, T.2, p.209)

[12] Cf. Marx, Manuscrits de 1857-1858, Grundrisse, Editions sociales, T.2, p.195

[13] Par exemple, dans le graphique qui prend l’exemple de g=20%, la part de la reproduction simple est supérieure ou égale à 30% - pour un maximum de 33% - quand le temps de rotation est compris entre 3,2 à 10,9 années.

[14] Bien que les gouvernements l’aient pratiqué avant même la naissance de Keynes ou sans vraiment tenir compte de son avis du temps où il en émettait.

[15] Les rapports supprimés sont 2009 ; 1 : -4 ; 2009 ;2 :-1,4 ; 2009 ; 3 : -1,1 ; 2009 ; 4 : -3,6 ; 2010 ; 1 : 10,4

[16] Il pourrait en aller différemment pour cette analyse extraite de l’article d’Auerbach et Gorodnichenko consacré à la mesure des effets de la politique fiscale. (Mesuring the outpout responses to fiscal policy ; http://www.nber. org/papers/w16311)

[17] Pour faciliter la mise en page, toutes les données ont été multipliées par 3.