AVERTISSEMENT : 
Ce texte est un des seuls travaux collectifs qui aient paru dans la RIMC. Il a été par la suite traduit en allemand par les camarades de IRK.

 
 

DIALECTIQUE DES FORCES PRODUCTIVES ET DES RAPPORTS DE PRODUCTION DANS LA THEORIE COMMUNISTE.
 

Communisme ou Civilisation - Comunismo - L'Union prolétarienne.

DIALECTIQUE DES FORCES PRODUCTIVES ET DES RAPPORTS DE PRODUCTION DANS LA THEORIE COMMUNISTE.

"En étudiant chacune de ces évolutions à part et en les comparant ensuite, l'on trouvera facilement la clé de ces phénomènes, mais l'on n'y arrivera jamais avec le passé. Partant d'une théorie historico-philosophique générale dont la suprême vertu consiste à être supra-historique."
(Marx à Mikhaïlovsky. Nov 1877. Pléiade T.2. p.1555)

Introduction.

Ce travail a été entamé au cours de l'année 1990, conjointement par le groupe Comunismo, dissous depuis, Communisme ou Civilisation et l'Union prolétarienne. Le texte que nous publions aujourd'hui est le fruit de discussions et de réflexions communes sur la théorie de la décadence. Il concerne l'aspect historique et conceptuel de cette notion, rapportée à la théorie communiste authentique du développement des forces productives. Il est important ici de souligner que ce travail commun a pu avoir lieu parce que les différents participants ont forgé, à travers leur participation commune à la RIMC, des liens capables de dépasser le sectarisme et l'émiettement des forces. Au-delà des positions programmatiques de base exprimées dans la page de garde et qui fondent l'essence du programme communiste, la participation à la RIMC n'implique pas un accord formel complet sur toutes les positions politiques. Nous avons toujours insisté sur le caractère "technique" de l'instrument que pouvait être une revue commune. Les divergences théoriques et politiques concrètes ne pourront être dépassées que par un réel travail théorique commun et surtout par le mouvement de la lutte de classes lui-même. Le travail présent de critique de la théorie de la décadence, est un bon exemple de ce type d'effort, même s'il n'implique pas que les différents intervenants aient aplani la totalité de leurs divergences politiques et théoriques.

Le but de ce travail est d'effectuer une critique globale et définitive du concept de "décadence" qui empoisonne la théorie communiste comme une de ses déviations majeures nées dans le premier après-guerre, et qui empêche tout travail scientifique de restauration de la théorie communiste par son caractère foncièrement idéologique. Des courants comme le CCI, la CWO, Battaglia Comunista, Kamunist Kranti, ou la FECCI défendent une même conception de l'histoire. Dans les plate-formes et documents programmatiques de ces organisations nous rencontrons, pour l'essentiel, la même hypohèse sur "le frein irréversible" des forces productives, comme base fondatrice de leur conception décadenciste de l'histoire. Il faudrait se demander alors quelles sont les origines immédiates d'une telle théorie totalement déviationniste par rapport au programme communiste. L'hypothèse d'un "frein irréversible" des forces productives n'est que la déduction, sur le plan théorique, d'une impression générale léguée par la période qui marque l'entre deux-guerres où l'accumulation capitaliste a, de manière conjoncturelle, du mal à redémarrer.

"C'est à cette époque que Trotsky pouvait déclarer en tête du programme de transition que les forces productives de l'humanité ont cessé de croître. "Les nouvelles inventions et les nouveaux progrès techniques ne conduisent plus à un accroissement de la richesse matérielle." (Trotsky - programme de transition"." (CouC N°22 p.5)

Ainsi, certains courants de la Gauche Italienn comme BILAN essayèrent d'expliquer et de théoriser cette situation à partir de la théorie luxembourgiste de l'accumulation. Pour Bilan la société capitaliste, à cause de la nature des contradictions inhérentes à son mode de production, ne peut ultérieurement résoudre sa mission historique : développer de manière continue et progressive les forces productives et la productivité du travail humain. La révolte des forces productives contre leur appropriation privée est devenue permanente. Le capitalisme est entré dans sa crise générale de décomposition. (cf Bilan N°2 - 1934).

Ici, Bilan oublie une règle fondamentale de la dialectique communiste, que nous nous attacherons à développer ci-après : dans le capitalisme, le conflit historique se noue entre forces productives et rapports de production. Lorsque ces derniers deviennent trop étroits pour le développement des premières, il y a crise. Mais dans cette contradiction, il faut voir le jeu d'un rapport et non une limite absolue à l'expansion des forces productives qui, par définition sont toujours en mouvement.

Bilan développe sa théorie de la décadence du capitalisme, de "crise générale de décomposition" pour essayer d'expliquer les phénomnes historiques particuliers de l'entre deux guerres, qu'il va considérer comme irréversibles. Mieux, Bilan estime que cette période de stagnation permanente du capital se caractérise par la révolte continuelle des forces productives. Comme on peut l'observer, aussi bien le schéma théorique de Trotsky que la théorie de la "crise générale de décomposition" du capital, trouvent leur origine dans la période historique particulière de développement capitaliste qui eut lieu entre la première et la deuxième guerre impérialistes, et dans laquelle on eut une apparente interruption dans le développement des forces productives du travail. Néanmoins, il est nécessaire de réfléchir aux causes réelles qui provoquèrent cette période de stagnation du capital. Cet épisode momentané et particulier dans l'histoire du MPC s'explique par le fait que le capital à cette époque ne réussit pas à restaurer totalement sa domination sur le prolétariat.

"On ne peut pas comprendre les raisons de la stagnation du capitalisme dans l'entre deux-guerres si on ne tient pas compte de la lutte des classes.

Entre 1917 et 1919, le prolétariat fut mençant et il ne fut pas possible de le domestiquer afin de lui extraire une quantité de plus-value (...) la tendance du prolétariat à se constituer en tant que classe et donc à poser la réalisation de la véritable communauté humaine a empêché, a freiné l'édification du capital (...) le vaste soulèvement - malheureusement non coordonné et incapable d'arriver à une vision claire des objectifs - du prolétariat des pays capitalistes, de celui des pays coloniaux, aidé de millions de paysans attirés dans l'orbite de la révolution."

(Invariance N°6 p.115)

De telle façon que, aussi bien Trotky que Bilan donnèrent une importance excessive à une interruption momentanée de l'accumulation capitaliste, et là considérèrent comme irréversible.

"Ils l'ont théorisée comme un fait irréversible. Leur erreur fondamentale est d'avoir dans leur analyse, séparé mouvement économique et lutte de classes."
(idem)

Dans les deux théorisations (Trotsky-Bilan) on trouve la même erreur d'analyse de base dans l'étude abstraite des conditions éconmiques, sans prendre en compte la spécificité de la période et la lutte de classes. Cette erreur les conduit à gommer les particularités de la période historique et à généraliser les phénomènes économiques en une "nouvelle époque de la vie du capital", développant ainsi la théorie abstraite d'une soi-disant phase décadente du capitalisme.

Cependant, à l'intérieur des deux discours théoriques, nous allons rencontrer des éléments de vérité, dans la mesure où ils se réfèrent à une situation réelle de stagnation et de paralysie momentanée de la production qui eut lieu entre les deux guerres. Ainsi dans le discours des ancêtres immédiats de la théorie décadenciste contemporaine, il existe une certaine logique et une certaine vérité, dans la mesure où, au cours de cette période, le MPC connut de fortes diffisultés pour mener à bien son procès de reproduction. (En remontant plus avant dans le temps, au coeur même de la vague révolutionnaire, on peut retrouver la même trace d'illusions liées à un certain optimisme révolutionnaire, aussi bien chez Rosa Luxembourg que chez les bolchéviks et dans l'Internationale Communiste, puisqu'on était persuadé, à l'époque, que la crise que connaîssait le capital devait lui être fatale. En fait, de telles erreurs d'appréciation commises "à chaud" ne sont pas graves, sur le plan historique, si, une fois la conjoncture historique modifiée, le mouvement est capable de reconnaître la défaite et de reconsidérer ses analyses. Comme le souligne Invariance, la force du mouvement réside dans sa capacité à intégrer les discontinuités et les ruptures.

Cette paralysie momentanée de la reproduction et de l'auto-valorisation du capital s'explique par le fait qu'alors, le MPC ne réussissait pas à se stabiliser (dans les sphères de la production, de la circulation, de la politique etc.) après le "choc" provoqué par la première guerre mondiale et la confrontation violente entre prolétariat et bourgeoisie qui s'en suivit dans les pays capitalistes d'Europe et les autres aires entre 1914 et 1928. C'est pourquoi, vingt ans après, il y eut une deuxième conflagration mondiale encore pire que la première, qui permit cette fois au capital, à la fois d'écraser de manière durable le prolétariat dans une contre-révolution dont il ne s'est pas encore sorti, et de relancer une formidable période d'accumulation, telle qu'il n'avait jamais encore connu dans son histoire. C'est pourquoi, même si les théories des années 30, encore que fausses, possèdent des "circonstances atténuantes", leur reconduction comme théorie principale à l'issue de la seconde guerre mondiale est une faute impardonnable.

Les descendants modernes de la tradition théorique de Bilan, c'est-à-dire le CCI, la FECCI et la CWO ont pris comme point de référence programmatique cette "théorie" de la "crise générale de décomposition" (liée comme nous l'avons vu, à une étape très localisée et spécifique de l'histoire du MPC) de manière a-critique et en acceptant "a priori" son erreur analytique de base. Ces groupes, en se réappropriant les théories de Bilan, non seulement reproduisent l'erreur théorique de base, mais encore en développent les conséquences idéologiques de manière totalement délirante et idéaliste. Ainsi ces "nouvelles théories" sont le produit d'un raisonnement de type a-critique, qui a abstrait à un tel point les théorisations de Bilan qu'il les a vidées de toute signification ou contenu original, et par conséquent, les a déformées jusqu'à l'absurde.

Toutes les "nouvelles théories" du décadencisme sont le produit d'un double processus de déforamtion des positions de Bilan ou de Trotsky : en premier lieu le détournement de leur signification théorique originale, en second lieu l'abstraction par rapport au contenu particulier à laquelle ils correspondaient, dans la mesure où cette théorie était historiquement déterminée dans le cadre d'une phase particulière et momentanée du développement historique du MPC.

En résumé, la notion moderne de décadence a généralisé par analogie un série de traits spécifiques sortis de leur contexte historique, en une nouvelle théorie de la décadence qui se présente comme universellement valable, non seulement pour toute la période historique du MPC, mais aussi, en une volonté effrénée de fonder "historiquement" l'erreur théorique de base, pour tout le cours historique de l'humanité. Ainsi, les modernes "théoriciens" de la décadence, afin de développer leur conception innovatrice partirent d'une théorie particulière et d'une situation historique singulière et atypique du MPC, et la généralisèrent, gommant ainsi sa spécificité historique, créant un concept idéologique fondateur d'une conception mythique de l'histoire.

Cette conception décadenciste de l'histoire dans sa formulation vulgaire moderne (CCI, FECCI, CWO), fonde son analyse sur une méthode analogique proche d'un matérialiste mécanise et naturaliste, d'un "darwinisme social" fondé sur une conception d'un cycle quasi biologique d'ascendance et de décadence pour chaque société conçue comme un être vivant, et qui sert de fondement à une vision gradualiste et fataliste de l'histoire. Au fond, la méthode par abstraction d'analogies conduit les "théoriciens" de la décadence à tenter d'expliquer le cours de l'histoire humaine et du MPC à partir d'un ensemble de lois extérieures et déduites a priori. En faisant abstraction des spécificités historiques de chaque mode de production, ils font abstraction de ses lois et catégories spécifiques, par exemple dans le cas du MPC, de la périodisation en phase de soumission formelle et phase de soumission réelle du travail au capital etc.

Il va de soi qu'une telle méthode d'analyse n'a rien à voir avec la théorie communiste ; elle reproduit même des théories de l'histoire purement bourgeoises qui ont inspirées certains philosophes du 19° siècle. Ainsi Schlegel, dans sa "Philosophie de l'histoire" (1826) défend la conception d'un cours naturaliste de l'histoire où, lorsque la société humaine s'affaiblit (ce qui, pour lui, arrive cycliquement), le chaos de la nature reprend le dessus. De semblables idées sont véhiculées par le romantisme allemand et des auteurs ultérieurs comme Vollgraff et Van Lasaulx. Ces théories se caractérisent par les deux traits suivants :

1°/ une interprétation naturaliste de la civilisation humaine.

2°/ l'utilisation d'une méthode analogique pour appréhender le cours de l'histoire humaine.

C'est dans un cadre idéologique de même nature que se trouve engluée la conception décadenciste propre aux héritiers de Trotsky/Bilan qui, au fur et à mesure, se sont nourris - souvent même inconsciemment - de représentations bourgeoises héritées de ces théories.

Ainsi, la théorie de la décadence se trouve incapable, non seulement de comprendre les règles de fonctionnement du MPC, mais aussi les lois historiques qui dirigent toutes les sociétés et toute l'histoire humaine.

Plusieurs volets sont prévus à ce travail critique. Le thème de ce chapitre concerne la critique méthodologique et historique de la notion même de décadence.

Si l'état de "décadence" du MPC ne peut pas être prouvé de manière matérialiste en ce qui concerne les fondements économiques du MPC, il peut encore moins servir comme concept historique "permanent" valable pour tous les modes de production à travers l'histoire. Du point de vue logico-philosophique ou plutôt du point de vue du matérialisme historique, le concept de décadence n'a aucune cohérence. Il ne fait pas partie de l'arsenal théorique du programme communiste. Et en tant que tel il doit être rejeté. Encore faut-il argumenter ce rejet.

Pour le CCI, tout mode de production connaît obligatoirement une phase ascendante et une phase de décadence. Tel est le cycle immuable que connaîtrait invariablement la succession des modes de production à travers l'histoire. Le concept de "décadence" acquiert ainsi une sorte de transparence a-historique que nous allons essayer de critiquer ici.

Si nous prenons cette affirmation, de plus près, nous pouvons la décomposer en deux moments :

Premier temps : le CCI caractérise la décadence comme un freinage définitif, "irréversible" du développement des forces productives (cf. RI N°4 1972 p.38). Il faut donc en conclure, logiquement, que toute forme ou mode de production dans l'histoire connaît une phase de "freinage irréversible" des forces productives.

Deuxième temps : le CCI, qui se veut marxiste, est bien obligé de mesurer sa théorie aux affirmations classiques de la théorie communiste. Entre autres les fameuses affirmations de Marx où il est précisé que :

"Jamais une société n'expire avant que soient développées toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir",

et,

"A un certain degré de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en collision avec les rapports de production existants, ou aec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors (...) Alors commence une ère de révolution sociale."

Le CCI prend la peine de souligner le membre de phrase "alors commence", sans soute pour mettre l'accent, en bon gradualiste qu'il est, sur le caractère progressif du mouvement qu'il pense ainsi désigner. Or, on pourrait tout assi bien souligner le mot "révolution sociale", qui précisément signifie le contraire, un révolution étant le bouleversement violent de l'ordre existant, autrement dit, une rupture qualitative brutale dans l'ordonnance des choses et des évènements.

Le CCI a beau relever, dans la phrase, ce qui fait penser à un caractère graduel, c'est insuffisant pour transformer ces affirmations de Marx en une conception de la décadence comme "frein irréversible" des forces productives. Au contraire, Marx montre ici que les bouleversements révolutionnaires qui scandent toute l'histoire humaine depuis les commnautés communistes primitives viennent de ce que, à un moment donné les forces productives rentrent en collision avec les rapports de production existants.

Donc, pour rester logiques, si l'on en reste à une définition de la décadence comme freinage des forces productives, on voit mal comment celles-ci peuvent se sentir entravées dans les rapports de production existants. Si ce n'est pas le trop fort développement des forces productives qui rendent ces rapports de production trop étroits, et les condamne ainsi à être dépassés, on ne voit pas pourquoi ces rapports cesseraient d'être opérants vis-à-vis de forces productives données. On ne voit pas alors pourquoi ils feraient place à des rapports de production nouveaux. A moins de tomber, ce que fait effectivement le CCI, dans le gradualisme le plus plat ou les rapports sociaux de production s'essoufflent pendant des siècles avant que n'intervienne un changement révolutionnaire.

Inversement, si l'on pense, comme Marx, que c'est le développement des forces productives qui, à un moment donné, rend caducs les rapports de production existants, on se situe dans une vision dialectique de l'histoire, où la base matérielle de la société exige le bouleversement violent des anciens rapports de production et leur remplacement par de nouveaux, plus aptes à encadrer le développement matériel de la société. On est alors bien loin des "longues transitions" et des "mouvements lents" de l'histoire (cf. Revue Internationale N° 55 1988 p.16) que le CCI adore.

Il résulte de tout ceci que le CCI commet une incroyable confusion entre "forces productives", "rapports de production", "mode de production".

Avant de reprendre par le détail la succession historique telle qu'elle st vue par le CCI, il faut donc réexposer ces notions de base du programme communiste, afin d'en finir une fois pour toutes avec cette confusion.

I. DEFINITIONS THEORIQUES DE BASE.

La théorie communiste désigne sous le nom de forces productives l'ensemble des capacités pratiques déployées par l'éspèce humaine dans son activité de production et de reproduction de la vie matérielle.

Appropriées par l'homme, les forces productives naturelles prennent ainsi la forme de véritables "organes productifs" de l'espèce humaine. Ces organes productifs (que Marx qualifie de forces productives acquises) sont le produit, le résultat, de l'énergie pratique déployée et objectivée par l'espèce humaine dans son activité vitale, sa vie productive comme éspèce face à la nature.

Ainsi, les forces productives prennent la forme d'organes de la vie productive de l'homme, "organes qu'il ajoute aux siens de manière à allonger, en dépit de la bible, sa stature naturelle." (Marx. Le Capital, I, Pléiade p.729). En d'autres termes, les forces productives constituent une prolongation des sens et organes naturels de l'homme.

L'homme est un être social-pratique, qui ne s'affirme objectivement face à la réalité extérieure que par son activité pratique, le travail social, et en tout premier lieu face à la nature (corps inorganique de l'homme). C'est pourquoi Marx qualifie le travail - indépendamment de ses formes - comme l'activité "générique" et vitale de l'homme, c'est-à-dire celle qui le produit et le reproduit comme genre, comme espèce.

"Concrètement, l'universalité de l'homme apparaît précisément dans le fait que la nature entière constitue son prolongement non organique dans la mesure où elle est son moyen de subsistance immédiat et la matière, l'objet et l'outil de son activité vitale. La nature, pour autant qu'elle n'est pas elle-même le corps humain, est le corps non organique de l'homme. L'homme vit de la nature, ce qui signifie que la nature est son corps et qu'il doit maintenir des rapports constants avec elle pour ne pas mourir. Dire que la vie physique et intellectuelle de l'homme est liée à la nature ne signifie rien d'autre que la nature est liée à elle-même car l'homme est une partie de la nature." (Karl Marx. Economie et Philosophie. La Pléiade T.2 p.62. Souligné par nous).

Le travail humain, l'activité productive de l'espèce, qui le distingue radicalement des autres espèces animales, est donc la première force productive . Cette force productive n'est pas individuelle, mais sociale, et elle prend un sens de plus en plus social au fur et à mesure que l'humanité progresse dans son auto-développement et sa maîtrise de la nature extérieure.

L'énergie naturelle, comme le débit des fleuves, ou la production naturelle, comme la croissance des plantes, sont aussi des forces productives, mais elles n'acquièrent véritablement cette qualité que dans la mesure où le travail humain s'en saisit pour les mettre à son service.

Par "forces productives", on ne doit pas seulement entendre la pure dépense de travail physique, de force brute immédiate, mais tout le travail social. Celui-ci devient également social à travers tout ce qu'il est obligé de mettre en branle pour devenir travail de l'espèce : les techniques, le développement de la science, les instruments de travail, machines etc. Plus la société évolue, plus d'ailleurs cette médiation est importante. Ces éléments sont appelés les moyens de production et ils ne sont qu'une prolongation, une extension des sens et organes humains.

"Les forces productives sont le résultat de l'énergie pratique des hommes, mais cette énergie elle-même est circonscrite par les conditions dans lesquelles les homme se trouvent placés, par les forces productives déjà acquises, par la forme sociale qui existe avant eux qu'ils ne créent pas, qui est le produit de la génération antérieure."

(Karl Marx, lettre à Annenkov. Pléiade T.1. p.1439)

Ainsi, Marx souligne une notion fondamentale pour la théorie communiste, qui est celle de la continuité entre les générations. Une phase de "décadence" généralisée à toute l'espèce et toute l'histoire humaine est ainsi impossible puisque, comme le souligne Marx dans "L'Idéologie Allemande", un arrêt de la production, même de 24 heures, ramènerait l'espèce à un état de barbarie généralisée.

Toute force productive du travail social est une force productive acquise, c'est-à-dire qu'elle est le résultat de l'activité pratique d'une étape antérieure du progrès humain, et point de départ d'une nouvelle étape. Ainsi toute étape ultérieure du progrès humain se trouve déterminée par les forces productives du travail social acquises lors de l'étape antérieure.

Les moyens de production, de par leur existence sociale, incluent plus que leur simple forme d'élément matériel. Une machine est un moyen de production, mais elle est plus que son poids de métal et sa forme technique. Elle est le produit d'un développement social et implique donc un certain degré de développement des forces productives. La science qui y est incluse est le fruit d'un développement intellectuel, mais cet élément intellectuel prend une forme matérielle/pratique dans l'existence de la machine. Contre l'idéalisme de Staline, par exemple, qui considérait le langage comme une superstructure, Bordiga rappelait que pour le communisme, le langage est un élément matériel qui fait partie des moyens de production (cf. Facteurs de race et de nation).

En tant qu'elles incarnent le contenu de l'activité essentielle de l'espèce humaine à un moment donné de son histoire, les forces productives nécessitent une forme qui leur soit adéquate pour se déployer. Ces formes varient historiquement et sous l'effet de facteurs géographiques ou climatiques. Lorsque le travail productif de l'homme s'exerce sous la forme de l'esclavage, du servage, de l'artisanat ou du salariat, on dit qu'il s'exerce au sein de certains rapports de production.

Les rapports de production se fondent d'abord sur un certain état de fait matériel. Lorsqu'une tribu s'empare des guerriers vaincus pour en faire des esclaves, elle les transforme en ses propres moyens de production. Ce faisant elle s'inscrit dans un type de rapport de production désigné comme esclavagisme. De même, pour ce qui concerne le capitalisme, c'est le rapport matériel qui existe entre une classe qui monopolise les moyens de production et d'échange (la classe capitaliste) et une classe qui ne possède rien d'autre que sa force de travail (le prolétariat) qui forme la base du salariat. Ce n'est qu'à un second niveau que ces rapports de production vont, en se stabilisant, produire une forme juridique et une organisation politique qui leur soient adéquates, permettre le développement d'une conscience et d'une idéologie propre etc.

L'ensemble des rapports de production et des superstructures qui en découlent forme une organisaton sociale d'un certain type que l'on appelle "forme" ou "mode de production".

Toute force productive s'inscrit dans un type de forme de production qui varie au cours de l'histoire. Le rapport entre forces productives et rapports de production est un rapport de nature dialectique. C'est-à-dire que le développement des forces productives influe sur les rapports de production, mais quen retour ceux-ci modèlent, selon certaines règles, les forces productives qu'ils encadrent.

Ni la succession des formes de production, ni le développement des forces productives ne suivent un cheminement linéaire, qui serait celui d'une croissance et d'un progrès continu.

"Nous ne mettrons en relief que les traits caractéristiques : pour les époques géologiques il n'y a pas de ligne de démarcation rigoureuse."

(Karl Marx. Le Capital L.I t.1 Pléiade p.914)

Pour désigner les grandes étapes du développement de l'humanité, la théorie communiste parle de succession des formes de production. Elle regroupe ainsi les différentes grandes étapes du développement de l'humanité selon une typologie en cherchant, par-delà les variations propres aux aires géo-historiques, les caractéristiques communes aux étapes successives du développement social de l'espèce humaine.

En fait, ce qui vaut pour caractéristique commune des différentes formes étudiées n'est pas du ressort exclusif de la technique (développement des forces productives) ou de l'organisation sociale (succession des formes de production). Le fil conducteur qui relie entre elles les différentes étapes de l'histoire de l'humanité se trouve principalement dans le PROCES D'AUTONOMISATION DE LA VALEUR ET DE SES FORMES. A partir de la dissolution des communautés communistes primitives, c'est-à-dire à partir du moment où à côté de l'usage des objets et de la production pour l'usage, ces objets acquièrent une valeur (d'échange), il existe un devenir vers le capital, c'est-à-dire vers la valeur intégralement autonomisée.

Cependant, ce devenir n'est pas, lui non plus, linéaire et automatique. On trouve dans certaines branches de l'espèce humaine età certaines époques, une involution de ce phénomène, et un recul de la valeur au profit d'un retour à des formes d'économie naturelle. C'est le cas durant tout le moyen-âge à la campagne, où il revient aux villes, et au sein des villes surtout aux corporations de marchands formant l'embryon de la classe bourgeoise, d'incarner le développement de la valeur. D'où (entre autres), la stupidité d'appliquer unilatéralement le concept de "décadence" à des époques aussi radicalement différentes dans leur essence que la deuxième partie du moyen-âge, et l'époque capitaliste après 1914.

II. SUCCESSION DES FORMES DE PRODUCTION.

a/ Les communautés communistes primitives.

Vers le mlieu du XIX° siècle déjà, les travaux des savants bourgeois ont montré que la première forme sociale de l'humanité, dès qu'elle est suffisamment développée pour s'émanciper de sa situation purement animale, est caractérisée par un mode de production communautaire. C'est le groupe, le clan, la horde, qui fournissent la médiation organique à travers laquelle l'homme se constitue en tant qu'espèce pour affronter la nature. La théorie communiste, en reprenant ces travaux, notamment ceux de Morgan, en a élargi la portée en montrant que cette production communautaire se caractérisait par l'absence des catégories de l'économie politique moderne, vantées par les bourgeois comme étant des catégories naturelles, et donc éternelles, de la production. Le stade des communautés communistes primitives (terme préféré à celui de "communisme primitif", car il n'existait pas d'unité suffisante entre les diverses tribus ou sociétés pour justifier l'existence d'un véritable communisme qui est, lui, unitaire et mondial) par lequel démarrent toutes les sociétés humaines, ne connaît ni l'argent, ni l'échange généralisé de marchandises, ni le pouvoir politique, ni les classes.

Cependant, cette harmonie sociale, qui implique la mise en commun de tous les moyens de production, de consommation et de "distribution" des produits, n'est possible à l'époque que sur la base d'un très faible développement des forces productives et implique que l'espèce humaine soit totalement sous l'emprise de la nature et subisse sa domination. L'espèce ne dispose alors d'aucun moyen de contrôler son propre développement. A la recherche de terres, les tribus nomades se heurtent entre elles et se livrent à la guerre pour assurer leur subsistance. Parlant de cette époque, Marx caractérise la guerre comme faisant partie des "grands travaux" de la communauté. De même, l'accroissement démographique au sein de la communauté en fait éclater le cadre pour la simple raison que la commune ne maîtrise pas assez les conditions naturelles et techniques de son développement pour faire face aux multiples facteurs de destruction qu'elle est appelée à rencontrer. Ces facteurs peuvent être internes (poids démographique, incapacité à subvenir aux besoins) ou externes (guerres avec d'autres tribus, calamités naturelles, et, à un certain stade de développement, destruction brutale par le colonialisme - Asie, Amérique Latine, Afrique).

Marx souligne que cette forme collective d'appropriation du sol et des produits du travail est la forme obligée par laquelle s'affirme l'être social de l'homme.

"Cela étant, la communauté tribale, la communauté naturelle, apparaît non pas comme le résultat, mais comme la condition de l'appropriation (temporaire) et de l'utilisation communes du sol. Une fois fixée, cette communauté subira des modifications plus ou moins profondes, suivant les diverses conditions extérieures - climatiques, géographiques, physiques etc.- et ses dispositions naturelles, son caractère tribal. La communauté tribale primitive, ou, si l'on veut, l'état grégaire, est la première condition - la communauté du sang, de la langue, des coutumes etc. - de l'appropriation des conditions objectives de la vie et de l'activité reproductive et créatrice de produits (comme bergers, chasseurs, cultivateurs etc.)"

(Formes précapitalistes. In Grundrisse. Pléiade t.2 p.313).

A partir de cette matrice unique naîtront diverses formes de communautés, que la théorie communiste qualifie de "formes de production secondaires".

b/ Les formes de production secondaires.

Rosa Luxembourg, qui inspire en principe le CCI, a étudié de près la question de la succession des formes de production et a consacré de larges développements aux sociétés primitives. De si près qu'elle ne tombe pas dans le piège grossier consistant à reproduire mécaniquement pour chacune d'entre elles un schéma qui incluerait automatiquement une phase de décadence.

Au contraire, observant la réalité historique, elle écrit ceci :

"Deux faits frappent losqu'on examine attentivement les destins de la communauté agraire dans les différents pays et continents. Loin d'être un modèle immuable et rigide, cette forme ultime et la plus élevée du système économique communiste primitif manifeste avant tout une infinie diversité, souplesse et capacité d'adaptation au milieu historique. Dans chaque milieu et dans toutes les circonstances, elle passe par un insensible processus de transformation qui s'opère si lentement qu'il n'apparaît d'abord pas à l'extérieur ; il remplace, à l'intérieur de la société, les structures vieillies par de nouvelles, sous toutes les superstructures politiques des institutions étatiques indigènes ou étrangères, dans la vie économique et sociale, il est sans arrêt en train de naître ou de disparaître, de se développer ou de péricliter.

Grâce à son élasticité et à sa capacité d'adaptation, cette forme de société est d'une ténacité et d'une solidité extraordinaires. Elle défie toutes les tempêtes de l'histoire politique, ou plutôt elle les supporte toutes, les laisse passer sur elle et subit patiemment pendant des siècles la pression des conquêtes, des despotismes, des dominations étrangères, des exploitations. Il n'y a qu'un contact qu'elle ne supporte pas et auquel elle ne survit pas : celui de la civilisation européenne, c'est-à-dire du capitalisme. Partout sans exception, le heurt avec ce dernier est mortel à l'ancienne société, et il aboutit à ce que des millénaires et les plus sauvages conquérants orientaux n'ont pu accomplir : à dissoudre de l'intérieur cette structure sociale, à briser les liens traditionnels et à transformer la société en un amas de ruines informes."

(Rosa Luxembourg. Introduction à l'économie politique. 10/18 pp.203/4)

Dans leur diversité, les formes de production secondaires connaissent différents types d'évolution. Le CCI, nous ramenant sur les bancs de l'école, explique qu'il est inutile de s'arrêter à cette période, car "tout le monde a au moins une fois dans sa vie entendu parler de la décadence de Rome" (Revue Internationale N°55 p.16). Or, précisément il est important de s'y arrêter, car si la notion de décadence peut s'appliquer à l'Empire Romain, il n'en va pas de même pour les autres formes.

Dans le même temps où la grande propriété foncière de type latifundiaire périclitait à cause de sa faible productivité, à l'Est, des formes communautaires plus jeunes continuaient à exister (forme germanique). En déferlant sur l'Europe, les envahisseurs germaniques apportèrent, comme Marx et Engels l'ont montré, un facteur de régénération des anciens domaines latifundiaires, et ce renouveau insufflé par une forme communautaire barbare plus jeune fut à la base du passage au féodalisme. Aussi, dire que "la féodalité naît au sein de la décadence de Rome", comme le fait le CCI, c'est ne pas tenir compte du fait que le féodalisme naît de la fusion de deux formes distinctes d'une même catégorie de formes de production (dites secondaires) : la romaine et la germanique.

Si nous prenons, par exemple, l'autre grande forme de production secondaire, la forme "asiatique", qui régnait en Inde, en Chine et qu'on retrouve également en Afrique ou en Amérique Latine, ce qui caractérise cette forme, c'est sa grande stabilité au cours des siècles. Ici, au-dessus des communautés villageoises s'érige une super-communauté, qui est l'Etat chargé d'assurer les grands travaux d'aménagement (irrigation) et de défense du territoire. Cette communauté supérieure, vit de l'exploitation des multiples communautés qui produisent, elles, pour leurs propres besoins selon une division du travail très précise et qui versent l'impôt au pouvoir central. Parfois, comme au Pérou, par exemple, les deux strates de ces communautés correspondent à deux peuples différents. Rosa Luxembourg explique comment les Incas avaient conquis les tribus locales organisées en système communiste, et avaient greffé sur ce système leur propre système communautaire.

"Nous avons ici, dans une certaine mesure, deux couches sociales, l'une au-dessus de l'autre, toutes deux organisées intérieurement selon un mode communiste, et vivant entre elles dans des rapports d'exploiteurs à exploités."

(idem. p.173)

Nulle "décadence" ici, mais destruction brutale par les conquérants espagnols.

Pour ce qui concerne la Chine ou l'Inde, Marx signale que la profonde stabilité de la sphère productive, sur la base de l'organisation communautaire, se double au niveau de l'Etat, d'une situation de bouleversements politiques réguliers menant à des guerres, aux chutes des dynasties etc. La spécificité de la forme asiatique consiste dans sa base productive qui réside dans les myriades de communautés villaeiss, à l'économie très organisée (division du travail) et qui subviennent à leurs propres besoins sur la base d'un certain développement des forces productives. Les conditions naturelles des zones dans lesquelles le mode de production asiatique est implanté exigent qu'au-dessus de ces communautés qui assurent le fonctionnement matériel de la société, un organisme se charge des grands travaux, notamment d'irrigation, nécessaires à la survie du système tout entier.

C'est pourquoi les sociétés asiatiques connaissent toutes un profond développement de l'Etat et de la bureaucratiue, qui se chargent d'assurer l'unité du territoire (services communs : routes, poste, impôts, défense etc.) et les grands travaux d'aménagement ou de défense que les communautés villageoises ne peuvent pas assurer elles-mêmes. Pour cela, l'Etat central est obligé de recourir à l'impôt et s'empare en fait du surproduit dégagé dans l'activité productive quotidienne. Ce qui explique l'apparente fixité historique de cette forme, tout le produit qui pourrait servir à l'accumulation étant en fait dirigé vers et absorbé par l'Etat qui l'utilise en partie à des travaux productifs, en partie à des dépenses improductives (frais de la cour, dépenses somptuaires).

Cette organisation sociale, qui s'est conservée durant des millénaires, poduit sur le développement de la sociétés les conséquences suivantes. Comme le montre Pierre Souyri, à propos de la Chine, dans son ouvrage "Révolution et contre-révolution en Chine", on a une perpétuelle oscillation entre l'émiettement, le délitement de l'ensemble social, et, au contraire la centralisation et la bureaucratie. Toute l'histoire de la Chine est celle de l'affrontement des forces centrifuges et centripètes, les unes plongeant régulièrement le royaume ou l'Empire dans l'anarchie la plus sanglante, les autres restaurant à intervalles réguliers des dynasties qui se fixent pour tâche de restaurer un état despotique centralisé capable d'unifier tout le territoire concerné.

Les causes premières des révoltes qui jettent périodiquement les communautés paysannes en sédition vis-à-vis de l'Etat central et réactivent les royaumes locaux, dans une perspective de "re-féodalisation" de la nation, résident précisément dans le joug de l'Etat le poids de l'impôt, qui amènent les paysans à briser leur lien avec l'Etat. Du même coup, ce dernier, privé des subsides nécessaires à sa survie, s'effondre, et on rentre dans une période d'anarchie généralisée. Mais de ce fait, les grands travaux, traditionnellement à la charge de l'Etat, ne sont plus assurés. Les circuits d'irrigation ne fonctionnent plus, les routes ne sont plus entretenues, les communications sont coupées etc. A nouveau se fait jour alors la nécessité, pour les communautés villageoises, de l'assistance d'un pouvoir fort qui assumera les tâches collectives que leur émiettement ne permet plus d'assurer.

A travers donc des épisodes politiques extrêmement brutaux, des guerres etc. on en revient toujours au même point, et la société se recompose toujours au même niveau et avec la même organisation. Là encore nulle "décadence", jusqu'à ce que l'intrusion brutale du capitalisme par le biais du colonialisme étranger introduise des germes délètères qui détruisirent, tout comme en Inde d'ailleurs, les fondements traditionnels de la société asiatique. Lorsque les impérialistes débarquèrent en Chine, celle-ci venait d'entrer dans une de ces phases de turbulences avec la révolte des Taïping contre la dynastie Mandchoue.

Un autre exemple qui dément totalement la thèse de la "décadence" systématique des formes de production secondaires, est celui de la commune russe. On sait que Marx et Engels, dont l'attention sur la question fut attirée par les populistes russes, Vera Zassoulitch en tête, étudièrent la question de savoir si les restes vivaces de "l'artel" russe ne permettraient pas de faciliter dans cette zone géographique le passage direct au socialisme. Bel exemple de décadence ! Mais poursuivons sur ce sujet, car il est plein d'enseignement sur les pratiques du CCI.

Dans la "Revue Internationale" N°55, ce dernier cite Marx :

"L'histoire de la décadence des sociétés primitives (...) est encore à faire. Jusqu'ici on n'a fourni que de maigres ébauches (...) Deuxièmement les causes de leur décadence dérivent de données économiques qui les empêchaient de dépasser un certain degré de développement (...) En lisant les histoires de communautés prmitives écrites par des bourgeois, il faut être sur ses gardes."

(Lettre à Véra Zassoulitch).

Nul doute que le CCI utilise cette citation car elle contient deux fois le mot "décadence", ce qui est rare chez Marx, pour lequel ce terme n'a jamais eu de valeur de concept scientifique. Mais le lecteur aura remarqué également une alarmante concentration de coupures, matérialisées par des (...) dans le texte. Chez tout littérateur "honnête", ce procédé typographique est en général utilisé pour signaler que l'on a supprimé des passages non essentiels pour la compréhension globale du texte et la démonstration. Mais le CCI n'est pas honnête ; il est même foncièrement malhonnête, ce qui ne doit rien à la morale, mais à l'imbécillité foncière et à la sclérose d'une pensée qui est incapable d'intégrer les éléments susceptibles de la remettre un tant soit peu en question.

Il nous faut donc faire de l'analyse de texte, ce qui n'est jamais drôle, mais le CCI nous y oblige. Nous restaurons donc ici en intégralité le texte de Marx à Vera Zassoulitch. En retour, nous nous sommes permis de marquer en gras les passages supprimés par le CCI :

"L'histoire de la décadence des communautés primitives (...) est encore à faire. Jusqu'ici on n'a fourni que de maigres ébauches. Mais en tout cas l'exploration est assez avancée pour affirmer 1°/ que la vitalité des communautés primitives était incomparablement plus grande que celle des sociétés sémites, grecques, romaines etc. et a fortiori, que celle des sociétés modernes capitalistes ; 2°/ que les causes de leur décadence dérivent de données économiques qui les empêchaient de dépasser un certain degré de développement, de milieux historiques point du tout analogues au milieu historique de la commune russe d'aujourd'hui."

Un peu plus loin, Marx ajoute, à propos de la commune héritée des formes secondaires :

"grâce aux traits caractéristiques empruntés de celui-ci (le prototype archaïque NDR), la commune nouvelle, introduite par les Germains dans tous les pays conquis, devenait pendant tout le Moyen Age le seul foyer de liberté et de vie populaire."

Autrement dit, pour Marx, si l'histoire de la décadence des communautés primitives est encore à faire, c'est notamment parce que l'histoire fournie par les bourgeois néglige complètement le phénomène de la survivance des formes développées de ces communautés. Si l'histoire de la décadence de ces communautés est à faire, c'est précisément parce que la commune russe n'entre pas en décadence, jusqu'à un stade très tardif, et encore sous l'influence délètère du développement du capital.

Le CCI utilise par conséquent ici une citation qui va totalement à l'encontre de la thèse générale qu'il entend démontrer.

c/ Le féodalisme.

"La troisième forme est la propriété féodale ou propriété par ordre. Tandis que l'antiquité partait de la ville et de son petit territoire, le moyen-âge partait de la campagne. La population existante, clairsemée et éparpillée sur une vaste superficie et que les conquérants ne vinrent pas beaucoup grosir, conditionna ce changement de point de départ. A l'encontre de la Grèce et de Rome, le développement féodal débute donc sur un terrain bien plus étendu, préparé par les conquêtes romaines et par l'extension de l'agriculture qu'elles entraînaient initialement."

(Marx-Engels. L'idéologie Allemande. p.18. Ed. Sociales).

Ce qui caractérise le mode de production féodal à l'origine, c'est la forme même de la propriété foncière, la combinaison entre l'élément privé (doamine seigneurial, hérité de la villa romaine) et l'élément communautaire (issu de l'organisation des germains) ; de plus l'organisation hiérarchique des classes sociales par ordres (rapports de vassal à suzerain) et l'éparpillement de la population, l'absence de voies de communication et d'infrastructure en général ont imprimé un caractère localiste à la féodalité. Les classes dominantes y sont organisées à partir de la campagne (les fiefs), et la production n'échappe pas dans un premier temps à la forme féodale. Elle la reproduit sur la base de l'artisanat et du commerce (corporatismes et guildes). Pendant tout le moyen-âge la valeur d'usage joue encore un rôle prédominante dans la production.

Pour comprendre la période historique qui mène à ce nouveau mode de production, nous préférons retourner aux classiques contrairement au CCI qui puise dans l'historiographie bourgeoise la plus superficielle pour argumenter sa révision de l'histoire dans un sens gradualiste dans la bonne tradition du "marxisme" universitaire. Dans son N° 56, p.16, le CCI pose une période de transition de sept siècles entre la forme antique et le féodalisme (de 300 à 1000) après Jésus-Christ. Par contre, pour Engels, il ne s'agit que de 4 siècles (de 500 à 900 après JC).

"Si improductives que paraissent ces 400 années, elles léguaient au moins un grand résultat : les nationalités modernes, l'organisation nouvelle et la structure de l'humanité et de l'Europe occidentale pour l'histoire à venir. Les germains avaient effectivement revivifiée l'Europe, et c'est pourquoi la dissolution des Etats de la période germanique n'aboutit pas à l'assujetissement aux Normands et aux Sarrazins, mais à l'évolution de la féodalité."

(Engels, Origine de la famille... p.153. Ed. Sociales)

Mais le CCI fait complètement abstraction du mode de production germanique et du rôle des germains dans la genèse du féodalisme. Il est vrai qu'il lui faut métamorphoser l'histoire réelle pour la faire cadrer avec l'idée que tout mode de production nouveau est issu d'une période de longue décadence de l'ancien. Or pour pouvoir plaquer ce schéma sur le passage de l'antiquité au féodalisme, il lui faut rayer d'un trait de plume toute l'histoire des invasions germaniques et du même fait, les travaux de Marx-Engels à ce sujet. Le passage de l'Empire romain décadent à une forme nouvelle regénérée, ne peut justement pas s'expliquer si l'on ne comprend pas le rôle des barbares germains.

"Tout ce que les germains inoculèrent au monde romain de force vitale et de fermeté vivifiante était barbarie. En fait seuls des barbares sont capables de rajeunir un monde qui souffre de civilisation agonisante. Et le stade supérieur de la barbarie, vers lequel et dans lequel avaient évolués les germains avant les grandes invasions, était justement le plus favorable à ce processus. Cela explique tout."

(Engels. L'origine de la famille... p.165)

Si l'on suit le CCI dans son rabachâge des manuels universitaires, le féodalisme entre en décadence dès le XIV° siècle, jusqu'au XVIII°. Or, de nombreux faits historiques démontrent qu'il n'en est rien.

1°/ D'après le CCI, la bourgeoisie naît au sein de la décadence féodale, donc, dans sa logique, à partir du XIV° siècle. Mais, en falsificateur avisé, il s'exerce à un découpage et un recollage de citations tronquées du Manifeste, afin de teinter son ineptie d'un semblant de matérialisme (N° 55 p.17). En se référant au même Manifeste de 1847, nous pouvons lire page 31 que "des serfs du Moyen-Age naquirent les citoyens des premières communes ; de cette population municipale sortirent les éléments de la bourgeoisie." Le mouvement communal commença dès la fin du X° siècle en Allemagne et en France au XI° siècle. Loin de naître de la "décadence" du mode de production féodal, la bourgeoisie se développe durant une phase historique qui nous est présentée par le CCI comme ascendante. Les marchands, premier type du bourgeois, surgissent en tant qu'ordre organisé, c'est-à-dire sur une base typique d'organisation des classes dans le féodalisme, entre les X° et XII° siècles. Ils cherchent à affirmer leur pouvoir politique au sein des villes en élisant des magistrats (échevins). C'est précisément ce ferment de classe porteuse d'un autre projet politique et social, conforme au mode de production capitaliste naissant, qui se développera au fur et à mesure que le commerce et les échanges se développeront aussi. Avec l'autonomisation croissante de la valeur d'échange, la classe bourgeoise acquiert un poids toujours plus grand, au sein du mode de production féodal, provoquant ainsi, à terme, non pas sa décadence, mais sa mort brutale. La production capitaliste ne se développe pas sur la base de la décomposition des corporations artisanales du Moyen-Age suivant la logique du CCI ; c'et au contraire du déeloppement de la manufacture capitaliste à partir du XIII° siècle que provient en partie la décadence des corporations.

Par exemple dans les campagnes anglaises (modèle classique du développement du capital), l'expropriation des paysans provient non pas de la décadence de la production agricole mais de l'usurpation des terres communales, puis des terres de l'Eglise et de la couronne par les propriétaires fonciers qui, pour répondre au besoin des manufactures de textile en matières premières ont remplacé les hommes par des moutons. Le moteur de tout ce procès, c'est le besoin d'argent, sa pénétration par tous les pores de la société féodale.

2°/ Pour ce qui est de la décadence des forces productives en Allemagne, à partir du XIV° siècle, laissons la parole à Engels :

"L'industrie allemande avait connu au cours des XIV° et XV° siècles un essor considérable."

(La guerre des paysans. Editions sociales p.43)

Par contre, dans la plus grande partie de l'Europe, en Allemagne et en Europe Centrale, on assiste dès la fin du XVI° siècle à une réintroduction des fondements même du mode de production féodal, le servage :

"(...) la réintroduction généralisée du servage est une des raisons qui expliquent pourquoi, en Allemagne, aucune industrie ne peut prendre d'essor aux XVII° et XVIII° siècles. Premièrement, la division du travail à l'envers dans les corporations, le contraire de celle qui a lieu dans la manufacture : au lieu d'être divisé à l'intérieur de l'atelier, le travail est divisé entre les corporations."

(Lettre d'Engels à Marx. Décembre 1882)

En ce qui concerne l'Europe orientale et toute l'aire slave, le féodalisme ne fait qu'apparaître au XVI° siècle, le servage se développant de manière croissante en Russie, surtout à partir de Pierre le Grand, et il ne fut aboli qu'en 1861.

3°/ En bon mécaniste, le CCI s'imagine qu'à sa prétendue décadence des forces productives dans le féodalisme, correspond une décadence des formes idéologiques.

"Une sorte de nihilisme se développe, refusant à la raison toute possibilité de maîtriser le cours des choses. Le mysticisme en tant que négation de la raison se développe. Et ici encore c'est un phénomène qui marque les décadences passées. Ainsi, dans la décadence féodale du XIV° siècle (...)"

(Revue Internationale N° 58. p.19)

Rappelons que pour le CCI, qui appelle à son aide l'historien réactionnaire et médiatique Favier, les hérésies, les prédications etc. sont autant de manifestations de la décadence, les flagellants sont les punks du féodalisme décadent ... Pour se rendre compte à quel stade de "décadence" en est arrivée la secte du CCI sous la houlette de ses "prédicateurs", il suffit de se rappeler comment Engels dans "La guerre des paysans en Allemane" décrit justement les flagellants et autres sectes de l'époque :

"A cette forme d'hérésie se rattache l'exaltation des sectes mystiques, flagellants, lollards etc. qui, pendant les périodes de réaction, pérpétuent la tradition révolutionnaire."

(pp.66-67 Editions sociales).

Mais le CCI, comme tous les décadencistes d'ailleurs, ne comprend pas un mot de l'histoire réelle. Et ce qui est particulièrement significatif de leur bêtise, c'est qu'ils sont incapables de relier les formes idéologiques à la lutte des classes. ("La chute semble sans fond" RI p.19). Mais avant le fond nous devons rappler qu'en matière de décadence idéologique, la période qui va du XIV° au XVII° siècle comprend la naissance de la plupart des langues nationales écrites, et la création d'oeuvres littéraires et artistiques parmi les plus marquantes de l'histoire de l'humanité ; que cette période couvre en fait celle de la Renaissance, des grandes découvertes et inventions qui sont aussi, n'en déplaise au CCI, des forces productives.

d/ Le mode de production capitaliste.

Nous avons vu, au cours des pages qui précèdent, qu'il y a plusieurs manières pour un mode de production donné de disparaître. Celui-ci peut vivre une période de décadence avant de disparaître définitivement, comme cela fut le cas pour l'Empire Romain, une des variantes des formes secondaires. Il peut aussi subsister sans se développer pendant des siècles comme ce fut le cas pour les formes asiatiques, autrs variantes des formes secondaires. Il peut aussi être battu en bèche en son propre sein par une forme de production montante jusqu'à ce que le mouvement qualitatif se transforme en saut qualitatif et que la novuelle forme renverse l'ancienne. C'est le cas du féodalisme qui donne naissance au mode de production capitaliste.

Il nous faut maintenant examiner si, du point de vue du matérialisme historique, le concept de mode de production capitaliste tel qu'il est défini par le pgoramme communiste, est compatible avec le concept de décadence.

Nous avons déjà cité Marx, au début de ce texte, pour lequel la contradiction hsitorique majeure du MPC réside dans le fait que celui-ci développe les forces productives dans un cadre qui devient rapidement trop étroit pour celles-ci. Dès lors, ce qui menace historiquement le capitalisme, ce n'est pas un quelconque affaiblissement des forces productives, mais au contraire leur impétueux développement. Le MPC est tout entier exaltation des forces productives, mais en retour, celles-ci viennent menacer son organisation sociale. C'est la contradiction, dialectique, entre forces productives et rapports de production. La version condensée de cette vision historique se trouve dans le Manifeste du parti communiste.

"Les forces productives dont elle dispose ne favorisent pas plus le développement de la civilisation bourgeoise et les rapports bourgeois de propriété ; au contraire elles sont devenues trop puissantes pour ces formes qui leur font alors obstacle ; et dès que les forces productives triomphent de cet obstacle, elles précipitent dans le désordre la société bourgeoise tout entière et menacent l'existence de la propriété bourgeoise."

Ainsi, dès le début, le MPC ne peut pas faire un pas en avant sans renforcer en même temps, à l'autre pôle, les potentialités révolutionnaires de la société qui, dialectiquement, doit lui succéder : le communisme.

On voit à travers cette reprise des définitions classiques du MPC, qu'il n'y a aucune place, au niveau conceptuel pour la moindre idée de "décadence" dans une pareille vision. Le capitalisme est un mode de production historiquement condamné justement parce que en se développant, il développe ses propres contradictions, et qu'il ne peut pas arrêter un seul instant d'aller de l'avant. Sa nature même le pousse à se développer et du même coup à générer ses propres contradictions. Celles-ci ne peuvent aboutir qu'à une chose : une crise catastrophique du MPC au cours de laquelle s'ouvre une possibilité de renversement révolutionnaire de la part de la classe prolétarienne. Celle-ci, soulignait Marx, de toutes les forces productives est le plus grand pouvoir productif.

Mais, contrairement à la bourgeoisie, qui disposait au sein du féodalisme d'un espace autonome pour affermir son pouvoir et créer des citadelles d'où elle pourrait venir à bout des bastions féodaux, le prolétariat n'est, en tant que classe, que la négation du capital. Il n'a rien à construire dans la société présente, aucune position graduelle à développer. Sa mission consiste à saisir le moment historique où le MPC se révèle incapable d'assurer plus avant le développement des forces productives sans entrer immédiatement en crise. En saisissant l'occasion de la chute brutale qui succède au moment d'apogée, le prolétariat s'érige en classe dominate et s'empare du pouvoir politique pour réorganiser les forces productives dans un sens contraire aux intérêts du MPC et conforme aux intérêts de l'humanité dont il estle représentant au sein de la société de classes.

Il découle de tout ceci que quand bien même le concept de décadence serait opérant pour d'autres modes de production à travers l'histoire, il serait en totale contradiction avec la nature même du mode de production capitaliste, et, en tant que tel, totalement inapplicable à ce dernier.

Il est revenu à la Gauche Communiste d'Italie, confrontée aux déviations daménistes qui reprenaient la thèse d'un déclin progressif des forces productives, de rappeler cette thèse essentielle du marxisme selon laquelle l'histoire se présente comme une succession de catastrophes et non comme une construction harmonieuse où les sociétés vieillissantes laisseraient lentement la place à d'autres, plus jeunes, et porteuses d'un nouveau développement de l'humanité.

Dialectique contre gradualisme, tel est, en résumé, la position de Bordiga, que le CCI comprend d'autant moins qu'il utilise la version toute particulière qu'en donne ... le GCI, grand négateur de l'historie réelle. Pour ne pas embrouiller encore plus la question, nous laisserons cette sous-polémique de côté, pour résumer simplement ici la position de la Gauche.

Le CCI reproche à Bordiga, ce qui est un comble, une vision répétitive de l'histoire, où toutes les formes de production connaîtraient le même destin et la même chute brutale à l'issue d'un long procès de développement ininterrompu des forces productives. La référence du CCI est le texte issu de la "Réunion de Rome" de 1951, qui contenait les deux fameux schémas opposés du développement historique.

Or, si l'on se réfère au texte en question, la Gauche n'y parle que des deux dernières phases de la succession des formes de prodcution : celle entre le féodalisme et le MPC, et celle entre le MPC et le communisme. Nulle part il n'est question d'un schéma général valable pour toutes les époques historiques. En revanche ce texte (réédité en français en 1968 par Invariance N°4 ancienne série) est capital en ce qu'il résume la vision dialectique du communisme révolutionnaire, pour qui les conditions révolutionnaires du bouleversement d'une société donnée ne sont pas ouvertes en permanence au cours des "longues phases de déclin" chères au CCI, mais se manifestent de manière fulgurante au cours de brèves périodes historiques au cours desquelles elles doivent être saisies par les minorités révolutionnaires conscientes, faute de quoi l'occasion ainsi ouverte sera perdue.

A la catastophe économique, correspond donc ainsi une phase de révolution, et non d'évolution sociale. Ce schéma, qui a été valable pour la révolution bourgeoise, le sera aussi pour la révolution prolétarienne. Comme le dit le texte :

"Marx n'a pas escompté une montée et ensuite un déclin du capitalisme, mais au contraire l'exaltation dialectique de la masse des forces productives que le capitalisme contrôle, leur accumulation et leur concentration, illimitée, et, en même temps, la réaction antagonique des forces dominées représentées par la classe prolétarienne. le potentiel productif et économique général monte toujours plus jusqu'à ce que l'équilibre soit rompu : on a alors une phase révolutionnaire explosive dans laquelle, au cours d'une très courte période précipitée par la rupture des antiques formes de production, les forces de production tombent pour se donner une nouvelle assise et reprendre une ascension plus puissante.

La différence entre les deux conceptions s'exprime ainsi dans le langage des géomètres : la première courbe ou courbe des opportunistes (révisionnistes, type Berstein, staliniens, partisans de l'émulation, intellectuels révolutionnaires pseudo-marxistes, est continue dans tous ses points (admet une tangente), c'est-à-dire procède pratiquement par variations imperceptibles d'intensité et de direction. La seconde courbe par laquelle nous avons voulu donner une image simplificatrice de la "théorie des catastrophes" tant décriée présente à chaque époque des points que l'on appelle en géométrie "cuspides" ou "points singuliers". En ces points, la continuité géométrique, et donc la gradualité historique, disparaît ; la courbe "n'a pas de tangente", ou même, "admet toutes les tangentes", comme au cours de la semaine que Lénine ne voulut pas laisser passer.

Il est à peine nécessaire de noter que le sens général ascendant ne se relie pas à des visions idéalistes sur le progrès humain indéfini, mais à la donnée historique de la croissance gigantesque et continuelle de la masse matérielle des forces productives dans la succession des grandes crises historiques révolutionnaires."